79 - Vaincre et Convaincre

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26.06.2013 Views

eprésente le discours politique qui a accompagné le projet de domination étrangère; il est évident qu'il essaie d'occulter son origine externe, et de fausser le rapport intérieur-extérieur afin de se présenter comme venant de l'intérieur de l'Islam à l'une des périphéries de l'empire ottoman. Il tente également de mettre en concordance les fondements de l'Islam avec les principes de la Révolution française afin d'expulser le pouvoir Mamelouk local en dehors de l'alliance de la religion islamique et de 1a «Raison» occidentale. En d'autres termes, c'est une tentative de s'infiltrer au sein de l'interdit et des noms propres, comme le disait Claude Lévi-Strauss dans «Tristes Tropiques»: «Si faciles que fussent les Nambikwaras - indifférents à la présence de l'ethnographe, à son carnet de notes et à son appareil photographique - le travail se trouvait compliqué pour des raisons linguistiques. D'abord l'emploi des noms propres est chez eux interdit; pour identifier les personnes, il fallait suivre l'usage des gens de la ligne, c'est-à-dire convenir avec les indigènes de noms d'emprunt par lesquels on les désignerait... Un jour que je jouais avec un groupe d'enfants, une des fillettes fut frappée par une camarade, elle vint se réfugier auprès de moi, et se mit, en grand mystère, à me murmurer quelque chose à l'oreille que je ne compris pas, et que je fus obligé de lui faire répéter à plusieurs reprises, si bien que l'adversaire découvrit le manège et, manifestement, arriva à son tour pour livrer ce qui parut être un secret solennel; après quelques hésitations et questions, l'interprétation de l'incident ne laissa pas de doute. La première fillette était venue, par vengeance, me donner le nom de son ennemie, et quand celle-ci s'en aperçut, elle communiqua le nom de l'autre, en guise de représailles. A partir de ce moment, il fut très facile, bien que peu scrupuleux, d'exciter les enfants les uns contre les autres, et d'obtenir tous leurs noms. Après quoi, une petite complicité ainsi créée, ils me donnèrent sans trop de difficulté les noms des adultes. Lorsque ceux-ci comprirent nos conciliabules, les enfants furent réprimandés, et la source de mes informations tarie»(14). L'expression «nom propre» employée ici est impropre. Ce que frappe l'interdit, c'est l'acte proférant ce qui fonctionne comme nom propre. Et cette fonction est la conscience elle-même. Le nom propre au sens courant, au sens de la conscience, n'est que désignation

d'appartenance et classification qui trace les limites entre le dedans et le dehors, entre les gens de la maison et les étrangers. La guerre des noms propres suit l'arrivée de l'étranger et l'on ne s'étonnera pas. L'étranger chez le Nambikwara était l'ethnographe, qui vient déranger l'ordre et la paix naturelles, tandis qu'il s'appelle chez les musulmans, - dont le nom propre des «adultes» est l'Islam - Napoléon Bonaparte qui vient, non seulement violer le secret des noms propres qui détermine le dedans d'une société, et situer le propre de ces «noms propres» dans le cadre impropre et universel des «noms communs» de la raison occidentale; cet étranger vient également nouer une complicité avec les adultes de l'intérieur islamique afin de se donner le droit de nommer, et de s'imposer comme lieu interne d'où il peut parler comme les «gens de la maison», cette complicité avec l'intérieur lui donne également le droit de mettre à l'écart le pouvoir local des Mamâlyks, et de constituer le point d'équilibre et d'arbitrage de ce jeu de complicité et de dénonciation. C'est ce qu'a pu soulever Jacques Derrida en commentant ce texte: «L'ethnographe se contente d'abord de voir. Regard appuyé et présence muette. Puis les choses se compliquent, elles deviennent plus tortueuses, plus labyrinthiques quand il se prête au jeu de la rupture du jeu, quand il prête l'oreille et entame une première complicité avec la victime qui est aussi la tricheuse. Enfin, car ce qui compte, ce sont les noms des adultes (on pourrait dire les éponymes et le secret n'est violé qu'au lieu où s'attribuent les noms), l'ultime dénonciation ne peut plus se passer de l'intervention active de l'étranger. Qui d'ailleurs la revendique et s'en accuse. Il a vu, puis il a entendu, mais passif devant ce que pourtant il savait déjà provoquer, il attendait encore les maîtresnoms. Le viol n'était pas consommé, le fond nu du propre se réservait encore. Comme on ne peut ou plutôt ne doit pas incriminer les petites filles innocentes, le viol sera accompli par l'intrusion dès lors active, perfide, rusée, de l'étranger qui, après avoir vu et entendu, va maintenant «exciter» les petites filles, délier les langues et se faire livrer les noms précieux: ceux des adultes»(15). Seuls les adultes possèdent un nom qui leur est propre.

d'appartenance <strong>et</strong> classification qui trace les limites entre le dedans <strong>et</strong><br />

le dehors, entre les gens de la maison <strong>et</strong> les étrangers. La guerre des<br />

noms propres suit l'arrivée de l'étranger <strong>et</strong> l'on ne s'étonnera pas.<br />

L'étranger chez le Nambikwara était l'<strong>et</strong>hnographe, qui vient déranger<br />

l'ordre <strong>et</strong> la paix naturelles, tandis qu'il s'appelle chez les musulmans, -<br />

dont le nom propre des «adultes» est l'Islam - Napoléon Bonaparte qui<br />

vient, non seulement violer le secr<strong>et</strong> des noms propres qui détermine le<br />

dedans d'une société, <strong>et</strong> situer le propre de ces «noms propres» dans le<br />

cadre impropre <strong>et</strong> universel des «noms communs» de la raison<br />

occidentale; c<strong>et</strong> étranger vient également nouer une complicité avec les<br />

adultes de l'intérieur islamique afin de se donner le droit de nommer, <strong>et</strong><br />

de s'imposer comme lieu interne d'où il peut parler comme les «gens de<br />

la maison», c<strong>et</strong>te complicité avec l'intérieur lui donne également le droit<br />

de m<strong>et</strong>tre à l'écart le pouvoir local des Mamâlyks, <strong>et</strong> de constituer le<br />

point d'équilibre <strong>et</strong> d'arbitrage de ce jeu de complicité <strong>et</strong> de<br />

dénonciation. C'est ce qu'a pu soulever Jacques Derrida en commentant<br />

ce texte:<br />

«L'<strong>et</strong>hnographe se contente d'abord de voir. Regard appuyé <strong>et</strong><br />

présence mu<strong>et</strong>te. Puis les choses se compliquent, elles deviennent<br />

plus tortueuses, plus labyrinthiques quand il se prête au jeu de la<br />

rupture du jeu, quand il prête l'oreille <strong>et</strong> entame une première<br />

complicité avec la victime qui est aussi la tricheuse. Enfin, car ce<br />

qui compte, ce sont les noms des adultes (on pourrait dire les<br />

éponymes <strong>et</strong> le secr<strong>et</strong> n'est violé qu'au lieu où s'attribuent les<br />

noms), l'ultime dénonciation ne peut plus se passer de<br />

l'intervention active de l'étranger. Qui d'ailleurs la revendique <strong>et</strong><br />

s'en accuse. Il a vu, puis il a entendu, mais passif devant ce que<br />

pourtant il savait déjà provoquer, il attendait encore les maîtresnoms.<br />

Le viol n'était pas consommé, le fond nu du propre se<br />

réservait encore. Comme on ne peut ou plutôt ne doit pas<br />

incriminer les p<strong>et</strong>ites filles innocentes, le viol sera accompli par<br />

l'intrusion dès lors active, perfide, rusée, de l'étranger qui, après<br />

avoir vu <strong>et</strong> entendu, va maintenant «exciter» les p<strong>et</strong>ites filles,<br />

délier les langues <strong>et</strong> se faire livrer les noms précieux: ceux des<br />

adultes»(15). Seuls les adultes possèdent un nom qui leur est<br />

propre.

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