79 - Vaincre et Convaincre

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«Le chef disait Ibn Khaldoun doit avoir un fort parti qui le soutienne.. le droit de commander ne réside pas dans chacune des branches de la tribu, mais il n'appartient qu'à une seule famille qui doit surpasser les autres en force et en esprit de clan.. il faut qu'un des membres ait le pouvoir d'imposer sa volonté aux autres»(57). C'est cette tribu ottomane qui n'est plus égalitaire et ayant un fort esprit de clan qui a porté son chef à la tête d'un État. La solidarité basée sur les liens du sang n'était donc pas l'esprit de clan ottoman, mais une condition pour que cet esprit de clan puisse se développer. Le Sultan de la dynastie ottomane établit son autorité sur sa tribu, pour une part en tirant des profits du commerce, mais ce sont surtout les guerres qui lui permettaient de s'octroyer les pièces majeures du butin, et d'acquérir une autorité de moins en moins contestée sur ses contribuables. Maintenu en théorie, l'égalitarisme prévalant au temps des ancêtres disparaît au fur et à mesure que les richesses sont de moins en moins mises en commun, pour se limiter par la suite aux seuls appareils d'État militaire, administratif et religieux. La démocratie militaire de départ a vu se renforcer le pouvoir de l'aristocratie tribale, à mesure que l'État s'est élargi pour atteindre les dimensions d'un empire comprenant une multitude de nationalités et de tribus hétérogènes. Cette fortune de guerre et de commerce attira autour du sultan les membres de sa famille, mais aussi une masse de clients et de vassaux; on a déjà vu cette formidable institution milliaire des janissaires qui recrutait ses membres chez les ennemis chrétiens du sultan, comme si la condition primordiale pour le développement de «l'esprit de clan» ottomano-musulman consistait à anéantir son contraire «l'esprit de clan» de l'ennemi. Ainsi, les liens de sang ont fait place à des rapports de vassalité, ce qui n'empêchait pas le sultan de s'en servir idéologiquement dans le cadre de l'Islam, d'autant plus qu'il spéculait sur le principe de leur maintien symbolique, afin qu'il puisse y faire appel à chaque opération militaire, en évoquant la guerre sainte (al djihad).

Pour maintenir cette cohésion, doublée cette fois d'une solidarité islamique plus englobante (Da'wa selon Ibn Khaldoun), la tribu ou plutôt l'empire est continuellement opposé à d'autres groupes. Le Sultan est devenu le défenseur de l'Islam contre les hérésies, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'empire. Aussi, dans l'exaltation des combats permanents, s'entretenait l'union sacrée de cet immense empire devant l'illusion d'un danger commun. La puissance du sultan, grâce à «l'esprit de clan», était grande comme l'a d'ailleurs constaté Machiavel, mais elle est ambiguë. Elle a pris racine dans la tribu des Osmanlis pour en saper l'égalitarisme qui faisait sa cohésion, et ériger l'exclusion de ses membres du pouvoir en loi, prenant la forme d'une pratique institutionnelle: les janissaires. Si en Europe, comme disait Marc Bloch, «deux facteurs semblent avoir été indispensables à tout régime féodal achevé: le quasi-monopole professionnel du vassal chevalier, et l'effacement plus ou moins volontaire devant l'attache vassal des autres moyens d'action de l'autorité publique»(58). Dans l'empire ottoman, le système était différent. Une fois l'empire constitué par la dynastie ottomane conquérante, «l'esprit de clan» qui était alors à son apogée au XVIe siècle, ne tarda pas à se désintégrer puis à disparaître, ce qui provoqua 1a désintégration inéluctable de l'État dont il avait constitué la véritable puissance. L'apparition de l'État, grâce à la victoire de la dynastie ottomane conquérante, implique dans ses nouvelles institutions militaires et administratives la dislocation de sa structure tribale. Moteur du devenir de l'État, «l'esprit de clan» est ruiné par la réalisation de l'État. La décomposition des structures tribales dans l'empire ottoman est, dans une certaine mesure, le commencement du passage d'un mode de production pré capitaliste à un mode de production plus évolué et plus adéquat au niveau de développement des forces productives. Mais ce passage se trouve bloqué par le fait que la désintégration des structures tribales provoque l'affaiblissement de la tribu dirigeante, affaiblissement devenu assez grave d'ailleurs, par le fait qu'il n'existait

Pour maintenir c<strong>et</strong>te cohésion, doublée c<strong>et</strong>te fois d'une solidarité<br />

islamique plus englobante (Da'wa selon Ibn Khaldoun), la tribu ou plutôt<br />

l'empire est continuellement opposé à d'autres groupes. Le Sultan est<br />

devenu le défenseur de l'Islam contre les hérésies, aussi bien à<br />

l'intérieur qu'à l'extérieur de l'empire. Aussi, dans l'exaltation des<br />

combats permanents, s'entr<strong>et</strong>enait l'union sacrée de c<strong>et</strong> immense<br />

empire devant l'illusion d'un danger commun. La puissance du sultan,<br />

grâce à «l'esprit de clan», était grande comme l'a d'ailleurs constaté<br />

Machiavel, mais elle est ambiguë. Elle a pris racine dans la tribu des<br />

Osmanlis pour en saper l'égalitarisme qui faisait sa cohésion, <strong>et</strong> ériger<br />

l'exclusion de ses membres du pouvoir en loi, prenant la forme d'une<br />

pratique institutionnelle: les janissaires.<br />

Si en Europe, comme disait Marc Bloch, «deux facteurs semblent<br />

avoir été indispensables à tout régime féodal achevé: le quasi-monopole<br />

professionnel du vassal chevalier, <strong>et</strong> l'effacement plus ou moins<br />

volontaire devant l'attache vassal des autres moyens d'action de<br />

l'autorité publique»(58). Dans l'empire ottoman, le système était<br />

différent. Une fois l'empire constitué par la dynastie ottomane<br />

conquérante, «l'esprit de clan» qui était alors à son apogée au XVIe<br />

siècle, ne tarda pas à se désintégrer puis à disparaître, ce qui provoqua<br />

1a désintégration inéluctable de l'État dont il avait constitué la véritable<br />

puissance.<br />

L'apparition de l'État, grâce à la victoire de la dynastie ottomane<br />

conquérante, implique dans ses nouvelles institutions militaires <strong>et</strong><br />

administratives la dislocation de sa structure tribale. Moteur du devenir<br />

de l'État, «l'esprit de clan» est ruiné par la réalisation de l'État. La<br />

décomposition des structures tribales dans l'empire ottoman est, dans<br />

une certaine mesure, le commencement du passage d'un mode de<br />

production pré capitaliste à un mode de production plus évolué <strong>et</strong> plus<br />

adéquat au niveau de développement des forces productives. Mais ce<br />

passage se trouve bloqué par le fait que la désintégration des structures<br />

tribales provoque l'affaiblissement de la tribu dirigeante,<br />

affaiblissement devenu assez grave d'ailleurs, par le fait qu'il n'existait

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