79 - Vaincre et Convaincre

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26.06.2013 Views

Mais de cette position marxiste on a tiré des conclusions théoriques et pratiques différentes. Les uns ont considéré que la direction révolutionnaire naît «spontanément» des masses, et qu'elle coïncide avec le mouvement des masses lui-même. Les autres en ont plutôt conclu à l'identification avant-garde/masses. Pour Lénine, la dialectique entre le sujet (le prolétariat) et l'objet (la société produite par le rapport de production capitaliste) se déplace vers une dialectique entre classe et avant-garde, où la première devient une «donnée objective», et la seconde le sujet: siège de «l'initiative révolutionnaire». Pour lui, la conscience révolutionnaire est produite par la rencontre entre la lutte économique de la classe ouvrière (en soi trade-unioniste, immanente au système) - elle serait, par nature, incapable de saisir le lien entre le moment économique et le moment politique - et les intellectuels marxistes, transfuges de leur classe, la bourgeoisie. La conscience vient à la classe ouvrière «de l'extérieur». Et c'est le parti, organisation des révolutionnaires dotés des instruments d'analyse marxiste, qui incarne la conscience révolutionnaire du prolétariat: «Les ouvriers, avons-nous dit, ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que du dehors. L'histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience tradeunioniste, c'est-à-dire à la conviction qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporaine, Marx et Engels, appartenaient euxmêmes, par leur situation sociale, aux intellectuels bourgeois. Ainsi donc, il y avait à la fois un éveil spontané des masses ouvrières, éveil à la vie consciente et à la lutte consciente, et une jeunesse révolutionnaire qui, armée de la théorie social-démocrate, brûlait de se rapprocher des ouvriers»(32).

S'il convient de faire justice à l'histoire du parti bolchevik, qui est l'histoire de décennies de lutte héroïque, tenace, systématique pour nouer des liens avec la classe ouvrière et les masses opprimées, à des circonstances qui rendaient la lutte infiniment cruelle, il n'en reste pas moins vrai que la définition léniniste de la lutte ouvrière «spontanée», comme intrinsèquement trade-unioniste, «économique», nous conduirait à poser la question du rapport des intellectuels avec la classe ouvrière, avec le «vaincu», en termes de «conquête» idéologique, «d'introduction de l'extérieur» de la conscience politique. «Tout cela ne justifie ni une métaphysique de l'auto-organisation ouvrière, ni une réduction de la conscience de classe à la sphère des rapports de travail dans l'usine. Mais nous devons admettre que la conscience n'est pas «à l'extérieur» de la masse. D'autre part, on ne peut plus s'en tenir aujourd'hui à la définition des intellectuels que donne Lénine (les représentants instruits des classes possédantes) ... S'il est donc toujours vrai que «sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire» (Lénine), il est vrai aussi qu'il ne s'agit pas d'une théorie qui «pénètre» le mouvement des masses, mais d'une théorie qui se développe dans la lutte des masses, comme connaissance systématique des besoins des masses, et comme leur généralisation, dans un incessant processus dialectique»(33). Quant à Rosa Luxembourg, elle considère que les révoltes des vaincus, loin d'être un produit conscient des soi-disant «chefs» et «partis», sont plutôt des phénomènes sociaux qui ont leur origine dans le caractère de classe de la société. La naissance du marxisme n'a rien changé à cet état de chose, et son rôle ne consiste pas à prescrire des lois au développement historique de la lutte des classes, mais au contraire à se soumettre à ces lois et à se les soumettre par là- même(34). Gramsci a développé les deux positions. Tout le Gramsci des «Conseils» a un accent luxemburguien fondé sur l'hypothèse de la croissance de la classe comme sujet politique direct, le parti n'étant qu'un repère idéologique, un centre d'élaboration cohérente, un instrument, mais non le seul, de l'expression politique. Plus tard, dans

S'il convient de faire justice à l'histoire du parti bolchevik, qui est<br />

l'histoire de décennies de lutte héroïque, tenace, systématique pour<br />

nouer des liens avec la classe ouvrière <strong>et</strong> les masses opprimées, à des<br />

circonstances qui rendaient la lutte infiniment cruelle, il n'en reste pas<br />

moins vrai que la définition léniniste de la lutte ouvrière «spontanée»,<br />

comme intrinsèquement trade-unioniste, «économique», nous conduirait<br />

à poser la question du rapport des intellectuels avec la classe ouvrière,<br />

avec le «vaincu», en termes de «conquête» idéologique, «d'introduction<br />

de l'extérieur» de la conscience politique.<br />

«Tout cela ne justifie ni une métaphysique de l'auto-organisation<br />

ouvrière, ni une réduction de la conscience de classe à la sphère des<br />

rapports de travail dans l'usine. Mais nous devons adm<strong>et</strong>tre que la<br />

conscience n'est pas «à l'extérieur» de la masse. D'autre part, on ne<br />

peut plus s'en tenir aujourd'hui à la définition des intellectuels que<br />

donne Lénine (les représentants instruits des classes possédantes)<br />

... S'il est donc toujours vrai que «sans théorie révolutionnaire, il ne<br />

peut y avoir de mouvement révolutionnaire» (Lénine), il est vrai<br />

aussi qu'il ne s'agit pas d'une théorie qui «pénètre» le mouvement<br />

des masses, mais d'une théorie qui se développe dans la lutte des<br />

masses, comme connaissance systématique des besoins des masses,<br />

<strong>et</strong> comme leur généralisation, dans un incessant processus<br />

dialectique»(33).<br />

Quant à Rosa Luxembourg, elle considère que les révoltes des<br />

vaincus, loin d'être un produit conscient des soi-disant «chefs» <strong>et</strong><br />

«partis», sont plutôt des phénomènes sociaux qui ont leur origine dans<br />

le caractère de classe de la société. La naissance du marxisme n'a rien<br />

changé à c<strong>et</strong> état de chose, <strong>et</strong> son rôle ne consiste pas à prescrire des<br />

lois au développement historique de la lutte des classes, mais au<br />

contraire à se soum<strong>et</strong>tre à ces lois <strong>et</strong> à se les soum<strong>et</strong>tre par là-<br />

même(34).<br />

Gramsci a développé les deux positions. Tout le Gramsci des<br />

«Conseils» a un accent luxemburguien fondé sur l'hypothèse de la<br />

croissance de la classe comme suj<strong>et</strong> politique direct, le parti n'étant<br />

qu'un repère idéologique, un centre d'élaboration cohérente, un<br />

instrument, mais non le seul, de l'expression politique. Plus tard, dans

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