79 - Vaincre et Convaincre

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26.06.2013 Views

tant que le pouvoir n'est pas encore établi, l'épée est plus nécessaire que la plume. La plume est un simple serviteur, un agent d'exécution, tandis que l'épée poursuit une active assistance. Il en va de même à la fin d'une dynastie, lorsque les liens du sang s'affaiblissent et que le dépérissement de l'État diminue le nombre de ses soutiens. Il faut alors faire appel à l'armée. La dynastie en a besoin pour la protéger et la défendre, comme à ses débuts. Dans les deux cas, l'épée l'emporte ainsi sur la plume, le militaire tient le haut du pavé, il bénéficie de plus d'avantages et de plus riches apanages»(25). Il va de soi, dans la terminologie de l'Islam, que l'épée est inhérent au pouvoir établi dans le domaine de la guerre (Dar Al-Harb), tandis que la plume est privilégiée dans le domaine de la capitulation, de l'Islam (Dar Al-Islam): «Dans le cours ordinaire d'une dynastie, cependant, le souverain peut, dans quelque mesure, se passer de l'épée. Son autorité est fortement établie, il ne lui reste plus qu'à récolter les fruits du pouvoir : l'impôt, les terres, la suprématie et l'exécution des lois. La plume est l'instrument convenable à cette fin, et elle devient indispensable. L'épée reste au fourreau, sauf événement imprévu et nécessité de colmater quelque brèche. Hors ce cas extrême, le sabre est inutile. Les gens de plume ont donc tout avantage. Ils occupent le rang le plus élevé. Ils ont plus d'aisance et de richesse que les autres, et leurs rapports avec le souverain sont plus intimes et plus fréquents. La plume est alors l'instrument dont se sert le roi pour recueillir les avantages du pouvoir : c'est-à-dire pour diriger et administrer son royaume et pour en faire parade. A cette époque, on peut fort bien se passer de vizirs et de ministres: ceuxci sont écartés de l'entourage immédiat du souverain et doivent se garder de ses sautes d'humeur. «C'est tout cela qu'Abou Mouslem(26) exprima en réponse au Calife Al-Mansour qui l'avait appelé auprès de lui; «Nous avons retenu cette maxime persane, nul n'est plus épouvanté que les vizirs, quand le calme s'installe». Telle est la conduite de Dieu vis-à-vis de ses serviteurs»(27). Nous pouvons, par conséquent, affirmer que c'est le rapport entre le vainqueur et le vaincu qui détermine la nature aussi bien que le rôle

de l'intellectuel, et ajouter à la maxime d'Abou Mouslem: nul n'est plus épouvanté que l'intellectuel, quand la guerre éclate. On voit ainsi s'inscrire deux mouvements qui déterminent le rapport du vainqueur au vaincu: le pouvoir est celui qui inscrit la défaite de la «Moumâna'a» du vaincu, défaite qui va de pair avec le renforcement et l'établissement du pouvoir du vainqueur, l'intellectuel s'approche alors du vainqueur pour remplir ce que Ibn Khaldoun appelle l'office de Chambellan (hijaba): «On a vu que, sous les Omayyades et les Abbasides, le titre de Chambellan (hâjeb) était réservé au fonctionnaire chargé d'empêcher l'accès du public auprès du souverain ou, en tout cas, d'en régler les modalités et l'horaire. Ce titre était alors de rang inférieur et subalterne, car le titulaire se trouvait supervisé pas le vizir. Telle était la situation sous les Abbasides, et elle est restée sans changement jusqu'ici. En Égypte la charge de Chambellan dépend du plus haut dignitaire que l'on appelle «vice - roi» (nâ'eb). «chez les Omayyades d'Espagne, le Chambellan devait protéger l'accès du prince aussi bien contre les particuliers (Al-Khâça) que contre la foule (Al-Amma). Il servait aussi d'intermédiaire (Wâsita) entre le souverain, les vizirs et les fonctionnaires subalternes»(28). A ce type d'intellectuel (le chambellan du sultan ou du pouvoir) inhérent à la domination du vainqueur aussi bien qu'à la défaite de la «Moumâna'a» du vaincu, s'oppose, dans le second mouvement inscrivant la montée de la «Moumâna'a» du vaincu qui met la domination du vainqueur en mauvaise posture, un autre type d'intellectuel, un intellectuel qui se révolte contre le pouvoir du vainqueur, étant donné que la porte du Sultan, gardée par le chambellan , est si étroite qu'elle ne saurait contenir tous les intellectuels, ni satisfaire leur passion de pouvoir, surtout aux moments de mutation, la révolte de ce type d'intellectuel (hâjeb) prend alors deux formes: 1 - révolte idéologique culturelle et négative mettant l'intellectuel- Chambellan (hâjeb) sur la voie de la critique et de la démystification du pouvoir, par un mouvement qui le retire de l'entourage du pouvoir aussi bien que de la société, après être sorti

tant que le pouvoir n'est pas encore établi, l'épée est plus<br />

nécessaire que la plume. La plume est un simple serviteur, un<br />

agent d'exécution, tandis que l'épée poursuit une active assistance.<br />

Il en va de même à la fin d'une dynastie, lorsque les liens du sang<br />

s'affaiblissent <strong>et</strong> que le dépérissement de l'État diminue le nombre<br />

de ses soutiens. Il faut alors faire appel à l'armée. La dynastie en a<br />

besoin pour la protéger <strong>et</strong> la défendre, comme à ses débuts. Dans<br />

les deux cas, l'épée l'emporte ainsi sur la plume, le militaire tient le<br />

haut du pavé, il bénéficie de plus d'avantages <strong>et</strong> de plus riches<br />

apanages»(25).<br />

Il va de soi, dans la terminologie de l'Islam, que l'épée est inhérent<br />

au pouvoir établi dans le domaine de la guerre (Dar Al-Harb), tandis<br />

que la plume est privilégiée dans le domaine de la capitulation, de<br />

l'Islam (Dar Al-Islam):<br />

«Dans le cours ordinaire d'une dynastie, cependant, le souverain<br />

peut, dans quelque mesure, se passer de l'épée. Son autorité est<br />

fortement établie, il ne lui reste plus qu'à récolter les fruits du<br />

pouvoir : l'impôt, les terres, la suprématie <strong>et</strong> l'exécution des lois. La<br />

plume est l'instrument convenable à c<strong>et</strong>te fin, <strong>et</strong> elle devient<br />

indispensable. L'épée reste au fourreau, sauf événement imprévu<br />

<strong>et</strong> nécessité de colmater quelque brèche. Hors ce cas extrême, le<br />

sabre est inutile. Les gens de plume ont donc tout avantage. Ils<br />

occupent le rang le plus élevé. Ils ont plus d'aisance <strong>et</strong> de richesse<br />

que les autres, <strong>et</strong> leurs rapports avec le souverain sont plus intimes<br />

<strong>et</strong> plus fréquents. La plume est alors l'instrument dont se sert le roi<br />

pour recueillir les avantages du pouvoir : c'est-à-dire pour diriger<br />

<strong>et</strong> administrer son royaume <strong>et</strong> pour en faire parade. A c<strong>et</strong>te<br />

époque, on peut fort bien se passer de vizirs <strong>et</strong> de ministres: ceuxci<br />

sont écartés de l'entourage immédiat du souverain <strong>et</strong> doivent se<br />

garder de ses sautes d'humeur.<br />

«C'est tout cela qu'Abou Mouslem(26) exprima en réponse au Calife<br />

Al-Mansour qui l'avait appelé auprès de lui; «Nous avons r<strong>et</strong>enu<br />

c<strong>et</strong>te maxime persane, nul n'est plus épouvanté que les vizirs,<br />

quand le calme s'installe». Telle est la conduite de Dieu vis-à-vis de<br />

ses serviteurs»(27).<br />

Nous pouvons, par conséquent, affirmer que c'est le rapport entre<br />

le vainqueur <strong>et</strong> le vaincu qui détermine la nature aussi bien que le rôle

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