La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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enseigne que Rachel pleure 279 pour ses enfants, et qu’elle pleura quand les Juifs furent exilés à Babylone car ils passèrent devant son tombeau sur le chemin. Alors que tous les autres patriarches et matriarches furent inhumés à Hébron, seule Rachel fut enterrée au bord d’une route. Les Juifs pensent que ce n’est pas par hasard si Rachel, qui ne pouvait demeurer en paix tant que ses enfants étaient absents du pays d’Israël, fut inhumée en un lieu où ces derniers allaient passer à leur retour. Au cours des générations, le peuple juif a maintenu la croyance que son âme attendait là que ses fils et ses filles reviennent de leur exil en Terre promise 280 . Nous comprenons alors pourquoi ce lieu est tant vénéré par les Juifs. La Bible relate que Jacob érigea une stèle sur la tombe de sa femme. Le tombeau actuel consiste en un rocher surmonté de 11 pierres, chacune pour les 11 enfants de Jacob qui étaient vivants quand Rachel mourut en donnant naissance à Benjamin. Le rocher est couvert d’un dôme supporté par 4 arches 281 . Le tableau de Chagall montre bien le bâtiment carré surmonté par un dôme. En ce qui concerne son voyage, Chagall insista fortement sur le fait qu’il y était allé « comme un Juif » et pour « vérifier certains sentiments ». Il s’avère alors possible que Chagall reproduisit fidèlement sur sa toile ce lieu hautement symbolique – le tombeau de Rachel, mère des Juifs, qui attend indéfiniment le retour de ses enfants –, non pas comme un artiste mais comme un simple Juif exilé. Le Temple de Jérusalem, qui fut le sujet de trois tableaux, est sans doute le monument le plus connu de la Palestine pour les non Juifs. Il y eut deux temples de Jérusalem. Selon la Bible, c’est Salomon qui bâtit le premier, autour de l’an 950 av. J.-C. Ce temple fut détruit en 587 av. J.-C. par le roi babylonien Nabuchodonosor qui assiégeait la ville. Ensuite, l’empire perse succéda aux Babyloniens. Or, les autorités perses avaient une politique différente envers les peuples conquis et les autres religions. Ils permirent aux exilés de rentrer en Palestine vers l’an 538 av. J.-C. La suite des événements n’est pas très claire, mais on bâtit un second temple, beaucoup plus modeste que le précédent en raison des moyens limités. Ce second temple aurait été consacré en 515 av. J.-C. Puis, au tournant du I er siècle de notre ère (à partir de 20-19 av. J.-C.), ce temple fut restauré de façon grandiose par Hérode le Grand. Roitelet soumis au pouvoir romain, Hérode qui n’était pas Juif mais Nabatéen, voulut se concilier les Juifs. C’est ce second temple qui fut détruit par les armées romaines de Titus en 70 de notre ère, lors de la révolte contre l’empire romain. 279 « Voici ce que déclare l’Éternel : On entend à Rama une voix qui gémit et des sanglots amers : Rachel pleure ses fils et elle ne veut pas se laisser consoler, car ses fils ne sont plus. » dans Jérémie XXXI, 15. 280 Encyclopaedia Judaica (seconde édition), éd. par Fred Skolnik et Michael Berenbaum, op. cit., vol. 17, p 48. 281 Ibid. 88

Dès lors, le temple ne fut jamais reconstruit. À son emplacement, les musulmans y construisirent deux mosquées que l’on peut encore voir. De l’enceinte du second Temple, il ne reste aujourd’hui qu’une portion du mur occidental, que l’on appelle le Mur des Lamentations 282 . Les Juifs y vont prier en déposant des vœux (ill. 30). Chagall restitua justement dans ses peintures Jérusalem de 1931 (ill. 31) 283 et Le mur des Lamentations les Juifs qui prient contre ce mur immense, symbole de leur gloire passée et de leur Exil. À propos de la ville de Jérusalem, Chagall dit effectivement : « On sent quelle culture puissante a germé ici dans le passé... Si elle est destinée à être ressuscitée, elle sera une des plus riches sur la terre – Je dis cela, alors que je ne suis pas du tout chauvin... Cependant, tout le reste de Jérusalem – la Mosquée Omar et des endroits saints – malgré mon grand intérêt pour le Christ comme poète et figure prophétique – m’est resté indifférent... » 284 . Ce discours nous prouve que Jérusalem, lieu saint pour les trois monothéismes, n’avait pas d’autres significations pour lui qu’une ville juive évoquant une immense gloire passée. Chagall, qui n’était peut-être pas nationaliste comme il le précisait, nous semble tout de même être foncièrement Juif, et c’est vraisemblablement avec son regard de Juif qu’il restitua des monuments d’Eretz Israël 285 sur ses toiles. D’ailleurs, ces scènes furent encore toutes illustrées avec un grand réalisme, et c’est sans doute la raison pour laquelle Franz Meyer affirma que « ces œuvres [étaient] des “documents”» 286 . Néanmoins, Chagall précisa bien que la motivation de son voyage était purement personnelle et non pas artistique 287 , en ajoutant même : « Tout l’exotisme de l’Est, après lequel les gens courent normalement, toute cette ethnographie, que certains artistes se dépêchent de transposer sur leurs toiles, me 282 Hervé Tremblay, « Le Temple de Jérusalem et sa reconstruction », À la découverte du monde biblique, http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2005/clb_050617.htm ; Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, sous la direction de Geoffrey Wigoder et adapté en français sous la direction de Sylvie Anne Goldberg, Paris, Les Éditions du Cerf, 1993, pp. 780-781. 283 Jérusalem, 1931, Huile sur toile, 100 x 82 cm, Collection particulière. 284 Entretien avec Ben-Tavriya pour Razsvet, vol. XXVII, No. 24, Paris, 14 juillet 1931. Voir Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times – A Documentary Narrative, op. cit., p. 376. Nous traduisons. 285 Eretz veut dire « la Terre ». Selon Benjamin Harshav, eretz est une appellation familière que les sionistes utilisaient pour désigner la Palestine. Chagall utilisa aussi ce mot, par exemple, dans une lettre il écrivit : « Rentré d’Eretz Israël ». Cf. Lettre de Chagall à Yosef Opatoshu en juin 1931 ; Ibid., p. 374. 286 Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., p. 181. 287 « J’y suis allé comme un Juif. Je voulais tout voir de mes propres yeux – comment ils ont construit le pays. Chez moi c’est toujours pareil – l’homme précède l’artiste ». Voir Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times – A Documentary Narrative, op. cit., p. 375. Nous traduisons. 89

enseigne que Rachel pleure 279 pour ses enfants, et qu’elle pleura quand les Juifs furent<br />

exilés à Babylone car ils passèrent devant son tombeau sur le chemin. Alors que tous les<br />

autres patriarches et matriarches furent inhumés à Hébron, seule Rachel fut enterrée au<br />

bord d’une route. Les Juifs pensent que ce n’est pas <strong>par</strong> hasard si Rachel, qui ne pouvait<br />

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lieu où ces derniers allaient passer à leur retour. Au cours des générations, le peuple juif a<br />

maintenu la croyance que son âme attendait là que ses fils et ses filles reviennent de leur<br />

exil en Terre promise 280 . Nous comprenons alors pourquoi ce lieu est tant vénéré <strong>par</strong> les<br />

Juifs. <strong>La</strong> <strong>Bible</strong> relate que Jacob érigea une stèle sur la tombe de sa femme. Le tombeau<br />

actuel consiste en un rocher surmonté de 11 pierres, chacune pour les 11 enfants de Jacob<br />

qui étaient vivants quand Rachel mourut en donnant naissance à Benjamin. Le rocher est<br />

couvert d’un dôme supporté <strong>par</strong> 4 arches 281 . Le tableau de <strong>Chagall</strong> montre bien le bâtiment<br />

carré surmonté <strong>par</strong> un dôme. En ce qui concerne son voyage, <strong>Chagall</strong> insista fortement sur<br />

le fait qu’il y était allé « comme un Juif » et pour « vérifier certains sentiments ». Il s’avère<br />

alors possible que <strong>Chagall</strong> reproduisit fidèlement sur sa toile ce lieu hautement symbolique<br />

– le tombeau de Rachel, mère des Juifs, qui attend indéfiniment le retour de ses enfants –,<br />

non pas comme un artiste mais comme un simple Juif exilé.<br />

Le Temple de Jérusalem, qui fut le sujet de trois tableaux, est sans doute le<br />

monument le plus connu de la Palestine pour les non Juifs. Il y eut deux temples de<br />

Jérusalem. Selon la <strong>Bible</strong>, c’est Salomon qui bâtit le premier, autour de l’an 950 av. J.-C.<br />

Ce temple fut détruit en 587 av. J.-C. <strong>par</strong> le roi babylonien Nabuchodonosor qui assiégeait<br />

la ville. Ensuite, l’empire perse succéda aux Babyloniens. Or, les autorités perses avaient<br />

une politique différente envers les peuples conquis et les autres religions. Ils permirent aux<br />

exilés de rentrer en Palestine vers l’an 538 av. J.-C. <strong>La</strong> suite des événements n’est pas très<br />

claire, mais on bâtit un second temple, beaucoup plus modeste que le précédent en raison<br />

des moyens limités. Ce second temple aurait été consacré en 515 av. J.-C. Puis, au tournant<br />

du I er siècle de notre ère (à <strong>par</strong>tir de 20-19 av. J.-C.), ce temple fut restauré de façon<br />

grandiose <strong>par</strong> Hérode le Grand. Roitelet soumis au pouvoir romain, Hérode qui n’était pas<br />

Juif mais Nabatéen, voulut se concilier les Juifs. C’est ce second temple qui fut détruit <strong>par</strong><br />

les armées romaines de Titus en 70 de notre ère, lors de la révolte contre l’empire romain.<br />

279<br />

« Voici ce que déclare l’Éternel : On entend à Rama une voix qui gémit et des sanglots amers : Rachel<br />

pleure ses fils et elle ne veut pas se laisser consoler, car ses fils ne sont plus. » dans Jérémie XXXI, 15.<br />

280<br />

Encyclopaedia Judaica (seconde édition), éd. <strong>par</strong> Fred Skolnik et Michael Berenbaum, op. cit., vol. 17, p<br />

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Ibid.<br />

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