La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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jours de lumière » : chaque soir on procède à l’allumage de chacune des huit mèches de la lampe de Hanoucca 202 . Le tableau de Chagall, La fête de Hanoucca 203 , représente précisément le moment de l’allumage (ill. 21). Un Juif entièrement vêtu de noir s’apprête à allumer une troisième bougie alors qu’il fait nuit. L’ensemble du tableau est assez schématique, en particulier dans la représentation du personnage : la forme de son bras et de son dos courbé est arrondie à l’extrême ; le profil de son visage est également réduit au minimum. De plus, la chambre est dépouillée avec pour tous détails une fenêtre carrée et une table ovale. Seul le contraste, créé par la partie obscure occupée par l’homme et la partie éclairée par les bougies, attire le regard. Le vêtement noir de l’homme trouve un écho dans la nuit, visible à travers la fenêtre. Cette sobriété formelle et chromatique semble refléter la volonté de l’artiste de montrer l’essentiel de la fête des lumières. 2. 3. Les lieux emblématiques de la communauté : la synagogue et le cimetière Dans le troisième et dernier temps, nous analyserons les scènes de la synagogue et du cimetière juif. En ce qui concerne l’église et la synagogue, Pierre Provoyeur 204 constata que parmi les premiers paysages de Vitebsk peints par l’artiste, le sanctuaire majeur représenté était toujours l’église orthodoxe 205 . Or, elle n’est vue que de l’extérieur avec ses ailes, sa coupole, son lanternon et sa croix, tandis que les synagogues sont presque toujours vues de l’intérieur 206 . Alors que Provoyeur se servit de cette observation pour souligner l’importance de l’art de l’icône et de Byzance pour Chagall, celle-ci nous révèle également la position fondamentale de l’artiste au sujet de l’Église, voire de la religion. Le fait de décrire l’église de l’extérieur et la synagogue de l’intérieur reflète sûrement sa vision de ces deux lieux. Chagall connaissait bien la synagogue même s’il a cessé de la fréquenter après un certain âge, tandis que l’église orthodoxe n’existait pour lui que comme élément du paysage. Ce lieu lui resta toujours étranger, il semble alors normal qu’il ne le décrive que de l’extérieur. 202 Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., p. 129. 203 La fête de Hanoucca, 1914, Huile sur carton, 43, 5 x 35 cm, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. n° 126, p. 132. 204 Pierre Provoyeur, « Le thème biblique : religieux ou poétique? », dans Chagall le message biblique, op. cit., p. 30. 205 Voir L’église verte, 1911, Paysage à l’église et le Peintre devant l’église, 1914. 206 Voir La synagogue, 1917, Dans la synagogue, 1931 et Synagogue à Vilna, 1935. 70
En revanche, c’est avec un regard très intime que Chagall représenta l’intérieur de la synagogue. Dans un tableau de 1917, La synagogue 207 , Chagall restitua une scène se déroulant dans cet édifice religieux (ill. 24). Nous y voyons un personnage lisant la Torah sur une estrade (bima), et le rideau rouge décoré d’une étoile de David, derrière lequel la Sainte Arche se trouve. À droite, il y a un relief représentant un chandelier à sept branches, et à gauche un lustre comportant lui aussi sept bougies. L’homme qui lit la Torah sur l’estrade a l’air un peu perdu, et personne ne semble prêter attention à sa lecture : les deux hommes à droite sont préoccupés par autre chose, et les gens se trouvant en bas à gauche sont en pleine discussion. De plus, les deux enfants au bord de l’estrade semblent également ne pas être à leur place. Benjamin Harshav 208 dit que Chagall, qui s’était éloigné de la religion depuis l’adolescence alors qu’il était chantre à la synagogue dans son enfance, ne retrouva son intérêt pour ce lieu que dans un but profane. Harshav expliqua que l’artiste transforma le monde religieux en expressions de folklore et d’art populaire, en focalisant son attention sur les personnes dans la synagogue plutôt que sur les rituels et les coutumes. Certes, cette synagogue restituée par le pinceau de Chagall dégage très peu l’ambiance d’un lieu sacré. Cependant, dans la réalité, les synagogues ne servent pas seulement au culte, mais également aux diverses activités communautaires, y compris la formation des adultes et l’enseignement de l’hébreu pour les enfants. Ainsi, le yiddish utilise le mot « école » (shul) pour désigner la synagogue. Chagall qui avait fréquenté ce lieu pendant son enfance, et comprenant bien la multifonction de l’endroit, représenta peutêtre une scène vraisemblable dans une synagogue. En cette même année 1917, Chagall fit un autre tableau relatif à un autre endroit emblématique juif, le cimetière 209 . Dans Les portes du cimetière (ill. 25), sous le ciel fractionné par des formes géométriques, s’érigent deux piliers liés par un fronton, constituant ensemble une entrée imposante. Les portes s’ouvrent vers l’intérieur du cimetière où l’on entrevoit des pierres tombales. Chaque pilier, ainsi que le fronton, porte des inscriptions en lettres hébraïques. L’étoile de David au-dessus du fronton est l’unique signe symbolique reconnaissable pour les personnes ignorant la langue. Nous avons déjà remarqué que Chagall de retour chez lui inséra souvent des inscriptions en caractères 207 La synagogue, 1917, Gouache, aquarelle, crayon sur papier, 40 x 35 cm, Bâle, Collection Marcus Diener ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 148, p. 149. 208 Ibid., p. 148. 209 Les portes du cimetière, 1917, Huile sur toile, 87 x 68, 5 cm, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne; cf. Ibid., cat. n° 150, p. 167. 71
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lampe de Hanoucca 202 . Le tableau de <strong>Chagall</strong>, <strong>La</strong> fête de Hanoucca 203 , représente<br />
précisément le moment de l’allumage (ill. 21). Un Juif entièrement vêtu de noir s’apprête à<br />
allumer une troisième bougie alors qu’il fait nuit. L’ensemble du tableau est assez<br />
schématique, en <strong>par</strong>ticulier dans la représentation du personnage : la forme de son bras et<br />
de son dos courbé est arrondie à l’extrême ; le profil de son visage est également réduit au<br />
minimum. De plus, la chambre est dépouillée avec pour tous détails une fenêtre carrée et<br />
une table ovale. Seul le contraste, créé <strong>par</strong> la <strong>par</strong>tie obscure occupée <strong>par</strong> l’homme et la<br />
<strong>par</strong>tie éclairée <strong>par</strong> les bougies, attire le regard. Le vêtement noir de l’homme trouve un<br />
écho dans la nuit, visible à travers la fenêtre. Cette sobriété formelle et chromatique semble<br />
refléter la volonté de l’artiste de montrer l’essentiel de la fête des lumières.<br />
2. 3. Les lieux emblématiques de la communauté : la synagogue et le cimetière<br />
Dans le troisième et dernier temps, nous analyserons les scènes de la synagogue et<br />
du cimetière juif. En ce qui concerne l’église et la synagogue, Pierre Provoyeur 204 constata<br />
que <strong>par</strong>mi les premiers paysages de Vitebsk peints <strong>par</strong> l’artiste, le sanctuaire majeur<br />
représenté était toujours l’église orthodoxe 205 . Or, elle n’est vue que de l’extérieur avec ses<br />
ailes, sa coupole, son lanternon et sa croix, tandis que les synagogues sont presque toujours<br />
vues de l’intérieur 206 . Alors que Provoyeur se servit de cette observation pour souligner<br />
l’importance de l’art de l’icône et de Byzance pour <strong>Chagall</strong>, celle-ci nous révèle également<br />
la position fondamentale de l’artiste au sujet de l’Église, voire de la religion. Le fait de<br />
décrire l’église de l’extérieur et la synagogue de l’intérieur reflète sûrement sa vision de<br />
ces deux lieux. <strong>Chagall</strong> connaissait bien la synagogue même s’il a cessé de la fréquenter<br />
après un certain âge, tandis que l’église orthodoxe n’existait pour lui que comme élément<br />
du paysage. Ce lieu lui resta toujours étranger, il semble alors normal qu’il ne le décrive<br />
que de l’extérieur.<br />
202<br />
<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : Les années russes, 1907-1922, op. cit., p. 129.<br />
203<br />
<strong>La</strong> fête de Hanoucca, 1914, Huile sur carton, 43, 5 x 35 cm, Collection <strong>par</strong>ticulière ; cf. Ibid., cat. n° 126,<br />
p. 132.<br />
204<br />
Pierre Provoyeur, « Le thème biblique : religieux ou poétique? », dans <strong>Chagall</strong> le message biblique, op.<br />
cit., p. 30.<br />
205<br />
Voir L’église verte, 1911, Paysage à l’église et le Peintre devant l’église, 1914.<br />
206<br />
Voir <strong>La</strong> synagogue, 1917, Dans la synagogue, 1931 et Synagogue à Vilna, 1935.<br />
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