La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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172 cette page porte une signature en alphabet hébraïque : ה ש מ ל ג ס (SGL MShH) qui signifie « Segal Moyshe ». Moyshe est le prénom juif de naissance de l’artiste, et Segal est la forme originelle de Shagal qui a donné Chagall en version francisée. Découvrant que son nom Shagal était une déformation de Segal, car les Juifs de sa région prononçaient le S comme le Sh, l’artiste était fier de penser que Chaim Segal de Mohilev, peintre de synagogue du XVIII ème siècle, était son ancêtre. Les peintures de la synagogue de Mohilev ont été découvertes en 1915-1916 par les peintres El Lissitzky et Nathan Rybak. Selon Benjamin Harshav, le fait de signer « Segal Moyshe » dans ce tableau prouve que Chagall connaissait l’existence de ces peintures, ce qui nous permet de réviser la date de 1912 inscrite par l’artiste en une date postérieure à 1915-1916 173 . L’utilisation des lettres hébraïques dans un tableau n’est pas nouvelle chez Chagall. Déjà, lors de son premier séjour à Paris, il écrivit son prénom « M א ר C » en mélangeant les lettres romaines et hébraïques, dans Hommage à Apollinaire. Cependant, le fait qu’il ait écrit ici « Segal Moyshe » est plus significatif, car cela montre que l’artiste était revenu à son nom juif d’origine, allant jusqu’à l’inscrire en alphabet hébraïque. La Prisée n’est pas seulement un tableau illustrant un Juif à l’étude, mais elle témoigne de la judaïté retrouvée par l’artiste. D’autres œuvres peuvent compléter le thème du Juif et l’Écriture, comme L’homme à la Torah 174 , daté de 1914, et L’Étude 175 de 1918, deux dessins à l’encre de Chine. Si L’homme à la Torah (ill. 15) est un autre portrait d’un Juif religieux tenant un rouleau de la Torah dans ses bras, L’Étude (ill. 16) est le portrait d’un groupe étudiant la parole de Dieu. Ce dessin montre six Juifs autour d’une table, en train d’étudier. Alors que quatre personnes regardent leur texte, l’homme au centre semble exprimer son mécontentement, en levant un doigt et en montrant son texte à un autre personnage. Un homme vu de dos, faisant aussi un geste de la main, semble quitter l’endroit. L’attitude véhémente de la personne au centre et les gestes des mains de ces deux personnages suggèrent leur éventuelle dispute. Ce sont probablement des élèves de la yeshiva ou école rabbinique, où les jeunes étudient et discutent de la Bible et du Talmud, parfois assez violemment, comme le montre l’expression des personnages du dessin 176 . 172 L’alphabet hébraïque ne comporte que des consonnes. L’hébreu moderne facilite la lecture en utilisant des points et des traits pour préciser les voyelles. 173 Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., p. 92. 174 L’Homme à la Torah, 1914, Encre de Chine et aquarelle sur papier, 22,5 x 18 cm, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 201. 175 L’Étude, 1918, Encre noire sur papier crème, 24, 9 x 34, 3 cm, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art moderne ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 165, p. 148. 176 Marc Chagall : œuvres sur papier, op. cit., p. 95. 62

Juif en prière La deuxième thématique en relation avec le judaïsme que nous pouvons discerner est celle du Juif en prière. Chagall exécuta une toile qui s’intitule précisément Juif en prière 177 . Dans ce tableau, l’homme incline la tête, en tenant un livre de prières dans ses mains. Derrière lui, une partie du rouleau de la Torah est visible, il est peut-être dans une synagogue. Les traits de son visage sont simplifiés à l’extrême, car l’artiste voulut peindre ici un acte – un homme en train de prier – et non pas une figure réaliste. Si ce personnage n’est pas spécialement habillé pour l’occasion, l’homme dans Le Juif en noir et blanc 178 (ill. 17) est représenté en vrai habit de prière. Vêtu en noir, il porte le Talit blanc et les Téphillin. Le Talit est un châle que les Juifs portent pendant la prière et lors de différentes cérémonies religieuses. De forme rectangulaire, il est généralement tissé en laine, en lin ou en soie. De couleur blanche, il est traversé par des rayures noires, bleues ou multicolores. Il possède quatre coins auxquels sont attachées des franges ou Tsitsit. Les Téphillin ou phylactères sont de petites boîtes en cuir que l’on maintient sur le bras gauche et sur le front à l’aide de fines lanières en cuir, et que l’on enroule autour du bras gauche en sept ou huit tours. Les Téphillin sont portés par les hommes pendant la prière du matin, sauf pendant le chabbat et les jours de fêtes. Dans les boîtes se trouvent des parchemins sur lesquels sont inscrits différents textes de la Torah 179 . Dans ce tableau, Chagall reconstitua fidèlement cet habit traditionnel. Il est même très étonnant de voir avec quels soins minutieux Chagall le représenta, jusqu’aux moindres détails comme le montrent les franges attachées aux coins du Talit et les sept tours de lanières autour du bras. L’expression du visage de ce Juif est également attentive et naturaliste. Son air grave est renforcé par l’austérité du noir et du blanc qui le submergent. Comme Chagall l’expliqua dans son livre, il peignit ce tableau d’après un modèle vivant. Il invita un passant à mettre l’habit de prière de son père et à poser devant le chevalet. Et il le figura avec une remarquable exactitude sans aucune déformation. Il lui attribua simplement une expression sérieuse, l’atmosphère religieuse étant déjà rendue par les vêtements et le fond noir et blanc, qui enveloppent entièrement le personnage. De cette manière, ce portrait, qui aurait pu être celui de n’importe quel Juif ordinaire, devient l’archétype de tous les Juifs en prière. 177 Juif en prière, 1912-1913, Huile sur toile, 40 x 31 cm, Jérusalem, Musée d’Israël ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. A62. 178 Juif en noir et blanc, 1914, Huile sur carton, 100 x 81 cm, rentoilé, Genève, Im Obersteg, Fondation Karl und Jung. 179 Marc-Alain Ouaknin, Symboles du Judaïsme, Paris, Éditions Assouline, 1995, pp. 14-20. 63

Juif en prière<br />

<strong>La</strong> deuxième thématique en relation avec le judaïsme que nous pouvons discerner<br />

est celle du Juif en prière. <strong>Chagall</strong> exécuta une toile qui s’intitule précisément Juif en<br />

prière 177 . Dans ce tableau, l’homme incline la tête, en tenant un livre de prières dans ses<br />

mains. Derrière lui, une <strong>par</strong>tie du rouleau de la Torah est visible, il est peut-être dans une<br />

synagogue. Les traits de son visage sont simplifiés à l’extrême, car l’artiste voulut peindre<br />

ici un acte – un homme en train de prier – et non pas une figure réaliste. Si ce personnage<br />

n’est pas spécialement habillé pour l’occasion, l’homme dans Le Juif en noir et blanc 178<br />

(ill. 17) est représenté en vrai habit de prière. Vêtu en noir, il porte le Talit blanc et les<br />

Téphillin. Le Talit est un châle que les Juifs portent pendant la prière et lors de différentes<br />

cérémonies religieuses. De forme rectangulaire, il est généralement tissé en laine, en lin ou<br />

en soie. De couleur blanche, il est traversé <strong>par</strong> des rayures noires, bleues ou multicolores. Il<br />

possède quatre coins auxquels sont attachées des franges ou Tsitsit. Les Téphillin ou<br />

phylactères sont de petites boîtes en cuir que l’on maintient sur le bras gauche et sur le<br />

front à l’aide de fines lanières en cuir, et que l’on enroule autour du bras gauche en sept ou<br />

huit tours. Les Téphillin sont portés <strong>par</strong> les hommes pendant la prière du matin, sauf<br />

pendant le chabbat et les jours de fêtes. Dans les boîtes se trouvent des <strong>par</strong>chemins sur<br />

lesquels sont inscrits différents textes de la Torah 179 . Dans ce tableau, <strong>Chagall</strong> reconstitua<br />

fidèlement cet habit traditionnel. Il est même très étonnant de voir avec quels soins<br />

minutieux <strong>Chagall</strong> le représenta, jusqu’aux moindres détails comme le montrent les franges<br />

attachées aux coins du Talit et les sept tours de lanières autour du bras. L’expression du<br />

visage de ce Juif est également attentive et naturaliste. Son air grave est renforcé <strong>par</strong><br />

l’austérité du noir et du blanc qui le submergent. Comme <strong>Chagall</strong> l’expliqua dans son livre,<br />

il peignit ce tableau d’après un modèle vivant. Il invita un passant à mettre l’habit de prière<br />

de son père et à poser devant le chevalet. Et il le figura avec une remarquable exactitude<br />

sans aucune déformation. Il lui attribua simplement une expression sérieuse, l’atmosphère<br />

religieuse étant déjà rendue <strong>par</strong> les vêtements et le fond noir et blanc, qui enveloppent<br />

entièrement le personnage. De cette manière, ce portrait, qui aurait pu être celui de<br />

n’importe quel Juif ordinaire, devient l’archétype de tous les Juifs en prière.<br />

177<br />

Juif en prière, 1912-1913, Huile sur toile, 40 x 31 cm, Jérusalem, Musée d’Israël ; cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong><br />

<strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. A62.<br />

178<br />

Juif en noir et blanc, 1914, Huile sur carton, 100 x 81 cm, rentoilé, Genève, Im Obersteg, Fondation Karl<br />

und Jung.<br />

179<br />

<strong>Marc</strong>-Alain Ouaknin, Symboles du Judaïsme, <strong>Paris</strong>, Éditions Assouline, 1995, pp. 14-20.<br />

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