La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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Par ailleurs, dans cette ville de « lumière-liberté », Chagall réalisa également quelques tableaux sur des thèmes juifs. Ce sont des gouaches représentant des cérémonies religieuses comme Schofar et La Veille du Grand Pardon, et quelques toiles figurant des personnages juifs. Or, quand nous regardons ces œuvres, par exemple, Schofar 143 ou une Étude pour La prisée 144 (ill. 6) nous sommes frappés par leurs couleurs éclatantes. Le fond qui entoure le Juif d’Étude pour La Prisée est peint en jaune, vert et noir. Le jaune et le vert sont si purs et si éblouissants que le noir ne les obscurcit pas, au contraire, il renforce leur clarté par contraste. Schofar est peint avec plusieurs couleurs très vives, la scène est ainsi joyeusement animée. Les couleurs sont tellement marquantes dans ces œuvres que leur sujet et leur contenu religieux en deviennent plus ou moins secondaires. Chagall continua ainsi ses recherches plastiques tout au long de son séjour parisien, et tendit vers une synthèse de ses découvertes. Certains tableaux à thème biblique comme la série d’Adam et Ève montrent cette évolution picturale. Le premier couple de l’humanité fut traité à plusieurs reprises et cette série constitua une des parties les plus importantes d’œuvres parisiennes. Adam et Ève 145 , une aquarelle de 1910, est peut-être la première œuvre que Chagall fit sur ce sujet (ill. 7). Il y construisit une scène d’intérieur en figurant le premier couple de l’humanité comme un couple ordinaire de son village : ils sont assis autour d’une table sur laquelle une assiette de pommes est posée ; la femme porte une robe et se penche vers sa droite en tenant une pomme dans sa main ; l’homme porte une veste et un chapeau et pose sa tête dans sa main d’un air pensif. Cette représentation, certainement symbolique, mais présentée sous l’apparence d’une scène de la vie quotidienne, est sur le plan conceptuel plus proche de la période saint-pétersbourgeoise que de la parisienne. En revanche, Adam et Ève de 1912 146 (ill. 8) montre que Chagall était en phase avec les nouveautés artistiques de l’époque. Le tableau est dominé par des formes géométriques de couleurs claires. Ce n’est qu’après une observation attentive que l’on arrive à discerner les deux grandes formes longitudinales découpées en de multiples 143 Le Schofar, 1911, Crayon, aquarelle, gouache sur papier gris collé sur papier rouge, 26, 3 x 32, 7 cm, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’Art Moderne. 144 Étude pour La Prisée, 1912(?)-15, Aquarelle et gouache sur papier, 29,5 x 20,3 cm, New York, The Métropolitan Museum of Art ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 70, p. 92. 145 Adam et Ève, 1910, Aquarelle sur papier brun, 20 x 29 cm, New York, Collection Phyllis et Leonard Greenberg ; cf. Marc Chagall : œuvres sur papier, op. cit., cat. n° 29, p. 45. 146 Adam et Ève, 1912, Huile sur toile, 160,5 x 114 cm, Saint-Louis (Missouri, les États-Unis), The Saint- Louis Art Museum ; cf. Pierre Schneider, Marc Chagall (Chagall à travers le siècle), Paris, Flammarion, 1995, p. 37. 52
facettes, qui construisent les corps d’Adam et d’Ève. L’arbre de la connaissance qui se trouve au milieu du couple est par contre plus facilement reconnaissable, car ses feuilles et ses fruits sont représentés d’une manière plus réaliste que les corps du couple. Le tronc d’arbre étant au centre, Adam se dirige vers la gauche, Ève à droite semble le suivre. Dans les expressions de ces corps, Franz Meyer releva une ressemblance avec les figures en mouvement du futuriste Umberto Boccioni ou avec des motifs de Fernand Léger de cette époque. Mais ce sont les influences du cubisme et de l’orphisme qui sont le plus visibles dans l’ensemble du tableau. Pour la composition, Chagall mit au centre le tronc d’arbre peint dans un ton rouge, à gauche le corps jaune d’Adam et à droite celui d’Ève en vert. Or, le corps d’Adam étant saillant vers la gauche et celui d’Ève étant courbe vers la droite, l’ensemble forme un grand cercle coloré, coupé en deux. Si la division de leurs corps en cercles, triangles et carrés s’inspire du cubisme de Picasso et de Braque, la correspondance entre les couleurs s’aligne sur l’orphisme de Delaunay. Le jaune du corps d’Adam et le vert de celui d’Ève s’accordent d’autant mieux que le rouge du tronc d’arbre accentue leur harmonie chromatique. De plus, le bas du corps d’Adam et la partie haute d’Ève, peints dans le même ton gris, se répondent en diagonales. Le fond du tableau est également gris, mais rehaussé par du violet et du brun foncé. C’est une véritable « orchestration des couleurs chaudes et froides où le clair et le foncé se côtoient avec les formes circulaires et rondes » 147 . Les gestes du couple sont hautement significatifs en résumant le récit biblique : Ève tient le bras d’Adam d’une main et le fruit de l’autre, tandis qu’Adam cache son sexe de sa main droite. Finalement, cette œuvre n’est pas seulement une symphonie picturale chromatique, mais encore une illustration symbolique. Ce tableau fut certainement réalisé dans la continuité de la série de nus, mais son contenu symbolique et sa composition élaborée en font une œuvre plus complexe. Une synthèse de la peinture religieuse parisienne Désormais, les peintures religieuses de Chagall déployèrent de plus en plus de profondeurs non seulement par leur aboutissement pictural mais encore par leur hauteur spirituelle. Durant ses années parisiennes, Chagall fit plusieurs études pour un autre Adam et Ève, qui finit par devenir en 1911-1912 l’Hommage à Apollinaire 148 (ill. 9). Ce tableau 147 C’est une expression de Robert Delaunay, définissant les peintures. 148 Hommage à Apollinaire, 1911-1912, Huile, poudre d’or et argent sur toile, 109 x 198 cm, Eindhoven (Hollande), Stedelijk van Abbemuseum ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 65, p. 89. 53
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trouve au milieu du couple est <strong>par</strong> contre plus facilement reconnaissable, car ses feuilles et<br />
ses fruits sont représentés d’une manière plus réaliste que les corps du couple. Le tronc<br />
d’arbre étant au centre, Adam se dirige vers la gauche, Ève à droite semble le suivre. Dans<br />
les expressions de ces corps, Franz Meyer releva une ressemblance avec les figures en<br />
mouvement du futuriste Umberto Boccioni ou avec des motifs de Fernand Léger de cette<br />
époque. Mais ce sont les influences du cubisme et de l’orphisme qui sont le plus visibles<br />
dans l’ensemble du tableau. Pour la composition, <strong>Chagall</strong> mit au centre le tronc d’arbre<br />
peint dans un ton rouge, à gauche le corps jaune d’Adam et à droite celui d’Ève en vert.<br />
Or, le corps d’Adam étant saillant vers la gauche et celui d’Ève étant courbe vers la droite,<br />
l’ensemble forme un grand cercle coloré, coupé en deux. Si la division de leurs corps en<br />
cercles, triangles et carrés s’inspire du cubisme de Picasso et de Braque, la correspondance<br />
entre les couleurs s’aligne sur l’orphisme de Delaunay. Le jaune du corps d’Adam et le<br />
vert de celui d’Ève s’accordent d’autant mieux que le rouge du tronc d’arbre accentue leur<br />
harmonie chromatique. De plus, le bas du corps d’Adam et la <strong>par</strong>tie haute d’Ève, peints<br />
dans le même ton gris, se répondent en diagonales. Le fond du tableau est également gris,<br />
mais rehaussé <strong>par</strong> du violet et du brun foncé. C’est une véritable « orchestration des<br />
couleurs chaudes et froides où le clair et le foncé se côtoient avec les formes circulaires et<br />
rondes » 147 . Les gestes du couple sont hautement significatifs en résumant le récit<br />
biblique : Ève tient le bras d’Adam d’une main et le fruit de l’autre, tandis qu’Adam cache<br />
son sexe de sa main droite. Finalement, cette œuvre n’est pas seulement une symphonie<br />
picturale chromatique, mais encore une illustration symbolique. Ce tableau fut<br />
certainement réalisé dans la continuité de la série de nus, mais son contenu symbolique et<br />
sa composition élaborée en font une œuvre plus complexe.<br />
Une synthèse de la peinture religieuse <strong>par</strong>isienne<br />
Désormais, les peintures religieuses de <strong>Chagall</strong> déployèrent de plus en plus de<br />
profondeurs non seulement <strong>par</strong> leur aboutissement pictural mais encore <strong>par</strong> leur hauteur<br />
spirituelle. Durant ses années <strong>par</strong>isiennes, <strong>Chagall</strong> fit plusieurs études pour un autre Adam<br />
et Ève, qui finit <strong>par</strong> devenir en 1911-1912 l’Hommage à Apollinaire 148 (ill. 9). Ce tableau<br />
147 C’est une expression de Robert Delaunay, définissant les peintures.<br />
148 Hommage à Apollinaire, 1911-1912, Huile, poudre d’or et argent sur toile, 109 x 198 cm,<br />
Eindhoven (Hollande), Stedelijk van Abbemuseum ; cf. <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : Les années russes, 1907-1922, op.<br />
cit., cat. n° 65, p. 89.<br />
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