La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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C’est une autre dimension de la peinture qui fait le vrai Art, ceci n’est pas autre chose que « l’esprit » de l’artiste. « Tout en m’enchantant de l’œil des peintres français [...], je ne pouvais m’empêcher de penser : peut-être qu’un autre œil, une autre vue, existent [...]. Peut-être, me semblait-il, d’autres dimensions existent [...]. Peut-être était-ce quelque chose de plus abstrait [...] » 136 . Chagall s’interrogea : « Peut-être parlais-je d’une certaine « vision du monde », d’une conception qui se trouverait hors du sujet et de l’œil ? » 137 . Même s’il ne prononça pas volontairement le mot « spirituel » 138 , ses recherches sur l’invisible et sur la vie intérieure dans un tableau avaient trait à la notion d’esprit. Car il dit également : « L’art me semble être surtout un état d’âme » 139 . Et cette spiritualité qui s’est délibérément révélée en face de la peinture française de 1910 déterminera le caractère de l’art chagallien. Il évoluera par la suite vers un art de plus en plus spirituel, proche du religieux même. Le séjour parisien fut ainsi décisif pour Chagall, qui y trouva son propre langage pictural parmi tous les artistes de toutes les époques. Il réalisa également de nombreux tableaux, y compris de multiples esquisses pour de grandes compositions postérieures. De plus, sa création et sa personnalité attirèrent beaucoup d’artistes et d’écrivains avantgardistes. Des liens bénéfiques furent tissés pour son avenir. Apollinaire, qui qualifia la peinture de Chagall de « surnaturelle » . 140 , lui fit faire la connaissance de Herwarth Walden, un galeriste allemand. Ce dernier organisa dans sa galerie « Der Sturm » à Berlin la première exposition personnelle de Chagall en 1914 La peinture religieuse comme expériences plastiques Chagall peignit des tableaux au sujet religieux à Paris, dont les premiers exemples traitent des personnages de la Bible, en particulier de l’Ancien Testament, comme Caïn et Abel 141 , Joseph et la femme de Putiphar 142 . Ces œuvres, peintes à la gouache et à l’aquarelle, sont assez simples. L’utilisation des couleurs est aussi sobre. Le côté narratif 136 Ibid., p. 48. 137 Ibid. 138 Chagall l’exprima plutôt avec le mot « psychique ». 139 Marc Chagall, Ma vie, op. cit., p. 160. 140 Ibid., p. 161. 141 Caïn et Abel, 1911, Gouache sur papier, 22 x 28,5 cm, Paris, Collection particulière (Succession Ida Chagall) ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 59, p. 80. 142 Joseph et la femme de Putiphar, 1911, Aquarelle, gouache sur papier, 31,1 x 24,1 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art ; cf. Ibid., cat. n° 53, p. 74. 50
est également réduit, il serait donc difficile de reconnaître le sujet sans regarder le titre. Dans Caïn et Abel (ill. 4) nous voyons deux hommes nus, l’un fait un geste d’attaque avec ses bras levés, l’autre semble s’enfuir. Le fond du tableau est divisé horizontalement en deux parties noire et blanche. La partie noire est en plus traversée par deux zigzags blancs. L’ambiance créée par ce motif zébré et les corps nus hachurés de blanc évoque le primitivisme. En revanche, c’est dans une chambre moderne que nous trouvons une femme nue dans Joseph et la Femme de Putiphar (ill. 5). Elle se tient debout devant le lit occupé par un homme, dont nous ne voyons que le visage et une partie du torse, mais le manteau accroché à côté du lit renforce l’hypothèse de sa nudité. À part la nudité des personnages et leur relation sous-jacente, il n’y a aucun élément qui puisse faire penser à l’épisode de Joseph dans la Bible. Alors que cette femme nue regardant l’homme peut rappeler la femme de Putiphar qui tenta de séduire Joseph, la présence de l’homme couché au lit ne correspond pas au récit original. Chagall déforma l’histoire en mettant l’homme au lit, alors que dans le récit biblique Joseph se refusa à la femme de Putiphar. D’ailleurs, cette interprétation personnelle est également visible dans certains détails : dans la chambre, nous voyons un samovar et une auge en bois, motifs liés à des souvenirs de Vitebsk. Cette scène mise dans un cadre vitebskois contemporain, loin de l’Égypte pharaonique, ressemble plutôt à une scène de la vie quotidienne. Cette œuvre et Caïn et Abel font partie d’une série de nus que Chagall exécuta à Paris. Il réalisa de nombreuses variations sur le thème du nu dans des styles très divers. Ces œuvres témoignent d’une sorte d’études expérimentales avant-gardistes, tantôt par l’utilisation de couleurs propres au fauvisme, tantôt par celle de touches expressionnistes. Par ailleurs, la géométrie des formes et certaines tonalités rappellent le cubisme et s’approchent parfois d’un langage abstrait. En observant cette série de nus, nous voyons que Chagall était au carrefour de tous les mouvements artistiques du début du XX ème siècle. Dans Caïn et Abel et Joseph et la femme de Putiphar, les corps sont loin d’être peints dans un souci de réalité anatomique : les lignes des corps sont souvent coupées, brisées ou superposées, créant des formes pointues ou angulaires. Quant aux couleurs, elles sont parfois irréalistes comme par exemple, la partie bleue du corps de la femme de Putiphar, voire expressionnistes comme pour la partie rouge du corps de Caïn. Dans l’ensemble de ces variations, Chagall expérimenta toutes les possibilités formelles et colorées. Ainsi, les épisodes bibliques tels que l’histoire de Caïn et celle de Joseph servirent peut-être de simples prétextes à la réalisation de nus. 51
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« Tout en m’enchantant de l’œil des peintres français [...], je ne pouvais m’empêcher<br />
de penser : peut-être qu’un autre œil, une autre vue, existent [...]. Peut-être, me<br />
semblait-il, d’autres dimensions existent [...]. Peut-être était-ce quelque chose de plus<br />
abstrait [...] » 136 .<br />
<strong>Chagall</strong> s’interrogea : « Peut-être <strong>par</strong>lais-je d’une certaine « vision du monde », d’une<br />
conception qui se trouverait hors du sujet et de l’œil ? » 137 . Même s’il ne prononça pas<br />
volontairement le mot « spirituel » 138 , ses recherches sur l’invisible et sur la vie intérieure<br />
dans un tableau avaient trait à la notion d’esprit. Car il dit également : « L’art me semble<br />
être surtout un état d’âme » 139 . Et cette spiritualité qui s’est délibérément révélée en face<br />
de la peinture française de 1910 déterminera le caractère de l’art chagallien. Il évoluera <strong>par</strong><br />
la suite vers un art de plus en plus spirituel, proche du religieux même.<br />
Le séjour <strong>par</strong>isien fut ainsi décisif pour <strong>Chagall</strong>, qui y trouva son propre langage<br />
pictural <strong>par</strong>mi tous les artistes de toutes les époques. Il réalisa également de nombreux<br />
tableaux, y compris de multiples esquisses pour de grandes compositions postérieures. De<br />
plus, sa création et sa personnalité attirèrent beaucoup d’artistes et d’écrivains avantgardistes.<br />
Des liens bénéfiques furent tissés pour son avenir. Apollinaire, qui qualifia la<br />
peinture de <strong>Chagall</strong> de « surnaturelle »<br />
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140 , lui fit faire la connaissance de Herwarth<br />
Walden, un galeriste allemand. Ce dernier organisa dans sa galerie « Der Sturm » à Berlin<br />
la première exposition personnelle de <strong>Chagall</strong> en 1914<br />
<strong>La</strong> peinture religieuse comme expériences plastiques<br />
<strong>Chagall</strong> peignit des tableaux au sujet religieux à <strong>Paris</strong>, dont les premiers exemples<br />
traitent des personnages de la <strong>Bible</strong>, en <strong>par</strong>ticulier de l’Ancien Testament, comme Caïn et<br />
Abel 141 , Joseph et la femme de Putiphar 142 . Ces œuvres, peintes à la gouache et à<br />
l’aquarelle, sont assez simples. L’utilisation des couleurs est aussi sobre. Le côté narratif<br />
136<br />
Ibid., p. 48.<br />
137<br />
Ibid.<br />
138<br />
<strong>Chagall</strong> l’exprima plutôt avec le mot « psychique ».<br />
139<br />
<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, Ma vie, op. cit., p. 160.<br />
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Ibid., p. 161.<br />
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Caïn et Abel, 1911, Gouache sur papier, 22 x 28,5 cm, <strong>Paris</strong>, Collection <strong>par</strong>ticulière (Succession Ida<br />
<strong>Chagall</strong>) ; cf. <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 59, p. 80.<br />
142<br />
Joseph et la femme de Putiphar, 1911, Aquarelle, gouache sur papier, 31,1 x 24,1 cm, New York, The<br />
Metropolitan Museum of Art ; cf. Ibid., cat. n° 53, p. 74.<br />
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