La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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soient ses véritables sentiments à ce sujet, il est notable que Chagall exprimait consciemment ou inconsciemment son assimilation avec le Christ d’une manière constante. Cependant, cette curiosité était toujours sous-jacente et elle ne semble guère liée aux véritables sentiments religieux. Ce que Chagall ressentait alors envers le Christ n’était probablement pas une religiosité ou une spiritualité. Celle-ci, il la cherchait plutôt dans l’art et il aspirait à la concrétiser d’une façon très personnelle et originale. Soif de l’esprit dans la lumière parisienne Chagall arriva à Paris durant « l’époque héroïque de l’art français » 126 , et selon lui, « le soleil de l’Art ne brillait alors qu’à Paris » 127 . Chagall raconta sa première impression de cette capitale des arts : « Les paysages, les figures de Cézanne, Manet, Monet, Seurat, Renoir, Van Gogh, le Fauvisme de Matisse et tant d’autres me stupéfièrent. Ils m’attiraient comme un phénomène de la nature » 128 . Si cette époque était « héroïque », c’était sans doute par l’éclat de ses réalisations formelles qui duraient depuis la fin du XIX ème siècle. Les Fauves et les cubistes étaient encore en pleine activité, et les artistes de tous bords cherchaient à renouveler l’art, en révisant les procédés des générations précédentes dont, entre autres, l’art primitif. Parmi les caractéristiques de l’art français de cette époque, la relation à la « lumière » fut le plus grand choc pour Chagall. Pour celui-ci, elle était même la leçon vivante que la ville entière lui offrait : « À Paris, je ne visitais ni Académies, ni professeurs. Je les trouvais dans la ville même, à chaque pas, dans tout. C’étaient les commerçants du marché, les garçons de café, les concierges, les paysans, les ouvriers. Autour d’eux planait cette étonnante « lumière-liberté» que je n’ai jamais vue ailleurs » 129 . Chagall pensait que c’était cette « lumière-liberté » se reflétant dans la société qui avait fait naître cette époque exceptionnelle, remplie de « telles toiles scintillantes, où les révolutions de la technique sont aussi naturelles que le langage, le geste, le travail des passants dans la rue » 130 . 126 Marc Chagall, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 49. 127 Ibid., p. 46. 128 Ibid. 129 Ibid. 130 Ibid. 48

En ce qui concerne cette lumière que Chagall exaltait, Pierre Schneider l’associa à la libération de son esprit qui lui permit d’extérioriser ses rêves : « Cette lumière, Chagall l’a appelée ailleurs « lumière-liberté ». Quelque chose de très précis se cache sous l’heureuse imprécision de la formule : la mise en lumière, la libération de l’intériorité captive dans les tréfonds obscurs du moi. Paris offrait à Chagall ce dont son rêve bégayant avait besoin pour prendre corps : un langage pictural, une syntaxe du visible » 131 . Certes, la lumière s’alliant avec la liberté aurait épanché l’esprit de l’artiste et lui aurait donné une issue pour concrétiser ses désirs. Mais outre cet éclairement psychologique, la peinture de Chagall reçut surtout de la lumière de Paris un éclat qui changeait désormais radicalement le ton chromatique de ses tableaux. Chagall l’affirma en disant : « J’étais très sombre en arrivant à Paris. J’étais couleur pomme de terre, comme Van Gogh. Paris est clair » 132 . Pour les jeunes artistes étrangers, il paraissait que Paris avait tout accompli et qu’il n’y avait rien à ajouter. Cependant, Chagall s’aperçut bientôt que cette « lumière » resplendissante qui était aussi le fruit de la révolution d’ordre technique et réaliste, ne touchait en réalité que la surface. Selon lui, les peintres de l’époque étaient « absorbés par des recherches purement techniques» 133 et il voulait y introduire une autre dimension, qui se traduira comme un formalisme psychique. « Je suis enthousiasmé par eux et mon enthousiasme faisant pour ainsi dire le tour du monde revient à son point de départ » 134 . Son point de départ était de peindre à partir de sa voix intérieure, pour montrer ce qu’il y a au-delà du visible. Et c’était sa façon d’attribuer la réalité à la peinture par un autre langage que le réalisme ou le naturalisme. Pour Chagall, ce n’était pas la technique réaliste qui donne la « réalité » à la peinture : « Ce n’est ni la soi-disant couleur réelle, ni la couleur conventionnelle, qui colorent vraiment l’objet. Ce n’est pas ce qu’on appelle la perspective qui ajoute de la profondeur. Ce n’est pas l’ombre, ni la lumière, qui éclaire le sujet, et la troisième dimension des cubistes ne permet pas encore de voir le sujet de tous les côtés » 135 . 131 Pierre Schneider, « Marc Chagall », dans Les dialogues du Louvre, Paris, ADAGP, 1991, p. 42. 132 Ibid., p. 41. 133 Marc Chagall, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 45. 134 Ibid., p. 47. 135 Ibid., pp. 47-48. 49

En ce qui concerne cette lumière que <strong>Chagall</strong> exaltait, Pierre Schneider l’associa à<br />

la libération de son esprit qui lui permit d’extérioriser ses rêves :<br />

« Cette lumière, <strong>Chagall</strong> l’a appelée ailleurs « lumière-liberté ». Quelque chose de très<br />

précis se cache sous l’heureuse imprécision de la formule : la mise en lumière, la<br />

libération de l’intériorité captive dans les tréfonds obscurs du moi. <strong>Paris</strong> offrait à<br />

<strong>Chagall</strong> ce dont son rêve bégayant avait besoin pour prendre corps : un langage<br />

pictural, une syntaxe du visible » 131 .<br />

Certes, la lumière s’alliant avec la liberté aurait épanché l’esprit de l’artiste et lui aurait<br />

donné une issue pour concrétiser ses désirs. Mais outre cet éclairement psychologique, la<br />

peinture de <strong>Chagall</strong> reçut surtout de la lumière de <strong>Paris</strong> un éclat qui changeait désormais<br />

radicalement le ton chromatique de ses tableaux. <strong>Chagall</strong> l’affirma en disant : « J’étais très<br />

sombre en arrivant à <strong>Paris</strong>. J’étais couleur pomme de terre, comme Van Gogh. <strong>Paris</strong> est<br />

clair » 132 .<br />

Pour les jeunes artistes étrangers, il <strong>par</strong>aissait que <strong>Paris</strong> avait tout accompli et qu’il<br />

n’y avait rien à ajouter. Cependant, <strong>Chagall</strong> s’aperçut bientôt que cette « lumière »<br />

resplendissante qui était aussi le fruit de la révolution d’ordre technique et réaliste, ne<br />

touchait en réalité que la surface. Selon lui, les peintres de l’époque étaient « absorbés <strong>par</strong><br />

des recherches purement techniques» 133 et il voulait y introduire une autre dimension, qui<br />

se traduira comme un formalisme psychique. « Je suis enthousiasmé <strong>par</strong> eux et mon<br />

enthousiasme faisant pour ainsi dire le tour du monde revient à son point de dé<strong>par</strong>t » 134 .<br />

Son point de dé<strong>par</strong>t était de peindre à <strong>par</strong>tir de sa voix intérieure, pour montrer ce qu’il y a<br />

au-delà du visible. Et c’était sa façon d’attribuer la réalité à la peinture <strong>par</strong> un autre langage<br />

que le réalisme ou le naturalisme. Pour <strong>Chagall</strong>, ce n’était pas la technique réaliste qui<br />

donne la « réalité » à la peinture :<br />

« Ce n’est ni la soi-disant couleur réelle, ni la couleur conventionnelle, qui colorent<br />

vraiment l’objet. Ce n’est pas ce qu’on appelle la perspective qui ajoute de la<br />

profondeur. Ce n’est pas l’ombre, ni la lumière, qui éclaire le sujet, et la troisième<br />

dimension des cubistes ne permet pas encore de voir le sujet de tous les côtés » 135 .<br />

131<br />

Pierre Schneider, « <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> », dans Les dialogues du Louvre, <strong>Paris</strong>, ADAGP, 1991, p. 42.<br />

132<br />

Ibid., p. 41.<br />

133<br />

<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 45.<br />

134<br />

Ibid., p. 47.<br />

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Ibid., pp. 47-48.<br />

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