La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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de la salle ronde de Véronèse et des salles où sont Manet, Delacroix, Courbet, je ne voulais plus rien d’autre » 118 . Chagall était captivé. Il était ébloui devant tous les chefs-d’œuvre des grandes époques, pourtant c’était la peinture contemporaine que le jeune artiste voulut pénétrer à tout prix. « Je ne voulais plus penser au néo-classicisme de David, d’Ingres, au romantisme de Delacroix [...] » 119 . Il cherchait d’autres choses que la norme, la convention. Il aspirait à la peinture révolutionnaire : « J’avais l’impression [...] que nous avons peur de plonger dans le chaos, de briser, de renverser sous nos pieds la surface habituelle » 120 . Dès le lendemain de son arrivée, il alla au Salon des Indépendants. Il traversa toutes les salles du début en courant pour arriver à la peinture française de 1910. Puis, il resta fixé sur les œuvres et absorba tout ce qu’il pouvait : « Aucune académie n’aurait pu me donner tout ce que j’ai découvert en mordant aux expositions de Paris, à ses vitrines, à ses musées » 121 . Chagall était tellement impressionné qu’il en parla comme d’une révélation quasi mystique : « Ce n’était pas alors dans le métier seul que je cherchais le sens de l’art. C’était comme si les dieux s’étaient tenus devant moi » 122 . Il semble que la peinture était devenue sa véritable religion. Motivé et stimulé, Chagall n’arrêta pas de peindre. Il peignit comme s’il était cloué au chevalet dans son atelier pour « plonger dans le chaos » et « briser et renverser » la vieille peinture. Il le fit jour et nuit sur tous les matériaux qu’il trouva : les nappes, les draps, les chemises de nuit qu’il mettait en pièces. Il veilla ainsi des nuits entières. Dès son arrivée, il fit connaissance avec des artistes et des écrivains. Plus particulièrement, à partir de l’hiver 1911-1912, il s’installa à « la Ruche » après avoir habité quelque temps dans un atelier de l’impasse du Maine. Il était alors en permanence avec des artistes. La Ruche regroupait déjà une centaine d’ateliers, où les artistes bohèmes de tous les pays habitaient. Ils se retrouvaient souvent, surtout entre les gens de même nationalité. « Chez les Italiens s’élevaient des chants et les sons de guitare, chez les Juifs des discussions, moi j’étais seul dans mon atelier [...]. Atelier comblé de tableaux, de toiles [...] » 123 . C’était un lieu où les contacts entre les artistes se faisaient tout naturellement. Ainsi, Chagall se fit des amis avec nombre d’entre eux, en particulier Robert Delaunay. Il 118 Marc Chagall, Ma vie, op. cit., pp. 141-142. 119 Ibid., p. 143. 120 Ibid. 121 Ibid., p. 144. 122 Ibid., p. 143. 123 Ibid., p. 145. 46

encontra également des poètes comme Blaise Cendrars, Riccardo Canudo et Guillaume Apollinaire. Cendrars et Apollinaire écrivirent des poèmes sur Chagall et surtout, le premier lui en dédia une série, dont voici un extrait : « Il dort, Il est éveillé Tout à coup, il peint Il prend une église et peint avec une église Il prend une vache et peint avec une vache Avec une sardine Avec des têtes, des mains, des couteaux Il peint avec un nerf de bœuf Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive, Avec toute la sensualité exacerbée de la province russe [...] Le Christ Le Christ c’est lui Il a passé son enfance sur la Croix Il se suicide tous les jours Tout à coup, il ne peint plus Il était éveillé Il dort maintenant Il s’étrangle avec sa cravate Chagall est étonné de vivre encore » 124 . Il est intéressant de voir Cendrars comparer Chagall au Christ, tout comme l’artiste l’avait déjà fait dans ses propres poèmes. Tous les deux utilisèrent la figure du Christ comme métaphore du peintre destiné à se sacrifier pour son art. Est-ce une simple coïncidence ou bien Cendrars avait-il lu les vers de Chagall et en fut inspiré ? Or, en lisant Ma vie, nous trouvons un détail encore plus étonnant. Chagall, en parlant de Canudo, raconte ce que cet ami lui dit un jour : « Votre tête me rappelle celle du Christ » 125 . Alors que Cendrars comparait son ami au Christ, Canudo aperçut même une ressemblance physique. Puisque Chagall mentionne cet épisode dans son autobiographie, nous pouvons nous demander si la remarque de Canudo lui était particulièrement plaisante. Quels que 124 Poème de Blaise Cendrars « Portrait » (1913) ; Valentine Marcadé, Le Renouveau de l’Art pictural russe, Lausanne, Éditions L’Age d’Homme, 1971, pp. 231-232. 125 Marc Chagall, Ma vie, op. cit., p. 156. 47

de la salle ronde de Véronèse et des salles où sont Manet, Delacroix, Courbet, je ne<br />

voulais plus rien d’autre » 118 .<br />

<strong>Chagall</strong> était captivé. Il était ébloui devant tous les chefs-d’œuvre des grandes époques,<br />

pourtant c’était la peinture contemporaine que le jeune artiste voulut pénétrer à tout prix.<br />

« Je ne voulais plus penser au néo-classicisme de David, d’Ingres, au romantisme de<br />

Delacroix [...] » 119 . Il cherchait d’autres choses que la norme, la convention. Il aspirait à la<br />

peinture révolutionnaire : « J’avais l’impression [...] que nous avons peur de plonger dans<br />

le chaos, de briser, de renverser sous nos pieds la surface habituelle » 120 . Dès le lendemain<br />

de son arrivée, il alla au Salon des Indépendants. Il traversa toutes les salles du début en<br />

courant pour arriver à la peinture française de 1910. Puis, il resta fixé sur les œuvres et<br />

absorba tout ce qu’il pouvait : « Aucune académie n’aurait pu me donner tout ce que j’ai<br />

découvert en mordant aux expositions de <strong>Paris</strong>, à ses vitrines, à ses musées » 121 . <strong>Chagall</strong><br />

était tellement impressionné qu’il en <strong>par</strong>la comme d’une révélation quasi mystique : « Ce<br />

n’était pas alors dans le métier seul que je cherchais le sens de l’art. C’était comme si les<br />

dieux s’étaient tenus devant moi » 122 . Il semble que la peinture était devenue sa véritable<br />

religion. Motivé et stimulé, <strong>Chagall</strong> n’arrêta pas de peindre. Il peignit comme s’il était<br />

cloué au chevalet dans son atelier pour « plonger dans le chaos » et « briser et renverser »<br />

la vieille peinture. Il le fit jour et nuit sur tous les matériaux qu’il trouva : les nappes, les<br />

draps, les chemises de nuit qu’il mettait en pièces. Il veilla ainsi des nuits entières.<br />

Dès son arrivée, il fit connaissance avec des artistes et des écrivains. Plus<br />

<strong>par</strong>ticulièrement, à <strong>par</strong>tir de l’hiver 1911-1912, il s’installa à « la Ruche » après avoir<br />

habité quelque temps dans un atelier de l’impasse du Maine. Il était alors en permanence<br />

avec des artistes. <strong>La</strong> Ruche regroupait déjà une centaine d’ateliers, où les artistes bohèmes<br />

de tous les pays habitaient. Ils se retrouvaient souvent, surtout entre les gens de même<br />

nationalité. « Chez les Italiens s’élevaient des chants et les sons de guitare, chez les Juifs<br />

des discussions, moi j’étais seul dans mon atelier [...]. Atelier comblé de tableaux, de toiles<br />

[...] » 123 . C’était un lieu où les contacts entre les artistes se faisaient tout naturellement.<br />

Ainsi, <strong>Chagall</strong> se fit des amis avec nombre d’entre eux, en <strong>par</strong>ticulier Robert Delaunay. Il<br />

118<br />

<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, Ma vie, op. cit., pp. 141-142.<br />

119<br />

Ibid., p. 143.<br />

120<br />

Ibid.<br />

121<br />

Ibid., p. 144.<br />

122<br />

Ibid., p. 143.<br />

123<br />

Ibid., p. 145.<br />

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