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La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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les distorsions d’échelle propres au système de représentation primitif, où la taille des<br />

personnages dépend de leur importance 103 . Il est vrai que Joseph et Marie sont<br />

gigantesques <strong>par</strong> rapport au petit personnage d’en bas, mais dans ce cas, ne devrions pas<br />

nous nous demander pourquoi le Christ est peint si petit ? Par ailleurs, la présence du petit<br />

personnage qui représente certainement saint Jean, ap<strong>par</strong>aissant si souvent auprès de<br />

l’enfant Jésus et de la Vierge dans l’iconographie chrétienne, confirme le lien 104 . Ce<br />

compagnon du Christ y effectue d’ailleurs un geste canonique, avec son doigt désignant le<br />

haut.<br />

En revanche, il est curieusement accompagné <strong>par</strong> un cochon, tandis que dans<br />

l’iconographie classique saint Jean s’occupe toujours d’un agneau, symbole du sacrifice de<br />

Jésus. Le remplacement de l’agneau <strong>par</strong> un cochon, animal impur <strong>par</strong> excellence aux yeux<br />

des Juifs, nous surprend. Faut-il y voir un sacrilège ou un sarcasme antichrétien de la <strong>par</strong>t<br />

de <strong>Chagall</strong> ? Avant de proposer une réponse quelconque, nous pourrions peut-être<br />

examiner d’autres éléments singuliers dans ce tableau. Parmi eux, c’est sans doute sa<br />

description du physique du Christ qui tranche le plus avec les règles de l’iconographie<br />

chrétienne traditionnelle. En effet, le petit Jésus de <strong>Chagall</strong> porte la barbe. Il est nu comme<br />

un enfant, mais son physique n’est en rien celui d’un petit garçon. Il a plutôt l’air d’un<br />

adulte en pleine maturité, juste peint en minuscule. Comme tous les analystes de cette<br />

œuvre le mentionnent, il s’agit très probablement là de l’illustration d’un proverbe yiddish,<br />

« chaque enfant juif naît déjà vieux » 105 . Fidèle à ce proverbe issu de sa culture juive,<br />

<strong>Chagall</strong> aurait figuré l’enfant Jésus comme un adulte. C’est donc une <strong>par</strong>t de judéité que le<br />

peintre voulut y représenter. En outre, un autre élément original dans ce tableau se trouve<br />

sur le fond : l’environnement qui encadre les personnages reflète un paysage de<br />

Vitebsk avec ses maisons en rondins. C’est chez lui, dans une rue de Vitebsk que <strong>Chagall</strong><br />

transféra les membres de la Sainte Famille. Nous comprenons que le souvenir de Vitebsk<br />

et les traces de ses racines se fondent ici afin de donner un caractère très personnel à ce<br />

tableau au sujet chrétien classique. Dans ce contexte, le cochon pourrait être interprété<br />

comme un autre souvenir marquant pour l’artiste : les animaux que <strong>Chagall</strong> voyait<br />

constamment à Vitebsk et à Lyozno.<br />

103<br />

<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 22, p. 56.<br />

104<br />

Dans une autre version de <strong>La</strong> Sainte Famille (datée de 1911, gouache sur papier, 24 x 18 cm, collection<br />

<strong>par</strong>ticulière ; cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. 130), le saint Jean n’est pas représenté, et le<br />

Christ et Joseph sont auréolés. Alors que cette œuvre est datée de 1911, il nous semble qu’elle soit plutôt une<br />

étude pour <strong>La</strong> Sainte Famille de 1910. Dans ce cas, <strong>Chagall</strong> aurait supprimé leur auréole pour la version<br />

finale, en neutralisant le caractère religieux trop net du tableau.<br />

105<br />

Alexandre Kamenski, <strong>Chagall</strong> période russe et soviétique 1907-1922, <strong>Paris</strong>, Éditions du regard, 1988, p.<br />

67.<br />

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