La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Dieu » (pl. VI), et « les Israélites portant l’Arche d’alliance » (pl. XLIV) sont autant d’exemples de cette alliance. Puis, le message d’espérance qui s’appuie sur la promesse de Dieu, est illustré dans les planches qui représentent les passages du livre Isaïe prophétisant la délivrance du peuple juif et le rétablissement d’Israël par l’Éternel (pl. XCIV 1104 ; pl. XCV 1105 ; pl. XCVIII 1106 ). Le fait de ne pas concevoir la Bible par la chute de l’humanité et sa rédemption par le Messie montre la distance avec le point de vue chrétien. En revanche, en insistant sur la promesse divine pour la délivrance du peuple juif, l’artiste laisse paraître son attachement à la judaïté. Mais ce choix reflète également une sensibilité particulière de Chagall qui considère la Bible comme de la poésie, voire une tragédie humaine qu’il ne veut pas dramatiser 1107 . Au contraire, il retient la joie, l’espérance, le monde à venir et le temps de la réconciliation. Outre ses illustrations sur l’alliance avec Dieu et la promesse divine citées plus haut, Chagall représente encore une image (pl. XCII) sur la prophétie d’Isaïe. Il s’agit de la réconciliation de toutes les créatures par la justice divine. Cette illustration présente une scène dans laquelle la bête féroce, les animaux domestiques et l’être humain sont heureux tous ensemble. L’animal est l’un des éléments principaux de la peinture de Chagall, il occupe une place aussi importante que l’homme chez lui ; il n’est donc pas étonnant de voir l’artiste reprendre ce sujet dans ses illustrations bibliques. Le temps messianique représenté par l’artiste semble exprimer sa recherche d’un monde idéal et refléter, aussi, son attente de la délivrance réelle du peuple juif à l’époque de la persécution. L’hostilité envers les Juifs accrue en Europe force Chagall à l’exil. Son travail pour la Bible s’interrompt pour être repris et achevé presque 20 ans plus tard. Pendant ce temps, qu’on pourrait qualifier d’épreuves, son art religieux évolue avec le thème de la Crucifixion. En effet, la figure du Christ sur la croix apparaît chez Chagall dès l’époque saint-pétersbourgeoise. En peinture, mais aussi à l’écrit, l’artiste évoque le Christ et même se projette sur lui ; il en fait « un poète, l’un des plus grands par cette façon incroyable, insensée, qu’il a eue de prendre sur lui sa souffrance » 1108 . Au temps de la persécution des Juifs et de la guerre, la figure du Christ se multiplie dans les œuvres de Chagall comme symbole de la victime juive. Mais à mesure que la frénésie de la guerre s’apaise, le Christ 1104 Isaïe, XIV, 1-7. 1105 Isaïe, LII, 1-7. 1106 Isaïe, LXII, 1-5. 1107 Il dit : « Je ne proclame pas le drame de la vie. Je ne dramatise pas, même lorsque la mort est présente dans un tableau ». Cf. Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, Marc Chagall de Draeger, op. cit., pp. 198- 199. 1108 Propos de Chagall mentionné dans François Le Targat, Marc Chagall, Paris, Editions Albin Michel, 1985. 324

quitte les scènes de catastrophe pour se trouver dans des cadres plus doux et paisibles. D’ailleurs, il n’est plus accompagné de victimes de guerre et de réfugiés, mais de femmes portant un enfant dans les bras ou un bouquet de fleurs à la main, symboles de la douceur féminine, de l’amour maternel, de la renaissance à la vie etc. Certains de ces tableaux portent ainsi le titre de Résurrection. Or, que ce soit dans la Crucifixion ou dans la Résurrection, la figure du Christ chez Chagall est loin d’être religieuse. Elle est plutôt un miroir reflétant l’état psychique de l’artiste. En tant que crucifié, elle incarne la souffrance des Juifs, y compris celle de Chagall. Mais la figure du Christ représente aussi le sacrifice d’un être pour autrui, sacrifice qu’on pourrait comparer, dans une moindre mesure, à celui du peintre qui se consacre à l’art. Par la suite, après la guerre, quand cette figure est associée à la résurrection, à l’amour et à la maternité, elle évoque une nouvelle phase de la vie de Chagall. Celui-ci a rencontré Virginia, après la mort de Bella, sa première femme, et a eu un fils avec elle. La vie de l’artiste après son retour en France de l’exil aux Etats-Unis a un aspect très différent de la première période. Si nous pouvions définir ses pérégrinations comme un va-et-vient entre son monde d’origine et le monde extérieur qui a construit une identité complexe chez lui, sa dernière période se stabilise. Il ne subit plus les déplacements involontaires. Au contraire, il s’installe en France, le pays qu’il se choisit, qu’il s’approprie en adaptant parallèlement son œuvre à son nouvel environnement. Son art religieux, y compris les illustrations de la Bible, présente également un autre caractère inhérent au changement de situation pour Chagall. En tant qu’artiste reconnu comme un des plus grands maîtres de l’époque, Chagall reçoit beaucoup de commandes publiques qui exigent de lui un autre langage artistique. Très sollicité pour les œuvres destinées aux églises, Chagall est amené à travailler sur des édifices religieux. Il consacre désormais la plus grande partie de sa création aux vitraux, en divers endroits et en se conformant aux demandes de ses commanditaires. Cet artiste juif est même, ainsi, amené à représenter l’Évangile. Cependant, cette réalité ne signifie ni une négation du judaïsme, ni une conversion au christianisme de la part de l’artiste. Il a recherché plutôt un art biblique neutre, non confessionnel qui peut toucher tout le monde au-delà de toutes considérations religieuses. Cette volonté est clairement manifeste sur l’inscription 1109 laissée à l’Église du Plateau d’Assy, auprès d’une de ses créations, et dans son discours 1110 donné à 1109 « Au Nom de la Liberté de Toutes les Religions ». 1110 « Peut-être dans cette Maison viendront les jeunes et les moins jeunes chercher un idéal de fraternité et d’amour tel que mes couleurs et mes lignes l’ont rêvé. Peut-être aussi y prononcera-t-on les paroles de cet 325

Dieu » (pl. VI), et « les Israélites portant l’Arche d’alliance » (pl. XLIV) sont autant<br />

d’exemples de cette alliance. Puis, le message d’espérance qui s’appuie sur la promesse de<br />

Dieu, est illustré dans les planches qui représentent les passages du livre Isaïe prophétisant<br />

la délivrance du peuple juif et le rétablissement d’Israël <strong>par</strong> l’Éternel (pl. XCIV 1104 ; pl.<br />

XCV 1105 ; pl. XCVIII 1106 ). Le fait de ne pas concevoir la <strong>Bible</strong> <strong>par</strong> la chute de l’humanité<br />

et sa rédemption <strong>par</strong> le Messie montre la distance avec le point de vue chrétien. En<br />

revanche, en insistant sur la promesse divine pour la délivrance du peuple juif, l’artiste<br />

laisse <strong>par</strong>aître son attachement à la judaïté. Mais ce choix reflète également une sensibilité<br />

<strong>par</strong>ticulière de <strong>Chagall</strong> qui considère la <strong>Bible</strong> comme de la poésie, voire une tragédie<br />

humaine qu’il ne veut pas dramatiser 1107 . Au contraire, il retient la joie, l’espérance, le<br />

monde à venir et le temps de la réconciliation. Outre ses illustrations sur l’alliance avec<br />

Dieu et la promesse divine citées plus haut, <strong>Chagall</strong> représente encore une image (pl. XCII)<br />

sur la prophétie d’Isaïe. Il s’agit de la réconciliation de toutes les créatures <strong>par</strong> la justice<br />

divine. Cette illustration présente une scène dans laquelle la bête féroce, les animaux<br />

domestiques et l’être humain sont heureux tous ensemble. L’animal est l’un des éléments<br />

principaux de la peinture de <strong>Chagall</strong>, il occupe une place aussi importante que l’homme<br />

chez lui ; il n’est donc pas étonnant de voir l’artiste reprendre ce sujet dans ses illustrations<br />

bibliques. Le temps messianique représenté <strong>par</strong> l’artiste semble exprimer sa recherche d’un<br />

monde idéal et refléter, aussi, son attente de la délivrance réelle du peuple juif à l’époque<br />

de la persécution.<br />

L’hostilité envers les Juifs accrue en Europe force <strong>Chagall</strong> à l’exil. Son travail<br />

pour la <strong>Bible</strong> s’interrompt pour être repris et achevé presque 20 ans plus tard. Pendant ce<br />

temps, qu’on pourrait qualifier d’épreuves, son art religieux évolue avec le thème de la<br />

Crucifixion. En effet, la figure du Christ sur la croix ap<strong>par</strong>aît chez <strong>Chagall</strong> dès l’époque<br />

saint-pétersbourgeoise. En peinture, mais aussi à l’écrit, l’artiste évoque le Christ et même<br />

se projette sur lui ; il en fait « un poète, l’un des plus grands <strong>par</strong> cette façon incroyable,<br />

insensée, qu’il a eue de prendre sur lui sa souffrance » 1108 . Au temps de la persécution des<br />

Juifs et de la guerre, la figure du Christ se multiplie dans les œuvres de <strong>Chagall</strong> comme<br />

symbole de la victime juive. Mais à mesure que la frénésie de la guerre s’apaise, le Christ<br />

1104 Isaïe, XIV, 1-7.<br />

1105 Isaïe, LII, 1-7.<br />

1106 Isaïe, LXII, 1-5.<br />

1107 Il dit : « Je ne proclame pas le drame de la vie. Je ne dramatise pas, même lorsque la mort est présente<br />

dans un tableau ». Cf. Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> de Draeger, op. cit., pp. 198-<br />

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1108 Propos de <strong>Chagall</strong> mentionné dans François Le Targat, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, <strong>Paris</strong>, Editions Albin Michel, 1985.<br />

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