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La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Le caractère juif de cette <strong>Bible</strong> est aussi manifeste dans certaines interprétations du<br />

texte en images. Cette assertion n’est pas démontrable d’une manière aussi visible et<br />

explicite que pour les autres éléments juifs dont il vient d’être fait mention, mais elle<br />

constitue une piste d’analyse intéressante. Chez les Juifs qui ont toujours le souci<br />

d’expliquer la <strong>Bible</strong>, les traditions targoumiques ou midrashiques – la traduction et<br />

l’exégèse littéraire du texte biblique – sont très développées 1096 . Les images bibliques<br />

juives prennent souvent leurs formes dans ce genre de littérature <strong>par</strong>abiblique plutôt que<br />

dans la <strong>Bible</strong> elle-même. Parmi les illustrations de <strong>Chagall</strong>, celle qui dépeint seulement<br />

deux anges sur l’échelle de Jacob (pl. XIV), celle représentant la femme de Putiphar au lit<br />

qui essaie de séduire Joseph (pl. XXI), ainsi que celle qui figure l’ange de la mort au lieu<br />

de l’Éternel frappant tous les fils aînés d’Égypte (pl. XXXII) sont autant d’exemples que<br />

nous pouvons mettre en <strong>par</strong>allèle avec la tradition exégétique juive. Un exemple plus subtil<br />

qui permet de dire de la <strong>Bible</strong> de <strong>Chagall</strong> qu’elle est d’expression juive se trouve dans son<br />

illustration de la vision d’Ézéchiel, qui <strong>par</strong>le des quatre êtres mystérieux (pl. CIV). <strong>Chagall</strong><br />

représente les quatre êtres ailés ayant chacun la tête d’un lion, d’un oiseau, d’un taureau et<br />

d’un être humain. Cependant, ceci ne correspond pas exactement à la description dans le<br />

texte qui décrit plutôt un seul être tétramorphe, un être à quatre têtes avec un seul corps.<br />

Au Moyen Âge, il existait deux façons d’illustrer ce texte : les <strong>La</strong>tins figurèrent un seul<br />

être à quatre têtes, alors que les Hébreux représentèrent, comme <strong>Chagall</strong>, quatre êtres<br />

distincts 1097 . Lorsque deux traditions divergent dans l’interprétation d’un texte biblique,<br />

choisir l’une ou l’autre de ces traditions, c’est indiquer son rattachement à celle qui est<br />

choisie. Ainsi est-il possible de penser que <strong>Chagall</strong>, en illustrant les quatre êtres<br />

indépendants les uns des autres, adhère consciemment ou inconsciemment à<br />

l’interprétation hébraïque.<br />

Mais, si cette <strong>Bible</strong>, <strong>illustrée</strong> <strong>par</strong> <strong>Chagall</strong>, est juive dans son fondement, elle<br />

s’habille d’éléments provenant de diverses cultures différentes. L’icône russe laisse sa<br />

trace surtout dans la taille excessivement allongée de Miryam (pl. XXXV) et dans le corps<br />

massif du prophète Élie et sa posture (pl. LXXXVI). Le loubok, l’art populaire russe,<br />

semble prêter à l’artiste son archange Saint Michel (pl. XLV) et le concept de l’ange<br />

créateur. Du côté de l’art occidental, le nu masculin de l’art grec antique inspire <strong>Chagall</strong><br />

pour le corps de Samson, représenté nu sans lien contextuel (pl. LIV ; pl. LV). <strong>La</strong> peinture<br />

des Quattrocentistes marque leurs empreintes dans l’ap<strong>par</strong>ence des anges (pl. XXXIV,<br />

1096 Cf. Pierre Prigent, L’image dans le Judaïsme – Du II e au VI e siècle, op. cit., p. 199.<br />

1097 Cf. François Bœspflug, « Visages de Dieu » dans Le Moyen Age en lumière, art. cit., pp. 299-300.<br />

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