La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
aidé à construire son intérieur. Dès lors les autres environnements représentent « l’extérieur », autrement dit le monde des autres. En alternant entre son monde intérieur et le monde extérieur durant la première partie de sa vie, Chagall affronte d’autres réalités que la sienne et accumule les diverses influences qui se traduisent ensuite dans ses expressions artistiques. La dualité de son monde d’origine et du monde extérieur donne à l’art religieux de Chagall un caractère particulier qu’on retrouve dans les illustrations de la Bible. Cette dualité fonctionne comme une dynamique qui constitue ses 105 eaux-fortes pour la Bible. L’héritage du judaïsme et les influences des autres cultures se reflètent clairement comme les principaux éléments à l’œuvre dans cet ouvrage. D’abord, le judaïsme agit comme ligne directrice du contenu. Les livres ne sont pas aléatoirement sélectionnés, mais selon le canon de la Bible hébraïque. L’ordre des épisodes représentés montre que l’artiste a suivi ce canon, différent du canon chrétien. En réalité, pour sa première Bible, il n’a pas traité tous les livres, mais seules la Torah et une partie du Névi’im. Le reste du Névi’im et le Kétouvim 1088 sont illustrés plus tard dans son deuxième ouvrage, les Dessins pour la Bible. Ensuite, la présence du judaïsme s’avère évidente dans les représentations de Dieu. En tant que Juif, Chagall ne figure pas l’Éternel sous forme humaine, mais il emploie d’autres moyens indirects pour suggérer Sa présence. À la place de Dieu, il dessine donc l’ange ou seulement Sa main divine. En réalité, ce sont les solutions que la tradition juive aussi avait adoptées pour éviter la figuration de Dieu anthropomorphe, car les enlumineurs juifs médiévaux ont abondamment laissé de telles représentations. Mais, entre Chagall et ses ancêtres il y a une différence d’expression. Le premier ne se soumet pas complètement à la convention traditionnelle. Par exemple, dans son illustration de Moïse recevant les Tables de la Loi (pl. XXXVII), il laisse visible seulement la main gauche de Dieu, alors que la tradition juive et chrétienne montre toujours celle de droite, la dextre, considérée comme ayant la prééminence 1089 . Chagall innove, en écrivant le nom de Dieu en hébreu pour indiquer Sa présence : c’est là un procédé abstrait et novateur. Parmi plusieurs noms de Dieu, cités dans la tradition juive, l’artiste utilise le Tétragramme ה ו ה י (yod-hé-vav-hé), qui est un nom imprononçable, composé de quatre consonnes sans voyelles. 1088 Psaumes, Proverbes, Job, Cantique des cantiques, Ruth, Lamentations, Ecclésiaste, Esther, Daniel, Ezra- Néhémie, Chroniques 1 et 2. 1089 Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, op. cit., p. 7. 318
En outre, dans la Bible de Chagall, le judaïsme est également présent dans les objets et motifs symboliques. La menorah (chandelier à sept branches), le rouleau de la Torah, le chofar (instrument à vent), les Téphillin (phylactères), l’étoile de David et le Talit (châle de prière) sont plusieurs fois représentés dans les planches. Leur rôle dans les illustrations n’est pas simplement décoratif. Chargés de significations complexes, ils occupent une place bien plus importante. Dans le cas du chandelier à sept branches, il est représenté dans la planche XL quasiment comme le sujet de l’illustration. Nous avons d’ailleurs un précédent dans un manuscrit juif médiéval 1090 qui présente cet objet de la même manière. Si Chagall et son prédécesseur ont attribué au chandelier une telle place dans l’image, c’est sans doute parce que la menorah a une importance particulière pour eux. Dans le judaïsme, elle est avant tout symbole de la lumière spirituelle et éternelle, représentant l’Esprit de Dieu. Elle évoque aussi la Torah, la relation entre Dieu et le peuple d’Israël, les espérances messianiques etc. En effet, tous les objets symboliques de ces illustrations sont représentés pour rappeler une de leurs fonctions essentielles, voire la plus importante : le lien entre Dieu et le peuple juif. Le rouleau de la Torah matérialise la Torah elle-même, qui est, à la fois, la Parole de Dieu et la Loi indiquant le chemin de la vie. En lisant la Parole les Juifs cherchent la volonté divine et se repèrent dans leur vie. En mettant les phylactères sur le front et au bras lors de la prière du matin, les hommes juifs dirigent leur cœur et leurs pensées vers Dieu. Chagall, en dessinant un ange au phylactère (pl. XCV), rend cet être incontestablement juif, car les Téphillin sont non seulement des objets de l’office quotidien chez les conservateurs mais encore un signe qui distingue les Juifs des non Juifs 1091 . Le Talit, châle de prière, est également un objet juif par excellence. Il est porté par les hommes juifs pendant la prière avec les Téphillin. Cependant, Chagall le représente sur la tête de Miryam, sœur de Moïse (pl. XXXV), non conformément à la norme. C’est là une autre marque de l’originalité de l’artiste, qui emploie des éléments traditionnels en toute liberté. Concernant le chofar, instrument à vent, considéré comme un signal de rassemblement, de convocation de l’assemblée d’Israël, Chagall le représente pour une scène où l’utilisation du chofar n’est pas indiquée par la Bible (pl. XLIV). De plus, il y dessine plusieurs joueurs de chofar, alors que cet instrument doit en principe être sonné seul 1092 . Sans se soucier de ce genre de prescriptions, l’artiste préfère utiliser l’objet en y associant son imagination, comme par exemple ses anges sonnant le chofar. 1090 Londres, British Library, Add. ms. 11639, folio 114 r. 1091 Cf. Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, op. cit., pp. 1106-1108. 1092 Mendel Metzger, « Le CHOFAR et sa signification dans l’art juif », art. cit., p. 10. 319
- Page 267 and 268: etenues en tant que telles dans le
- Page 269 and 270: fumantes et les figures anéanties
- Page 271 and 272: cette présence divine en l’indiq
- Page 273 and 274: midrashiques donnèrent à chaque t
- Page 275 and 276: chandelier, enroulé par un serpent
- Page 277 and 278: juive mais aussi des paroles bibliq
- Page 279 and 280: toutes les scènes dans cette fenê
- Page 281 and 282: éparties sur les trois murs, une p
- Page 283 and 284: eprésente successivement de bas en
- Page 285 and 286: eligieux et profanes de Chagall dan
- Page 287 and 288: Chapitre IV. L’union Les vitraux
- Page 289 and 290: Chagall ? Qu’est-ce qui les disti
- Page 291 and 292: images des Haggadot qui le touchaie
- Page 293 and 294: eaux-fortes. Par exemple, dans Moï
- Page 295 and 296: mains tenant une couronne sont éga
- Page 297 and 298: chez Chagall. Nous le retrouvons da
- Page 299 and 300: une femme portant un enfant, qui pe
- Page 301 and 302: ne correspond pas au contenu géné
- Page 303 and 304: psaume. Plus haut, nous avons évoq
- Page 305 and 306: non pas à un texte précis, mais p
- Page 307 and 308: psaumes auxquels les images se réf
- Page 309 and 310: Tous ces personnages se trouvent da
- Page 311 and 312: écurrence devient dorénavant une
- Page 313 and 314: Conclusion 313
- Page 315 and 316: origine juive, qui agit comme un fa
- Page 317: démontrent sa recherche picturale
- Page 321 and 322: Le caractère juif de cette Bible e
- Page 323 and 324: de la logique classique. Comme les
- Page 325 and 326: quitte les scènes de catastrophe p
- Page 327 and 328: complètement l’Ancien Testament.
- Page 329 and 330: chevalet, Chagall donne de lui-mêm
- Page 331 and 332: Nous avons classé les références
- Page 333 and 334: COMPTON, Susan, Chagall, Catalogue
- Page 335 and 336: CASSOU, Jean, Chagall, Paris, Editi
- Page 337 and 338: Musée National Message Biblique Ma
- Page 339 and 340: FORAY, Jean-Michel, « The Bible ac
- Page 341 and 342: Cabinet Edmond de Rothschild, l’A
- Page 343 and 344: « Bible illustrée (moderne) » AM
- Page 345 and 346: Dieu en son royaume - la Bible dans
- Page 347 and 348: SENDLER, Egon, L’icône, image de
- Page 349 and 350: Scenes from the Hebrew scriptures,
- Page 351 and 352: Rembrandt, la Bible en art et arch
- Page 353 and 354: SOMMAIRE Remerciements . . . . . .
En outre, dans la <strong>Bible</strong> de <strong>Chagall</strong>, le judaïsme est également présent dans les<br />
objets et motifs symboliques. <strong>La</strong> menorah (chandelier à sept branches), le rouleau de la<br />
Torah, le chofar (instrument à vent), les Téphillin (phylactères), l’étoile de David et le Talit<br />
(châle de prière) sont plusieurs fois représentés dans les planches. Leur rôle dans les<br />
illustrations n’est pas simplement décoratif. Chargés de significations complexes, ils<br />
occupent une place bien plus importante. Dans le cas du chandelier à sept branches, il est<br />
représenté dans la planche XL quasiment comme le sujet de l’illustration. Nous avons<br />
d’ailleurs un précédent dans un manuscrit juif médiéval 1090 qui présente cet objet de la<br />
même manière. Si <strong>Chagall</strong> et son prédécesseur ont attribué au chandelier une telle place<br />
dans l’image, c’est sans doute <strong>par</strong>ce que la menorah a une importance <strong>par</strong>ticulière pour<br />
eux. Dans le judaïsme, elle est avant tout symbole de la lumière spirituelle et éternelle,<br />
représentant l’Esprit de Dieu. Elle évoque aussi la Torah, la relation entre Dieu et le peuple<br />
d’Israël, les espérances messianiques etc. En effet, tous les objets symboliques de ces<br />
illustrations sont représentés pour rappeler une de leurs fonctions essentielles, voire la plus<br />
importante : le lien entre Dieu et le peuple juif. Le rouleau de la Torah matérialise la Torah<br />
elle-même, qui est, à la fois, la Parole de Dieu et la Loi indiquant le chemin de la vie. En<br />
lisant la Parole les Juifs cherchent la volonté divine et se repèrent dans leur vie. En mettant<br />
les phylactères sur le front et au bras lors de la prière du matin, les hommes juifs dirigent<br />
leur cœur et leurs pensées vers Dieu. <strong>Chagall</strong>, en dessinant un ange au phylactère (pl.<br />
XCV), rend cet être incontestablement juif, car les Téphillin sont non seulement des objets<br />
de l’office quotidien chez les conservateurs mais encore un signe qui distingue les Juifs des<br />
non Juifs 1091 . Le Talit, châle de prière, est également un objet juif <strong>par</strong> excellence. Il est<br />
porté <strong>par</strong> les hommes juifs pendant la prière avec les Téphillin. Cependant, <strong>Chagall</strong> le<br />
représente sur la tête de Miryam, sœur de Moïse (pl. XXXV), non conformément à la<br />
norme. C’est là une autre marque de l’originalité de l’artiste, qui emploie des éléments<br />
traditionnels en toute liberté. Concernant le chofar, instrument à vent, considéré comme un<br />
signal de rassemblement, de convocation de l’assemblée d’Israël, <strong>Chagall</strong> le représente<br />
pour une scène où l’utilisation du chofar n’est pas indiquée <strong>par</strong> la <strong>Bible</strong> (pl. XLIV). De<br />
plus, il y dessine plusieurs joueurs de chofar, alors que cet instrument doit en principe être<br />
sonné seul 1092 . Sans se soucier de ce genre de prescriptions, l’artiste préfère utiliser l’objet<br />
en y associant son imagination, comme <strong>par</strong> exemple ses anges sonnant le chofar.<br />
1090 Londres, British Library, Add. ms. 11639, folio 114 r.<br />
1091 Cf. Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, op. cit., pp. 1106-1108.<br />
1092 Mendel Metzger, « Le CHOFAR et sa signification dans l’art juif », art. cit., p. 10.<br />
319