La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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Un maigre souvenir de l’éducation religieuse Si l’influence du hassidisme n’était pas dominante dans l’enfance de Chagall, il nous semble aussi nécessaire de remettre en question le rôle que l’éducation religieuse aurait exercé sur Chagall, enfant. Dominique Gagneux, dans son écrit « L’univers du shtetl » 55 , souligna que la société du shtetl 56 avait mis l’accent sur l’éducation et qu’elle était le facteur principal d’homogénéité de la culture juive d’Europe de l’Est. Elle reposait sur l’étude de la Torah, enseignée à presque tous les garçons dès leur plus jeune âge à l’école. Ils y apprenaient à lire, à psalmodier les prières et à balancer le corps drapé dans le châle rituel. La discussion des textes constituait l’activité principale des écoles rabbiniques où l’on enseignait la signification précise de certains gestes de la main comme par exemple le pouce en point d’interrogation. L’analyse approfondie du Talmud (commentaires de la Torah) se complétait à la yeshiva 57 , l’académie rabbinique qui se situait à l’intérieur de la synagogue ou dans une salle la jouxtant. Comme tous les autres garçons juifs, de l’âge de trois ou quatre ans jusqu’à sa barmitzvah à treize ans, Chagall reçut une éducation religieuse dans l’école primaire juive traditionnelle, la Héder 58 . Il apprit des rabbins l’alphabet et la langue hébraïque d’après la Bible 59 . Parmi ses dessins présentés dans son livre biographique Ma Vie, nous trouvons un de ces rabbins de l’école. Affirmant l’importance de cette éducation religieuse chez l’artiste, Franz Meyer commenta : « Pendant toutes ces années, Chagall grandit donc dans l’univers biblique, dont les personnages lui parurent bientôt aussi réels que les gens qu’il rencontrait. » Néanmoins, le témoignage de l’artiste lui-même démontre qu’il ne retint pas beaucoup de choses de cette éducation : « De tels rabbis, j’en ai eu trois. Le premier, une petite punaise de Mohileff. Le second, rabbi Ohre (aucun souvenir). Le troisième, une personne imposante, morte prématurément, rabbi Djatkine. C’est lui qui m’enseigna ce discours fameux au sujet de « Tphylym », que, mes treize ans atteints, j’ai prononcé debout sur une chaise. Je 55 Dominique Gagneux, « L’univers du shtetl », art. cit., pp. 126-129. 56 Le shtetl est la bourgade (et par extension le quartier juif d’une ville) située dans la zone de résidence imposée aux juifs par le régime tsariste. 57 Une yeshiva est un centre d’étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme orthodoxe. 58 Héder veut dire « chambre », l’enseignement ayant lieu dans une chambre chez l’enseignant. 59 « Vers 13 ans, je récitais par cœur les droche (les sermons) durant une heure et demie. Sur les tefilin (bandelettes rituelles), j’ai complètement tout oublié » : témoignage de l’artiste dans « Curriculum vitæ de Marc Chagall », Marc Chagall : les années russes, op. cit., p. 246. 30
l’avoue, j’estimais qu’il était de mon devoir de l’oublier une heure passée, et même avant » 60 . Un autre témoignage prouve que, enfant, Chagall était bien loin d’être touché par la pratique religieuse. Le sens des rituels lui échappait complètement : « On m’éveillait à une ou deux heures du matin et je courais chanter à la synagogue. Pourquoi court-on ainsi dans la nuit sombre ? Je serais bien mieux dans mon lit. Moi, je me sauvais de la synagogue et courais vers la haie du jardin. À peine l’avais-je gravie, je cueillais une grosse pomme verte. Je la mordais, ce jour de jeûne. Seul le ciel bleu me regardait, pécheur que j’étais, et mes dents, tremblantes, absorbaient le jus et le cœur de la pomme. Je n’étais pas capable de jeûner jusqu’à la fin et le soir, à la question de maman : “ As-tu jeûné ? ”, je répondais comme un condamné : “ Oui ” » 61 . Voici un autre exemple que Chagall donna pour préciser son attitude : « À l’occasion de la fête du prophète Élie, la famille assemblée dresse le couvert et sert un verre de vin afin que le saint homme vienne honorer de sa présence ceux qui l’espèrent. J’étais fasciné par le verre de rouge. Il s’agissait d’un vin consacré, plus près de la piquette que d’un cru de Château Margaux ; pourtant la nuit, lorsque tout dormait, je me levais en cachette et je le buvais » 62 . Nous penchons donc naturellement pour l’idée que l’inspiration dans les premières années de Chagall ne serait pas due à des sentiments religieux. En effet, dans un entretien filmé, Chagall confia à son interlocuteur : « La plus grande influence, c’était ma mère, mon père, surtout. Les maisons, les toits, la lune qui tournait, les poules, les bêtes, les petits gens, les petits ouvriers, les pauvres... ça m’a fait le plus grand choc de ma vie. C’était mon école, c’était la plus grande école de ma vie. Quand je voyais mon père, sa main... » 63 . Voilà, ce qui attirait véritablement l’enfant : tout ce qui l’entourait réellement, toutes choses visibles et tangibles. À Vitebsk, du côté de chez Chagall, les gens habitaient dans 60 Marc Chagall, Ma vie, op. cit., p. 68. 61 Ibid., pp. 59-60. 62 Charles Sorlier, Chagall, le Patron, op. cit., p. 29. 63 Témoignage de Chagall dans le film documentaire Chagall, les années russes, réalisé par Charles Najman en France, 1995. 31
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« On m’éveillait à une ou deux heures du matin et je courais chanter à la synagogue.<br />
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Voici un autre exemple que <strong>Chagall</strong> donna pour préciser son attitude :<br />
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je me levais en cachette et je le buvais » 62 .<br />
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pauvres... ça m’a fait le plus grand choc de ma vie. C’était mon école, c’était la plus<br />
grande école de ma vie. Quand je voyais mon père, sa main... » 63 .<br />
Voilà, ce qui attirait véritablement l’enfant : tout ce qui l’entourait réellement, toutes<br />
choses visibles et tangibles. À Vitebsk, du côté de chez <strong>Chagall</strong>, les gens habitaient dans<br />
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<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, Ma vie, op. cit., p. 68.<br />
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Ibid., pp. 59-60.<br />
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Charles Sorlier, <strong>Chagall</strong>, le Patron, op. cit., p. 29.<br />
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Témoignage de <strong>Chagall</strong> dans le film documentaire <strong>Chagall</strong>, les années russes, réalisé <strong>par</strong> Charles Najman<br />
en France, 1995.<br />
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