La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
lui-même peignant le roi David, comme s’il voulait se montrer méditant sur le psaume. Tout comme dans la planche XI, en se mettant à la place du psalmiste, l’artiste entre dans son œuvre et semble s’approprier entièrement son sujet. Ces autoportraits sont des exemples marquant une originalité unique de Chagall dans les illustrations de ce livre. Comme nous l’avons observé, dans sa façon d’aborder les psaumes pour les illustrer, il est très proche de ses prédécesseurs médiévaux. Mais au final, il se montre très personnel, parce qu’il a gardé ses particularités au lieu de se fondre aux textes. Outre ses autoportraits, il inséra activement de nombreux motifs personnels comme les animaux, la mère portant son enfant, les amoureux, les personnages à tête de chèvre et d’oiseau, mais aussi des objets symboliques juifs. Ceci est certes une touche poétique et symbolique de la part de l’artiste, mais ces ajouts sont également liés au message qu’il voulait constamment transmettre à travers ses œuvres bibliques. Tel est le cas, par exemple, de la planche VI illustrant le psaume VII. Il s’agit d’un psaume dans lequel David invoque la justice de Dieu contre ses accusateurs, tandis que l’image montre une scène très joyeuse (ill. 296) 1066 : un homme et un animal se tenant les mains dansent, entourés d’anges et de personnages également dansant et se réjouissant. Cette image, évoquant la paix et la joie universelles à travers l’entente de l’homme et l’animal, rappelle la planche XCII de la Bible illustrant la prophétie d’Isaïe (ill. 145) 1067 . Le monde dans lequel les hommes et les animaux vivent en harmonie est en effet considéré comme un idéal par Chagall. Cette idée est depuis longtemps présentée sous diverses formes et développée dans la dernière phase de sa vie comme une philosophie de paix et d’amour, qui est encore une fois soulignée dans ce livre Psaumes de David. Ainsi, dans la planche XXIII (ill. 290) qui semble évoquer la paix sur le royaume, l’artiste représente l’idée de l’harmonie dans l’univers par une composition en triangle formé d’un roi, d’un coq ou un oiseau et d’un ange. Ils se regardent dans une ambiance joyeuse et paisible comme s’ils incarnaient la paix établie par l’union entre l’homme et la nature sous protection divine. Il est vrai que la grande partie des psaumes s’agit des psaumes de supplication à l’occasion d’un péché, d’une maladie ou d’une persécution. Chagall illustra aussi cette catégorie de psaumes en représentant des personnages implorant Dieu, comme nous le voyons dans plusieurs planches 1068 . Cependant, la plus grande partie des illustrations de Chagall sont consacrées au thème de la joie, souvent indépendamment des contenus des 1066 Planche VI pour Psaumes de David, 1979, Eau-forte et aquatinte en couleurs, 20, 5 cm x 14, 5 cm. 1067 La Réconciliation de toutes les créatures sous le règne de la justice annoncée par Isaïe (pl. XCII), 1952- 1956, Eau-forte, 32, 3 x 25, 6 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 1068 Par exemple, les planches II, III, XII, XIII, XVI, XXI, XXIV, XXVIII. 306
psaumes auxquels les images se réfèrent. Par ailleurs, la joie se montre associée dans de nombreuses planches à la musique et à la danse 1069 . Mais Chagall la rapproche également de l’amour charnel, conjugal et maternel. Les planches XII et XIV (ill. 277) figurent un couple amoureux, selon le principe de représentation courant chez l’artiste, c’est-à-dire avec la femme nue et l’homme vêtu. L’iconographie de la planche I (ill. 286) qui montre un nu sur l’arbre renvoie d’ailleurs à celle d’une peinture de l’artiste à la thématique amoureuse, Le Cantique des Cantiques I. La planche X (ill. 278) semble unir l’amour conjugal et l’amour maternel, en représentant le roi David courant vers une femme, qui est assise avec son enfant sur les genoux. Ils sont entourés de personnages joyeux, en présence d’un ange planant au-dessus d’eux. Puisque la plupart des planches reflétant la joie sont sans lien direct avec leur texte, la volonté de l’artiste de traiter ce thème s’avère d’autant plus personnelle. La planche XXII (ill. 279) qui représente le roi David, sautant de joie, sans doute en reconnaissance de la grâce de l’Éternel, semble parfaitement résumer le sujet que Chagall aurait voulu montrer dans cet ouvrage, Psaumes de David. 3. Le dernier hymne Les Psaumes de David furent publiés encore une fois par le même éditeur Gérald Cramer en 1980 avec deux planches d’eau-forte supplémentaires. Celles-ci se distinguent des trente de la version de l’année 1979, d’abord par leur format présenté en largeur. Le contenu des images est également éloigné de celui des trente. Aucune des deux planches ne figure le psalmiste David, mais Moïse et Aaron présentant les Tables de la Loi (ill. 297) 1070 et un personnage agenouillé qui tend les mains vers le ciel (ill. 298) 1071 . Son apparence, celle d’un homme recouvert d’un habit noir de la tête aux pieds, ressemble à celle d’un prophète que nous avons tant rencontré chez Chagall plutôt qu’à celle du psalmiste du livre de l’année précédente. Ces deux planches semblent donc être plus proches des œuvres générales sur le sujet biblique que des illustrations des psaumes. En effet, l’une des caractéristiques majeures des œuvres à sujet religieux de cette période est le rassemblement de plusieurs motifs concernant le sujet. Des personnages, des épisodes de la Bible et des éléments sortis du répertoire chagallien se mélangent, le traitement du sujet biblique 1069 Par exemple, les planches IV, V, VI, IX, XVIII, XIX, XXX. 1070 Planche XXXII pour Psaumes de David (éd. par Gérald Cramer, Genève, 1980), Eau-forte et aquatinte en couleurs, 13, 5 cm x 18 cm. 1071 Planche XXXI pour Psaumes de David, 1980, Eau-forte et aquatinte en couleurs, 14, 5 cm x 20, 5 cm. 307
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lui-même peignant le roi David, comme s’il voulait se montrer méditant sur le psaume.<br />
Tout comme dans la planche XI, en se mettant à la place du psalmiste, l’artiste entre dans<br />
son œuvre et semble s’approprier entièrement son sujet.<br />
Ces autoportraits sont des exemples marquant une originalité unique de <strong>Chagall</strong><br />
dans les illustrations de ce livre. Comme nous l’avons observé, dans sa façon d’aborder les<br />
psaumes pour les illustrer, il est très proche de ses prédécesseurs médiévaux. Mais au final,<br />
il se montre très personnel, <strong>par</strong>ce qu’il a gardé ses <strong>par</strong>ticularités au lieu de se fondre aux<br />
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les animaux, la mère portant son enfant, les amoureux, les personnages à tête de chèvre et<br />
d’oiseau, mais aussi des objets symboliques juifs. Ceci est certes une touche poétique et<br />
symbolique de la <strong>par</strong>t de l’artiste, mais ces ajouts sont également liés au message qu’il<br />
voulait constamment transmettre à travers ses œuvres bibliques. Tel est le cas, <strong>par</strong><br />
exemple, de la planche VI illustrant le psaume VII. Il s’agit d’un psaume dans lequel<br />
David invoque la justice de Dieu contre ses accusateurs, tandis que l’image montre une<br />
scène très joyeuse (ill. 296) 1066 : un homme et un animal se tenant les mains dansent,<br />
entourés d’anges et de personnages également dansant et se réjouissant. Cette image,<br />
évoquant la paix et la joie universelles à travers l’entente de l’homme et l’animal, rappelle<br />
la planche XCII de la <strong>Bible</strong> illustrant la prophétie d’Isaïe (ill. 145) 1067 . Le monde dans<br />
lequel les hommes et les animaux vivent en harmonie est en effet considéré comme un<br />
idéal <strong>par</strong> <strong>Chagall</strong>. Cette idée est depuis longtemps présentée sous diverses formes et<br />
développée dans la dernière phase de sa vie comme une philosophie de paix et d’amour,<br />
qui est encore une fois soulignée dans ce livre Psaumes de David. Ainsi, dans la planche<br />
XXIII (ill. 290) qui semble évoquer la paix sur le royaume, l’artiste représente l’idée de<br />
l’harmonie dans l’univers <strong>par</strong> une composition en triangle formé d’un roi, d’un coq ou un<br />
oiseau et d’un ange. Ils se regardent dans une ambiance joyeuse et paisible comme s’ils<br />
incarnaient la paix établie <strong>par</strong> l’union entre l’homme et la nature sous protection divine.<br />
Il est vrai que la grande <strong>par</strong>tie des psaumes s’agit des psaumes de supplication à<br />
l’occasion d’un péché, d’une maladie ou d’une persécution. <strong>Chagall</strong> illustra aussi cette<br />
catégorie de psaumes en représentant des personnages implorant Dieu, comme nous le<br />
voyons dans plusieurs planches 1068 . Cependant, la plus grande <strong>par</strong>tie des illustrations de<br />
<strong>Chagall</strong> sont consacrées au thème de la joie, souvent indépendamment des contenus des<br />
1066 Planche VI pour Psaumes de David, 1979, Eau-forte et aquatinte en couleurs, 20, 5 cm x 14, 5 cm.<br />
1067 <strong>La</strong> Réconciliation de toutes les créatures sous le règne de la justice annoncée <strong>par</strong> Isaïe (pl. XCII), 1952-<br />
1956, Eau-forte, 32, 3 x 25, 6 cm, Nice, Musée National Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
1068 Par exemple, les planches II, III, XII, XIII, XVI, XXI, XXIV, XXVIII.<br />
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