La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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préalablement décidé par la particularité de l’édifice, fut imposé à l’artiste. Les vitraux devaient orner la synagogue dans le centre médical de l’Université hébraïque Hadassah. Ce centre médical fut créé à Ein Karem, près de Jérusalem, par l’Association Hadassah, groupement d’Américaines pour l’équipement hospitalier d’Israël. La présidente de l’association, Myriam Freund, et l’architecte Joseph Neufeld avaient en effet vu, lors de leur visite d’une rétrospective de Chagall, une partie des vitraux de l’artiste destinés à la cathédrale de Metz. La présidente envisagea alors de lui commander les vitraux pour le centre médical de Hadassah qui était en construction. Selon Dominique Jarassé, Myriam Freund rêvait de mettre le peintre juif en situation de glorifier le judaïsme, car la communauté juive recevait assez mal son activité dans les églises 941 . La synagogue du centre fut édifiée sur un plan carré et couverte d’un système de voûtes en berceau qui dégageait douze baies cintrées réparties par trois. Ce sont ces douze fenêtres qui déterminaient le choix du thème des vitraux, les douze tribus d’Israël, renvoi symbolique qui fonctionne comme un automatisme chez les Juifs, au dire de l’artiste luimême. En parlant du choix du thème, il rapporta sa discussion avec les responsables : « C’est-à-dire que ces dames m’ont dit timidement : “ Nous avons douze fenêtres dans la synagogue”. Douze. Dans ma tête est passé comme un éclair : ‘ Alors, ce sont les douze Tribus’. Je ne puis affirmer que l’idée vienne de moi, mais chez nous, quand on dit le chiffre « douze », automatiquement, ça fait les douze Tribus » 942 . Ce qui nous intéresse ici, c’est la façon dont Chagall traita le thème, imposé par cet automatisme culturel juif. Dans la tradition juive la représentation des douze tribus obéit à certaines conventions, relatives à leur ordre de présentation, à leurs couleurs et à leurs attributs. Selon cette règle, les douze frères sont montrés, de droite à gauche, dans l’ordre suivant : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Dan, Nephtali, Gad, Acher, Issachar, Zabulon, Joseph, Benjamin. Cet ordre fut établi par la règle de l’éphod du grand prêtre, précisée dans l’Exode (XXVIII, 9-11) : « Tu prendras deux pierres d’onyx sur lesquelles tu graveras les noms des fils d’Israël […] dans l’ordre de leur naissance ». En outre, le pectoral du grand prêtre est orné par douze pierres précieuses, également gravées aux noms des douze tribus (Exode, XXVIII, 17-20). Le nom hébraïque de chaque pierre et leurs traductions 941 Dominique Jarassé, « Remarques sur la symbolique des vitraux de Jérusalem », Chagall et le vitrail « De la pierre à la lumière », op. cit., p. 46. 942 Ibid., p. 47. 272
midrashiques donnèrent à chaque tribu leurs couleurs spécifiques. C’est ainsi qu’à Ruben le rouge fut attribué ; à Siméon le jaune-vert ; à Lévi le blanc, le noir et le rouge ; à Juda le bleu azur ; à Issachar le noir ; à Zabulon le blanc ; à Dan le bleu ; à Gad le gris ; à Acher l’or ; à Nephtali le pourpre ou rose ; à Joseph noir ; à Benjamin la combinaison des douze couleurs. Dominique Jarassé, après avoir observé les vitraux de la grande synagogue de Paris pour les comparer à ceux de Chagall, remarque que les premiers se réfèrent fidèlement à cette tradition bien établie 943 . En revanche, les vitraux de Chagall ne suivent pas cette convention, ni pour l’ordre de la présentation des douze, ni pour leurs couleurs. Premièrement, ils se succèdent de gauche à droite, contrairement au sens de lecture hébraïque. Ruben, Siméon, Lévi pour le mur est ; Juda, Zabulon, Issachar pour le mur sud ; Dan, Gad, Acher pour le mur ouest ; Nephtali, Joseph, Benjamin pour le mur nord. En réalité, c’est l’ordre des bénédictions de Jacob, relatées dans la Genèse (XLIX, 1-28). Souvenons-nous que Chagall, dans une planche d’eau-forte pour la Bible, avait justement représenté le grand prêtre Aaron portant l’éphod, sur lequel nous pouvons lire les noms des douze dans cet ordre (pl. XL). Dès lors, cela laisse penser que Chagall se référa en premier aux bénédictions de Jacob comme point de repère tout au long de son travail. Concernant les couleurs, l’ensemble de ses vitraux est dominé par les quatre couleurs principales, le bleu, le rouge, le jaune et le vert. Toujours selon Dominique Jarassé, ces couleurs proviendraient également du texte, des bénédictions de Jacob et de Moïse. Quant aux versets sans allusion à des couleurs, il explique que l’artiste a pris sa liberté d’inventer 944 . Ce n’est d’ailleurs pas seulement l’ordre et la couleur qui sont fixés dans la tradition. Les douze tribus reçurent de celle-ci également des symboles, auxquels les images conventionnelles se réfèrent comme dans la grande synagogue de Paris 945 . Par exemple, le symbole traditionnel de Ruben est la mandragore, et elle apparaît clairement dans cette synagogue. Cependant, le vitrail de Chagall ne la représente pas, mais créé une sorte de scène de la Genèse où poissons et oiseaux abondent (ill. 234) 946 . De même, pour Siméon qui est traditionnellement représenté par des tours, l’artiste montre encore un monde ressemblant à celui de la Genèse rempli d’astres et d’animaux (ill. 235) 947 . 943 Cf. Ibid., pp. 48-49. 944 Ibid., p. 49. 945 Cf. Ibid., pp. 51-54. 946 Ruben pour les vitraux de la synagogue du Centre Médical de l’Université hébraïque Hadassah, 1960- 1962, Verre, 338 cm x 251 cm, Jérusalem, Ein Karem. 947 Siméon pour les vitraux de la synagogue du Centre Médical de l’Université hébraïque Hadassah, 1960- 1962, Verre, 338 cm x 251 cm, Jérusalem, Ein Karem. 273
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groupement d’Américaines pour l’équipement hospitalier d’Israël. <strong>La</strong> présidente de<br />
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leur visite d’une rétrospective de <strong>Chagall</strong>, une <strong>par</strong>tie des vitraux de l’artiste destinés à la<br />
cathédrale de Metz. <strong>La</strong> présidente envisagea alors de lui commander les vitraux pour le<br />
centre médical de Hadassah qui était en construction. Selon Dominique Jarassé, Myriam<br />
Freund rêvait de mettre le peintre juif en situation de glorifier le judaïsme, car la<br />
communauté juive recevait assez mal son activité dans les églises 941 .<br />
<strong>La</strong> synagogue du centre fut édifiée sur un plan carré et couverte d’un système de<br />
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symbolique qui fonctionne comme un automatisme chez les Juifs, au dire de l’artiste luimême.<br />
En <strong>par</strong>lant du choix du thème, il rapporta sa discussion avec les responsables :<br />
« C’est-à-dire que ces dames m’ont dit timidement : “ Nous avons douze fenêtres dans<br />
la synagogue”. Douze. Dans ma tête est passé comme un éclair : ‘ Alors, ce sont les<br />
douze Tribus’. Je ne puis affirmer que l’idée vienne de moi, mais chez nous, quand on<br />
dit le chiffre « douze », automatiquement, ça fait les douze Tribus » 942 .<br />
Ce qui nous intéresse ici, c’est la façon dont <strong>Chagall</strong> traita le thème, imposé <strong>par</strong> cet<br />
automatisme culturel juif.<br />
Dans la tradition juive la représentation des douze tribus obéit à certaines<br />
conventions, relatives à leur ordre de présentation, à leurs couleurs et à leurs attributs.<br />
Selon cette règle, les douze frères sont montrés, de droite à gauche, dans l’ordre suivant :<br />
Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Dan, Nephtali, Gad, Acher, Issachar, Zabulon, Joseph,<br />
Benjamin. Cet ordre fut établi <strong>par</strong> la règle de l’éphod du grand prêtre, précisée dans<br />
l’Exode (XXVIII, 9-11) : « Tu prendras deux pierres d’onyx sur lesquelles tu graveras les<br />
noms des fils d’Israël […] dans l’ordre de leur naissance ». En outre, le pectoral du grand<br />
prêtre est orné <strong>par</strong> douze pierres précieuses, également gravées aux noms des douze tribus<br />
(Exode, XXVIII, 17-20). Le nom hébraïque de chaque pierre et leurs traductions<br />
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Dominique Jarassé, « Remarques sur la symbolique des vitraux de Jérusalem », <strong>Chagall</strong> et le vitrail « De<br />
la pierre à la lumière », op. cit., p. 46.<br />
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