La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Christ. La représentation de deux échelles et de deux sacrifices nous semble très importante à noter. Même si l’artiste n’a pas voulu insuffler une signification particulière à cette Crucifixion et au sacrifice d’Isaac, il fait clairement ici un lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament, tout comme dans certaines lithographies créées à cette période. En effet, une de ces œuvres englobant presque tous les motifs préférés de l’artiste montre le Christ sur la croix sur une jambe de Moïse tenant ses Tables de la Loi 936 . Dans une autre lithographie intitulée Vision de Moïse 937 (ill. 232), l’artiste représente Moïse avec les Tables de la Loi, Jacob et son échelle, et le Crucifié rassemblés. La foule et les anges joyeux autour des personnages semblent exprimer l’idée de l’unité, vision de l’artiste sur l’ensemble de la Bible. Ainsi, alors que Chagall fit ses illustrations de la Bible à l’eau-forte avec des épisodes exclusivement tirés de l’Ancien Testament et au caractère majoritairement juif, il semble avoir voulu apporter dans ses tableaux du Message Biblique une vue globale sur la Bible et un caractère universel. Le tableau Noé et l’arc-en-ciel cité sopra montre cette idée grâce aux éléments supplémentaires disposés autour des éléments principaux : Noé et l’arcen-ciel. Tous les personnages présents dans le tableau indiquent que l’alliance n’est pas seulement celle de Dieu et Noé, ni celle de Dieu et son peuple élu, mais celle entre Dieu et l’humanité entière, depuis le couple originel jusqu’à nous. Le Message Biblique est alors destiné à tous. En outre, le fait que dans le Message Biblique le caractère juif soit moins présent que dans les illustrations de la Bible est déjà visible dans le tableau Moïse devant le Buisson ardent 938 (ill. 233). Ce tableau combinant deux illustrations de la Bible montre en son centre le buisson ardent et un ange au-dessus de lui. L’ange est entouré d’un cercle de plusieurs couleurs reflétant celles du buisson. Conformément à la Bible, cet ange est figuré comme une manifestation de l’Éternel, qui appela Moïse lorsqu’il apparut au milieu d’un buisson (Exode III, 2 ; 4). Or, dans son illustration de la Bible (planche XXVII), Chagall n’avait pas représenté au-dessus du buisson un ange, mais juste un globe contenant le nom de Dieu écrit en hébreu, ה ו ה י (yod-hé-vav-hé). Ceci était une expression très personnelle de Chagall, qui souhaitait éviter l’anthropomorphisme de Dieu en accord avec les Écritures. L’ange du buisson étant l’Éternel Lui-même, l’artiste avait choisi de signaler 936 Composition, 1964-1965, Lithographie, papier 78 x 57 cm, illustration 67 x 51 cm, Mourlot n° 428 bis ; Cf. Julien Cain, Chagall lithographe 1962-1968, Monte-Carlo, André Sauret, 1969, n° 428 bis. 937 Vision de Moïse, vers 1970, Lithographie en couleurs, papier 98, 5 x 73 cm, illustration 78 x 63, 5 cm, Mourlot n° 702 ; Charles Sorlier, Chagall lithographe 1969-1973, Monte-Carlo, André Sauret, 1974, n° 702. 938 Moïse devant le Buisson ardent, 1960-1966, Huile sur toile, 195 x 312 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall ; cf. Musée National Message Biblique Marc Chagall, op. cit., p. 63. 270

cette présence divine en l’indiquant seulement par son nom. En revanche, dans le Message Biblique, l’artiste n’emploie plus l’inscription hébraïque pour désigner Dieu, usage abstrait. Il dessina l’ange selon la tradition artistique la plus répandue en ce qui concerne la représentation de l’Éternel dans un buisson 939 . Le judaïsme atténué semble avoir joué un rôle important chez Chagall à cette époque. Nous voyons dans une lithographie 940 réalisée à la même période que le Message Biblique, le Christ sur la croix entouré par des Juifs dont quelques-uns revêtent l’apparence de prophètes. Un rouleau de la Torah et un chandelier apparus parmi eux confirment leur judéité. Or, l’air joyeux de cette foule et l’ambiance festive de l’image nous laisse penser que ces personnages ne sont représentés ici ni comme accusateurs du Christ, ni comme victimes des persécutions. Cette image reflète plutôt l’idée de réconciliation du judaïsme et du christianisme, interprétée par Chagall. De plus, la figure d’une femme portant son enfant nu dans la scène, rappelant l’image de la Vierge à l’enfant de la tradition chrétienne, renforce la volonté de relier ces deux mondes, dérivés d’une seule source. 2. 2. Les vitraux, pour un recueillement au-delà de toutes confessions La volonté de l’artiste qui tend vers le message universel et intemporel de la Bible, au-delà d’une confession religieuse, se manifeste également dans ses vitraux. La plupart des vitraux sont consacrés à des églises chrétiennes, mais une œuvre importante fut aussi réalisée pour une synagogue de Jérusalem. L’ensemble de ces réalisations nous permet ainsi de voir comment l’artiste exprimait sa propre interprétation du message biblique tout en respectant les exigences dues au lieu investi. 2. 2. 1. Les vitraux de la synagogue de Jérusalem : juifs ou chagalliens ? Les douze fenêtres pour la synagogue du centre médical de Jérusalem sont la deuxième réalisation de Chagall de grande échelle dans le domaine du vitrail après la Cathédrale Saint-Étienne de Metz. Cette création (1960-1962) nous intéresse particulièrement, car, en premier lieu, elle est son unique œuvre destinée à une synagogue, malgré les origines de l’artiste. En second lieu, elle est une œuvre dont le thème, 939 Les enlumineurs médiévaux, chrétiens et juifs, représentèrent presque systématiquement l’ange au-dessus du buisson ardent. 940 Crucifixion, 1964, lithographie (en noir et blanc) sur papier report, 30 épreuves numérotées et signées sur vélin d’Arches ; Cf. Julien Cain, Chagall lithographe 1962-1968, op. cit., n° 425. 271

cette présence divine en l’indiquant seulement <strong>par</strong> son nom. En revanche, dans le Message<br />

Biblique, l’artiste n’emploie plus l’inscription hébraïque pour désigner Dieu, usage<br />

abstrait. Il dessina l’ange selon la tradition artistique la plus répandue en ce qui concerne la<br />

représentation de l’Éternel dans un buisson 939 . Le judaïsme atténué semble avoir joué un<br />

rôle important chez <strong>Chagall</strong> à cette époque. Nous voyons dans une lithographie 940 réalisée<br />

à la même période que le Message Biblique, le Christ sur la croix entouré <strong>par</strong> des Juifs dont<br />

quelques-uns revêtent l’ap<strong>par</strong>ence de prophètes. Un rouleau de la Torah et un chandelier<br />

ap<strong>par</strong>us <strong>par</strong>mi eux confirment leur judéité. Or, l’air joyeux de cette foule et l’ambiance<br />

festive de l’image nous laisse penser que ces personnages ne sont représentés ici ni comme<br />

accusateurs du Christ, ni comme victimes des persécutions. Cette image reflète plutôt<br />

l’idée de réconciliation du judaïsme et du christianisme, interprétée <strong>par</strong> <strong>Chagall</strong>. De plus, la<br />

figure d’une femme portant son enfant nu dans la scène, rappelant l’image de la Vierge à<br />

l’enfant de la tradition chrétienne, renforce la volonté de relier ces deux mondes, dérivés<br />

d’une seule source.<br />

2. 2. Les vitraux, pour un recueillement au-delà de toutes confessions<br />

<strong>La</strong> volonté de l’artiste qui tend vers le message universel et intemporel de la <strong>Bible</strong>,<br />

au-delà d’une confession religieuse, se manifeste également dans ses vitraux. <strong>La</strong> plu<strong>par</strong>t<br />

des vitraux sont consacrés à des églises chrétiennes, mais une œuvre importante fut aussi<br />

réalisée pour une synagogue de Jérusalem. L’ensemble de ces réalisations nous permet<br />

ainsi de voir comment l’artiste exprimait sa propre interprétation du message biblique tout<br />

en respectant les exigences dues au lieu investi.<br />

2. 2. 1. Les vitraux de la synagogue de Jérusalem : juifs ou chagalliens ?<br />

Les douze fenêtres pour la synagogue du centre médical de Jérusalem sont la<br />

deuxième réalisation de <strong>Chagall</strong> de grande échelle dans le domaine du vitrail après la<br />

Cathédrale Saint-Étienne de Metz. Cette création (1960-1962) nous intéresse<br />

<strong>par</strong>ticulièrement, car, en premier lieu, elle est son unique œuvre destinée à une synagogue,<br />

malgré les origines de l’artiste. En second lieu, elle est une œuvre dont le thème,<br />

939<br />

Les enlumineurs médiévaux, chrétiens et juifs, représentèrent presque systématiquement l’ange au-dessus<br />

du buisson ardent.<br />

940<br />

Crucifixion, 1964, lithographie (en noir et blanc) sur papier report, 30 épreuves numérotées et signées sur<br />

vélin d’Arches ; Cf. Julien Cain, <strong>Chagall</strong> lithographe 1962-1968, op. cit., n° 425.<br />

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