La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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sa gauche dans l’eau-forte (ill. 218) 895 , l’entoure de ses bras avec tendresse. Mais la vraie différence se trouve plutôt dans le vêtement de Rachel : dans les deux images Jacob et Rachel sont vêtus d’une sorte de longue tunique, mais celle de Rachel est devenue blanche dans le dessin de sorte qu’elle ressemble à la robe de mariée contemporaine. Rachel, toute de blanc vêtue, à côté de Jacob, évoque justement la mariée du couple amoureux de la peinture de Chagall. L’artiste a ainsi récupéré un de ses motifs picturaux préférés pour en faire une illustration biblique. Enfin, la différence fondamentale est liée au changement de support et à l’utilisation d’autres techniques. Si nous prenons le dessin sur Miryam, la sœur de Moïse, pour le comparer avec l’eau-forte sur le même sujet, nous nous rendons très vite compte de la divergence : alors que l’eau-forte (ill. 75) 896 représente la figure comme une colonne, dessinée en lignes presque droites comme des personnages de la peinture d’icône, le dessin (ill. 219) 897 montre Miryam et ses compagnes avec des corps très souples et ondulés. Contrairement à la raideur des filles de l’eau-forte dont les bras levés suggèrent à peine qu’elles sont en train de danser, les courbes et les mouvements en oblique des filles du dessin expriment clairement le rythme d’une danse et son dynamisme. L’exemple du « Veau d’Or » montre le même procédé : dans l’eau-forte (ill. 220) 898 , les Hébreux adorant l’idole lèvent les bras verticalement en formant des lignes très droites avec leurs corps, tandis que la foule dans le dessin (ill. 221) 899 manifeste des mouvements divers et beaucoup plus dynamiques. Alors, malgré leur composition semblable, l’eau-forte et le dessin produisent deux effets opposés : la rigidité de l’eau-forte face à la souplesse du dessin. Ce contraste crée également deux ambiances très différentes : comparée à l’air grave des personnages dans l’eau-forte, la foule du dessin semble excitée et agitée. Tout cela doit être dû en grande partie aux caractères différents des deux techniques, car le travail minutieux sur métal de l’eau-forte peut causer une rigidité d’expression tandis que la manipulation libre des outils peut contribuer à la spontanéité et à la souplesse des dessins. 895 Rencontre de Jacob et de Rachel auprès du puits (pl. XV), 1931-1934, Eau-forte, 29, 6 x 23, 5 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 896 Marie, sœur de Moïse, danse avec ses compagnes pour célébrer la délivrance d’Israël (pl. XXXV), 1934- 1939, Eau-forte, 30 x 23, 6 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 897 Marie, la prophétesse (le 32 e dessin pour Dessins pour la Bible, revue Verve, 1960), Encre de Chine, aquarelle et gouache, 35, 7 x 27 cm. 898 Les Hébreux adorant le Veau d’Or (pl. XXXVIII), 1934-1939, Eau-forte, 29, 6 x 23, 5 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 899 Adoration du Veau d’Or (le 35 e dessin pour Dessins pour la Bible, revue Verve, 1960), Encre de Chine, lavis et gouache sur papier Japon, 33 x 25, 5 cm. 252
Si Chagall avait trouvé une grande liberté en réalisant les Dessins pour la Bible grâce à des outils faciles à utiliser comme un papier et des crayons, la technique de la lithographie lui donna la même aisance dans la gravure, en lui permettant de dessiner avec des couleurs directement sur la plaque de pierre. Nous avons vu que l’artiste commença à utiliser assidûment cette technique à partir de 1946 avec les illustrations d’Arabian nights, et que de 1950 à 1952 il pratiqua toutes les techniques de la lithographie dans l’atelier de Fernand Mourlot. En 1956, il créa 30 lithographies pour compléter l’édition de sa Bible qui parurent avec les eaux-fortes dans la revue Verve. De même, il en réalisa 48 pour ces Dessins pour la Bible qui furent publiés en 1960, exclusivement dans Verve. Alors que les lithographies de 1956 se distinguent complètement des eaux-fortes par leur style, celles dans les Dessins pour la Bible concordent parfaitement avec les 96 dessins de l’ouvrage, cela étant sans doute dû au fait qu’ils furent créés à la même période. Alors, certaines lithographies comme celles représentant la Création, Caïn et Abel, Rahab et les espions de Jéricho ne sont en effet que les versions en couleurs des dessins. Parmi la totalité des 48 lithographies, 23 planches en noir et blanc sont des images simples représentant des motifs végétaux et animaliers, sauf une qui illustre Ruth et Booz. Les 25 autres planches y compris celle pour la couverture sont en couleurs et présentent des images intéressantes. Ces lithographies s’accordent à l’ensemble des dessins non seulement au niveau du style, mais aussi au niveau du concept général : comme les dessins, elles sont presque entièrement consacrées à des personnages féminins. Le fait que nous trouvions seulement deux planches sur Job et une sur Caïn et Abel comme illustrations de personnages masculins démontre bien où l’artiste mit l’accent dans ces lithographies : sur la place des femmes. La couverture présente le roi David avec sa bien-aimée et le frontispice (ill. 222) 900 figure un homme et une femme s’embrassant sous le regard d’un ange. Ces deux couples sont représentés comme des amoureux typiques chez Chagall avec la femme nue et l’homme habillé. Ces deux premières planches de l’ouvrage annoncent ainsi le thème sur l’amour et la femme. En effet, les lithographies dans les Dessins pour la Bible peuvent être considérées comme un petit résumé des grandes histoires d’amour des femmes bibliques depuis Ève jusqu’à Esther. Dans ce contexte, la nudité de la plupart des femmes représentées ici devient compréhensible de par sa signification symbolique. Dans le cas d’Ève, il est normal qu’elle soit montrée nue, mais sa nudité ne représente pas seulement sa condition originelle, mais également la sensualité de l’amour au paradis : la 900 Le Visage d’Israël pour Dessins pour la Bible, revue Verve, 1960, lithographie en couleurs, 36, 4 x 26 cm, Mourlot n° 231. 253
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Si <strong>Chagall</strong> avait trouvé une grande liberté en réalisant les Dessins pour la <strong>Bible</strong><br />
grâce à des outils faciles à utiliser comme un papier et des crayons, la technique de la<br />
lithographie lui donna la même aisance dans la gravure, en lui permettant de dessiner avec<br />
des couleurs directement sur la plaque de pierre. Nous avons vu que l’artiste commença à<br />
utiliser assidûment cette technique à <strong>par</strong>tir de 1946 avec les illustrations d’Arabian nights,<br />
et que de 1950 à 1952 il pratiqua toutes les techniques de la lithographie dans l’atelier de<br />
Fernand Mourlot. En 1956, il créa 30 lithographies pour compléter l’édition de sa <strong>Bible</strong> qui<br />
<strong>par</strong>urent avec les eaux-fortes dans la revue Verve. De même, il en réalisa 48 pour ces<br />
Dessins pour la <strong>Bible</strong> qui furent publiés en 1960, exclusivement dans Verve. Alors que les<br />
lithographies de 1956 se distinguent complètement des eaux-fortes <strong>par</strong> leur style, celles<br />
dans les Dessins pour la <strong>Bible</strong> concordent <strong>par</strong>faitement avec les 96 dessins de l’ouvrage,<br />
cela étant sans doute dû au fait qu’ils furent créés à la même période. Alors, certaines<br />
lithographies comme celles représentant la Création, Caïn et Abel, Rahab et les espions de<br />
Jéricho ne sont en effet que les versions en couleurs des dessins.<br />
Parmi la totalité des 48 lithographies, 23 planches en noir et blanc sont des images<br />
simples représentant des motifs végétaux et animaliers, sauf une qui illustre Ruth et Booz.<br />
Les 25 autres planches y compris celle pour la couverture sont en couleurs et présentent<br />
des images intéressantes. Ces lithographies s’accordent à l’ensemble des dessins non<br />
seulement au niveau du style, mais aussi au niveau du concept général : comme les dessins,<br />
elles sont presque entièrement consacrées à des personnages féminins. Le fait que nous<br />
trouvions seulement deux planches sur Job et une sur Caïn et Abel comme illustrations de<br />
personnages masculins démontre bien où l’artiste mit l’accent dans ces lithographies : sur<br />
la place des femmes. <strong>La</strong> couverture présente le roi David avec sa bien-aimée et le<br />
frontispice (ill. 222) 900 figure un homme et une femme s’embrassant sous le regard d’un<br />
ange. Ces deux couples sont représentés comme des amoureux typiques chez <strong>Chagall</strong> avec<br />
la femme nue et l’homme habillé. Ces deux premières planches de l’ouvrage annoncent<br />
ainsi le thème sur l’amour et la femme. En effet, les lithographies dans les Dessins pour la<br />
<strong>Bible</strong> peuvent être considérées comme un petit résumé des grandes histoires d’amour des<br />
femmes bibliques depuis Ève jusqu’à Esther. Dans ce contexte, la nudité de la plu<strong>par</strong>t des<br />
femmes représentées ici devient compréhensible de <strong>par</strong> sa signification symbolique. Dans<br />
le cas d’Ève, il est normal qu’elle soit montrée nue, mais sa nudité ne représente pas<br />
seulement sa condition originelle, mais également la sensualité de l’amour au <strong>par</strong>adis : la<br />
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Le Visage d’Israël pour Dessins pour la <strong>Bible</strong>, revue Verve, 1960, lithographie en couleurs, 36, 4 x 26 cm,<br />
Mourlot n° 231.<br />
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