La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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tard que cette notion flexible du temps constitue aussi une originalité de Chagall illustrateur de la Bible. La deuxième singularité relative à la naissance de Chagall est son état mort-né à la sortie du ventre de sa mère. L’artiste lui-même expliqua : « Mais avant tout je suis mort-né, je n’ai pas voulu vivre. Imaginez une bulle blanche qui ne veut pas vivre. Comme si elle était bourrée de tableaux de Chagall. On l’a piquée avec des épingles, on l’a plongée dans un sceau d’eau. Enfin, il rend un faible piaillement. Pour l’essentiel, je suis mort-né. Je voudrais que les psychologues ne tirent pas de cela des conséquences inconvenantes. De grâce ! » 26 Sans aucune intention de jouer au psychologue maladroit, il nous faut toutefois reconnaître que, pour un mort-né, la mort précède la vie. Le fait que l’artiste l’ait lui-même souligné révèle qu’il en était bien conscient. Cet étrange lien entre la vie et la mort aurait construit une vision unique chez lui. De même, le thème de la naissance et de la mort apparaîtra continuellement sur le chevalet de l’artiste. Pour Chagall, aîné de huit enfants, la naissance devait aussi être un événement familier. Quoi qu’il en soit, peut-être d’ailleurs en raison de sa légitimité de premier né, il reçut toute l’attention de ses parents, surtout celle de sa mère. Courageuse, en donnant cinquante roubles de pot-de-vin à un professeur, elle fit entrer son fils dans le collège de la ville où les Juifs étaient reçus avec restriction. C’est encore elle qui accompagna son fils qui désirait devenir artiste, chez Pen, professeur de l’école de peinture et de dessin. « Souveraine de la maison » selon l’expression de l’artiste, elle était dynamique dans tous les plans de la vie : déjà mère d’une grande famille, elle assuma également le rôle de mère pour ses propres frères et sœurs 27 . En même temps, elle tenait une épicerie à côté de la maison. En revanche, le père de Chagall était un homme d’intérieur, très calme et réservé. En tant que commis dans un entrepôt de harengs 28 , il travaillait dur : toujours fatigué, il s’endormait souvent à table. Il parlait peu, il passait du temps à prier et aller à la Synagogue. Chagall témoigna qu’il était « de nature apeurée, mais un homme doux et narrative et chronologique, mais comme une source de légendes et de loi. Dans la Bible, il n’y a donc ni avant ni après ; toutes les histoires sont parallèles les unes aux autres. 26 Marc Chagall, Ma Vie, Paris, Éditions Stock, 2003 (1 ère éd., 1931), p. 12. 27 Étant l’aînée, elle s’occupa de ses frères et sœurs jusqu’à leur mariage. 28 Pendant trente-deux ans, il y était simple ouvrier. Marc Chagall, Ma Vie, op. cit., p. 15. 24

pacifique, religieux, ayant pourtant moins de ressemblance avec les Juifs « typiques » et rappelant un paysan de Russie Blanche » 29 . L’influence de ses parents dura tout au long de la vie de Chagall, surtout celle de sa mère 30 , et se manifesta fortement dans la vie privée de l’artiste. Elle était constamment présente non seulement dans la personne de Chagall mais encore dans son art. Ses parents firent d’ailleurs partie des éléments iconographiques récurrents. Chagall avoua jadis : « Si mon art ne jouait aucun rôle dans la vie de mes parents, en revanche leur vie et leurs créations ont bien influencé mon art » 31 . Être Juif à Vitebsk, ville ordinaire La ville natale de l’artiste 32 , Vitebsk se situe en Biélorussie, non loin de la frontière lituanienne, sur un grand fleuve, la Dvina occidentale, et à l’affluent de deux rivières, la Lutchos et la Vitba d’où vient le nom de la ville. Sa fondation remonte à l’an 974 et elle est devenue un centre administratif du Grand-Duché de Lithuanie à partir de 1101. La première trace de la présence des Juifs dans cette ville date de 1551 et leur séjour fut officiellement légalisé par un édit de Ladislas IV en 1634. Or, la ville fut bientôt prise par l’armée russe et à partir de 1772 elle fut intégrée dans l’empire. Mais il était défendu aux Juifs d’entrer en Russie en sortant de leur territoire originaire, qui devint désormais un ghetto géographique. Alors que Vitebsk connut un certain déclin aux XVIII ème et XIX ème siècles à cause des guerres russo-polonaises, elle prit de l’essor avec l’arrivée du chemin de fer en 1886. Une ligne relia Vitebsk aux grandes villes importantes comme Moscou, Saint-Pétersbourg et Kiev et elle devint un centre commercial et industriel assez important. En 1897, Vitebsk comptait presque 35 000 Juifs qui constituaient 52,4 % de la population totale. Les pouvoirs russes n’ayant pas accordé aux Juifs le droit de pratiquer l’agriculture, ils s’occupaient principalement de commerce et d’artisanat, ainsi 80 % des artisans vitebskois 29 Marc Chagall, « Curriculum vitæ de Marc Chagall » dans Marc Chagall : les années russes, Catalogue d’exposition, Paris, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1995, p. 246. Ce curriculum vitæ de Marc Chagall est conservé dans le Département des manuscrits, Galerie d’État Trétiakov, Archives de P. I. Néradovski. 30 « C’est à elle que je dois tout. Je ne peux pas dire de façon plus concise ce qu’était cette femme géniale » : témoignage de Chagall. Voir « Curriculum vitæ de Marc Chagall » dans Marc Chagall : les années russes, op. cit., p. 246 ; « Je voudrais dire, que c’est en elle, quelque part, que s’était caché mon talent, que c’est par elle que tout m’était transmis, sauf son esprit » : Marc Chagall, Ma Vie, op. cit., p. 23. 31 Marc Chagall, Ma vie, op. cit., p. 29. 32 Chagall décrivit sa ville natale en ces termes : « [...] Witebsk. Ce dernier est un pays bien à part ; une ville singulière, ville malheureuse, ville ennuyeuse ». Ibid., p. 166. 25

pacifique, religieux, ayant pourtant moins de ressemblance avec les Juifs « typiques » et<br />

rappelant un paysan de Russie Blanche » 29 .<br />

L’influence de ses <strong>par</strong>ents dura tout au long de la vie de <strong>Chagall</strong>, surtout celle de sa<br />

mère 30 , et se manifesta fortement dans la vie privée de l’artiste. Elle était constamment<br />

présente non seulement dans la personne de <strong>Chagall</strong> mais encore dans son art. Ses <strong>par</strong>ents<br />

firent d’ailleurs <strong>par</strong>tie des éléments iconographiques récurrents. <strong>Chagall</strong> avoua jadis : « Si<br />

mon art ne jouait aucun rôle dans la vie de mes <strong>par</strong>ents, en revanche leur vie et leurs<br />

créations ont bien influencé mon art » 31 .<br />

Être Juif à Vitebsk, ville ordinaire<br />

<strong>La</strong> ville natale de l’artiste 32 , Vitebsk se situe en Biélorussie, non loin de la<br />

frontière lituanienne, sur un grand fleuve, la Dvina occidentale, et à l’affluent de deux<br />

rivières, la Lutchos et la Vitba d’où vient le nom de la ville. Sa fondation remonte à l’an<br />

974 et elle est devenue un centre administratif du Grand-Duché de Lithuanie à <strong>par</strong>tir de<br />

1101. <strong>La</strong> première trace de la présence des Juifs dans cette ville date de 1551 et leur séjour<br />

fut officiellement légalisé <strong>par</strong> un édit de <strong>La</strong>dislas IV en 1634. Or, la ville fut bientôt prise<br />

<strong>par</strong> l’armée russe et à <strong>par</strong>tir de 1772 elle fut intégrée dans l’empire. Mais il était défendu<br />

aux Juifs d’entrer en Russie en sortant de leur territoire originaire, qui devint désormais un<br />

ghetto géographique.<br />

Alors que Vitebsk connut un certain déclin aux XVIII ème et XIX ème siècles à cause<br />

des guerres russo-polonaises, elle prit de l’essor avec l’arrivée du chemin de fer en 1886.<br />

Une ligne relia Vitebsk aux grandes villes importantes comme Moscou, Saint-Pétersbourg<br />

et Kiev et elle devint un centre commercial et industriel assez important. En 1897, Vitebsk<br />

comptait presque 35 000 Juifs qui constituaient 52,4 % de la population totale. Les<br />

pouvoirs russes n’ayant pas accordé aux Juifs le droit de pratiquer l’agriculture, ils<br />

s’occupaient principalement de commerce et d’artisanat, ainsi 80 % des artisans vitebskois<br />

29 <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, « Curriculum vitæ de <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> » dans <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : les années russes, Catalogue<br />

d’exposition, <strong>Paris</strong>, Musée d’art moderne de la Ville de <strong>Paris</strong>, 1995, p. 246. Ce curriculum vitæ de <strong>Marc</strong><br />

<strong>Chagall</strong> est conservé dans le Dé<strong>par</strong>tement des manuscrits, Galerie d’État Trétiakov, Archives de P. I.<br />

Néradovski.<br />

30 « C’est à elle que je dois tout. Je ne peux pas dire de façon plus concise ce qu’était cette femme géniale » :<br />

témoignage de <strong>Chagall</strong>. Voir « Curriculum vitæ de <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> » dans <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : les années russes, op.<br />

cit., p. 246 ; « Je voudrais dire, que c’est en elle, quelque <strong>par</strong>t, que s’était caché mon talent, que c’est <strong>par</strong> elle<br />

que tout m’était transmis, sauf son esprit » : <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, Ma Vie, op. cit., p. 23.<br />

31 <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, Ma vie, op. cit., p. 29.<br />

32 <strong>Chagall</strong> décrivit sa ville natale en ces termes : « [...] Witebsk. Ce dernier est un pays bien à <strong>par</strong>t ; une ville<br />

singulière, ville malheureuse, ville ennuyeuse ». Ibid., p. 166.<br />

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