La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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trois anges (ill. 176) 794 , commencé dix ans plus tôt, garde la même composition que la planche VII (ill. 82) 795 de la Bible, car il est peint d’après la gouache préparatoire (ill. 177) 796 qui servit de point de départ à la gravure. Outre les huiles, d’autres œuvres graphiques à la gouache, au pastel et à l’encre témoignent également de la ressemblance avec les eaux-fortes de la Bible. Par exemple, Les Prophéties d’Isaïe 797 et Samson et Dalila 798 reprennent exactement les compositions des eaux-fortes sur le même sujet. Une simple comparaison suffit pour vérifier que seules les couleurs transformèrent la planche XCIV et LVI de la Bible en gouaches. Alors que les illustrations de la Bible sont nettement à la base des œuvres bibliques postérieures, celles-ci ne sont pas pour autant de simples reproductions. Bien entendu, les tableaux se distinguent d’abord des eaux-fortes par leurs couleurs. Par exemple, La Traversée de la Mer rouge impressionne par son bleu cobalt couvrant presque entièrement le tableau. Ce bleu puissant, la couleur dominante du tableau, est essentiellement celle de la mer rouge que le peuple traverse. Autrement dit, c’est par cette couleur captivante que l’artiste attire toute notre attention sur le contexte dans lequel le récit biblique se déroule. De plus, afin de donner un équilibre au tableau, Chagall appliqua du rouge sur les armées égyptiennes et du jaune sur Moïse guidant le peuple. Ces touches supplémentaires de couleur relèvent les principaux éléments du tableau, de telle sorte que celui-ci en devienne plus expressif. Quant à Moïse recevant les Tables de la Loi, l’artiste peignit le fond du tableau en noir pour que les éléments en couleurs ressortent avec plus d’intensité. Le plus étonnant, ce sont les Tables de la Loi peintes en couleur or. Sur ce fond noir intense, cette couleur brille comme si elle était vraiment de l’or caché dans les ténèbres. En ce qui concerne les autres couleurs, l’artiste ajouta seulement un peu de vert, de rouge, de bleu et de gris, sans doute pour ne pas atténuer la lueur extraordinaire des Tables de la Loi, l’élément le plus important de cette peinture. L’artiste enrichit également les tableaux d’éléments qui étaient absents dans les illustrations. Dans la dernière peinture citée, l’artiste peignit Moïse et les Tables d’un côté, 794 Abraham et les trois anges, 1940-1950, Huile sur toile, 125, 5 x 131 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 833. 795 Les Trois Anges reçus par Abraham (pl. VII), 1931-1934, Eau-forte, 30, 9 x 24, 7 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 796 Les Trois Anges reçus par Abraham, 1931, Huile et gouache, 62, 5 x 49 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 797 Les Prophéties d’Isaïe, 1956, Encre de Chine et gouache sur papier, 65 x 50 cm, Collection particulière ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 934. 798 Samson et Dalila, 1955, Gouache et encre de Chine sur papier, 65 x 50 cm, New York, Collection Hadassah et Josef Rosenaft ; cf. Ibid., cat. ill. 936. 226

et la foule de l’autre. L’illustration sur ce sujet montre seulement Moïse. La foule à côté qui est composée de gens de tous âges représenterait le peuple d’Israël qui attend le retour de Moïse avec les Tables de la Loi. Si l’illustration montre seulement la Loi de Dieu donnée à Moïse, le tableau, en figurant le peuple, élargit les relations : on passe de la relation privilégiée entre Dieu et Moïse à celle plus large de Dieu avec son peuple. Ce fait renforce le message de la peinture en soulignant le vrai sens du don de la Loi, qui est une alliance entre Dieu et son peuple. Par ailleurs, pour Abraham et les trois anges Chagall ajouta une autre scène dans le tableau : en haut à droite il peignit en petit la scène du sacrifice d’Isaac au moment où l’ange descend du ciel pour retenir le couteau d’Abraham. Cette scène préfigure l’avenir par rapport à ce qui se passe dans le tableau où Abraham reçoit les trois anges à table. Dans la Bible, ceux-ci annoncent à Abraham la naissance de son fils Isaac que l’Éternel demandera justement en sacrifice, la petite scène servant d’indication du futur à la scène principale. À ce propos, Franz Meyer mentionna que par cette « surcharge » 799 , Chagall modifia le caractère de la scène : si celle-ci ne montrait à l’origine que l’humble accueil réservé aux messagers divins, elle parle désormais « d’une relation déjà affermie par le bonheur et la souffrance » 800 , par l’annonce de la naissance de son fils puis par la demande de son sacrifice. Plusieurs interprétations sont possibles pour la deuxième scène ajoutée. Néanmoins, il nous semble important de noter d’abord que l’artiste, en ajoutant ici un élément du futur, élargit le temps dans le tableau, et qu’ainsi il nous permet de réfléchir au sujet dans une optique plus globale. Nous pourrions regrouper ces éléments supplémentaires en quelques catégories : les éléments précisant le sujet, les éléments élargissant la temporalité du tableau, et les éléments personnels. Si dans Moïse recevant les Tables de la Loi, l’élément nouveau, le peuple, complétait le sujet, dans Abraham et les trois anges, la petite scène ajoutée indiquait l’étape suivante de l’épisode. Chagall introduisit ensuite dans ces tableaux bibliques des motifs picturaux personnels. Dans Le roi David, nous trouvons plusieurs éléments typiquement chagalliens comme le bouquet de fleurs, la mariée, l’animal, le chandelier, la mère et l’enfant mais également l’autoportrait. Enfin, Moïse brisant les Tables contient toutes sortes d’éléments supplémentaires qui appartiennent à ces trois catégories. D’abord, Chagall peignit des mariés sous un dais, motif appartenant au souvenir de son mariage avec Bella à Vitebsk. Puis, sur le côté droit du tableau, l’artiste peignit une foule – le peuple au pied de la montagne, qui attend Moïse mais aussi qui adore 799 Ibid., p. 247. 800 Ibid. 227

et la foule de l’autre. L’illustration sur ce sujet montre seulement Moïse. <strong>La</strong> foule à côté<br />

qui est composée de gens de tous âges représenterait le peuple d’Israël qui attend le retour<br />

de Moïse avec les Tables de la Loi. Si l’illustration montre seulement la Loi de Dieu<br />

donnée à Moïse, le tableau, en figurant le peuple, élargit les relations : on passe de la<br />

relation privilégiée entre Dieu et Moïse à celle plus large de Dieu avec son peuple. Ce fait<br />

renforce le message de la peinture en soulignant le vrai sens du don de la Loi, qui est une<br />

alliance entre Dieu et son peuple. Par ailleurs, pour Abraham et les trois anges <strong>Chagall</strong><br />

ajouta une autre scène dans le tableau : en haut à droite il peignit en petit la scène du<br />

sacrifice d’Isaac au moment où l’ange descend du ciel pour retenir le couteau d’Abraham.<br />

Cette scène préfigure l’avenir <strong>par</strong> rapport à ce qui se passe dans le tableau où Abraham<br />

reçoit les trois anges à table. Dans la <strong>Bible</strong>, ceux-ci annoncent à Abraham la naissance de<br />

son fils Isaac que l’Éternel demandera justement en sacrifice, la petite scène servant<br />

d’indication du futur à la scène principale. À ce propos, Franz Meyer mentionna que <strong>par</strong><br />

cette « surcharge » 799 , <strong>Chagall</strong> modifia le caractère de la scène : si celle-ci ne montrait à<br />

l’origine que l’humble accueil réservé aux messagers divins, elle <strong>par</strong>le désormais « d’une<br />

relation déjà affermie <strong>par</strong> le bonheur et la souffrance » 800 , <strong>par</strong> l’annonce de la naissance de<br />

son fils puis <strong>par</strong> la demande de son sacrifice. Plusieurs interprétations sont possibles pour<br />

la deuxième scène ajoutée. Néanmoins, il nous semble important de noter d’abord que<br />

l’artiste, en ajoutant ici un élément du futur, élargit le temps dans le tableau, et qu’ainsi il<br />

nous permet de réfléchir au sujet dans une optique plus globale.<br />

Nous pourrions regrouper ces éléments supplémentaires en quelques catégories :<br />

les éléments précisant le sujet, les éléments élargissant la temporalité du tableau, et les<br />

éléments personnels. Si dans Moïse recevant les Tables de la Loi, l’élément nouveau, le<br />

peuple, complétait le sujet, dans Abraham et les trois anges, la petite scène ajoutée<br />

indiquait l’étape suivante de l’épisode. <strong>Chagall</strong> introduisit ensuite dans ces tableaux<br />

bibliques des motifs picturaux personnels. Dans Le roi David, nous trouvons plusieurs<br />

éléments typiquement chagalliens comme le bouquet de fleurs, la mariée, l’animal, le<br />

chandelier, la mère et l’enfant mais également l’autoportrait. Enfin, Moïse brisant les<br />

Tables contient toutes sortes d’éléments supplémentaires qui ap<strong>par</strong>tiennent à ces trois<br />

catégories. D’abord, <strong>Chagall</strong> peignit des mariés sous un dais, motif ap<strong>par</strong>tenant au<br />

souvenir de son mariage avec Bella à Vitebsk. Puis, sur le côté droit du tableau, l’artiste<br />

peignit une foule – le peuple au pied de la montagne, qui attend Moïse mais aussi qui adore<br />

799 Ibid., p. 247.<br />

800 Ibid.<br />

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