La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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Chagall ne sont pas les fleurs des champs dans leur contexte naturel » 721 , mais ce sont des fleurs cueillies et apportées à la maison. Elles sont alors particulièrement rayonnantes, mais aussi plus fragiles et éphémères. L’artiste lui-même l’expliqua en ces termes : « On peut longtemps réfléchir et penser sur le sens des fleurs mais pour moi elles sont la vie même dans son éclat heureux. On ne pourrait pas se passer de fleurs. Les fleurs font oublier un moment le drame mais elles peuvent aussi le refléter » 722 . Le bouquet de fleurs dans la crucifixion doit également avoir ce double sens. En effet, dans la symbolique chrétienne les fleurs évoquent le caractère éphémère de la vie humaine et en même temps son aboutissement dans le paradis après la mort 723 . Comme les représentations de fleurs des catacombes qui signifiaient l’espoir de la résurrection et de la vie éternelle au Ciel, le bouquet de fleurs dans les peintures de Chagall ferait référence à la résurrection du Christ, ainsi qu’à celle de l’artiste lui-même. 2. 2. La Vierge à l’enfant comme une figure éternelle de la maternité Les œuvres de Chagall relatives aux thèmes chrétiens sont largement dominées par le Christ, mais la Vierge est aussi quelque fois traitée. L’œuvre la plus représentative est sans doute la Madone du village 724 , peinte entre 1938 et 1942. Le tableau nous montre des personnages flottant dans le ciel au-dessus du village (ill. 162). La Madone dans une longue robe blanche et voilée comme une mariée se dresse, droite comme une statue, tenant son enfant nu dans ses bras. Un jeune homme descend du ciel pour lui déposer un baiser sur le front, et plusieurs anges et une vache musicienne s’approchent d’elle d’un air joyeux. Une grande bougie qui se dresse au-dessus du village chasse la nuit. Le ciel s’éclaircit en légère lumière bleutée, alors que sa partie haute s’habille déjà de lumière dorée. La solennité et la douceur qui émanent de la Madone, l’aspect festif des anges et la lumière magique créent une ambiance mystique et religieuse. La mère et son enfant accompagnés d’un homme rappellent la composition de la Sainte Famille, le premier sujet religieux important dans la peinture de Chagall. Mais c’est la mère portant l’enfant qui est 721 Bella Meyer, « Les bouquets de fleurs de Marc Chagall dans la rosace du Saillant », Chagall et le vitrail « De la pierre à la lumière », Catalogue d’exposition, ville de Clermont-Ferrand, musée des Beaux-Arts, 1993, pp. 66-71. 722 Marc Chagall cité dans André Verdet, Chagall méditerranéen, op. cit., p. 58. 723 Bella Meyer, « Les bouquets de fleurs de Marc Chagall dans la rosace du Saillant », art. cit., p. 67. 724 La Madone du village, 1938-1942, Huile sur toile, 97, 8 x 92, 1 cm, Madrid, Collection Fondation Thyssen-Bornemisza ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 747 ; Jacob Baal-Teshuva, Marc Chagall, op. cit., p. 148. 210
ici le motif principal. Chez Chagall la représentation de la Vierge est en effet toujours associée au motif de la mère avec son enfant. À part dans quelques tableaux, le sujet de la femme à l’enfant n’a pas été souvent traité chez l’artiste jusqu’aux environs des années 1940. Ce sont les persécutions sur les Juifs et la deuxième guerre mondiale qui ont déclenché la multiplication des figures de la mère à l’enfant dans des scènes de catastrophe. Il s’agit évidemment d’une représentation des Juifs réfugiés, d’un symbole de la victime innocente de la guerre. De nombreux tableaux relatifs à la guerre et à la crucifixion tels que L’Incendie dans la neige 725 , Le Village en feu 726 , Guerre 727 , Persécution 728 , L’Hiver 729 et bien d’autres encore font de l’image de la mère avec son enfant un des éléments essentiels du tableau. Parmi eux, la Crucifixion mexicaine (ill. 149) met beaucoup plus l’accent sur la mère portant l’enfant que sur le Christ. Nous ressentons plus intensément la souffrance causée par la guerre à travers cette figure de femme à l’enfant dans un paysage sinistré que par l’image de la crucifixion. Bien que misérable, cette figure debout portant un enfant, représentée devant le Christ sur la croix rappelle néanmoins la Madone (Mater Dolorosa). En outre, dans La Crucifixion en jaune, nous trouvons une autre association de la mère-victime et de la Vierge (ill. 151). Comme nous l’avons vu plus haut, au bas de ce tableau se trouve une mère donnant le sein à son enfant. Or, pour fuir devant le désastre elle est montée sur un cheval ou un âne, comme la Vierge durant la fuite en Égypte. D’ailleurs, quelques années plus tard, Chagall réalisa une céramique utilisant presque la même image, celle d’une mère assise sur un âne, et l’intitula cette fois-ci La Fuite en Égypte 730 (ill. 163). L’image de la Vierge sous les traits d’une mère avec son enfant, victime d’une catastrophe, commence à se modifier avec la fin de guerre. Elle est toujours représentée avec son enfant dans les bras, mais elle n’est plus placée au cœur du drame. Ce changement dans le traitement montre que Chagall suit le même schéma d’évolution pour la Vierge que pour le Christ. Celui-ci était figuré sur la croix comme symbole de la souffrance des Juifs persécutés et des victimes de la guerre, mais après celle-ci ce premier 725 L’Incendie dans la neige, vers 1940-1943, Gouache sur papier, 67, 6 x 51, 4 cm ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 690 ; Jacob Baal-Teshuva, Marc Chagall, op. cit., p. 153. 726 Le Village en feu, vers 1940-1943, Gouache sur papier, 67, 6 x 51, 4 cm, Moscou, Collection particulière ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 692 ; Jacob Baal-Teshuva, Marc Chagall, op. cit., p. 152. 727 Guerre, 1943, Huile sur toile, 105 x 76 cm, Paris, Musée national d’art moderne ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 693 ; Jacob Baal-Teshuva, Marc Chagall, op. cit., p. 161. 728 Persécution, 1941, Gouache sur papier, 55, 8 x 37, 4 cm, Los Angeles, Collection Mme James McLane ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 699. 729 L’Hiver, 1941, Huile sur toile, 37 x 27 cm, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. ill. 702. 730 La Fuite en Égypte, 1950, Carreau de céramique, 31 x 31 cm, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. ill. 852. 211
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<strong>Chagall</strong> ne sont pas les fleurs des champs dans leur contexte naturel » 721 , mais ce sont des<br />
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aussi plus fragiles et éphémères. L’artiste lui-même l’expliqua en ces termes : « On peut<br />
longtemps réfléchir et penser sur le sens des fleurs mais pour moi elles sont la vie même<br />
dans son éclat heureux. On ne pourrait pas se passer de fleurs. Les fleurs font oublier un<br />
moment le drame mais elles peuvent aussi le refléter » 722 . Le bouquet de fleurs dans la<br />
crucifixion doit également avoir ce double sens. En effet, dans la symbolique chrétienne<br />
les fleurs évoquent le caractère éphémère de la vie humaine et en même temps son<br />
aboutissement dans le <strong>par</strong>adis après la mort 723 . Comme les représentations de fleurs des<br />
catacombes qui signifiaient l’espoir de la résurrection et de la vie éternelle au Ciel, le<br />
bouquet de fleurs dans les peintures de <strong>Chagall</strong> ferait référence à la résurrection du Christ,<br />
ainsi qu’à celle de l’artiste lui-même.<br />
2. 2. <strong>La</strong> Vierge à l’enfant comme une figure éternelle de la maternité<br />
Les œuvres de <strong>Chagall</strong> relatives aux thèmes chrétiens sont largement dominées <strong>par</strong><br />
le Christ, mais la Vierge est aussi quelque fois traitée. L’œuvre la plus représentative est<br />
sans doute la Madone du village 724 , peinte entre 1938 et 1942. Le tableau nous montre des<br />
personnages flottant dans le ciel au-dessus du village (ill. 162). <strong>La</strong> Madone dans une<br />
longue robe blanche et voilée comme une mariée se dresse, droite comme une statue,<br />
tenant son enfant nu dans ses bras. Un jeune homme descend du ciel pour lui déposer un<br />
baiser sur le front, et plusieurs anges et une vache musicienne s’approchent d’elle d’un air<br />
joyeux. Une grande bougie qui se dresse au-dessus du village chasse la nuit. Le ciel<br />
s’éclaircit en légère lumière bleutée, alors que sa <strong>par</strong>tie haute s’habille déjà de lumière<br />
dorée. <strong>La</strong> solennité et la douceur qui émanent de la Madone, l’aspect festif des anges et la<br />
lumière magique créent une ambiance mystique et religieuse. <strong>La</strong> mère et son enfant<br />
accompagnés d’un homme rappellent la composition de la Sainte Famille, le premier sujet<br />
religieux important dans la peinture de <strong>Chagall</strong>. Mais c’est la mère portant l’enfant qui est<br />
721 Bella Meyer, « Les bouquets de fleurs de <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> dans la rosace du Saillant », <strong>Chagall</strong> et le vitrail<br />
« De la pierre à la lumière », Catalogue d’exposition, ville de Clermont-Ferrand, musée des Beaux-Arts,<br />
1993, pp. 66-71.<br />
722 <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> cité dans André Verdet, <strong>Chagall</strong> méditerranéen, op. cit., p. 58.<br />
723 Bella Meyer, « Les bouquets de fleurs de <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> dans la rosace du Saillant », art. cit., p. 67.<br />
724 <strong>La</strong> Madone du village, 1938-1942, Huile sur toile, 97, 8 x 92, 1 cm, Madrid, Collection Fondation<br />
Thyssen-Bornemisza ; cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. 747 ; Jacob Baal-Teshuva, <strong>Marc</strong><br />
<strong>Chagall</strong>, op. cit., p. 148.<br />
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