La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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Il semble donc que le message de la crucifixion change complètement. Il ne signifie plus la souffrance du peuple juif mais l’amour ou l’union mystique. Les amoureux au poteau 716 , une gouache de 1951, peut être interprétée dans le même sens (ill. 159). Le fond du tableau est constitué des éléments de la catastrophe comme les maisons renversées, le juif errant, la mère portant un enfant et les réfugiés. Cependant, le crucifié, symbole de la persécution, est remplacé par les amoureux, enlacés nus sur le poteau. L’artiste semble franchir un nouveau stade dans sa symbolique christique. Son Christ n’est plus agonisant mais peint au moment de la descente de croix et même ressuscité. Un tableau de 1947 La Résurrection au bord du fleuve 717 est une sorte de synthèse montrant l’évolution de l’artiste relative à ce sujet (ill. 160). Le tableau est divisé en deux parties séparées en diagonale. La partie gauche évoque sans doute un souvenir de guerre avec sa barque remplie de réfugiés et son Christ sur la croix flottant au-dessus d’eux comme s’il les protégeait. La mère portant son enfant, située au bout de la diagonale, sert d’élément qui sépare et relie en même temps les deux parties : elle représente à la fois les Juifs réfugiés, mais aussi la douceur de la maternité. Cette douceur participe d’ailleurs à l’ambiance paisible de l’autre partie du tableau : outre la mère et l’enfant, nous y voyons une femme nue au corps volumineux qui porte un bouquet de fleurs. Il y a également un violoniste, une femme qui lit à la lumière des bougies, et un autoportrait de l’artiste en train de peindre, représenté avec un double visage dont une tête de chèvre. Cet autoportrait de l’artiste peignant un tableau respire la paix, d’autant plus qu’il est entouré de motifs qui dégagent de la douceur, tels que des fleurs, un violoniste, une mère avec son enfant et une femme aux formes généreuses. Cette partie du tableau semble refléter un nouvel état d’esprit chez l’artiste à cette période. La figure du crucifié est présente, mais dans l’autre partie du tableau ; l’artiste regarde maintenant de l’autre côté, du côté de la vie. La fréquente mise en parallèle du Christ et de l’autoportrait chez Chagall nous laisse penser que ses peintures de crucifixion sont en quelque sorte des images autobiographiques. Comme nous l’avons étudié dans le premier chapitre, Chagall s’est souvent comparé lui-même au Christ, à travers ses écrits et sa peinture. Alors, ses figures du Christ souffrant sur la croix dans une scène de guerre expriment peut-être aussi sa propre douleur, comme s’il était lui-même cloué devant le peuple juif qui agonise sous ses Bülach (Suisse), Collection Dr. Alfred Wurmser ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 827. 716 Les Amoureux au poteau, 1951, Huile sur toile, 96 x 128 cm, New York, Collection J. Mitchelle ; cf. Ibid., cat. ill. 837. 717 La Résurrection au bord du fleuve, 1947, Huile sur toile, 74 x 99 cm, Collection particulière ; cf. Marc Chagall et la Bible, op. cit., cat. n° 29 ; Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 780. 208
yeux. Cette peine atroce s’adoucit avec la fin de la guerre, l’artiste ainsi que le Christ peuvent se consoler. Dans ce contexte, nous pouvons penser que la partie gauche de La Résurrection au bord du fleuve est inspirée par des éléments autobiographiques de la vie de l’artiste. Vers la fin de la guerre, Chagall a rencontré la jeune Virginia et l’année suivante il a eu un fils avec elle. Alors que la guerre et la mort de Bella ne sont pas encore totalement effacées de sa mémoire, l’artiste est entré dans une autre phase de sa vie : il a un nouvel amour et un nouvel enfant. Comme s’il était lui-même ressuscité de la mort, il peint de nouveau et chante la vie comme dans le tableau. Une lithographie 718 des années 1950 associe également le thème de la crucifixion à la douceur de la vie. Dans cette planche, nous voyons le Christ sur la croix, une chèvre qui monte vers lui grâce à une échelle, une mère qui porte son enfant, et une femme qui tend un grand bouquet de fleurs (ill. 161). Le rayon de lumière qui descend du ciel illumine la scène, en faisant paraître plus nettement la jeune fille au bouquet. L’apparition d’un bouquet de fleurs dans la scène de la crucifixion a une importance symbolique. Les fleurs font en effet parti des motifs picturaux chagalliens ayant un sens particulier. Les bouquets de fleurs commencèrent à apparaître dans l’œuvre de Chagall suite à sa rencontre avec Bella. C’est elle qui lui avait ouvert les yeux sur les couleurs lumineuses des fleurs en lui en apportant pour la première fois de sa vie. À partir de ce moment-là, l’artiste introduisit l’image du bouquet de fleurs dans son œuvre. Ainsi, ses toutes premières peintures 719 montrent des fleurs dans un vase. Ensuite, en 1923 lorsque Chagall s’installa définitivement à Paris après avoir passé des années tumultueuses en Russie, et qu’il commença à profiter de la douceur de la vie, les fleurs réapparurent pour occuper une place de plus en plus importante dans sa peinture. Mais ce fut surtout dans le sud de la France que l’artiste découvrit vraiment l’éclat des fleurs : « Là, dans le Midi, pour la première fois de ma vie, je voyais une verdure généreuse en fleurs comme je n’en avais vu de pareille dans ma ville natale » 720 . Enfin, pour Chagall, les fleurs en bouquet sont associées à l’amour que Bella lui apportait, et à la lumière que son nouveau pays lui offrait. Mais les fleurs étaient pour lui comme la vie elle-même, vives, brillantes mais aussi fragiles. Comme Bella Meyer le fit remarquer, il faut noter que « les fleurs dans la peinture de 718 La crucifixion, vers 1950-1953, Lithographie originale, 42, 3 x 33, 5 cm, Mourlot n° 76 ; cf. Ibid., cat. ill. 845. 719 La fenêtre, vers 1908-1909, Huile sur toile, 66 x 58 cm, Saint-Pétersbourg, Collection Zinaïda Gordééva (cf. Ibid., cat. ill. 21) ; Le couple à table, 1909, Huile sur toile, 62 x 81 cm (cf. Ibid., cat. ill. 22). 720 Marc Chagall, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 52. 209
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Il semble donc que le message de la crucifixion change complètement. Il ne signifie plus la<br />
souffrance du peuple juif mais l’amour ou l’union mystique. Les amoureux au poteau 716 ,<br />
une gouache de 1951, peut être interprétée dans le même sens (ill. 159). Le fond du tableau<br />
est constitué des éléments de la catastrophe comme les maisons renversées, le juif errant, la<br />
mère portant un enfant et les réfugiés. Cependant, le crucifié, symbole de la persécution,<br />
est remplacé <strong>par</strong> les amoureux, enlacés nus sur le poteau. L’artiste semble franchir un<br />
nouveau stade dans sa symbolique christique. Son Christ n’est plus agonisant mais peint au<br />
moment de la descente de croix et même ressuscité. Un tableau de 1947 <strong>La</strong> Résurrection<br />
au bord du fleuve 717 est une sorte de synthèse montrant l’évolution de l’artiste relative à ce<br />
sujet (ill. 160). Le tableau est divisé en deux <strong>par</strong>ties sé<strong>par</strong>ées en diagonale. <strong>La</strong> <strong>par</strong>tie<br />
gauche évoque sans doute un souvenir de guerre avec sa barque remplie de réfugiés et son<br />
Christ sur la croix flottant au-dessus d’eux comme s’il les protégeait. <strong>La</strong> mère portant son<br />
enfant, située au bout de la diagonale, sert d’élément qui sé<strong>par</strong>e et relie en même temps les<br />
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maternité. Cette douceur <strong>par</strong>ticipe d’ailleurs à l’ambiance paisible de l’autre <strong>par</strong>tie du<br />
tableau : outre la mère et l’enfant, nous y voyons une femme nue au corps volumineux qui<br />
porte un bouquet de fleurs. Il y a également un violoniste, une femme qui lit à la lumière<br />
des bougies, et un autoportrait de l’artiste en train de peindre, représenté avec un double<br />
visage dont une tête de chèvre.<br />
Cet autoportrait de l’artiste peignant un tableau respire la paix, d’autant plus qu’il<br />
est entouré de motifs qui dégagent de la douceur, tels que des fleurs, un violoniste, une<br />
mère avec son enfant et une femme aux formes généreuses. Cette <strong>par</strong>tie du tableau semble<br />
refléter un nouvel état d’esprit chez l’artiste à cette période. <strong>La</strong> figure du crucifié est<br />
présente, mais dans l’autre <strong>par</strong>tie du tableau ; l’artiste regarde maintenant de l’autre côté,<br />
du côté de la vie. <strong>La</strong> fréquente mise en <strong>par</strong>allèle du Christ et de l’autoportrait chez <strong>Chagall</strong><br />
nous laisse penser que ses peintures de crucifixion sont en quelque sorte des images<br />
autobiographiques. Comme nous l’avons étudié dans le premier chapitre, <strong>Chagall</strong> s’est<br />
souvent com<strong>par</strong>é lui-même au Christ, à travers ses écrits et sa peinture. Alors, ses figures<br />
du Christ souffrant sur la croix dans une scène de guerre expriment peut-être aussi sa<br />
propre douleur, comme s’il était lui-même cloué devant le peuple juif qui agonise sous ses<br />
Bülach (Suisse), Collection Dr. Alfred Wurmser ; cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. 827.<br />
716<br />
Les Amoureux au poteau, 1951, Huile sur toile, 96 x 128 cm, New York, Collection J. Mitchelle ; cf. Ibid.,<br />
cat. ill. 837.<br />
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<strong>La</strong> Résurrection au bord du fleuve, 1947, Huile sur toile, 74 x 99 cm, Collection <strong>par</strong>ticulière ; cf. <strong>Marc</strong><br />
<strong>Chagall</strong> et la <strong>Bible</strong>, op. cit., cat. n° 29 ; Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. 780.<br />
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