La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
personnelles – de sa souffrance à son espoir – laissent des empreintes, et modifient l’ambiance. Nous allons observer quelles sont les nouvelles problématiques de ces images, dont le sujet religieux s’imprègne de plus en plus du vécu de l’artiste et reflète davantage son affectivité. 2. 1. Le Christ, de la Crucifixion à la Résurrection Les tableaux à caractère religieux qui suivent l’exil de l’artiste reprennent d’abord l’atmosphère des œuvres précédentes. Notamment la Crucifixion, comme métaphore de la souffrance du peuple juif, qui occupe une place centrale dans cette thématique. Ces tableaux de crucifiés, créés en même temps que d’autres œuvres sur la guerre, dégagent une forte ambiance de mort. En 1941, l’année de son exil, l’artiste peignit plusieurs tableaux de crucifiés. Le Christ en jaune 697 , Étude pour « Obsession » 698 , Descente de croix 699 , Persécution 700 , Le Christ aux bougies 701 et L’Hiver 702 représentent tous une scène de guerre autour du Christ sur la croix : les maisons sont brûlées et les gens s’enfuient. Au pied de la croix, les réfugiés, souvent représentés par un Juif portant un sac à l’épaule, une canne à la main et par une mère portant son enfant, implorent le Christ. Sa souffrance est celle du peuple juif – le Christ porte toujours le Talit, comme signe de sa judéité. La douleur est aussi exprimée par la couleur du tableau. Dans la Crucifixion mexicaine 703 (ill. 149) qui représente une femme pieds nus, tenant son enfant dans ses bras, « la couleur s’accorde » 704 à l’expérience douloureuse. Le ciel est envahi de rouge orangé très chaud comme pour signifier la chaleur d’un incendie, et la terre est teintée d’ocre foncée comme de cendres. Le vêtement bleu indigo de la femme est taché du même rouge et de la même ocre que le ciel et la terre, comme s’il reflétait la catastrophe à laquelle la 697 La Crucifixion en jaune, 1943, Huile sur toile, 140 x 101 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. A. 186. 698 Étude pour « Obsession », 1941, Gouache sur papier, 37 x 53, 5 cm, Paris, Succession Ida Chagall ; cf. Ibid., cat. ill. 697. 699 Descente de croix, 1941, Gouache sur papier, 48, 7 x 33 cm, Los Angeles, Collection Mme James McLane ; cf. Ibid., cat. ill. 698. 700 Persécution, 1941, Gouache sur papier, 55, 8 x 37, 4 cm, Los Angeles, Collection Mme James McLane ; cf. Ibid., cat. ill. 699. 701 Le Christ aux bougies, 1941, Gouache sur papier, Les États-Unis, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. ill. 700. 702 L’Hiver, 1941, Huile sur toile, 37 x 27 cm, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. ill. 702. 703 Crucifixion mexicaine, vers 1941-1943, Gouache et pastel sur papier, 56 x 51 cm, Collection particulière ; cf. Ibid., cat. ill. 711. 704 Ibid., p. 211. 204
femme venait d’échapper. Quant à Obsession 705 de 1943, peinte presque entièrement en rouge, couleur de feu, Chagall met en avant une pauvre maison brûlée (ill. 150). De la fumée jaune sort de ses fenêtres. Devant cette maison, le char d’une paysanne attelé à un cheval bleu porte un bébé qui semble pleurer. En effet, le village tout entier semble être en flammes : tout le paysage autour de la maison est rouge même le ciel. Cette atmosphère grave est accentuée par le crucifié vert, positionné en déséquilibre à côté de la maison. Un homme portant un chandelier gigantesque s’approche du crucifié, et au-dessus de lui une femme accroupie paraît se lamenter. La maison incendiée, les gens en lamentation ou en fuite, le chandelier allumé sont encore présents ici comme éléments de base constituant l’image de la crucifixion chez Chagall. Comme La Crucifixion blanche et Le Martyr que nous avons étudiés dans la première partie, La Crucifixion en jaune est une synthèse d’éléments de sinistre autour du Christ sur la croix (ill. 151). Nous y voyons des maisons en flammes ou détruites, des réfugiés, des noyés autour d’un bateau qui coule, et une mère donnant le sein à son enfant sur un cheval ou un âne. Cette dernière figure rappelle la Vierge durant la fuite en Égypte et concourt avec le porteur d’échelle au pied de la croix au thème du Christ. Or, dans ce tableau, le Christ est complètement représenté comme un Juif. Dans La Crucifixion blanche et Le Martyr, la judéité de sa personne est exprimée par le Talit, châle de prière, enveloppant son corps. De même, dans La Crucifixion en jaune, le rein du Christ est entouré par un Talit, mais cette fois-ci l’identité du Christ est doublement soulignée : il porte aussi sur sa tête et son bras les Tephillin, arborés par les Juifs pendant la prière du matin. La volonté de l’artiste de manifester la judaïté dans ce tableau semble évidente à travers tous ces objets de la symbolique juive : à côté du Christ, un énorme rouleau de la Torah est ouvert, indiquant le chemin de vie pour tous les Juifs, et en dessous, un ange portant une bougie, symbolisant la lumière, joue du chofar, l’instrument invoquant le pardon divin. En somme, le message de la crucifixion pour Chagall est centré sur la persécution des Juifs. Le tableau Les Crucifiés 706 rend plus clair le message de l’artiste. Dans ce tableau, ce n’est plus le Christ qui est sur la croix, mais de simples Juifs (ill. 152). Le chapeau noir et le plastron de toile que porte un des crucifiés nous permettent de comprendre qu’il est un Juif condamné à mort. Les morts sur la croix sont nombreux dans ce village sinistré. Nous y voyons des maisons détruites et vides ; seuls les cadavres sont visibles dans la rue entièrement recouverte de neige. Une grande figure d’homme assis 705 Obsession, 1943, Huile sur toile, 77 x 108 cm, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne ; cf. Marc Chagall et la Bible, Catalogue d’exposition, Genève, Musée Rath, 1962, cat. n° 26. 706 Les Crucifiés, 1944, Gouache sur papier, 62, 5 x 47, 5 cm, Cleveland, Collection M. et Mme Victor Babin ; cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. A. 185. 205
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personnelles – de sa souffrance à son espoir – laissent des empreintes, et modifient<br />
l’ambiance. Nous allons observer quelles sont les nouvelles problématiques de ces images,<br />
dont le sujet religieux s’imprègne de plus en plus du vécu de l’artiste et reflète davantage<br />
son affectivité.<br />
2. 1. Le Christ, de la Crucifixion à la Résurrection<br />
Les tableaux à caractère religieux qui suivent l’exil de l’artiste reprennent d’abord<br />
l’atmosphère des œuvres précédentes. Notamment la Crucifixion, comme métaphore de la<br />
souffrance du peuple juif, qui occupe une place centrale dans cette thématique. Ces<br />
tableaux de crucifiés, créés en même temps que d’autres œuvres sur la guerre, dégagent<br />
une forte ambiance de mort. En 1941, l’année de son exil, l’artiste peignit plusieurs<br />
tableaux de crucifiés. Le Christ en jaune 697 , Étude pour « Obsession » 698 , Descente de<br />
croix 699 , Persécution 700 , Le Christ aux bougies 701 et L’Hiver 702 représentent tous une scène<br />
de guerre autour du Christ sur la croix : les maisons sont brûlées et les gens s’enfuient. Au<br />
pied de la croix, les réfugiés, souvent représentés <strong>par</strong> un Juif portant un sac à l’épaule, une<br />
canne à la main et <strong>par</strong> une mère portant son enfant, implorent le Christ. Sa souffrance est<br />
celle du peuple juif – le Christ porte toujours le Talit, comme signe de sa judéité.<br />
<strong>La</strong> douleur est aussi exprimée <strong>par</strong> la couleur du tableau. Dans la Crucifixion<br />
mexicaine 703 (ill. 149) qui représente une femme pieds nus, tenant son enfant dans ses bras,<br />
« la couleur s’accorde » 704 à l’expérience douloureuse. Le ciel est envahi de rouge orangé<br />
très chaud comme pour signifier la chaleur d’un incendie, et la terre est teintée d’ocre<br />
foncée comme de cendres. Le vêtement bleu indigo de la femme est taché du même rouge<br />
et de la même ocre que le ciel et la terre, comme s’il reflétait la catastrophe à laquelle la<br />
697 <strong>La</strong> Crucifixion en jaune, 1943, Huile sur toile, 140 x 101 cm, Nice, Musée National Message Biblique<br />
<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> ; cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. A. 186.<br />
698 Étude pour « Obsession », 1941, Gouache sur papier, 37 x 53, 5 cm, <strong>Paris</strong>, Succession Ida <strong>Chagall</strong> ; cf.<br />
Ibid., cat. ill. 697.<br />
699 Descente de croix, 1941, Gouache sur papier, 48, 7 x 33 cm, Los Angeles, Collection Mme James<br />
Mc<strong>La</strong>ne ; cf. Ibid., cat. ill. 698.<br />
700 Persécution, 1941, Gouache sur papier, 55, 8 x 37, 4 cm, Los Angeles, Collection Mme James Mc<strong>La</strong>ne ;<br />
cf. Ibid., cat. ill. 699.<br />
701 Le Christ aux bougies, 1941, Gouache sur papier, Les États-Unis, Collection <strong>par</strong>ticulière ; cf. Ibid., cat. ill.<br />
700.<br />
702 L’Hiver, 1941, Huile sur toile, 37 x 27 cm, Collection <strong>par</strong>ticulière ; cf. Ibid., cat. ill. 702.<br />
703 Crucifixion mexicaine, vers 1941-1943, Gouache et pastel sur papier, 56 x 51 cm, Collection <strong>par</strong>ticulière ;<br />
cf. Ibid., cat. ill. 711.<br />
704 Ibid., p. 211.<br />
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