La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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eprésente le paysage réel du site, comparable à une photographie. Le fait que Chagall se soit servi de ses peintures réalisées lors de son voyage en Palestine risque d’alimenter l’idée que l’ensemble de ses illustrations pour la Bible est un travail bien documenté. Mais, Chagall a effectué son voyage ainsi que son travail sur la Bible sans aucun but documentaire. L’artiste jugeait que la recherche archéologique était inutile et qu’il n’avait pas besoin d’aller en Palestine si c’était pour la documentation. Selon lui, on pouvait très bien trouver le même paysage qu’en Palestine dans un pays nord-africain, beaucoup plus proche de la France. Nous pouvons en effet vérifier cette idée de l’artiste dans la plupart de ses illustrations. Les pharaons de Chagall en sont un exemple typique qui nous permet de remarquer son insouciance du réalisme vériste sur le contexte du monde biblique. Dans la planche XXII, le pharaon qui s’entretient avec Joseph porte un vêtement à dentelles et une couronne modeste (ill. 133) ; cette apparence est très loin de la représentation traditionnelle du pharaon que nous connaissons à travers l’art égyptien. Nous comprenons alors qu’il n’est nullement représenté selon les coutumes pharaoniques mais comme un roi « ordinaire », comme dans un conte. En effet, l’artiste lui a donné plutôt l’apparence générique d’un roi qui appartient à l’imaginaire commun. Cette approche de Chagall se distingue nettement de celle des artistes de l’époque précédente. James Tissot (1836-1902), un des grands illustrateurs de la fin du XIX e siècle, avait comme objectif dans ses illustrations de montrer les sites bibliques tels qu’ils étaient réellement 631 . Il fit des voyages en Palestine en 1886, 1889 et encore en 1896, afin de réaliser ses illustrations sur la vie du Christ 632 et sur l’Ancien Testament 633 . Sur place, il a créé des aquarelles et des dessins pour ses projets en utilisant abondamment la photographie comme référence. En réalité, ses scènes bibliques sont traitées comme des peintures de genre sur l’Antiquité orientale, comme si elles avaient été reconstruites selon une étude ethnographique. Ses scènes sont très soignées que ce soit le paysage, le décor ou même les détails, en particulier ceux des costumes. Son illustration sur le même sujet que Chagall, « Joseph expliquant les songes de pharaon », permet de remarquer le décalage entre les deux artistes. L’image de Tissot nous montre non seulement le pharaon et d’autres 631 Cf. Russell Ash, James Tissot, Paris, Herscher, 1993 (pour l’édition française). 632 En 1894, après huit ans de travail, il avait réalisé jusqu’à deux cent quatre-vingt-dix dessins sur La Vie de N.-S. Jésus-Christ. Il exposa la série complète de trois cent soixante-cinq illustrations en 1895, à Paris, et l’année suivante à Londres. Cette entreprise monumentale fut publiée par les éditions Mame, à Tours, en 1896-1897. 633 En 1896, âgé de soixante ans, Tissot retourna en Palestine pour réaliser un ensemble de dessins sur l’Ancien Testament (aujourd’hui au musée Juif de New York). Il travailla sur ce projet jusqu’à sa mort en 1902, après avoir créé la moitié des quatre cents illustrations prévues. Complétée par d’autres artistes, la Sainte Bible (Ancien Testament) fut publiée en 1904. 182

personnages dans le costume du pays mais aussi un mur décoré de peintures égyptiennes (ill. 138) 634 . Ce réalisme archéologique, issu sans doute de l’orientalisme de l’époque, va tout à fait à l’encontre de ce que Chagall cherchait à faire dans ses illustrations. Chagall n’a pas essayé de reconstituer la réalité de l’époque biblique, mais il a cherché à transmettre le message important de chaque épisode. Quant à sa planche représentant la tombe de Rachel (ill. 26) 635 , nous savons grâce à la photographie du site qu’elle montre le paysage réel de la Palestine. Mais quand nous la regardons sans y penser, cette planche semble être simplement une peinture de paysage plutôt que l’illustration d’un texte biblique. Ce paysage présentant un monument vu de l’extérieur et un chameau de passage est un véritable tableau qui montre la beauté du paysage palestinien, baigné dans une douce lumière. Même sans savoir qu’il s’agit du monument funéraire de Rachel, nous pouvons regarder et apprécier la beauté de ce paysage paisible. Or, ce paysage, bien qu’il soit représenté dans le cadre de l’Ancien Testament, ne cherche pas à évoquer seulement la trace du passé, celle de l’époque biblique. Pour Chagall, il est le paysage du présent et aussi du futur, c’est-à-dire le paysage qu’il voit devant ses yeux et qu’il veut montrer au monde. C’est donc quelque chose d’immuable qu’il s’est efforcé de réaliser dans son tableau, de telle sorte que celui-ci reste touchant et accessible en tout temps. Dans cet exemple comme dans celui du pharaon, le fait que Chagall ne précise clairement ni le temps ni l’espace permet en effet au message de ses illustrations d’être universel et intemporel. L’artiste lui-même a exprimé son éloignement de la recherche vériste du monde biblique en ces termes : « À travers la sagesse de la Bible, je vois les événements de la vie et les œuvres d’art. Une vraie grande œuvre est traversée par son esprit et son harmonie. [...] Comme dans ma vie intérieure l’esprit et le monde de la Bible occupent une grande place, j’ai essayé de l’exprimer. Il est essentiel de représenter les éléments du monde qui ne sont pas visibles et non de reproduire la nature dans tous ses aspects » 636 . Au lieu de se soucier des probables apparences du monde biblique, Chagall a pris beaucoup de soins aux descriptions des visages des personnages. Meyer Schapiro a 634 James Tissot, Joseph explique les songes à Pharaon, ill. n° 68 dans La Sainte Bible (Ancien Testament), quatre cents compositions par J.-James Tissot, Paris, M. De Brunoff & C ie , 1904. 635 Le Monument du sépulcre de Rachel, sur le chemin d’Ephrata (pl. XVII), 1931-1934, Eau-forte, 24, 1 x 30, 9 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 636 Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, Marc Chagall de Draeger, op. cit., p. 193. 183

personnages dans le costume du pays mais aussi un mur décoré de peintures égyptiennes<br />

(ill. 138) 634 . Ce réalisme archéologique, issu sans doute de l’orientalisme de l’époque, va<br />

tout à fait à l’encontre de ce que <strong>Chagall</strong> cherchait à faire dans ses illustrations. <strong>Chagall</strong> n’a<br />

pas essayé de reconstituer la réalité de l’époque biblique, mais il a cherché à transmettre le<br />

message important de chaque épisode. Quant à sa planche représentant la tombe de Rachel<br />

(ill. 26) 635 , nous savons grâce à la photographie du site qu’elle montre le paysage réel de la<br />

Palestine. Mais quand nous la regardons sans y penser, cette planche semble être<br />

simplement une peinture de paysage plutôt que l’illustration d’un texte biblique. Ce<br />

paysage présentant un monument vu de l’extérieur et un chameau de passage est un<br />

véritable tableau qui montre la beauté du paysage palestinien, baigné dans une douce<br />

lumière. Même sans savoir qu’il s’agit du monument funéraire de Rachel, nous pouvons<br />

regarder et apprécier la beauté de ce paysage paisible. Or, ce paysage, bien qu’il soit<br />

représenté dans le cadre de l’Ancien Testament, ne cherche pas à évoquer seulement la<br />

trace du passé, celle de l’époque biblique. Pour <strong>Chagall</strong>, il est le paysage du présent et<br />

aussi du futur, c’est-à-dire le paysage qu’il voit devant ses yeux et qu’il veut montrer au<br />

monde. C’est donc quelque chose d’immuable qu’il s’est efforcé de réaliser dans son<br />

tableau, de telle sorte que celui-ci reste touchant et accessible en tout temps. Dans cet<br />

exemple comme dans celui du pharaon, le fait que <strong>Chagall</strong> ne précise clairement ni le<br />

temps ni l’espace permet en effet au message de ses illustrations d’être universel et<br />

intemporel. L’artiste lui-même a exprimé son éloignement de la recherche vériste du<br />

monde biblique en ces termes :<br />

« À travers la sagesse de la <strong>Bible</strong>, je vois les événements de la vie et les œuvres d’art.<br />

Une vraie grande œuvre est traversée <strong>par</strong> son esprit et son harmonie. [...] Comme dans<br />

ma vie intérieure l’esprit et le monde de la <strong>Bible</strong> occupent une grande place, j’ai essayé<br />

de l’exprimer. Il est essentiel de représenter les éléments du monde qui ne sont pas<br />

visibles et non de reproduire la nature dans tous ses aspects » 636 .<br />

Au lieu de se soucier des probables ap<strong>par</strong>ences du monde biblique, <strong>Chagall</strong> a pris<br />

beaucoup de soins aux descriptions des visages des personnages. Meyer Schapiro a<br />

634 James Tissot, Joseph explique les songes à Pharaon, ill. n° 68 dans <strong>La</strong> Sainte <strong>Bible</strong> (Ancien Testament),<br />

quatre cents compositions <strong>par</strong> J.-James Tissot, <strong>Paris</strong>, M. De Brunoff & C ie , 1904.<br />

635 Le Monument du sépulcre de Rachel, sur le chemin d’Ephrata (pl. XVII), 1931-1934, Eau-forte, 24, 1 x<br />

30, 9 cm, Nice, Musée National Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />

636 Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> de Draeger, op. cit., p. 193.<br />

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