La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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chronologie. Dans l’iconographie hébraïque, Aaron est représenté seulement en qualité de porte-parole de Moïse et de grand-prêtre s’occupant du chandelier 595 . Si nous pouvons faire le même constat dans la Bible illustrée par Chagall, l’artiste y a mélangé ces deux éléments (pl. XXIX) puisque Aaron est représenté en costume de grand-prêtre dès qu’il se rend devant le pharaon comme porte-parole de Moïse (ill. 127) 596 . Mais, selon la Bible, Aaron n’est devenu grand-prêtre qu’après la sortie d’Égypte. Cette façon anachronique de donner un attribut à un personnage a été remarquée par des critiques de Chagall, surtout en ce qui concerne sa représentation de Moïse. Comme nous l’avons brièvement mentionné dans l’analyse des illustrations sur les poèmes de Lyesin, Chagall a peint Moïse avec deux cornes. On cherche en général l’origine de cette représentation, adoptée depuis longtemps par des artistes comme Michel-Ange, dans les Écritures et leur traduction en latin par saint Jérôme. Un passage de l’Exode nous dit : « Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï [...] la peau de son visage rayonnait [...] » 597 . Le rayonnement, reflet de la gloire divine, est appelé par la Vulgate « des cornes », car le mot ‘rayon’ et le mot ‘corne’ ont la même racine ‘k-r-n-’. Selon Meyer Schapiro, cette ressemblance du mot latin cornu au mot rayon, et le fait que dans l’Antiquité les divinités à cornes aient existé, ont peut-être contribué à l’invention de cette représentation 598 . Quoi qu’il en soit, les deux cornes sont devenues l’attribut de Moïse. En adoptant cette tradition, Chagall a dessiné Moïse avec des traits sur ses deux côtés de la tête pour signifier ses cornes, depuis le moment où il s’est mis devant le buisson ardent (ill. 66). Cependant, dans la Bible, le visage de Moïse n’a rayonné que lorsqu’il est descendu de la montagne après avoir reçu de Dieu les tablettes de la Loi. Pareillement au cas d’Aaron, Chagall se soucie peu d’anachronisme lorsqu’il représente Moïse en faisant des cornes une caractéristique intemporelle du personnage. Dans la planche XXIX nous remarquons que ces deux personnages, quand ils se présentent devant le Pharaon, sont dotés tous les deux de leurs attributs anachroniques, habit de grand prêtre pour l’un et cornes pour l’autre. En réalité, cette singularité de Chagall à définir un personnage par un attribut a été comparée à la peinture traditionnelle d’icônes lorsqu’elles représentent des personnages bibliques. Néanmoins, nous préférons ici nous référer plutôt à des images de l’art médiéval ; deux d’entre elles nous intéressent particulièrement. La première image est tirée 595 Gabrielle Sed-Rajna, La Bible hébraïque, op. cit., p. 96. 596 Moïse et son frère Aaron se présentent devant Pharaon et lui réclament la liberté du peuple d’Israël (pl. XXIX), 1931-1934, Eau-forte, 29, 5 x 23, 4 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 597 Exode XXXIV, 29. 598 Voir l’introduction de Schapiro dans la revue Verve Vol. VIII, N os 33 et 34, op. cit. 172
du même manuscrit hébreu du XIII e siècle 599 dont nous nous sommes servis pour étudier les illustrations d’Aaron et de Salomon présentés en taille extraordinaire. Le peintre médiéval y représente les Hébreux traversant la mer de roseaux en sortant d’Égypte (ill. 128). Dans le ciel, deux anges les guident, et sur l’eau, Moïse, soulevant son bras, dirige le peuple. Tenant un bâton dans sa main droite, Moïse tient un autre objet dans sa main gauche. Il s’agit d’une tablette de la Loi. Or, cette dernière n’a été donnée à Moïse que bien après cet événement. Ceci nous montre que le peintre médiéval avait la même idée que Chagall : en dépit de l’anachronisme évident, il a utilisé un attribut pour donner une dimension symbolique importante dans la description du personnage. Un deuxième exemple s’apparente complètement aux illustrations de Chagall, non seulement dans le concept mais aussi dans le sujet : il s’agit d’une vitre du XIII e siècle de la Cathédrale de Chartres qui représente Moïse devant le buisson ardent (ill. 129) 600 . Moïse semble s’entretenir avec le Seigneur qui est apparu au-dessus du buisson en face de lui. En figurant le Christ sur le buisson, l’artiste médiéval se distingue de Chagall qui y a mis le Tétragramme, mais sur la tête de Moïse qui regarde le Christ, les deux cornes longues et courbées sont clairement marquées. Il est ainsi intéressant de constater là le parallèle entre l’imagier médiéval et Chagall. Dans la planche XXX, Chagall représente Moïse et son bâton transformé en serpent. Il s’agit de l’épisode dans lequel Moïse effectue cette démonstration de signe miraculeux afin de prouver au pharaon que sa mission provient de Dieu. Pour cet épisode, Chagall a illustré d’abord sur le premier plan Moïse et le serpent en dimensions importantes (ill. 87) 601 . Il a illustré ensuite en arrière plan une autre scène en petit : une foule se montre stupéfaite autour du pharaon, représenté sur un trône. Derrière lui, parmi la foule, il y a des personnages très agités et des bêtes, qui tombent partout. Il n’est pas évident d’identifier tous ces détails parce qu’ils sont dessinés tout petits, mais il est important de comprendre ce qu’ils représentent. Il s’agit des épisodes qui suivent la démonstration de Moïse avec son bâton. Malgré les arguments de Moïse, le pharaon a persisté dans son refus à laisser partir les Hébreux, et il en a subi le châtiment de Dieu. 599 Londres, British Library, Add. Ms. 11639, folio 120 r. 600 Moïse et le buisson ardent, 1210-1225, Verre, Chartres, Cathédrale (Baie 102 (119)). Cf. Yves Delaporte et Etienne Houvet, Les Vitraux de La Cathédrale de Chartres (planches III), Chartres, E. Houvet, éditeur, 1926, pl. CCXXIV ; Baie CXIX (partie inférieure). 601 Moïse jette son bâton qui est transformé en serpent sur l’ordre de l’Éternel, geste que refera Aaron, en présence de Moïse devant Pharaon (pl. XXX), 1931-1934, Eau-forte, 30 x 23, 4 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 173
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du même manuscrit hébreu du XIII e siècle 599 dont nous nous sommes servis pour étudier<br />
les illustrations d’Aaron et de Salomon présentés en taille extraordinaire. Le peintre<br />
médiéval y représente les Hébreux traversant la mer de roseaux en sortant d’Égypte (ill.<br />
128). Dans le ciel, deux anges les guident, et sur l’eau, Moïse, soulevant son bras, dirige le<br />
peuple. Tenant un bâton dans sa main droite, Moïse tient un autre objet dans sa main<br />
gauche. Il s’agit d’une tablette de la Loi. Or, cette dernière n’a été donnée à Moïse que bien<br />
après cet événement. Ceci nous montre que le peintre médiéval avait la même idée que<br />
<strong>Chagall</strong> : en dépit de l’anachronisme évident, il a utilisé un attribut pour donner une<br />
dimension symbolique importante dans la description du personnage. Un deuxième<br />
exemple s’ap<strong>par</strong>ente complètement aux illustrations de <strong>Chagall</strong>, non seulement dans le<br />
concept mais aussi dans le sujet : il s’agit d’une vitre du XIII e siècle de la Cathédrale de<br />
Chartres qui représente Moïse devant le buisson ardent (ill. 129) 600 . Moïse semble<br />
s’entretenir avec le Seigneur qui est ap<strong>par</strong>u au-dessus du buisson en face de lui. En figurant<br />
le Christ sur le buisson, l’artiste médiéval se distingue de <strong>Chagall</strong> qui y a mis le<br />
Tétragramme, mais sur la tête de Moïse qui regarde le Christ, les deux cornes longues et<br />
courbées sont clairement marquées. Il est ainsi intéressant de constater là le <strong>par</strong>allèle entre<br />
l’imagier médiéval et <strong>Chagall</strong>.<br />
Dans la planche XXX, <strong>Chagall</strong> représente Moïse et son bâton transformé en<br />
serpent. Il s’agit de l’épisode dans lequel Moïse effectue cette démonstration de signe<br />
miraculeux afin de prouver au pharaon que sa mission provient de Dieu. Pour cet épisode,<br />
<strong>Chagall</strong> a illustré d’abord sur le premier plan Moïse et le serpent en dimensions<br />
importantes (ill. 87) 601 . Il a illustré ensuite en arrière plan une autre scène en petit : une<br />
foule se montre stupéfaite autour du pharaon, représenté sur un trône. Derrière lui, <strong>par</strong>mi la<br />
foule, il y a des personnages très agités et des bêtes, qui tombent <strong>par</strong>tout. Il n’est pas<br />
évident d’identifier tous ces détails <strong>par</strong>ce qu’ils sont dessinés tout petits, mais il est<br />
important de comprendre ce qu’ils représentent. Il s’agit des épisodes qui suivent la<br />
démonstration de Moïse avec son bâton. Malgré les arguments de Moïse, le pharaon a<br />
persisté dans son refus à laisser <strong>par</strong>tir les Hébreux, et il en a subi le châtiment de Dieu.<br />
599 Londres, British Library, Add. Ms. 11639, folio 120 r.<br />
600 Moïse et le buisson ardent, 1210-1225, Verre, Chartres, Cathédrale (Baie 102 (119)). Cf. Yves Delaporte et<br />
Etienne Houvet, Les Vitraux de <strong>La</strong> Cathédrale de Chartres (planches III), Chartres, E. Houvet, éditeur, 1926,<br />
pl. CCXXIV ; Baie CXIX (<strong>par</strong>tie inférieure).<br />
601 Moïse jette son bâton qui est transformé en serpent sur l’ordre de l’Éternel, geste que refera Aaron, en<br />
présence de Moïse devant Pharaon (pl. XXX), 1931-1934, Eau-forte, 30 x 23, 4 cm, Nice, Musée National<br />
Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
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