La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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l’action se succèdent de droite à gauche selon l’ordre de l’écriture hébraïque. La première scène représente les murs d’une ville aux portes entrouvertes qui représentent l’Égypte, que les phalanges des Hébreux en armes viennent de quitter (ill. 124). La scène se clôt avec la figure aux dimensions monumentales de Moïse. Devant lui se présente la deuxième scène qui montre des Égyptiens flottant dans les vagues, et elle se termine encore par un monumental Moïse (ill. 123). La dernière scène est introduite par un troisième Moïse, toujours gigantesque. Derrière lui, nous voyons la mer divisée en douze sentiers devant les rangs serrés des Israélites piétinant une bande d’eau et des poissons (ill. 123). Dans ces images, l’artiste a représenté Moïse dans des dimensions gigantesques, et il n’a pas hésité à le faire figurer plusieurs fois entre les scènes, de telle sorte que celles-ci sont immédiatement saisissables pour les spectateurs. En ce qui concerne cet épisode biblique, Chagall n’a pas représenté le récit de la même façon, mais il a placé Moïse dans la scène avec une liberté aussi étonnante que celle du peintre de Doura Europos. Contrairement à la présentation horizontale des scènes de la fresque, Chagall a illustré l’épisode en disposant les éléments principaux dans une bande verticale sur fond de mer (ill. 98) 591 . Tout en haut, nous voyons un ange qui guide les Hébreux traversant la mer. Ceux-ci occupent la partie supérieure de la bande, suivie par la partie occupée par les Égyptiens qui sont déjà engloutis dans la mer. Logiquement, nous devons trouver Moïse au milieu de la foule des Hébreux, mais il est complètement à part physiquement : en dehors de la bande verticale où nous voyons tous les Hébreux et les Égyptiens, Moïse se tient seul au bord de la mer, dessinée tout en bas de la scène. En soulevant un bâton, il fait le geste de diriger ou de donner un ordre, mais il est très éloigné de tout le monde. Nous avons d’ailleurs l’impression qu’il est en hauteur, regardant, de loin, le passage du peuple et de leurs ennemis. Cette composition apparemment complètement illogique correspond en fait à un dessein de l’artiste : en mettant Moïse à la place la plus visible, il rend l’image plus facile à comprendre. Et en effet, à première vue, nous ne nous rendons même pas compte que cette composition est illogique. Car, en voyant Moïse et la foule qui traverse la mer, nous reconstituons sans peine le passage biblique ainsi représenté. Si Chagall avait voulu s’adapter à la logique rationnelle, il aurait représenté Moïse quelque part au milieu de la foule, mais alors ce dernier aurait été juif Orient et Occident, op. cit. 591 Les Israélites passent la mer Rouge, cependant que les premiers chars de l’armée égyptienne y sont engloutis(pl. XXXIV), 1934-1939, Eau-forte, 32, 2 x 24, 3 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 170
presque indistinct. Donc, l’artiste s’est concentré sur la visibilité des éléments principaux au détriment de la logique rationnelle, afin d’assurer une transmission efficace du message. 1. 2. Le temps relatif : figuration anachronique et simultanée La fresque de Doura Europos que nous venons de citer mérite d’être rediscutée. Elle présente, en réalité, la noyade des Égyptiens avant la traversée de la mer par les Hébreux, en faisant ainsi « une entorse flagrante à l’ordre chronologique du récit » 592 . Cette composition montre que l’artiste avait une souplesse aussi large dans sa représentation du temps que dans son utilisation de l’espace. Disposer de la notion du temps relatif, c’est-à-dire se servir de la figuration anachronique et simultanée, est effectivement une des caractéristiques de l’art médiéval, et de Chagall. Dans une autre fresque de Doura Europos à laquelle nous avons recouru pour parler de la taille importante de Samuel qui oint Daivd, ce dernier est le seul à porter une toge pourpre, comme s’il était roi (ill. 125) 593 . Or, cette représentation est anachronique, car lorsque David reçut l’onction de Samuel devant ses frères, il n’était encore qu’un berger qui gardait les moutons. Nous trouvons un exemple similaire chez Chagall : dans la planche LXII qui représente David tuant un lion parce qu’il menace son troupeau, ce jeune berger est étrangement couronné (ill. 126) 594 . De même, dans la planche LXVI, David, qui chante un cantique funèbre sur Saül et Jonathan, est représenté comme un vrai roi, alors qu’il ne l’est pas encore. Avec la couronne, symbole de la royauté qui va bientôt caractériser David, Chagall a voulu rendre l’identité du personnage plus évidente, en anticipant sur son histoire. L’artiste développe d’ailleurs dans ses représentations de Moïse et d’Aaron ce procédé de déterminer un personnage par un attribut sans prendre en considération la 592 Gabrielle Sed-Rajna, L’art juif Orient et Occident, op. cit., p. 75. L’auteur cherche le motif de cette inversion dans deux possibilités. L’une est liée à la condition de la fresque : la composition monumentale ayant exigé une structure symétrique, la scène de la noyade où les lignes horizontales prédominent doit se trouver ainsi encadrée par les deux représentations de l’armée israélite aux lignes surtout verticales. L’autre résulte des considérations didactiques : on voulait terminer le panneau en montrant le triomphe des Israélites. 593 Samuel oignant Daivd, Peinture murale de la Synagogue de Doura Europos, 245 après J.-C., Mur ouest, registre inférieur. 594 David tue un lion qui menaçait son troupeau (pl. LXII), 1952-1956, Eau-forte, 32, 8 x 25, 3 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 171
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l’action se succèdent de droite à gauche selon l’ordre de l’écriture hébraïque. <strong>La</strong> première<br />
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que les phalanges des Hébreux en armes viennent de quitter (ill. 124). <strong>La</strong> scène se clôt avec<br />
la figure aux dimensions monumentales de Moïse. Devant lui se présente la deuxième<br />
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monumental Moïse (ill. 123). <strong>La</strong> dernière scène est introduite <strong>par</strong> un troisième Moïse,<br />
toujours gigantesque. Derrière lui, nous voyons la mer divisée en douze sentiers devant les<br />
rangs serrés des Israélites piétinant une bande d’eau et des poissons (ill. 123). Dans ces<br />
images, l’artiste a représenté Moïse dans des dimensions gigantesques, et il n’a pas hésité à<br />
le faire figurer plusieurs fois entre les scènes, de telle sorte que celles-ci sont<br />
immédiatement saisissables pour les spectateurs.<br />
En ce qui concerne cet épisode biblique, <strong>Chagall</strong> n’a pas représenté le récit de la<br />
même façon, mais il a placé Moïse dans la scène avec une liberté aussi étonnante que celle<br />
du peintre de Doura Europos. Contrairement à la présentation horizontale des scènes de la<br />
fresque, <strong>Chagall</strong> a illustré l’épisode en disposant les éléments principaux dans une bande<br />
verticale sur fond de mer (ill. 98) 591 . Tout en haut, nous voyons un ange qui guide les<br />
Hébreux traversant la mer. Ceux-ci occupent la <strong>par</strong>tie supérieure de la bande, suivie <strong>par</strong> la<br />
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devons trouver Moïse au milieu de la foule des Hébreux, mais il est complètement à <strong>par</strong>t<br />
physiquement : en dehors de la bande verticale où nous voyons tous les Hébreux et les<br />
Égyptiens, Moïse se tient seul au bord de la mer, dessinée tout en bas de la scène. En<br />
soulevant un bâton, il fait le geste de diriger ou de donner un ordre, mais il est très éloigné<br />
de tout le monde. Nous avons d’ailleurs l’impression qu’il est en hauteur, regardant, de<br />
loin, le passage du peuple et de leurs ennemis. Cette composition ap<strong>par</strong>emment<br />
complètement illogique correspond en fait à un dessein de l’artiste : en mettant Moïse à la<br />
place la plus visible, il rend l’image plus facile à comprendre. Et en effet, à première vue,<br />
nous ne nous rendons même pas compte que cette composition est illogique. Car, en<br />
voyant Moïse et la foule qui traverse la mer, nous reconstituons sans peine le passage<br />
biblique ainsi représenté. Si <strong>Chagall</strong> avait voulu s’adapter à la logique rationnelle, il aurait<br />
représenté Moïse quelque <strong>par</strong>t au milieu de la foule, mais alors ce dernier aurait été<br />
juif Orient et Occident, op. cit.<br />
591 Les Israélites passent la mer Rouge, cependant que les premiers chars de l’armée égyptienne y sont<br />
engloutis(pl. XXXIV), 1934-1939, Eau-forte, 32, 2 x 24, 3 cm, Nice, Musée National Message Biblique<br />
<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
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