La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Rembrandt l’Ange quittant Tobie (ill. 112) 572 , mais sa composition nous semble plus proche de celle d’un 573 des dessins du maître hollandais ou de celle d’une peinture (ill. 113) 574 anonyme attribuée à l’école de Rembrandt et ayant trait au même sujet. Si tous ces exemples que nous venons de citer nous permettent de supposer un lien immédiat entre Chagall et Rembrandt, il ne faudrait pas considérer Rembrandt comme un simple modèle au regard de l’iconographie pour Chagall. De l’artiste hollandais, Chagall emprunte aussi la technique du clair-obscur. Regardons la planche X de Chagall sur le sacrifice d’Abraham. L’artiste représente Abraham s’apprêtant à immoler son fils Isaac quand un ange arrive pour l’arrêter. Dans la scène le patriarche se trouve au milieu, entre le corps nu de son fils posé sur l’autel et l’ange venant du ciel (ill. 84) 575 . Cette composition est encore très proche de celle de la peinture de Rembrandt sur le même sujet (ill. 114) 576 . Dans celle-ci l’action est plus avancée, et l’ange attrape le bras d’Abraham pour qu’il lâche le couteau, mais la ressemblance s’avère évidente de par la position des personnages et le visage d’Abraham regardant l’ange. Néanmoins, l’influence de Rembrandt ne se limite pas dans cette planche à la composition. La technique que Chagall donne à voir dans sa planche est celle du clair-obscur, et l’effet de son contraste. Or, Rembrandt, le véritable peintre de chiaroscuro, s’est servi de la technique du clair-obscur dans sa peinture Le Sacrifice d’Abraham : la partie d’Abraham est complètement noyé dans le noir, tandis que le corps d’Isaac rayonne par sa blancheur. Chagall a dû probablement appris cette esthétique du noir et blanc et l’a appliqué dans ses eaux-fortes pour la Bible. Pour cette planche X, l’artiste a posé Abraham, recouvert de noir, au milieu de deux figures représentées en blanc : le corps nu d’Isaac et l’ange. Celles-ci occupent deux extrémités et se contrebalancent dans la composition. L’usage du clair-obscur a été aussi employé dans la planche IV illustrant l’Arc-en-ciel, signe d’alliance entre Dieu et la Terre (ill. 63). Ici, le noir et le blanc sont avant tout utilisés pour mettre en valeur les éléments principaux de la scène : l’ange au ciel est tout blanc, et contraste avec Noé sur la terre, vêtu entièrement de noir. Représentants respectivement de Dieu et de la Terre, l’ange et Noé s’opposent certes sur le plan chromatique, mais sur le plan morphologique ils sont en parfaite 572 Rembrandt Harmenszoon van Rijn, L’Ange quittant Tobie, 1637, Huile sur toile, 52 x 66 cm, Paris, Musée du Louvre. 573 Le Sacrifice de Manoah, Dessin à la plume, National Gallery of Scotland, Edimbourg. 574 École de Rembrandt (anonyme), Sacrifice de Manoah, Raleigh (les États-Unis), North Carolina Museum of art. 575 Abraham prêt à immoler son fils selon l’ordre de Dieu (pl. X), 1931-1934, Eau-forte, 31 x 24, 2 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 576 Rembrandt Harmenszoon van Rijn, Le Sacrifice d’Abraham, 1635, Huile sur toile, 193 x 132 cm, Saint- Pétersbourg, Musée de l’Ermitage. 164

harmonie. L’ange, flotte dans le ciel, et tend sa main gauche, tandis que Noé, allongé sur la terre, tend sa main droite vers le ciel, en réponse au geste de l’ange. Dans d’autres planches pour la Bible, Chagall a développé davantage son langage du clair-obscur. Il s’est servi parfois du contraste du noir et du blanc pour distinguer deux mondes différents, ou pour désigner l’affrontement de deux éléments. Par exemple, dans la planche II représentant la colombe de l’arche, le noir profond est la couleur de l’intérieur de l’arche où résident encore les ténèbres du monde ancien, tandis que le blanc lumineux est celle de la colombe et de l’extérieur, le nouveau monde qui est purifié par l’eau. En outre, dans la planche XXXIX « Moïse brise les Tables de la loi », l’image est clairement divisée en deux par une diagonale : la partie droite est la montagne dans laquelle Moïse se trouve avec les Tables, et la partie gauche est le paysage qui représente le monde où le peuple adorait le veau d’or pendant l’absence de Moïse (ill. 115) 577 . Celui-ci, fou furieux, et la montagne sont peints en noir foncé, tandis que l’autre côté est peint en un blanc grisâtre. Puisque dans cet épisode Moïse se met en colère à la vue des idolâtres, ceux-ci auraient dû être représentés dans cette partie gauche de la planche, mais à la place, Chagall a peint un paysage vide : nous n’y voyons rien d’autre que l’abysse. Cette mise en scène qui met en valeur l’élément principal de l’image se retrouve, elle aussi, dans une peinture de Rembrandt 578 , qui représente Moïse seul dans un lieu qu’on discerne mal (ill. 116). La colère de Moïse exprimée par ses bras levés est également visible chez les deux artistes. Or, Chagall ne s’est pas contenté de cette dramatisation du sujet. En divisant l’image au moyen de la technique du clair-obscur il montre l’opposition des deux côtés, les commandements de Dieu d’une part et l’infidélité du peuple d’autre part. Au moyen du trait noir onduleux de la montagne qui va jusqu’au bras de Moïse, il souligne distinctement la séparation totale et profonde de ces deux mondes. Par ailleurs, l’opposition du noir et du blanc a servi aussi à évoquer la relation antagoniste qui peut exister entre différents personnages. En effet, dans les planches que nous avons comparées aux œuvres de Rembrandt, Chagall a renforcé la tension entre deux personnages par le clair-obscur. Dans la planche XXI (ill. 78) illustrant la femme de Putiphar qui tente de séduire Joseph, par opposition à cette séductrice représentée nue et en blanc, Joseph qui s’enfuit de la tentation est entièrement couvert de noir, du chapeau jusqu’au soulier. Et dans la planche LXI (ill. 106) qui oppose le jeune David plongé dans 577 Dans la colère que lui inspire l’idolâtrie du peuple élu de Dieu, Moïse brise les Tables de la loi (pl. XXXIX), 1934-1939, Eau-forte, 29, 6 x 22, 5 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 578 Rembrandt Harmenszoon van Rijn, Moïse brisant les tables de la Loi, 1659, Huile sur toile, 168, 5 x 136, 5 cm, Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz. 165

harmonie. L’ange, flotte dans le ciel, et tend sa main gauche, tandis que Noé, allongé sur<br />

la terre, tend sa main droite vers le ciel, en réponse au geste de l’ange.<br />

Dans d’autres planches pour la <strong>Bible</strong>, <strong>Chagall</strong> a développé davantage son langage<br />

du clair-obscur. Il s’est servi <strong>par</strong>fois du contraste du noir et du blanc pour distinguer deux<br />

mondes différents, ou pour désigner l’affrontement de deux éléments. Par exemple, dans la<br />

planche II représentant la colombe de l’arche, le noir profond est la couleur de l’intérieur<br />

de l’arche où résident encore les ténèbres du monde ancien, tandis que le blanc lumineux<br />

est celle de la colombe et de l’extérieur, le nouveau monde qui est purifié <strong>par</strong> l’eau. En<br />

outre, dans la planche XXXIX « Moïse brise les Tables de la loi », l’image est clairement<br />

divisée en deux <strong>par</strong> une diagonale : la <strong>par</strong>tie droite est la montagne dans laquelle Moïse se<br />

trouve avec les Tables, et la <strong>par</strong>tie gauche est le paysage qui représente le monde où le<br />

peuple adorait le veau d’or pendant l’absence de Moïse (ill. 115) 577 . Celui-ci, fou furieux,<br />

et la montagne sont peints en noir foncé, tandis que l’autre côté est peint en un blanc<br />

grisâtre. Puisque dans cet épisode Moïse se met en colère à la vue des idolâtres, ceux-ci<br />

auraient dû être représentés dans cette <strong>par</strong>tie gauche de la planche, mais à la place, <strong>Chagall</strong><br />

a peint un paysage vide : nous n’y voyons rien d’autre que l’abysse. Cette mise en scène<br />

qui met en valeur l’élément principal de l’image se retrouve, elle aussi, dans une peinture<br />

de Rembrandt 578 , qui représente Moïse seul dans un lieu qu’on discerne mal (ill. 116). <strong>La</strong><br />

colère de Moïse exprimée <strong>par</strong> ses bras levés est également visible chez les deux artistes.<br />

Or, <strong>Chagall</strong> ne s’est pas contenté de cette dramatisation du sujet. En divisant l’image au<br />

moyen de la technique du clair-obscur il montre l’opposition des deux côtés, les<br />

commandements de Dieu d’une <strong>par</strong>t et l’infidélité du peuple d’autre <strong>par</strong>t. Au moyen du<br />

trait noir onduleux de la montagne qui va jusqu’au bras de Moïse, il souligne distinctement<br />

la sé<strong>par</strong>ation totale et profonde de ces deux mondes.<br />

Par ailleurs, l’opposition du noir et du blanc a servi aussi à évoquer la relation<br />

antagoniste qui peut exister entre différents personnages. En effet, dans les planches que<br />

nous avons com<strong>par</strong>ées aux œuvres de Rembrandt, <strong>Chagall</strong> a renforcé la tension entre deux<br />

personnages <strong>par</strong> le clair-obscur. Dans la planche XXI (ill. 78) illustrant la femme de<br />

Putiphar qui tente de séduire Joseph, <strong>par</strong> opposition à cette séductrice représentée nue et en<br />

blanc, Joseph qui s’enfuit de la tentation est entièrement couvert de noir, du chapeau<br />

jusqu’au soulier. Et dans la planche LXI (ill. 106) qui oppose le jeune David plongé dans<br />

577 Dans la colère que lui inspire l’idolâtrie du peuple élu de Dieu, Moïse brise les Tables de la loi (pl.<br />

XXXIX), 1934-1939, Eau-forte, 29, 6 x 22, 5 cm, Nice, Musée National Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />

578 Rembrandt Harmenszoon van Rijn, Moïse brisant les tables de la Loi, 1659, Huile sur toile, 168, 5 x 136,<br />

5 cm, Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz.<br />

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