La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Les traces de ce fait sont visibles dans l’ensemble de ses illustrations, et nous les examinerons ici, cas par cas, en commençant par l’art grec antique. Prêtons attention à la manière dont Chagall figura Samson, qui ne manque pas de singularité. Il est représenté nu lors de son combat avec un jeune lion (pl. LIV ; ill. 95) 547 et lors de sa marche emportant sur son dos les portes de la ville de Gaza (pl. LV). Il a le torse nu lorsque Dalila lui coupe ses cheveux (pl. LVI), et lorsqu’il renverse les colonnes de la maison des Philistins (pl. LVII). Dans ces deux derniers exemples, sa nudité partielle est légitime ou au moins compréhensible, parce que dans le premier cas il est endormi sur les genoux de son amante, et dans l’autre il est prisonnier. Néanmoins, il n’y a aucune raison de le représenter nu dans les deux premiers exemples. Ni le texte biblique, ni le contexte ne justifie la nudité de Samson. D’ailleurs, dans l’iconographie biblique nous ne trouvons aucun Samson nu qui tue le lion ou qui enlève les portes de Gaza. Pourtant, la représentation de Chagall est loin d’être une invention incongrue, si on se réfère à une idée ancienne qui compare Samson au héros antique Hercule 548 . Celui-ci partage effectivement avec Samson un symbole de force qui, pour le second, est manifeste lors de son combat avec le lion de Némée. Il nous semble donc que Chagall ait justement pensé à ce parallélisme entre Samson et Hercule, et qu’il ait représenté son Samson nu pour évoquer sa ressemblance avec Hercule, toujours représenté nu dans l’art grec antique. La planche LXXXI de Chagall représente Salomon sur son trône. Le texte biblique le décrit en expliquant la richesse extraordinaire du roi, et l’artiste restitue son caractère imposant. Il a figuré Salomon au centre de la scène, dominant sur un trône entouré par des colonnes et des lions. En outre, le roi tient à la main un sceptre qui se termine par une grande boule (ill. 96) 549 . Or, le sceptre portant une boule est un attribut du pouvoir royal que nous trouvons dans les représentations médiévales françaises du Grand Roi. Notamment dans les manuscrits du XIII e siècle, le bout du sceptre royal se termine par une boule au lieu d’une fleur de lys 550 . Une initiale enluminée dans une bible médiévale de la 547 Samson tue un jeune lion (pl. LIV), 1952-1956, Eau-forte, 26, 8 x 32, 9 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 548 Marc Thoumieu écrivit dans son ouvrage Dictionnaire d’iconographie romane (Saint-Léger-Vauban, Zodiaque, 1998) qu’au Moyen Âge Samson était souvent comparé à un autre héros, Hercule. 549 Salomon sur son trône (pl. LXXXI), 1952-1956, Eau-forte, 32 x 24, 1 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 550 François Garnier, Le Langage de l’image au Moyen Âge II – Grammaire des gestes, Paris, Le Léopard d’Or, 1989, p. 165. 158

ibliothèque d’Alençon représente justement le roi Salomon portant le sceptre à la boule (ill. 97) 551 , comme dans la planche de Chagall. En ce qui concerne l’ange de Chagall, nous en avons longuement parlé au sujet du caractère juif de ses illustrations pour la Bible. Dans l’ensemble de cet ouvrage, les anges sont nombreux et leurs représentations sont aussi très variées. Certaines d’entre elles nous rappellent celles de la Renaissance italienne. Regardons la planche XXXIV illustrant les Hébreux qui traversent la mer : au-dessus de la foule, un ange guide le chemin. Ses ailes sont larges et étendues par le vent, ainsi que sa robe (ill. 98). Alors que d’autres anges de Chagall dans la Bible portent une robe simple qui tombe droit, la robe de cet ange est plus ample et plus féminine avec des plis abondants. Si nous regardons une peinture de Raphaël (ill. 99) 552 , nous pouvons vite réaliser que l’ange de Chagall ressemble beaucoup à celui de Raphaël, en particulier dans l’élégance du mouvement et le traitement des plis du vêtement. D’ailleurs, même si nous n’arrivons pas à prouver leur lien direct, nous pouvons malgré tout rapprocher quelques planches de Chagall à la peinture italienne. Entre autres, son illustration de David vainqueur sur Goliath de la planche LXIII (ill. 100) 553 qui rappelle la peinture de Pollaiuolo (ill. 101) 554 du même sujet. Bien que de nombreuses illustrations relatives à cet épisode représentent la figure du jeune David de petite taille qui se tient contre le géant Goliath, les peintres comme Pollaiuolo ainsi que Chagall ont choisi de mettre en valeur le triomphe de David. Vaillant guerrier, il est représenté en gros plan sur la scène comme une figure dominante, alors que son adversaire Goliath est réduit à une tête coupée. De plus, non seulement David, par son air imposant et son vêtement, ressemble à celui de la peinture du Quattrocentiste, mais même le visage de Goliath est représenté à l’identique dans les deux illustrations. Par ailleurs, l’ange de la planche XLV (ill. 92) est comparable à une autre peinture du quattrocento, le Saint Michel archange (ill. 102) 555 de Piero Della Francesca. Nous avons déjà comparé cet ange de Chagall à Saint 551 e Salomon portant le sceptre à la boule, XIII siècle, Bible (l’initiale historiée du Livre de l’Ecclésiaste), Alençon, bibl. mun. ms. 54, fol. 198v. 552 Raphaël, Le Christ crucifié à la Vierge Marie, à des Saints et des Anges (détail), vers 1503, Huile sur bois, 280, 7 x 165 cm, Londres, The National Gallery. Cf. Jill Dunkerton, Susan Foister, Dillian Gordon et Nicholas Penny, Giotto to Dürer – Early Renaissance Painting in The National Gallery, New Haven et Londres, Yale University Press, 1991, ill. 61. 553 Victoire de David sur Goliath (pl. LXIII), 1952-1956, Eau-forte, 28, 4 x 24, 3 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 554 Pollaiuolo (Antonio Benci, dit), David victorieux, vers 1470, Berlin, Staatliche Museen. 555 Piero Della Francesca, Saint Michel, 1469, Huile sur bois, 133 x 59 cm, Londres, The National Gallery. Cf. Jill Dunkerton, Susan Foister, Dillian Gordon et Nicholas Penny, Giotto to Dürer – Early Renaissance Painting in The National Gallery, op. cit., ill. 33. 159

Les traces de ce fait sont visibles dans l’ensemble de ses illustrations, et nous les<br />

examinerons ici, cas <strong>par</strong> cas, en commençant <strong>par</strong> l’art grec antique.<br />

Prêtons attention à la manière dont <strong>Chagall</strong> figura Samson, qui ne manque pas de<br />

singularité. Il est représenté nu lors de son combat avec un jeune lion (pl. LIV ; ill. 95) 547<br />

et lors de sa marche emportant sur son dos les portes de la ville de Gaza (pl. LV). Il a le<br />

torse nu lorsque Dalila lui coupe ses cheveux (pl. LVI), et lorsqu’il renverse les colonnes<br />

de la maison des Philistins (pl. LVII). Dans ces deux derniers exemples, sa nudité <strong>par</strong>tielle<br />

est légitime ou au moins compréhensible, <strong>par</strong>ce que dans le premier cas il est endormi sur<br />

les genoux de son amante, et dans l’autre il est prisonnier. Néanmoins, il n’y a aucune<br />

raison de le représenter nu dans les deux premiers exemples. Ni le texte biblique, ni le<br />

contexte ne justifie la nudité de Samson. D’ailleurs, dans l’iconographie biblique nous ne<br />

trouvons aucun Samson nu qui tue le lion ou qui enlève les portes de Gaza. Pourtant, la<br />

représentation de <strong>Chagall</strong> est loin d’être une invention incongrue, si on se réfère à une idée<br />

ancienne qui com<strong>par</strong>e Samson au héros antique Hercule 548 . Celui-ci <strong>par</strong>tage effectivement<br />

avec Samson un symbole de force qui, pour le second, est manifeste lors de son combat<br />

avec le lion de Némée. Il nous semble donc que <strong>Chagall</strong> ait justement pensé à ce<br />

<strong>par</strong>allélisme entre Samson et Hercule, et qu’il ait représenté son Samson nu pour évoquer<br />

sa ressemblance avec Hercule, toujours représenté nu dans l’art grec antique.<br />

<strong>La</strong> planche LXXXI de <strong>Chagall</strong> représente Salomon sur son trône. Le texte biblique<br />

le décrit en expliquant la richesse extraordinaire du roi, et l’artiste restitue son caractère<br />

imposant. Il a figuré Salomon au centre de la scène, dominant sur un trône entouré <strong>par</strong> des<br />

colonnes et des lions. En outre, le roi tient à la main un sceptre qui se termine <strong>par</strong> une<br />

grande boule (ill. 96) 549 . Or, le sceptre portant une boule est un attribut du pouvoir royal<br />

que nous trouvons dans les représentations médiévales françaises du Grand Roi.<br />

Notamment dans les manuscrits du XIII e siècle, le bout du sceptre royal se termine <strong>par</strong> une<br />

boule au lieu d’une fleur de lys 550 . Une initiale enluminée dans une bible médiévale de la<br />

547<br />

Samson tue un jeune lion (pl. LIV), 1952-1956, Eau-forte, 26, 8 x 32, 9 cm, Nice, Musée National<br />

Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />

548<br />

<strong>Marc</strong> Thoumieu écrivit dans son ouvrage Dictionnaire d’iconographie romane (Saint-Léger-Vauban,<br />

Zodiaque, 1998) qu’au Moyen Âge Samson était souvent com<strong>par</strong>é à un autre héros, Hercule.<br />

549<br />

Salomon sur son trône (pl. LXXXI), 1952-1956, Eau-forte, 32 x 24, 1 cm, Nice, Musée National Message<br />

Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />

550<br />

François Garnier, Le <strong>La</strong>ngage de l’image au Moyen Âge II – Grammaire des gestes, <strong>Paris</strong>, Le Léo<strong>par</strong>d<br />

d’Or, 1989, p. 165.<br />

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