La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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Chagall qui représente Miryam (ill. 75), la sœur de Moïse, et des femmes dansant de joie après la sortie d’Égypte : le corps de Miryam est si long qu’il nous paraît anormalement étiré. Sa proportion étant effectivement de 1 : 8, 5 et sa forme rectilinéaire sont entièrement celles d’un corps que l’on pourrait trouver dans une icône. En réalité, aucune autre planche de Chagall ne montre une telle proportion exagérée du corps, comme si l’artiste voulait donner à voir dans cette planche une influence de l’icône russe. Cette image n’est pourtant pas l’unique exemple qui nous suggère le lien entre Chagall et l’art religieux russe. Il semble que la composition de la planche LXXXVI représentant Élie sur le mont Carmel (ill. 43) 530 soit empruntée directement d’une icône illustrant un même sujet. En effet, une icône du XIV e siècle conservée au Musée de l’Ermitage, Le Prophète Élie dans le désert 531 , représente le prophète presque de la même manière que Chagall. Élie est peint de trois quarts, assis dans un paysage de montagnes, et son corps est très puissant par rapport à sa tête (ill. 86). Celle-ci ne regarde pas dans le même sens que celle du prophète de Chagall, pour voir le corbeau derrière lui tenant dans son bec un pain de couleur orange. Mais son corps massif, sa forme arrondie et sa position assise sont identiques à ceux du prophète de Chagall. De plus, cette image d’icône semble avoir été fixée comme le modèle du prophète Élie dans le désert. Nous trouvons toujours ainsi la même représentation dans des icônes d’époques différentes mais ayant trait au même sujet. Si elle circulait comme un canon, il est fort probable que Chagall ait vu cette représentation en Russie et l’ait utilisé plus tard dans son illustration du prophète Élie. Un autre exemple, dans la planche XXX, nous permet de mettre en parallèle Chagall et l’icône. Cette planche représente Moïse qui jette son bâton devant le pharaon (ill. 87). Nous allons effectivement citer cet exemple plus tard pour expliquer un mode de figuration d’évènements successifs en simultanés, un mode qu’il est possible de trouver dans l’art médiéval. Mais représenter des épisodes successifs d’un évènement dans le même espace, c’est aussi un caractère de la peinture d’icône. Par exemple, les icônes représentant la Nativité montrent toujours plusieurs scènes autour de la Vierge et du nouveau-né que l’on place au milieu. Ces scènes figurent différents épisodes se rapportant à un thème, tels que l’annonciation aux bergers, la louange des anges, l’adoration des rois 530 Élie, du haut du mont Carmel, annonce la pluie prochaine avant qu’un seul nuage paraisse dans le ciel (pl. LXXXVI), 1952-1956, Eau-forte, 29, 1 x 25 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 531 Le Prophète Élie dans le désert, XIV e siècle, Détrempe à l’œuf sur bois apprêté, 35, 5 x 28 cm, Saint- Pétersbourg, Musée de l’Ermitage ; Cf. L’art byzantin (– Icônes, Tissus, Ivoires, Céramiques), Paris, Éditions Cercle d’Art, 1986, ill. 271. 154

mages, la tentation de Joseph 532 , le lavement de l’enfant etc. (ill. 88) 533 . Ce sont en effet des épisodes qui, soit précèdent soit succèdent le sujet principal, la naissance du Christ. Ceci nous montre que la peinture d’icône, celle de Chagall et celle des artistes médiévaux se rencontrent dans leur construction de l’espace pictural représentant plusieurs scènes d’un thème dans une image. Cependant, dans les exemples que nous allons citer, l’imagerie médiévale et celle de Chagall s’avèrent contenir une certaine logique dans la présentation des scènes dans l’espace, tandis que l’icône russe juxtapose les scènes sans un principe d’« antériorité – postériorité » ou de causalité des évènements. Le loubok est un autre élément essentiel de l’art russe qu’il est important de citer au regard de l’art de Chagall. Le loubok est le mot par lequel on désigne « les feuilles volantes gravées des maîtres populaires anonymes et destinées à la vente » 534 . Il s’agit donc de l’imagerie populaire russe. Il vit le jour dans la seconde moitié du XVII e siècle en Ukraine, à Kiev et plus tard à Moscou. Les premières gravures populaires étaient des images pieuses, des icônes sur papier. Les images laïques apparurent au cours du premier quart du XVIII e siècle. Le loubok traitait de sujets très divers comme les personnages populaires, les coutumes, les légendes, les fables, les histoires d’amour et aussi parfois les évènements contemporains 535 . Le loubok était destiné à orner un mur, à être vu de loin. C’est la raison pour laquelle il était coloré d’une façon voyante avec des couleurs très vives. Le loubok devait être gai et intéressant, il devait aussi nourrir l’esprit. Il ne satisfaisait pas seulement les besoins esthétiques du peuple, il contribuait aussi à alphabétiser la population. Cependant, le loubok cessa d’exister vers les années 1890 du fait d’un continuel progrès technique. Mais il ne disparut pas pour autant de l’art russe : c’est de cette époque que date un regain d’intérêt pour le loubok de la part des milieux artistiques et qu’il devint un objet d’étude et de collection. Ainsi le début du XX e siècle vit se réanimer une véritable reconnaissance de l’art populaire russe et en premier lieu du loubok 536 . 532 Dans la scène de Nativité l’icône représente Joseph tenté par le Satan, qui apparaît comme un vieil homme. Celui-ci met Joseph en doute sur l’enceinte de Marie par l’Esprit Saint. 533 e Nativité, icône russe du XVII siècle, Tempera sur bois, 31 x 25 cm, Rouen, Musée des Beaux-Arts. Cf. Icônes et Merveilles – Mille ans de tradition chrétienne, Catalogue de l’exposition, Paris, Musée Cernuschi, 1988. ill. 74. 534 e e le loubok – l’imagerie populaire russe XVIII – XIX siècles, Léningrad, Éditions d’art Aurora, 1984, p. 6. 535 Mira Friedman, « Icon painting and Russian popular art as sources of some works by Chagall », art. cit., p. 104. 536 e e le loubok – l’imagerie populaire russe XVIII – XIX siècles, op. cit., pp 10-15. 155

mages, la tentation de Joseph 532 , le lavement de l’enfant etc. (ill. 88) 533 . Ce sont en effet<br />

des épisodes qui, soit précèdent soit succèdent le sujet principal, la naissance du Christ.<br />

Ceci nous montre que la peinture d’icône, celle de <strong>Chagall</strong> et celle des artistes médiévaux<br />

se rencontrent dans leur construction de l’espace pictural représentant plusieurs scènes<br />

d’un thème dans une image. Cependant, dans les exemples que nous allons citer, l’imagerie<br />

médiévale et celle de <strong>Chagall</strong> s’avèrent contenir une certaine logique dans la présentation<br />

des scènes dans l’espace, tandis que l’icône russe juxtapose les scènes sans un principe<br />

d’« antériorité – postériorité » ou de causalité des évènements.<br />

Le loubok est un autre élément essentiel de l’art russe qu’il est important de citer<br />

au regard de l’art de <strong>Chagall</strong>. Le loubok est le mot <strong>par</strong> lequel on désigne « les feuilles<br />

volantes gravées des maîtres populaires anonymes et destinées à la vente » 534 . Il s’agit<br />

donc de l’imagerie populaire russe. Il vit le jour dans la seconde moitié du XVII e siècle en<br />

Ukraine, à Kiev et plus tard à Moscou. Les premières gravures populaires étaient des<br />

images pieuses, des icônes sur papier. Les images laïques ap<strong>par</strong>urent au cours du premier<br />

quart du XVIII e siècle. Le loubok traitait de sujets très divers comme les personnages<br />

populaires, les coutumes, les légendes, les fables, les histoires d’amour et aussi <strong>par</strong>fois les<br />

évènements contemporains 535 . Le loubok était destiné à orner un mur, à être vu de loin.<br />

C’est la raison pour laquelle il était coloré d’une façon voyante avec des couleurs très<br />

vives. Le loubok devait être gai et intéressant, il devait aussi nourrir l’esprit. Il ne<br />

satisfaisait pas seulement les besoins esthétiques du peuple, il contribuait aussi à<br />

alphabétiser la population. Cependant, le loubok cessa d’exister vers les années 1890 du<br />

fait d’un continuel progrès technique. Mais il ne dis<strong>par</strong>ut pas pour autant de l’art russe :<br />

c’est de cette époque que date un regain d’intérêt pour le loubok de la <strong>par</strong>t des milieux<br />

artistiques et qu’il devint un objet d’étude et de collection. Ainsi le début du XX e siècle vit<br />

se réanimer une véritable reconnaissance de l’art populaire russe et en premier lieu du<br />

loubok 536 .<br />

532<br />

Dans la scène de Nativité l’icône représente Joseph tenté <strong>par</strong> le Satan, qui ap<strong>par</strong>aît comme un vieil homme.<br />

Celui-ci met Joseph en doute sur l’enceinte de Marie <strong>par</strong> l’Esprit Saint.<br />

533 e<br />

Nativité, icône russe du XVII siècle, Tempera sur bois, 31 x 25 cm, Rouen, Musée des Beaux-Arts. Cf.<br />

Icônes et Merveilles – Mille ans de tradition chrétienne, Catalogue de l’exposition, <strong>Paris</strong>, Musée Cernuschi,<br />

1988. ill. 74.<br />

534 e e<br />

le loubok – l’imagerie populaire russe XVIII – XIX siècles, Léningrad, Éditions d’art Aurora, 1984, p. 6.<br />

535<br />

Mira Friedman, « Icon painting and Russian popular art as sources of some works by <strong>Chagall</strong> », art. cit., p.<br />

104.<br />

536 e e<br />

le loubok – l’imagerie populaire russe XVIII – XIX siècles, op. cit., pp 10-15.<br />

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