La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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vers moi, et voici, elle avait un rouleau de livre. [...] J’ouvris donc ma bouche, et il me fit manger ce rouleau-là » 523 : l’artiste a dessiné le prophète qui ouvre la bouche devant le rouleau du livre, tenu par une main (ill. 85) 524 . Pour Chagall, suivre mot à mot le texte et l’illustrer scrupuleusement n’est pas un procédé habituel. Pourtant ici il respecte la parole, exactement comme le prophète qui obéit à la demande de Dieu. En ce qui concerne cette image du prophète dévorant un rouleau, Louis Réau nous fait remarquer que « la Bible hébraïque prend cette métaphore à la lettre et la matérialise » 525 . Selon cette observation, l’interprétation littérale du texte et sa représentation semblent alors provenir de la tradition hébraïque, ce qui nous donne à voir encore une fois la correspondance entre Chagall et son origine juive. Chapitre II. Les traces du monde extérieur Lors de la dernière exposition rétrospective de Chagall à Paris, quelques gouaches préparatoires pour la Bible ont fait partie des œuvres présentées. Or, le commentaire du catalogue d’exposition semble refléter l’opinion générale de la critique en ce qui concerne les illustrations sur la Bible : « Ces gouaches, mais plus encore les gravures, sont l’illustration de passages précis, interprétés de façon littérale, avec les seuls éléments fournis par le texte. [...] l’interprétation que Chagall donne des courtes unités d’énonciation qu’il choisit dans le texte ne fait en rien référence à l’histoire de l’art » 526 . Cette remarque peut être résumée en deux points : les planches de Chagall sont des illustrations littérales de la Bible, et elles sont dépourvues de références à l’iconographie antérieure. Il est vrai que plusieurs de ses planches sont des illustrations fidèles du texte biblique, mais en même temps, elles montrent une grande originalité de l’artiste. Cependant, l’ensemble de ces réalisations construit une iconographie beaucoup plus complexe que le catalogue d’exposition ne le laisse penser. En effet, les illustrations pour 523 Ézéchiel II, 9 – III, 2. 524 La Vocation d’Ézéchiel (pl. CV), 1952-1956, Eau-forte, 33, 8 x 25, 6 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 525 Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien (Tome II : Iconographie de la Bible ; I Ancien Testament), Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 374. 526 Jean-Michel Foray, « Premières œuvres bibliques, 1930-1935 », art. cit., 2003, p. 264. 152
la Bible de Chagall contiennent plusieurs petites références aux diverses sources de l’histoire de l’art. Ce que l’artiste vécut jusqu’à ses illustrations – son enfance russe, ses visites des musées en Europe occidentale, son penchant pour Rembrandt etc. – a laissé des empreintes éparses dans l’ensemble de ses planches. Les exemples sont peut-être peu abondants pour marquer une forte caractéristique, et il est aussi parfois difficile de prouver leur probabilité. Néanmoins, ils sont bien présents et témoignent de l’existence de liens entre différentes sources de l’histoire de l’art et les planches de Chagall. Dans cette partie nous essaierons de relever ces exemples de référence qui nous permettent de découvrir une partie de la mémoire visuelle et artistique de l’artiste. 1. Quelques souvenirs de l’art russe Chagall, né dans une province russe, garde un héritage artistique 527 de cette terre, qui reste présent dans ses illustrations pour la Bible. En ce qui concerne l’art religieux russe, plus concrètement l’icône, nous avons déjà étudié son rôle dans la peinture de l’artiste. Dans quelques-unes de la Bible de Chagall, le souvenir de l’icône est significatif, notamment dans les représentations corporelles. Or, il existe une grande différence entre l’icône et l’art religieux occidental au regard de la marge de liberté dont dispose les artistes. Si le progrès dans les formes et dans les techniques de l’art occidental dépend largement de l’invention des artistes pour chaque époque, l’icône, au contraire, demande à l’artiste dans l’interprétation d’un sujet de se conformer avant tout à une tradition, fixée par la théologie. Cela impose également aux artistes de suivre un canon pour représenter diverses expressions. Les manuels précisent même les proportions exactes du corps, en donnant des règles dont les mesures sont constituées par la hauteur de la tête ou la longueur du nez. Par exemple, le manuel du Mont Athos exige que « le corps de l’homme [ait] neuf têtes en hauteur, c’est-à-dire neuf mesures depuis le front jusqu’aux talons » 528 . Selon les différentes époques les proportions du corps humain changèrent 529 , pour autant le corps dans les icônes reste toujours très allongé. Regardons maintenant la planche XXXV de 527 Cf. Mira Friedman, « Icon painting and Russian popular art as sources of some works by Chagall », Journal of Jewish Art, Volume V 1978, Chicago, Spertus College of Judaica Press, pp. 94-107. 528 Egon Sendler, L’icône – image de l’invisible, Paris, Desclée de Brouwer, 1981, p. 105. 529 Le Christ du Mont Sinaï du XII e siècle, peut-être sous des influences orientales, a des formes assez lourdes : la grandeur de la tête représente le septième du corps, les bras et les jambes sont courts, les épaules et le buste larges. À partir du XIV e siècle, en Russie, la figure humaine s’allonge : pour le Christ de Théophane, la proportion est de 1 : 8, pour celui de Novgorod elle est de 1 : 9 et, chez Maître Denis, les saints dépassent 1 : 10. Cf. Ibid., p. 105 et s. 153
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entre différentes sources de l’histoire de l’art et les planches de <strong>Chagall</strong>. Dans cette <strong>par</strong>tie<br />
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1. Quelques souvenirs de l’art russe<br />
<strong>Chagall</strong>, né dans une province russe, garde un héritage artistique 527 de cette terre,<br />
qui reste présent dans ses illustrations pour la <strong>Bible</strong>. En ce qui concerne l’art religieux<br />
russe, plus concrètement l’icône, nous avons déjà étudié son rôle dans la peinture de<br />
l’artiste. Dans quelques-unes de la <strong>Bible</strong> de <strong>Chagall</strong>, le souvenir de l’icône est significatif,<br />
notamment dans les représentations corporelles. Or, il existe une grande différence entre<br />
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artistes. Si le progrès dans les formes et dans les techniques de l’art occidental dépend<br />
largement de l’invention des artistes pour chaque époque, l’icône, au contraire, demande à<br />
l’artiste dans l’interprétation d’un sujet de se conformer avant tout à une tradition, fixée <strong>par</strong><br />
la théologie. Cela impose également aux artistes de suivre un canon pour représenter<br />
diverses expressions. Les manuels précisent même les proportions exactes du corps, en<br />
donnant des règles dont les mesures sont constituées <strong>par</strong> la hauteur de la tête ou la longueur<br />
du nez. Par exemple, le manuel du Mont Athos exige que « le corps de l’homme [ait] neuf<br />
têtes en hauteur, c’est-à-dire neuf mesures depuis le front jusqu’aux talons » 528 . Selon les<br />
différentes époques les proportions du corps humain changèrent 529 , pour autant le corps<br />
dans les icônes reste toujours très allongé. Regardons maintenant la planche XXXV de<br />
527 Cf. Mira Friedman, « Icon painting and Russian popular art as sources of some works by <strong>Chagall</strong> »,<br />
Journal of Jewish Art, Volume V 1978, Chicago, Spertus College of Judaica Press, pp. 94-107.<br />
528 Egon Sendler, L’icône – image de l’invisible, <strong>Paris</strong>, Desclée de Brouwer, 1981, p. 105.<br />
529 Le Christ du Mont Sinaï du XII e siècle, peut-être sous des influences orientales, a des formes assez<br />
lourdes : la grandeur de la tête représente le septième du corps, les bras et les jambes sont courts, les épaules<br />
et le buste larges. À <strong>par</strong>tir du XIV e siècle, en Russie, la figure humaine s’allonge : pour le Christ de<br />
Théophane, la proportion est de 1 : 8, pour celui de Novgorod elle est de 1 : 9 et, chez Maître Denis, les<br />
saints dépassent 1 : 10. Cf. Ibid., p. 105 et s.<br />
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