La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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<strong>La</strong> tradition midrashique invente également la figure de l’ange de la mort. D’après<br />
Joseph Gutmann 514 , le Midrash explique que les premiers-nés d’Égypte furent exécutés <strong>par</strong><br />
l’ange de la mort, alors que la <strong>Bible</strong> dit : « Au milieu de la nuit, l’Éternel frappa tous les<br />
fils aînés d’Égypte » 515 . Pour la planche XXXII, Le repas de la Pâque, <strong>Chagall</strong> a<br />
représenté effectivement un ange avec une épée qui survole le pays d’Égypte pour frapper<br />
tous ses premiers-nés. Or, dans notre analyse, nous avons identifié la représentation de cet<br />
ange comme un procédé de l’artiste pour symboliser Dieu. Là, la connaissance de la<br />
véritable motivation de l’artiste nous échappe. Mais nous pourrions tout aussi bien<br />
considérer la présence de l’ange comme une concordance avec la tradition midrashique.<br />
Le mode d’interprétation du texte biblique chez les Juifs diffère <strong>par</strong>fois de celui des<br />
chrétiens. Quelques exemples, ici, montrent les <strong>par</strong>allèles entre <strong>Chagall</strong> et ses<br />
prédécesseurs juifs. <strong>La</strong> planche de <strong>Chagall</strong> CIV illustrant une vision d’Ézéchiel nous<br />
montre quatre êtres ailés ayant respectivement une tête de lion, une tête d’oiseau, une tête<br />
de taureau et une tête d’être humain (ill. 79) 516 . Sur ces êtres, la <strong>Bible</strong> écrit :<br />
« Je distinguais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants ; <strong>par</strong> leur aspect, ils<br />
ressemblaient à des hommes. Chacun d’eux avait quatre faces et quatre ailes. [...] Leurs<br />
faces ressemblaient à celle d’un homme, et ils avaient tous les quatre une face de lion à<br />
droite, une face de taureau à gauche, et une face d’aigle » 517 .<br />
<strong>La</strong> représentation de <strong>Chagall</strong>, si elle se rapporte au texte biblique, elle en donne en même<br />
temps une interprétation. Or, d’après les exemples 518 présentés <strong>par</strong> François Bœspflug,<br />
nous apprenons qu’au Moyen Âge il y avait deux façons différentes d’illustrer ces versets<br />
bibliques. L’une, « selon les <strong>La</strong>tins », figure cette créature en un seul être à quatre têtes (ill.<br />
80) 519 , autrement dit comme un tétramorphe, tandis que l’autre, « selon les Hébreux », la<br />
514<br />
Joseph Gutmann, « The Jewish origin of the Ashburnham pentateuch miniatures », The Jewish Quarterly<br />
Review, Vol. XLIV, July, 1953, No. 1, p. 68.<br />
515<br />
Exode, XII, 29.<br />
516<br />
<strong>La</strong> Vision d’Ézéchiel (pl. CIV), 1952-1956, Eau-forte, 33, 3 x 26, 2 cm, Nice, Musée National Message<br />
Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
517<br />
Ézéchiel I, 5-10.<br />
518<br />
Ce sont des images tirées de l’ouvrage de Nicolas de Lyre, l’un des plus importants commentateurs<br />
médiévaux de la <strong>Bible</strong>, Postilles sur la <strong>Bible</strong>, Angers, II e tiers du XV e siècle, Tours, BM, ms. 54, f. 210r et<br />
210v. Le manuscrit de Nicolas de Lyre présente deux miniatures désignées <strong>par</strong> des légendes : figura<br />
secundum latinos (« la figure [sous-entendu : de la vision] selon les <strong>La</strong>tins »), puis page suivante, figura<br />
secundum hebreos (« la figure selon les Hébreux »). Voir François Bœspflug, « Visages de Dieu » dans Le<br />
Moyen Âge en lumière, <strong>Paris</strong>, Librairie Arthème Fayard, 2002, pp. 299-300.<br />
519 e<br />
Vision d’Ézéchiel (figura secundum latinos) dans Nicolas de Lyre, Postilles sur la <strong>Bible</strong>, Angers, II tiers<br />
du XV e siècle, Tours, BM, ms. 54, f. 210r.<br />
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