La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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eprésenter. En effet, même si on ôte à la Bible sa dimension symbolique et transcendantale, elle reste malgré tout un ensemble d’écrits littéraires où tous les genres se rencontrent : poésie, proverbes, écrits narratifs, etc. Cet aspect littéraire et poétique de la Bible, pour certains artistes, donne à cet ouvrage une dimension intemporelle. C’est cette dimension qui intéresse tant Marc Chagall dans la Bible, et c’est sans doute pour cette raison qu’il en a fait son thème emblématique sans s’inquiéter d’aller à contre courant. Ses témoignages expliquent d’ailleurs cette façon de voir la Bible : « À travers la sagesse de la Bible, je vois les événements de la vie et les œuvres d’art. Une vraie grande œuvre est traversée par son esprit et son harmonie » 3 ; « La Bible pour moi c’est de la poésie toute pure, une tragédie humaine » 4 ; « Je me suis référé au grand livre universel qu’est la Bible. Dès mon enfance, elle m’a rempli de vision sur le destin du monde et m’a inspiré dans mon travail. Dans les moments de doute, sa grandeur et sa sagesse hautement poétique m’ont apaisé. Elle est pour moi comme une deuxième nature » 5 . Il est aisé de lire dans ces propos la double dimension de la Bible pour Chagall : la dimension spirituelle qui est tout aussi importante sinon plus que la dimension purement littéraire. Chagall fait, en effet, de la Bible le grand livre universel qui renferme, selon son expression, le destin du monde. Cependant, nombreux sont les critiques à n’avoir retenu de ses illustrations de la Bible que le caractère poétique. Effectivement, depuis la publication de 1956, ces illustrations ont été louées pour sa qualité lyrique, décrites comme un « parfum humain » 6 qui « témoigne de la valeur figurative du grand lyrisme d’Israël » 7 . Or, cette opinion valorisant le côté poétique de la Bible illustrée par Chagall, est une critique restrictive, car elle a en quelque sorte mystifié cet aspect jusqu’à ce qu’il devienne le caractère essentiel voire unique de ces illustrations. Le poids de cette critique est tel qu’il devient intimidant de proposer d’autres types d’analyses. Cette idée est bien présente dans l’analyse de Meyer Schapiro qui dit, à plusieurs reprises, que l’artiste « lisait par lui-même » la Bible « à sa manière », « se laissant aller à ses inclinations personnelles et à son imagination » 8 . Cette 3 Werner Schmalenbach et Charles Sorlier, Marc Chagall de Draeger, Paris, Draeger Editeur, 1979, p. 193. 4 Ibid., pp. 198-199. 5 Ibid., p. 193. 6 Jean Cassou, « La Bible de Chagall », Art et Style, Paris, avril 1946, n.p. 7 e Jacques Maritain, « Eaux-fortes de Chagall pour la Bible », Cahiers d’Art, 9 année 1934, Paris, Editions « Cahiers d’Art », 1934, p. 84. 8 Meyer Schapiro, Marc Chagall - Bible, Verve (revue artistique et littéraire / directeur : Tériade) Vol. VIII, N os 33 et 34, Paris, Editions de la revue Verve, 1956. 14

analyse, alors qu’elle est considérée jusqu’à nos jours comme une référence, a consolidé le point de vue d’après lequel la Bible de Chagall est « personnelle » et « sans référence ». Schapiro dit que « Chagall ne s’est pas inspiré de ses prédécesseurs » 9 en représentant « ce qui l’a le plus ému, ce qui l’a le plus frappé dans ce livre énorme » 10 , et qu’il a « illustré les textes avec une liberté naïve » 11 . Il en va de même dans les autres commentaires. En 1957, dans la préface du catalogue de l’exposition qui a eu lieu à la Bibliothèque Nationale sur l’œuvre gravé de Chagall, Julien Cain rejoint l’avis de Schapiro en précisant : « [L]e plan que Chagall a suivi, le choix de ses sujets, l’extrême liberté de leur composition et de leur facture, tout indique qu’il ne faut pas chercher à ce grand ensemble de référence dans le passé » 12 . D’ailleurs, cette idée persiste encore : le catalogue de la dernière rétrospective parisienne, ayant pour titre « Chagall connu et inconnu », reprend entièrement l’article de Meyer Chapiro et définit les illustrations de Chagall comme littérales et dépourvues de références à l’iconographie antérieure 13 . Chagall, était-il si spontané dans son travail et capable de s’appuyer sur sa seule imagination ? Ou au contraire, comme « peintre inconsciemment conscient » 14 , se souciaitil de la longue tradition liée à la Bible ? Le témoignage de Louis Stern nous oriente vers cette deuxième possibilité. Dans sa lettre adressée à Chagall, il rappelle leur conversation échangée au vernissage de l’exposition à la Bibliothèque Nationale. Or, parlant de la différence entre les planches des Ames mortes et celles de la Bible, Chagall lui a affirmé qu’en illustrant la Bible il avait 2000 ans de tradition à traiter, alors que pour les Ames mortes il était complètement libre d’utiliser, seules, sa connaissance et son imagination 15 . Sa conscience de la tradition biblique nous donne une raison de nous questionner : est-ce que sa Bible illustrée porte seulement la marque de son « cœur poétique et de sa fertile imagination » 16 ou bien est-elle composée aussi d’autres éléments liés à la tradition ? Voir Chagall autrement est une tentative aussi intéressante que nécessaire, car les écrits sur cet 9 Ibid. 10 Ibid. 11 Ibid. 12 Julien Cain, préface pour Chagall L’œuvre gravé, catalogue d’exposition, Paris, Bibliothèque Nationale, 1957, p. 6. 13 Jean-Michel Foray, « Premières œuvres bibliques, 1930-1935 », Chagall connu et inconnu, Catalogue d’exposition, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2003, p. 264. 14 Marc Chagall, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 45. Chagall s’est, en effet, lui-même déclaré « peintre inconsciemment conscient ». 15 La lettre de Louis Stern à Marc Chagall du 12 novembre 1958 : « You said, in illustrating the Bible, you had a two thousand year tradition to deal with, whereas, in Les ames mortes you were completely free to use your knowledge and imagination » ; cf. Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times – A Documentary Narrative, Stanford, California, Stanford University Press, 2004, p. 864. 16 Meyer Schapiro, Marc Chagall - Bible, Verve, op. cit. 15

analyse, alors qu’elle est considérée jusqu’à nos jours comme une référence, a consolidé le<br />

point de vue d’après lequel la <strong>Bible</strong> de <strong>Chagall</strong> est « personnelle » et « sans référence ».<br />

Schapiro dit que « <strong>Chagall</strong> ne s’est pas inspiré de ses prédécesseurs » 9 en représentant « ce<br />

qui l’a le plus ému, ce qui l’a le plus frappé dans ce livre énorme » 10 , et qu’il a « illustré les<br />

textes avec une liberté naïve » 11 . Il en va de même dans les autres commentaires. En 1957,<br />

dans la préface du catalogue de l’exposition qui a eu lieu à la Bibliothèque Nationale sur<br />

l’œuvre gravé de <strong>Chagall</strong>, Julien Cain rejoint l’avis de Schapiro en précisant : « [L]e plan<br />

que <strong>Chagall</strong> a suivi, le choix de ses sujets, l’extrême liberté de leur composition et de leur<br />

facture, tout indique qu’il ne faut pas chercher à ce grand ensemble de référence dans le<br />

passé » 12 . D’ailleurs, cette idée persiste encore : le catalogue de la dernière rétrospective<br />

<strong>par</strong>isienne, ayant pour titre « <strong>Chagall</strong> connu et inconnu », reprend entièrement l’article de<br />

Meyer Chapiro et définit les illustrations de <strong>Chagall</strong> comme littérales et dépourvues de<br />

références à l’iconographie antérieure 13 .<br />

<strong>Chagall</strong>, était-il si spontané dans son travail et capable de s’appuyer sur sa seule<br />

imagination ? Ou au contraire, comme « peintre inconsciemment conscient » 14 , se souciaitil<br />

de la longue tradition liée à la <strong>Bible</strong> ? Le témoignage de Louis Stern nous oriente vers<br />

cette deuxième possibilité. Dans sa lettre adressée à <strong>Chagall</strong>, il rappelle leur conversation<br />

échangée au vernissage de l’exposition à la Bibliothèque Nationale. Or, <strong>par</strong>lant de la<br />

différence entre les planches des Ames mortes et celles de la <strong>Bible</strong>, <strong>Chagall</strong> lui a affirmé<br />

qu’en illustrant la <strong>Bible</strong> il avait 2000 ans de tradition à traiter, alors que pour les Ames<br />

mortes il était complètement libre d’utiliser, seules, sa connaissance et son imagination 15 .<br />

Sa conscience de la tradition biblique nous donne une raison de nous questionner : est-ce<br />

que sa <strong>Bible</strong> <strong>illustrée</strong> porte seulement la marque de son « cœur poétique et de sa fertile<br />

imagination » 16 ou bien est-elle composée aussi d’autres éléments liés à la tradition ? Voir<br />

<strong>Chagall</strong> autrement est une tentative aussi intéressante que nécessaire, car les écrits sur cet<br />

9<br />

Ibid.<br />

10<br />

Ibid.<br />

11<br />

Ibid.<br />

12<br />

Julien Cain, préface pour <strong>Chagall</strong> L’œuvre gravé, catalogue d’exposition, <strong>Paris</strong>, Bibliothèque Nationale,<br />

1957, p. 6.<br />

13<br />

Jean-Michel Foray, « Premières œuvres bibliques, 1930-1935 », <strong>Chagall</strong> connu et inconnu, Catalogue<br />

d’exposition, <strong>Paris</strong>, Editions de la Réunion des musées nationaux, 2003, p. 264.<br />

14<br />

<strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, « Quelques impressions sur la peinture française », art. cit., p. 45. <strong>Chagall</strong> s’est, en effet,<br />

lui-même déclaré « peintre inconsciemment conscient ».<br />

15<br />

<strong>La</strong> lettre de Louis Stern à <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> du 12 novembre 1958 : « You said, in illustrating the <strong>Bible</strong>, you<br />

had a two thousand year tradition to deal with, whereas, in Les ames mortes you were completely free to use<br />

your knowledge and imagination » ; cf. Benjamin Harshav, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> and His Times – A Documentary<br />

Narrative, Stanford, California, Stanford University Press, 2004, p. 864.<br />

16<br />

Meyer Schapiro, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> - <strong>Bible</strong>, Verve, op. cit.<br />

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