La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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sous une forme abstraite. Ici, l’inscription hébraïque permet d’exprimer indirectement la présence et l’action de l’Éternel en évitant une représentation figurative. Pour illustrer cet épisode, Chagall a figuré, lui aussi, Moïse pieds nus se mettant à genoux devant le buisson (ill. 66) 438 . Mais au-dessus de ce buisson, nous voyons un globe lumineux comprenant une inscription : le Tétragramme, symbole de la présence de l’Éternel. Chagall est donc plus significatif encore, plus audacieux, car il use d’une inscription qui signifie directement l’Éternel. Quoi qu’il en soit, malgré cette divergence subtile, cet enlumineur médiévale et Chagall se rencontrent en recourant tous les deux à l’usage d’inscriptions hébraïques, qui est un procédé abstrait et novateur, pour signaler la présence divine sans aucune figuration anthropomorphique. 2. 3. La main de Dieu : la tradition et la libre utilisation de l’artiste Une autre façon d’évoquer la présence de Dieu sans vraiment la figurer, c’est de dessiner juste la main de Dieu. Chagall a employé cette méthode pour ses deux planches, XXXVII et CV. La première représente Moïse qui reçoit les tables de la Loi au mont Sinaï, et la deuxième représente le prophète Ézéchiel qui ouvre sa bouche pour manger le rouleau donné par Dieu. Dans cette dernière planche, la représentation de la main tenant le rouleau résulte d’une logique qui est fidèle au texte, car il est dit dans la Bible : « [...] ouvre ta bouche et mange ce que je te donne. Je regardai, et je vis une main tendue vers moi qui tenait un livre en forme de rouleau » 439 . En revanche, l’illustration de Moïse qui reçoit les tables de la Loi de la main de Dieu sur la pente de la montagne est un procédé très ancien. D’après Gabrielle Sed-Rajna, « c’est la formule universelle » 440 qui permet de représenter le verset 18 du chapitre 31 de l’Exode depuis l’Antiquité tardive. Il est vrai que cette représentation est souvent reprise depuis longtemps non seulement dans des manuscrits hébreux mais aussi dans plusieurs Bibles chrétiennes 441 . Mendel Metzger suppose que la représentation de la main de Dieu transmettant les tables de la Loi à Moïse a son origine dans une tradition littéraire juive : un midrash relate 438 Planche XXVII (Dieu se manifeste à Moïse dans le Buisson Ardent, 1931-1934, Eau-forte, 29, 5 x 23, 4 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall) décrivant l’Exode III, 1-6. 439 Ézéchiél 2 : 8-9. 440 Gabrielle Sed-Rajna, La Bible hébraïque, op. cit., p. 96. 441 Les Octateuques, les Bibles carolingiennes, la Bible de Léon de 960. Ibid. 132

effectivement « que Dieu donna la Torah à Moïse avec sa main droite » 442 . Toujours d’après Metzger, ce midrash « justifie la représentation de la main de Dieu dans les diverses enluminures juives, symbole qui se trouve d’ailleurs déjà dans les fresques de Doura-Europos » 443 . Mais dans un autre ouvrage postérieur, Metzger démontre que cette représentation n’est pas si abondante dans les miniatures juives, ce qui montre, selon lui, le refus de l’anthropomorphisme de la figure divine chez les Juifs 444 . Ce raisonnement s’avère juste dans un cas comme la Haggadah des oiseaux 445 . Dans cet ouvrage de la fin du XIII e siècle, la scène de la transmission de la Loi se présente sous la forme de trois images successives verticalement : tout en haut, une figure représente Moïse qui reçoit de la main de Dieu deux tables de la Loi, à travers les nuages. Vers le milieu de la scène, cette même figure remet à un autre personnage cinq tables, symbolisant certainement les cinq livres de Moïse. Tout en bas, encore une autre figure lève les bras pour accueillir les cinq tables. Si on s’en tient au récit biblique, le personnage du milieu recevant les cinq tables ne peut être qu’Aaron. Et on peut supposer que la figure du bas représente le peuple hébreu. Toutes ces figures ont une tête d’oiseau et sont coiffées du chapeau juif, signe de leur identité juive. Remplacer les visages humains par les têtes d’animaux était couramment employée dans les manuscrits hébreux des XII e et XIII e siècle. On peut voir là l’influence d’un courant mystique juif et le refus de rendre la ressemblance humaine 446 . Dans un tel contexte où toutes les expressions anthropomorphiques sont évitées, pour l’artiste il était incontournable de ne représenter Dieu que par un détail – une de ses mains, par exemple. Certes, pour les enlumineurs juifs médiévaux comme pour Chagall, la représentation de la main de Dieu devait être un bon moyen d’éviter la figure anthropomorphique divine, mais elle semble avoir un sens plus important chez les Juifs. En réalité, le plus ancien exemple représentant la main de Dieu se trouve déjà dans la peinture murale de la synagogue de Doura Europos daté de 245 après J.-C. Parmi les panneaux de la fresque qui nous sont parvenus, les scènes où nous trouvons la main de Dieu sont multiples : la traversée de la mer rouge par le peuple juif, Élie ressuscitant l’enfant de la veuve de Sarepta, Ézéchiel recevant l’ordre divin et sa vision sur la résurrection des morts. 442 L. Ginzberg, The Legends of the Jews, Philadelphia, 1954-1955, t. VI, note 260. 443 Mendel Metzger, « La transmission de la Loi dans l’enluminure hébraïque du moyen âge », Bulletin des Communautés juives, 16 e Année, N° 10 – mai 1960, p.11. 444 Mendel Metzger, La Haggadah Enluminée, op. cit., pp. 303-310. 445 e C’est une Haggadah de la fin du XIII siècle communément dite « la Haggadah des oiseaux » à cause de ses têtes d’oiseaux qui remplacent les visages humains. 446 Mendel Metzger, « La transmission de la Loi dans l’enluminure hébraïque du moyen âge », art. cit., pp.10-11. 133

effectivement « que Dieu donna la Torah à Moïse avec sa main droite » 442 . Toujours<br />

d’après Metzger, ce midrash « justifie la représentation de la main de Dieu dans les<br />

diverses enluminures juives, symbole qui se trouve d’ailleurs déjà dans les fresques de<br />

Doura-Europos » 443 . Mais dans un autre ouvrage postérieur, Metzger démontre que cette<br />

représentation n’est pas si abondante dans les miniatures juives, ce qui montre, selon lui, le<br />

refus de l’anthropomorphisme de la figure divine chez les Juifs 444 . Ce raisonnement<br />

s’avère juste dans un cas comme la Haggadah des oiseaux 445 . Dans cet ouvrage de la fin<br />

du XIII e siècle, la scène de la transmission de la Loi se présente sous la forme de trois<br />

images successives verticalement : tout en haut, une figure représente Moïse qui reçoit de<br />

la main de Dieu deux tables de la Loi, à travers les nuages. Vers le milieu de la scène, cette<br />

même figure remet à un autre personnage cinq tables, symbolisant certainement les cinq<br />

livres de Moïse. Tout en bas, encore une autre figure lève les bras pour accueillir les cinq<br />

tables. Si on s’en tient au récit biblique, le personnage du milieu recevant les cinq tables ne<br />

peut être qu’Aaron. Et on peut supposer que la figure du bas représente le peuple hébreu.<br />

Toutes ces figures ont une tête d’oiseau et sont coiffées du chapeau juif, signe de leur<br />

identité juive. Remplacer les visages humains <strong>par</strong> les têtes d’animaux était couramment<br />

employée dans les manuscrits hébreux des XII e et XIII e siècle. On peut voir là l’influence<br />

d’un courant mystique juif et le refus de rendre la ressemblance humaine 446 . Dans un tel<br />

contexte où toutes les expressions anthropomorphiques sont évitées, pour l’artiste il était<br />

incontournable de ne représenter Dieu que <strong>par</strong> un détail – une de ses mains, <strong>par</strong> exemple.<br />

Certes, pour les enlumineurs juifs médiévaux comme pour <strong>Chagall</strong>, la<br />

représentation de la main de Dieu devait être un bon moyen d’éviter la figure<br />

anthropomorphique divine, mais elle semble avoir un sens plus important chez les Juifs. En<br />

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murale de la synagogue de Doura Europos daté de 245 après J.-C. Parmi les panneaux de la<br />

fresque qui nous sont <strong>par</strong>venus, les scènes où nous trouvons la main de Dieu sont<br />

multiples : la traversée de la mer rouge <strong>par</strong> le peuple juif, Élie ressuscitant l’enfant de la<br />

veuve de Sarepta, Ézéchiel recevant l’ordre divin et sa vision sur la résurrection des morts.<br />

442<br />

L. Ginzberg, The Legends of the Jews, Philadelphia, 1954-1955, t. VI, note 260.<br />

443<br />

Mendel Metzger, « <strong>La</strong> transmission de la Loi dans l’enluminure hébraïque du moyen âge », Bulletin des<br />

Communautés juives, 16 e Année, N° 10 – mai 1960, p.11.<br />

444<br />

Mendel Metzger, <strong>La</strong> Haggadah Enluminée, op. cit., pp. 303-310.<br />

445 e<br />

C’est une Haggadah de la fin du XIII siècle communément dite « la Haggadah des oiseaux » à cause de<br />

ses têtes d’oiseaux qui remplacent les visages humains.<br />

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Mendel Metzger, « <strong>La</strong> transmission de la Loi dans l’enluminure hébraïque du moyen âge », art. cit.,<br />

pp.10-11.<br />

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