La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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pourrait penser qu’il évoque particulièrement le caractère divin de cet ange. Dans Le repas de la Pâque (pl. XXXII), l’ange à l’épée survole le pays d’Égypte et frappe tous les premiers nés. Pareillement, dans la Prise de Jérusalem (pl. CI) c’est encore un ange qui exécute la tâche de frapper Jérusalem, en brandissant un flambeau au-dessus de la cité que le roi et les habitants quittent. La planche XXXIII Le peuple d’Israël quittant l’Égypte est un exemple particulièrement explicite quant à l’identification faite par Chagall de l’ange à Dieu. C’est une scène illustrant les Israélites qui sortent du pays d’Égypte. Dans l’Exode il est écrit : « L’Éternel marchait à leur tête, le jour dans une colonne de nuée pour leur montrer le chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ou la colonne de feu se trouvait en permanence à la tête du peuple » 423 . L’eau-forte de Chagall représente exactement cette scène en dessinant la foule israélite marchant et une nuée au-dessus de leur tête (ill. 64) 424 . Mais l’artiste a illustré également un ange avec la nuée, et, comme pour insister sur son identité, il a écrit au dessus le nom de Dieu en hébreu. Ainsi il s’avère évident que cet ange est une expression figurative de la présence divine. Les divergences d’usages entre Chagall et les anciens Figurer un ange pour éviter la représentation anthropomorphique de Dieu n’était pas une préoccupation exclusivement réservée à Chagall. Comme nous l’avons remarqué dans l’exemple de la Création d’Adam, les enlumineurs juifs médiévaux avaient le même souci, et pour eux aussi l’ange était une solution permettant de représenter Dieu d’une manière indirecte. L’enluminure d’une Haggadah 425 consacrée à l’épisode du Rêve de Jacob nous en montre un exemple assez intéressant. Nous y voyons en bas à gauche une figure étendue sur le sol, c’est Jacob (ill. 65). Ses yeux fermés évoquent le sommeil. Une échelle se dresse en diagonale, montant du sol derrière Jacob jusqu’en haut, au coin droit 423 Exode, XIII, 21-22. 424 Le peuple d’Israël sort du pays d’Égypte (pl. XXXIII), 1934-1939, Eau-forte, 24, 9 x 32, 9 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 425 Londres, British Library, Add. ms. 27210, folio 4 v, d. 128
de l’image. Deux anges sont sur l’échelle : l’un descendant et l’autre montant vers le ciel, suggéré par les ondulations d’un nuage. En comparant avec la Bible 426 , nous comprenons que l’artiste de cette enluminure a été fidèle au texte en précisant le double mouvement d’ascension et de descente des anges. Mais, dans cette image se trouvent aussi deux autres anges dont l’action n’est pas indiquée dans le récit biblique : ils ne sont pas sur l’échelle mais à terre. L’un d’entre eux s’avance vers Jacob en tendant les mains vers lui. L’autre, debout derrière Jacob, semble toucher ses cheveux. Enfin au sommet de l’échelle, dans les nuages s’ouvre une petite fenêtre carrée par laquelle nous voyons une tête. Un petit détail, un élément semblant représenter la partie supérieure d’une de ses ailes, nous indique qu’il s’agit là d’un ange. Qu’est-ce qu’il fait là-haut et que représente-t-il ? Ne serait-il pas une expression détournée, comme dans l’usage de Chagall, de l’apparition de Dieu ? D’après le passage de la Bible 427 , c’est Dieu qui s’est manifesté en haut de l’escalier pour parler à Jacob. En nous appuyant sur ce fait, nous pouvons interpréter la présence de cet ange au sommet de l’échelle comme un signe de la présence divine. Mais d’autres avis font de cette figure un ange, et simplement ceci. Ils s’appuient sur une autre source textuelle hébraïque : selon un Targum 428 , les deux anges qui avaient accompagné Jacob jusqu’à Beit-el, remontés au ciel, vantèrent à leurs compagnons la piété de Jacob et les poussèrent à aller le contempler. Et ceux-ci s’émerveillèrent à la vue du patriarche, trouvant la créature très belle. D’après Mendel Metzger, c’est justement cette surprise admirative que montrent les anges entourant Jacob, et le regard de l’ange du haut du ciel est un signe de sa curiosité 429 . Malgré tout, cet argument ne nous semble convaincant que si l’enlumineur a ici voulu raconter une histoire très éloignée du message principal du récit biblique, la bénédiction de Dieu donnée à Jacob. Quelle que soit l’identité de cet ange, elle n’est pas pour nous d’un intérêt majeur. Si cette image de la Haggadah est intéressante, c’est parce qu’elle constitue un objet de comparaison avec la représentation de Chagall sur le même sujet. La planche XIV Le rêve de Jacob (ill. 45) 430 réalisée par l’artiste comprend les mêmes éléments que ceux de la Haggadah en question : Jacob allongé sur le sol a les yeux fermés, deux anges sont sur 426 Genèse XXVIII, 10-15. 427 Genèse XXVIII, 12-13 : « Dans son rêve, il vit une sorte d’escalier reposant sur la terre, et dont le haut atteignait le ciel. Et voici que des anges de Dieu montaient et descendaient cet escalier. L’éternel lui-même se tenait tout en haut et lui dit : Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham ton ancêtre et le Dieu d’Isaac [...] ». 428 Le Targum palestinien, sur Genèse XXVIII, 12 ; mentionné par Mendel Metzger, op. cit., p. 268. 429 Mendel Metzger, La Haggadah Enluminée, Leiden, E. J. Brill, 1973, pp. 267-268. 430 Jacob voit en songe une échelle touchant le ciel, où montent et descendent les Anges de Dieu (pl. XIV), 1931-1934, Eau-forte, 30 x 23, 5 cm, Nice, Musée National Message Biblique Marc Chagall. 129
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pourrait penser qu’il évoque <strong>par</strong>ticulièrement le caractère divin de cet ange. Dans Le repas<br />
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premiers nés. Pareillement, dans la Prise de Jérusalem (pl. CI) c’est encore un ange qui<br />
exécute la tâche de frapper Jérusalem, en brandissant un flambeau au-dessus de la cité que<br />
le roi et les habitants quittent.<br />
<strong>La</strong> planche XXXIII Le peuple d’Israël quittant l’Égypte est un exemple<br />
<strong>par</strong>ticulièrement explicite quant à l’identification faite <strong>par</strong> <strong>Chagall</strong> de l’ange à Dieu. C’est<br />
une scène illustrant les Israélites qui sortent du pays d’Égypte. Dans l’Exode il est écrit :<br />
« L’Éternel marchait à leur tête, le jour dans une colonne de nuée pour leur montrer le<br />
chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils puissent marcher<br />
de jour et de nuit. <strong>La</strong> colonne de nuée ou la colonne de feu se trouvait en permanence à<br />
la tête du peuple » 423 .<br />
L’eau-forte de <strong>Chagall</strong> représente exactement cette scène en dessinant la foule israélite<br />
marchant et une nuée au-dessus de leur tête (ill. 64) 424 . Mais l’artiste a illustré également<br />
un ange avec la nuée, et, comme pour insister sur son identité, il a écrit au dessus le nom de<br />
Dieu en hébreu. Ainsi il s’avère évident que cet ange est une expression figurative de la<br />
présence divine.<br />
Les divergences d’usages entre <strong>Chagall</strong> et les anciens<br />
Figurer un ange pour éviter la représentation anthropomorphique de Dieu n’était<br />
pas une préoccupation exclusivement réservée à <strong>Chagall</strong>. Comme nous l’avons remarqué<br />
dans l’exemple de la Création d’Adam, les enlumineurs juifs médiévaux avaient le même<br />
souci, et pour eux aussi l’ange était une solution permettant de représenter Dieu d’une<br />
manière indirecte. L’enluminure d’une Haggadah 425 consacrée à l’épisode du Rêve de<br />
Jacob nous en montre un exemple assez intéressant. Nous y voyons en bas à gauche une<br />
figure étendue sur le sol, c’est Jacob (ill. 65). Ses yeux fermés évoquent le sommeil. Une<br />
échelle se dresse en diagonale, montant du sol derrière Jacob jusqu’en haut, au coin droit<br />
423 Exode, XIII, 21-22.<br />
424 Le peuple d’Israël sort du pays d’Égypte (pl. XXXIII), 1934-1939, Eau-forte, 24, 9 x 32, 9 cm, Nice,<br />
Musée National Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
425 Londres, British Library, Add. ms. 27210, folio 4 v, d.<br />
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