La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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infinité qui n’est jamais reproductible. Cela signifie aussi qu’Il peut se manifester de<br />
façons infiniment variées. Les Juifs en effet se questionnèrent beaucoup au sujet des<br />
manifestations diverses de Dieu. Au lieu de « Qui est Dieu ? », les Juifs se demandent<br />
« Quelle est la manière dont il s’est révélé ou se révèle aux hommes ? ». Pour eux,<br />
chercher à comprendre Dieu, c’est chercher à comprendre la manière spécifique, le mode<br />
original <strong>par</strong> lequel l’infini entre en contact avec le fini, <strong>par</strong> lequel le divin a voulu se<br />
révéler aux hommes. Le judaïsme possède donc de nombreuses façons de dire le divin, car<br />
même si Dieu est unique, la manière dont Il se révèle aux hommes est multiple 407 . Tout de<br />
408<br />
même, ses révélations ne sont jamais directes. L’un de ses noms, Chaddaï ( י ד ש) peut<br />
expliquer ce fait. Selon une explication du Talmud qui repose sur l’étymologie du nom, la<br />
racine Chad signifiant le sein de la femme, Chaddaï signifie littéralement « mes seins ».<br />
C’est la <strong>par</strong>ole d’une femme qui <strong>par</strong>le de son propre corps. Mais quel est le rapport entre<br />
Dieu et la femme qui <strong>par</strong>le de ses seins ? Selon le Talmud (Yoma 54a), les seins dont il est<br />
fait mention ne sont pas exposés dans une nudité pure, directe, mais ils sont recouverts <strong>par</strong><br />
un voile, non pour les cacher mais pour les faire ap<strong>par</strong>aître visibles et invisibles à la fois.<br />
Alors, l’érotisme est défini ici comme ce qui se manifeste et se cache à la fois, jeu du<br />
« visible-invisible » qui fait obstacle à une manifestation totale. <strong>Marc</strong>-Alain Ouaknin<br />
explique que cette modalité érotique, visible et invisible, fut mise en <strong>par</strong>allèle avec la façon<br />
dont Dieu ap<strong>par</strong>aît aux hommes. Il se manifeste aux hommes mais jamais complètement,<br />
car Dieu entièrement dévoilé serait une idole, et entièrement voilé, Il serait absent 409 .<br />
Or, une planche dans la <strong>Bible</strong> de <strong>Chagall</strong>, Le Pardon de Dieu annoncé à Jérusalem<br />
(pl. XCVI), rappelle cette idée de Chaddaï. En effet, les versets bibliques concernés <strong>par</strong>lent<br />
de l’amour de Dieu envers son peuple com<strong>par</strong>é à celui de l’époux qui fait revenir son<br />
épouse répudiée 410 . Pour cette <strong>par</strong>ole, l’artiste représente un ange qui fait un mouvement<br />
singulier : un bras levé et un autre plié il se penche vers sa droite comme s’il portait<br />
quelque chose, une masse, dans ses bras (ill. 60) 411 . Cette masse est enveloppée <strong>par</strong> un<br />
voile ou une robe mais elle laisse voir à travers le voile trans<strong>par</strong>ent sa forme arrondie, et<br />
407<br />
<strong>Marc</strong>-Alain Ouaknin, Mystères de la kabbale, op. cit., pp. 377-379.<br />
408<br />
Selon une explication du Talmud, ce nom Chaddaï peut être découpé en Ché-daï, abréviation d’une<br />
expression plus complète : Mi-chéamar leolamo daï, « Celui qui a dit à son monde ça suffit ». Dieu régulant<br />
l’entropie du monde, introduisant des limites dans la réalité des choses.<br />
409<br />
Cf. <strong>Marc</strong>-Alain Ouaknin, Symboles du Judaïsme, op. cit., pp. 20-37.<br />
410<br />
« Car l’Éternel t’a rappelée comme l’époux rappelle la femme abandonnée, affligée, la compagne de sa<br />
jeunesse qu’il avait répudiée. Je t’ai abandonnée, dit ton Dieu, pour un instant ; mais avec beaucoup de<br />
compassion, je te recueillerai. Je t’ai caché ma face un moment dans le déchaînement de mon courroux ; mais<br />
dans ma miséricorde éternelle, j’ai eu compassion de toi, dit ton rédempteur, l’Éternel » (Isaïe, LIV, 6-8).<br />
411<br />
Le Pardon de Dieu annoncé à Jérusalem (pl. XCVI), 1952-1956, Eau-forte, 33 x 22, 8 cm, Nice, Musée<br />
National Message Biblique <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>.<br />
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