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La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne

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certains sentiments » 390 plutôt qu’en artiste. Les tableaux des sites et des monuments qu’il<br />

y peignit directement en extérieur, exceptionnellement à son habitude, témoignent de ses<br />

grandes émotions ressenties sur place. En outre, ces peintures, d’un style étonnamment<br />

réaliste, sont très fidèles à la vue, comme si elles avaient été créées pour être préservées<br />

intactes dans la mémoire de l’artiste. Nous retrouvons d’ailleurs le même style<br />

naturaliste dans son tableau de la synagogue de Vilna qu’il visita en 1935. Après le voyage<br />

en Palestine, <strong>Chagall</strong> plongea complètement dans le sujet du monde juif avec ses<br />

illustrations sur la <strong>Bible</strong> et sur les poèmes de Lyesin. Or, dans ces ouvrages ainsi que dans<br />

les tableaux ayant trait à la judaïté, l’angoisse et l’inquiétude ap<strong>par</strong>aissent peu à peu. Elles<br />

deviennent dominantes au fur et à mesure que la situation politique s’aggrave en Europe.<br />

L’anxiété de l’artiste sur le sort des Juifs se reflète dans ses portraits de Juifs solitaires,<br />

ainsi que dans ses anges chutant du ciel qui figurent le danger imminent. Au seuil de la<br />

catastrophe, <strong>Chagall</strong> s’exprima d’une manière plus grave et plus directe : en peignant la<br />

Crucifixion, il adopte le sujet chrétien pour déplorer la mort innocente du peuple juif. Le<br />

tableau emblématique de cette période, <strong>La</strong> Crucifixion blanche est une lamentation de<br />

l’artiste sur la souffrance des Juifs, y compris la sienne. Nous n’y trouvons aucun<br />

détournement du sujet – comme dans ses tableaux bibliques à Saint-Pétersbourg et à <strong>Paris</strong><br />

–, que ce soit sur le plan théologique ou sur le plan plastique. En revanche, en représentant<br />

le Christ juif, il s’approprie le sujet pour lui et son peuple. Complètement intégré à<br />

l’œuvre, l’artiste démontre ainsi sa propre douleur, incarnée <strong>par</strong> la Crucifixion.<br />

Pour résumer, nous dirons donc que <strong>Chagall</strong> en tant que jeune artiste cosmopolite<br />

réagit fort différemment au monde extérieur et à son monde intérieur. D’un côté, il se<br />

montre clairement comme étranger, en traitant les sujets religieux des autres comme des<br />

tentatives expérimentales. De l’autre, concernant le monde juif, il dépeint fidèlement ses<br />

éléments – personnes, fêtes, temples, monuments etc. – sans détourner les sujets et leurs<br />

significations. Sa prise de position s’avère nette – il prend de la distance ou non selon la<br />

nature du monde qu’il représente –, et à <strong>par</strong>tir de cet indice nous allons voir dans la <strong>par</strong>tie<br />

suivante comment cette dialectique du monde intérieur et extérieur compose une base de<br />

ses illustrations bibliques.<br />

390 « Je suis venu vérifier certains sentiments, sans ap<strong>par</strong>eil photographique, sans pinceau même ». Charles<br />

Sorlier, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> et Ambroise Vollard, op. cit., p. 18 ; « Vous savez, j’y suis allé comme un Juif. Je<br />

voulais tout voir de mes propres yeux – comment ils ont construit le pays. Chez moi c’est toujours <strong>par</strong>eil –<br />

l’homme précède l’artiste ». Benjamin Harshav, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> and His Times – A Documentary Narrative, op.<br />

cit., p. 375.<br />

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