La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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mélancolie liées à la judaïté. L’image à gauche, représentant des gens qui prient et pleurent<br />
devant le mur à Jérusalem, renforce cette idée. Dans un autre dessin 366 (ill. 53) pour les<br />
poèmes, l’artiste figura encore un homme assis sur des marches devant l’Arche Sainte. <strong>La</strong><br />
synagogue est occupée <strong>par</strong> beaucoup de monde, mais l’homme est isolé des autres. Un<br />
animal s’approche de lui comme dans <strong>La</strong> Solitude, semblant vouloir le consoler, mais cette<br />
fois-ci il s’agit d’un coq. Cette image dont l’ambiance est aussi mélancolique que dans les<br />
exemples précédents comporte tout de même un élément nouveau, qui nous intrigue.<br />
Devant la fenêtre, un ange tombe : le bras tendu, secouant les pieds, son corps bascule vers<br />
les gens qui ne réalisent pas encore la situation. <strong>La</strong> chute d’un ange dans une synagogue,<br />
chose inhabituelle et inquiétante, serait-elle l’annonce d’un grave danger qui arrive dans la<br />
communauté ?<br />
Comme nous l’avons mentionné plus haut, en 1935, <strong>Chagall</strong> visita Vilna en<br />
Pologne, à seulement 320 km de Vitebsk. Ce voyage fut pour lui une occasion de percevoir<br />
les menaces qui pesaient sur les Juifs et de mesurer la réalité de l’antisémitisme. Là-bas,<br />
l’artiste peignit l’intérieur d’une synagogue 367 , comme il l’avait fait à Safed en Palestine<br />
quatre ans au<strong>par</strong>avant. Avec le même réalisme qu’à Safed, peut-être avec plus de précision,<br />
<strong>Chagall</strong> représenta tous les détails d’une synagogue, ses piliers, ses colonnes, ses lustres,<br />
ses balustres et son tabernacle somptueusement décorés (ill. 54). En ce qui concerne cet<br />
étonnant style réaliste que l’artiste adopta pour ces peintures, nombreux biographes<br />
affirmèrent que « <strong>Chagall</strong> essayait de préserver une réalité menacée de dis<strong>par</strong>aître » 368 .<br />
Cette idée vient probablement du fait que <strong>Chagall</strong> écrivit plus tard un poème en yiddish sur<br />
cette synagogue après sa destruction <strong>par</strong> la guerre 369 . Intitulé « <strong>La</strong> Synagogue à Vilna » 370 ,<br />
ce poème, reflétant le souvenir de sa visite, exprime la tristesse et le regret de l’artiste<br />
devant cette synagogue détruite <strong>par</strong> la barbarie humaine. Néanmoins, ce style réaliste <strong>par</strong><br />
lequel <strong>Chagall</strong> représenta la synagogue à Vilna n’est pas nouveau : nous l’avons déjà vu<br />
l’utiliser dans les tableaux de synagogues à Safed en Palestine. Nous avons également<br />
366 Dans la Synagogue (dessin n° 28 pour Chants et Poèmes de Lyesin), 1931, Encre noire et rehaut de<br />
gouache blanche, 23 x 16 cm, <strong>Paris</strong>, Centre Georges Pompidou, Musée National d’Art Moderne ; cf. <strong>Marc</strong><br />
<strong>Chagall</strong> : œuvres sur papier, op. cit., cat. no. 112.<br />
367 Synagogue à Vilna, 1935, Huile sur toile, 83 x 65,5 cm, Collection <strong>par</strong>ticulière ; Synagogue à Vilna, 1935,<br />
Huile sur toile, 62,2 x 72,3 cm, New York, Fondation Max Cottin. Cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit.,<br />
cat. ill. 624 et 625 ; <strong>Chagall</strong> connu et inconnu, Catalogue d’exposition, <strong>Paris</strong>, Éditions de la Réunion des<br />
musées nationaux, 2003, cat. ill. 79.<br />
368 Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., p. 191. Ce propos de Meyer se référant à Lionello Venturi et à<br />
Jacques <strong>La</strong>ssaigne fut repris <strong>par</strong> plusieurs auteurs postérieurs.<br />
369 Extrait du poème (traduit en anglais) : « The old shul [synagogue], the old street / I painted them just<br />
yesteryear / Now smoke rises there, and ash / And the <strong>par</strong>okhet [ark curtain] is lost ».<br />
370 Pour l’intégral du poème traduit en anglais, voir Monica Bohm-Duchen, <strong>Chagall</strong>, op. cit., p. 225.<br />
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