La Bible illustrée par Marc Chagall - Université Paris-Sorbonne
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comme entre autres celle de Chagall au début de l’année 1940. En mai de cette année, Chagall, encouragé par son ami André Lhote, acheta une maison à Gordes, un petit village près d’Avignon, en Provence. Le même jour (le 10 mai), les Allemands entrèrent en Belgique et en Hollande, et deux jours plus tard en France. Avec la situation qui se dégradait, Chagall chercha 352 à quitter le pays où il n’était plus en sécurité. Le gouvernement de Vichy lança une loi sur les Juifs, évinçant les Juifs français de toutes les institutions publiques et leur interdisant le professorat à tous les niveaux. La loi leur défendit également de travailler et les soumit à l’internement. Les amis de Chagall à New York et le Fonds pour les Auteurs Juifs Réfugiés (The Fund for Jewish Refugee Writers) organisèrent une collecte d’argent et collaborèrent à l’obtention du visa pour les Chagall. Ils contactèrent Alfred J. Barr, le directeur du Musée d’art moderne (the Museum of Modern Art, MOMA) à New York, pour que Chagall puisse avoir un visa grâce à son invitation. Et en effet, Barr établit une liste des artistes 353 d’Europe à sauver, étant considérés par les nazis comme les auteurs de l’« Art dégénéré ». Sous couvert de les inviter à une exposition au MOMA, il fit venir ces artistes aux États-Unis afin de les faire échapper à la catastrophe. Le 8 mars 1941, Chagall eut ainsi la visite de Varian Fry, directeur de l’Emergency Rescue Comittee, et de Harry Bingham, Consul général des États-Unis à Marseille, munis de l’invitation de Barr. Chagall hésita, mais fut assez vite persuadé par Fry, et fit ses bagages. D’ailleurs, en avril, le département des affaires juives du gouvernement de Vichy priva les Chagall de la nationalité française. L’artiste et sa femme Bella s’installèrent ensuite à Marseille pour préparer leur départ. Or, une rafle eut lieu, tous les Juifs, y compris Chagall, qui étaient dans des hôtels marseillais furent arrêtés par la police. L’artiste fut relâché grâce à l’intervention immédiate de Varian Fry. Le 7 mai, Chagall et Bella quittèrent enfin Marseille et franchirent la frontière espagnole en train. Ils arrivèrent le 11 mai à Lisbonne, où ils attendirent leur fille Ida et leur beau-fils Michel Rapaport, ainsi que toutes les œuvres envoyées d’avance à Lisbonne mais qui restèrent bloquées à la douane espagnole durant cinq semaines. Grâce à la collaboration d’amis français, américains et espagnols sollicités par Ida, ils purent finalement dégager les 352 Franz Meyer écrivit que Chagall « se défendait de toutes ses forces » de vouloir quitter la France et qu’« il ne se faisait aucune idée de l’étendue du danger ». cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., p. 204. En revanche, Benjamin Harshav contesta cette idée en se basant sur les lettres de l’artiste, et il affirma que les Chagall comprenaient très bien la situation et qu’ils avaient hâte de partir. Selon Harshav, l’expression « Nous voulons te voir ! » utilisée dans une des lettres doit être interprétée dans ce contexte, comme un code yiddish qui veut dire « Fais nous sortir !». cf. Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times – A Documentary Narrative, op. cit., pp. 480-481. 353 Jean Arp, Max Ernst, Louise Strauss Ernst, André Masson, Jacques Lipchitz, Marc Chagall, Wilfredo Lam, Brauner, Matisse, Freundlich, Reder, Man Ray, Kandinsky, Klee, Maillol, Picasso. 104
colis. Ainsi, l’œuvre de Chagall put s’embarquer avec son créateur pour traverser l’Atlantique 354 . 2. 2. L’angoisse de l’artiste juif Durant la deuxième période française de Chagall, de son arrivée en 1923 jusqu’à sa fuite en 1941, outre les préparations pour la Bible et les illustrations des poèmes de Lyesin, nous trouvons peu d’autres œuvres au sujet religieux. Avant son voyage en Palestine, l’artiste reprit seulement quelques tableaux préexistants comme la Prisée ou Audessus de Vitebsk et en fit des variantes 355 . Si la composition reste la même, leur différence se trouve essentiellement dans le choix des couleurs 356 . Or, si Chagall profitait de son succès dans son nouveau pays d’adoption durant les années 20, peignant des paysages et des bouquets de fleur, les différents évènements successifs réveillèrent bientôt sa sensibilité à la judaïté. Le travail sur la Bible et le voyage en Palestine, suivis par les illustrations des poèmes de Lyesin et la visite à Vilna, mais surtout l’avènement de la crise en Europe et la montée du nazisme, devaient sensibiliser l’artiste à la question juive et aiguiser son inquiétude. Plusieurs tableaux en sont témoins. Le Juif à la Torah qui figure la mélancolie de tous les Juifs En 1933, Chagall peignit La Solitude 357 (ill. 50) qui figure un Juif songeur. Le tableau nous présente un rabbin enveloppé d’un châle de prière, assis dans la nature. Appuyant sa tête sur une main, d’un air mélancolique ou pensif, il fixe son regard vers le bas en tenant un rouleau de la Torah sur son cœur. Auprès de lui, une vache blanche agenouillée l’accompagne d’un doux regard. Un violon est posé à côté d’elle comme s’il 354 Cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., pp. 204-205 ; Benjamin Harshav, Marc Chagall and His Times – A Documentary Narrative, op. cit., pp. 477-505. 355 La Prisée, 1923-1924, Aquarelle, 42, 7 x 35 cm, Milwaukee, Collection M. B. Katz. Cf. Marc Chagall : œuvres sur papier, Catalogue d’exposition, Paris, Centre Georges Pompidou, 1984, cat. n° 100 ; La Prisée, 1923-1926, Huile sur toile, 117 x 89, 5 cm, Bâle, Offertliche Kunstsammlung Basel. Cf. Franz Meyer, Marc Chagall, op. cit., cat. ill. 358 ; Au-dessus de Vitebsk, 1923-1926, Gouache sur papier, 41, 5 x 49, 5 cm, New York, Collection Mme Stephen Keller. Cf. Ibid., cat. ill. 361. 356 Par exemple, pour La Prisée, Chagall réalisa une variante à l’aquarelle – La Prisée, 1923-1924, Voir Marc Chagall : œuvres sur papier, op. cit., cat. n° 100 – avec un étonnant contraste chromatique du jaune éclatant et du noir profond. En réalité, cette expression colorée était déjà apparue dans l’Étude pour La Prisée de 1912(?)-15 – Étude pour La Prisée, 1912(?)-15, Aquarelle et gouache sur papier, 28, 9 x 20, 3 cm, New York, The Métropolitan Museum of Art ; cf. Marc Chagall : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 70, p. 92. –, mais cette fois-ci la touche est plus nette et la couleur est plus claire et pure. 357 La Solitude, 1933, Huile sur toile, 102 x 169 cm, Tel-Aviv (Israël), Musée de Tel-Aviv. 105
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l’Atlantique 354 .<br />
2. 2. L’angoisse de l’artiste juif<br />
Durant la deuxième période française de <strong>Chagall</strong>, de son arrivée en 1923 jusqu’à<br />
sa fuite en 1941, outre les pré<strong>par</strong>ations pour la <strong>Bible</strong> et les illustrations des poèmes de<br />
Lyesin, nous trouvons peu d’autres œuvres au sujet religieux. Avant son voyage en<br />
Palestine, l’artiste reprit seulement quelques tableaux préexistants comme la Prisée ou Audessus<br />
de Vitebsk et en fit des variantes 355 . Si la composition reste la même, leur différence<br />
se trouve essentiellement dans le choix des couleurs 356 . Or, si <strong>Chagall</strong> profitait de son<br />
succès dans son nouveau pays d’adoption durant les années 20, peignant des paysages et<br />
des bouquets de fleur, les différents évènements successifs réveillèrent bientôt sa<br />
sensibilité à la judaïté. Le travail sur la <strong>Bible</strong> et le voyage en Palestine, suivis <strong>par</strong> les<br />
illustrations des poèmes de Lyesin et la visite à Vilna, mais surtout l’avènement de la crise<br />
en Europe et la montée du nazisme, devaient sensibiliser l’artiste à la question juive et<br />
aiguiser son inquiétude. Plusieurs tableaux en sont témoins.<br />
Le Juif à la Torah qui figure la mélancolie de tous les Juifs<br />
En 1933, <strong>Chagall</strong> peignit <strong>La</strong> Solitude 357 (ill. 50) qui figure un Juif songeur. Le<br />
tableau nous présente un rabbin enveloppé d’un châle de prière, assis dans la nature.<br />
Appuyant sa tête sur une main, d’un air mélancolique ou pensif, il fixe son regard vers le<br />
bas en tenant un rouleau de la Torah sur son cœur. Auprès de lui, une vache blanche<br />
agenouillée l’accompagne d’un doux regard. Un violon est posé à côté d’elle comme s’il<br />
354 Cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong>, op. cit., pp. 204-205 ; Benjamin Harshav, <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> and His Times –<br />
A Documentary Narrative, op. cit., pp. 477-505.<br />
355 <strong>La</strong> Prisée, 1923-1924, Aquarelle, 42, 7 x 35 cm, Milwaukee, Collection M. B. Katz. Cf. <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> :<br />
œuvres sur papier, Catalogue d’exposition, <strong>Paris</strong>, Centre Georges Pompidou, 1984, cat. n° 100 ; <strong>La</strong> Prisée,<br />
1923-1926, Huile sur toile, 117 x 89, 5 cm, Bâle, Offertliche Kunstsammlung Basel. Cf. Franz Meyer, <strong>Marc</strong><br />
<strong>Chagall</strong>, op. cit., cat. ill. 358 ; Au-dessus de Vitebsk, 1923-1926, Gouache sur papier, 41, 5 x 49, 5 cm, New<br />
York, Collection Mme Stephen Keller. Cf. Ibid., cat. ill. 361.<br />
356 Par exemple, pour <strong>La</strong> Prisée, <strong>Chagall</strong> réalisa une variante à l’aquarelle – <strong>La</strong> Prisée, 1923-1924, Voir <strong>Marc</strong><br />
<strong>Chagall</strong> : œuvres sur papier, op. cit., cat. n° 100 – avec un étonnant contraste chromatique du jaune éclatant<br />
et du noir profond. En réalité, cette expression colorée était déjà ap<strong>par</strong>ue dans l’Étude pour <strong>La</strong> Prisée de<br />
1912(?)-15 – Étude pour <strong>La</strong> Prisée, 1912(?)-15, Aquarelle et gouache sur papier, 28, 9 x 20, 3 cm, New York,<br />
The Métropolitan Museum of Art ; cf. <strong>Marc</strong> <strong>Chagall</strong> : Les années russes, 1907-1922, op. cit., cat. n° 70, p.<br />
92. –, mais cette fois-ci la touche est plus nette et la couleur est plus claire et pure.<br />
357 <strong>La</strong> Solitude, 1933, Huile sur toile, 102 x 169 cm, Tel-Aviv (Israël), Musée de Tel-Aviv.<br />
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