Curs de fonetica I. D. varianta finala - "Ştefan Cel Mare" Suceava
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Universitatea “<strong>Ştefan</strong> cel Mare” <strong>Suceava</strong><br />
Prof. univ. dr. Vasile Dospinescu<br />
Cours<br />
<strong>de</strong><br />
Phonétique<br />
<strong>Suceava</strong> 2004-2005
I.0. Phonétique vs Phonologie<br />
Si nous prononçons ou entendons par hasard la suite <strong>de</strong> sons [bak], nous lui<br />
<strong>de</strong>vinons une signification ou du moins nous reconnaissons un mot censé avoir un<br />
sens très précis une fois entré dans un énoncé. Si nous épelons les sons [b], [a], [k],<br />
aucune idée ne nous vient à l’esprit, ce sont <strong>de</strong>s éléments sonores qui n’ont pas <strong>de</strong><br />
sens. Seuls prononcés ensemble, ils engendrent une signification, Quand on<br />
remplace [b] par [s], [a] par [u] et [k] par [l], on produit d’autres suites sonores<br />
avec, chacune, une signification différente : [sak], [buk], [bal], écrits sac, bouc et<br />
bal. Si l’on se penche, au niveau du discours, sur la matérialité <strong>de</strong> ces éléments, sur<br />
leur substance concrète, c’est-à-dire sur leur structure, leurs traits acoustiques<br />
(tension, timbre, durée, etc.), sur les organes impliqués dans leur émission, alors on<br />
fait <strong>de</strong> la phonétique. Par contre, si on s’intéresse aux rapports qu’ils entretiennent,<br />
aux relations et au rôle qu’ils jouent au niveau <strong>de</strong> la langue, alors on traite <strong>de</strong> la<br />
phonologie d’une langue.<br />
La phonétique traite <strong>de</strong> tout ce qui concerne la production et la perception <strong>de</strong>s<br />
sons, <strong>de</strong>s accents, <strong>de</strong>s intonations, <strong>de</strong> l’enchaînement ou <strong>de</strong> la liaison, <strong>de</strong>s valeurs<br />
expressives <strong>de</strong> telle ou telle prononciation, tandis que la phonologie se contente <strong>de</strong><br />
donner, au bout <strong>de</strong> son analyse, une <strong>de</strong>scription abstraite <strong>de</strong>s sons en tant qu’unités<br />
fonctionnelles et relationnelles dont chaque combinaison différant par un seul<br />
élément engendre une signification différente. Autrement dit, la phonétique fait<br />
dans le concret, dans le matériel <strong>de</strong>s sons en nombre limité, s’actualisant dans <strong>de</strong>s<br />
occurrences sonores, en nombre pratiquement infini, parce qu’elles sont aussi<br />
diverses que les locuteurs (hommes, femmes ou enfants, jeunes ou vieux) qui les<br />
produisent et les contextes dans lesquels ils apparaissent.<br />
La phonologie, elle, ne retient <strong>de</strong> ces mêmes occurrences qu’un nombre<br />
limité d’éléments — qu’elle appelle phonèmes, et qui comportent <strong>de</strong>s traits<br />
distinctifs généraux, quasi universels, et une fonction ; ces traits font <strong>de</strong> chaque<br />
phonème un objet abstrait aux caractéristiques constantes et immuables,<br />
reconnaissable par tous les locuteurs <strong>de</strong> la même communauté linguistique. La<br />
phonétique relève du réel, <strong>de</strong> l’actuel, donc <strong>de</strong> la parole, la phonologie relève du<br />
virtuel, <strong>de</strong> l’inactuel, donc <strong>de</strong> la langue.<br />
2
I.1. La phonétique 1 ou le point <strong>de</strong> vue du phonéticien<br />
La phonétique est la science qui étudie les sons du langage humain à plusieurs<br />
points <strong>de</strong> vue : structure, traits acoustiques, mouvements articulatoires <strong>de</strong>s divers<br />
organes engagés dans la production <strong>de</strong>s sons, tels les organes <strong>de</strong> la respiration et les<br />
organes <strong>de</strong> la phonation : les poumons, le larynx, la bouche, la langue, les <strong>de</strong>nts, les<br />
fosses nasales, etc. (cf. infra).<br />
I.1.1. Phonétique articulatoire : l’appareil phonatoire<br />
Ce qu’on appelle appareil phonatoire, c’est l’ensemble <strong>de</strong>s organes, cavités<br />
et fosses, qui participent et coopèrent dans la production <strong>de</strong>s sons articulés du<br />
langage humain. Il comporte : 1) l’appareil respiratoire, qui assure la colonne<br />
d’air sans laquelle aucune vibration n’est possible, sans quoi, donc, aucun son —<br />
même un bruit — ne saurait être produit ; 2) le larynx, qui est la source <strong>de</strong><br />
l’énergie sonore ; 3) les organes mobiles et non mobiles (voir infra) et 4) les<br />
cavités supraglottiques, qui font fonction <strong>de</strong> résonateurs :<br />
1. les poumons, organes <strong>de</strong> la respiration, sous la pression <strong>de</strong>s muscles pectoraux,<br />
fournissent l’air. La respiration, on le sait, comporte <strong>de</strong>ux phases l’inspiration<br />
et l’expiration : c’est l’air rejeté pendant l’expiration qui est nécessaire à la<br />
phonation (voir, pour le détail, Malmberg, 1971 : 24) ;<br />
2. le larynx, sorte <strong>de</strong> boîte cartilagineuse, situé dans la partie supérieure <strong>de</strong> la<br />
trachée, est le siège <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales (voir, pour force détails physiologiques,<br />
Malmberg, 1971 : 25-31). Les cor<strong>de</strong>s vocales, l’organe le plus important <strong>de</strong><br />
l’appareil phonatoire, se présentent comme <strong>de</strong>ux lèvres flexibles, à la fois<br />
1 Il y a une phonétique acoustique qui étudie, au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s lois physiques, les sons ou<br />
vibrations périodiques ou non périodiques, simples ou composée, analysables selon fréquence<br />
(hauteur du ton), amplitu<strong>de</strong> (intensité du son), timbre (dû à l’audibilité <strong>de</strong>s harmoniques), etc. (voir,<br />
pour détails, Malmberg, 1971 : 6-23), une phonétique physiologique qui traite <strong>de</strong> l’appareil<br />
phonatoire, <strong>de</strong> tous les organes responsables <strong>de</strong> la production <strong>de</strong>s sons (cf . ibid., pp. 25-33), une<br />
phonétique combinatoire qui étudie les modifications que peuvent subir les sons quand ils se<br />
combinent entre eux car il ne faut pas oublier qu’ils n’apparaissent jamais seuls dans la chaîne<br />
parlée (cf. les phénomènes combinatoires : la palatalisation, la vélarisation, la labialisation, labiovélarisation,<br />
l’assimilation, la dissimilation, la syllabe, le groupe phonétique, etc. – ibid., pp. 65-82),<br />
une phonétique expérimentale – ou instrumentale – qui étudie les sons <strong>de</strong> façon objective à l’ai<strong>de</strong><br />
d’instruments acoustiques, physiologiques (cf. ibid. pp. 99-102), une phonétique fonctionnelle ou<br />
phonologie (certains linguistes lui préfèrent le terme phonématique) dont nous avons déjà dit <strong>de</strong>ux<br />
mots (cf. supra), enfin une phonétique évolutive ou historique qui s’occupe <strong>de</strong>s changements qui<br />
interviennent dans la prononciation d’une langue au cours <strong>de</strong> son histoire (cf. ibid. pp. 111-119).<br />
Quant à nous, nous nous pencherons sur une phonétique synchronique, celle <strong>de</strong> la prononciation du<br />
français <strong>de</strong> nos jours, tout en puisant, le cas échéant, dans toutes les autres. Riegel, Pellat, Rioul<br />
(1998 : 39) évoque aussi une phonétique perceptive, qui relève <strong>de</strong> la psychologie expérimentale et<br />
qui prend en compte l’auditeur, le « sujet entendant », et la façon dont il discrimine les sons.<br />
3
compressibles et extensibles (car constituées d’un muscle et d’un tissu<br />
élastique). Symétriquement placées à gauche et à droite <strong>de</strong> la ligne médiane du<br />
larynx, elles circonscrivent un espace normalement triangulaire, appelée la<br />
glotte, qui reste ouverte pendant la respiration ou la prononciation <strong>de</strong> consonnes<br />
sour<strong>de</strong>s et se ferme plus ou moins pour produire la voix (ou voisement), qui<br />
consiste en vibrations <strong>de</strong> fréquence variable et d’intensité plus ou moins forte,<br />
lesquelles vibrations sont caractéristiques <strong>de</strong>s voyelles et <strong>de</strong>s consonnes<br />
sonores.<br />
3. les organes mobiles, représentés par la langue, les lèvres, le voile du palais et<br />
la luette (moins souvent), assurent <strong>de</strong> par leur mobilité une gran<strong>de</strong> variété <strong>de</strong><br />
points et types d’articulation. Créant <strong>de</strong>s obstacles sur le passage <strong>de</strong> l’air expiré<br />
ou modifiant la forme et le volume <strong>de</strong>s cavités, les organes mobiles permettent<br />
la production <strong>de</strong> bruits (sourds ou voisés) ou <strong>de</strong> résonances (orale ou nasale).<br />
La langue, « ce complexe <strong>de</strong> muscles » 2 (ibid., p. 33), est l’organe le plus<br />
souple et le plus mobile. Elle peut, par exemple, selon qu’elle se manifeste<br />
par sa pointe (apex), par la partie dorsale juste au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la pointe ou par<br />
le dos (dorsum), enfin par ses bords, donner respectivement une articulation<br />
apicale, prédorsale, dorsale ou latérale. Selon que le point (ou la zone) <strong>de</strong><br />
contact <strong>de</strong> la langue se trouve sur les <strong>de</strong>nts ou les gencives, sur les alvéoles,<br />
sur la partie antérieure du palais dur, sur la partie médiane (la plus haute)<br />
du palais, sur la partie postérieure (à la limite du palais dur et du palais<br />
mou), sur le palais mou ou, enfin, sur la luette, on aura respectivement une<br />
articulation <strong>de</strong>ntale, alvéolaire, prépalatale, palatale ou médio-palatale,<br />
post-palatale, vélaire, uvulaire.<br />
Les lèvres jouent un rôle important dans la phonation surtout pour une<br />
langue comme le français. Elles peuvent avoir une position neutre (leur<br />
position normale), ou être projetées en avant ou encore arrondies. Il peut y<br />
avoir <strong>de</strong> la sorte une articulation labiale (bilabiale) avec un arrondissement<br />
<strong>de</strong>s lèvres. Avec les lèvres en position neutre (plus ou moins étirées), on<br />
produira <strong>de</strong>s sons non labiaux ou délabialisés, etc.<br />
Le voile du palais, ou palais mou, peut par ses mouvements bloquer le<br />
passage <strong>de</strong> l’air à travers la cavité buccale. En s’accolant à la paroi<br />
2 « Ce sont les différents mouvements <strong>de</strong> la langue qui permettent d’obtenir tous les effets<br />
résonateurs dont nous nous servons pour réaliser les différents timbres vocaliques du langage et <strong>de</strong><br />
produire toute une série <strong>de</strong> bruits divers. » (Malmberg, 1971 : 33).<br />
4
postérieure du pharynx, il oblige ainsi l’air à passer entièrement ou en<br />
partie à travers les fosses nasales et à sortir par le nez, ce qui donne lieu à<br />
une articulation nasale. En donnant libre passage au courant d’air à travers<br />
la bouche, le voile du palais donnera lieu à une articulation orale.<br />
Les <strong>de</strong>nts, les alvéoles, le palais dur, organes non mobiles ou fixes, jouent<br />
un rôle très important dans l’articulation <strong>de</strong>s sons parce qu’ils permettent la<br />
formation <strong>de</strong> toutes sortes d’obstacles que l’air, dans son passage, doit<br />
“surmonter” (voir infra la production <strong>de</strong>s consonnes). Les différentes<br />
articulations dues aux organes mobiles et fixes <strong>de</strong> l’appareil phonatoire et<br />
leurs combinaisons permettent <strong>de</strong> modifier et le trajet, et la pression <strong>de</strong> la<br />
colonne d’air. Ainsi, le passage <strong>de</strong> l’air peut être libre, rétréci ou<br />
momentanément arrêté, ce qui revient à une occlusion totale du canal. Les<br />
voyelles correspon<strong>de</strong>nt aux vibrations <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales et au passage<br />
libre <strong>de</strong> l’air qui s’échappe par la bouche (voyelles orales) ou par le nez<br />
(voyelles nasales). Les consonnes, elles, sont la conséquence du<br />
rétrécissement ou <strong>de</strong> la fermeture complète et momentanée du passage <strong>de</strong><br />
l’air.<br />
4. les cavités supraglottiques, ou résonateurs, sont le pharynx, la bouche, ou<br />
cavité buccale, les fosses nasales, et même l’espace interlabial, circonscrit par<br />
Lèvres<br />
Dents<br />
Alvéoles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts<br />
Palais dur<br />
Voile du palais<br />
Luette<br />
Pointe <strong>de</strong> la langue<br />
Dos <strong>de</strong> la langue<br />
Racine <strong>de</strong> la langue<br />
Cavités nasales<br />
Cavité pharyngale<br />
Glotte<br />
Larynx<br />
Trachées<br />
Coupe médiane schématique <strong>de</strong>s<br />
organes <strong>de</strong> la parole<br />
5
5. la projection en avant et l’arrondissement <strong>de</strong>s lèvres. Ce quatrième résonateur<br />
permet <strong>de</strong> varier les effets résonateurs <strong>de</strong> la cavité buccale en produisant<br />
l’articulation labiale ou labialisation. Toutes ces cavités peuvent modifier leur<br />
forme et leur volume (forme et volume cependant constants pour les fosses<br />
nasales qui ont toujours un effet résonateur i<strong>de</strong>ntique) ; elles peuvent être<br />
fermées (plus précisément, le passage <strong>de</strong> l’air par la bouche est rétréci et une<br />
partie <strong>de</strong> celui-ci passe à travers les fosses) par l’abaissement du voile du palais,<br />
ce qui donne lieu à une articulation nasale, ou ouvertes par l’élévation du même<br />
voile, ce qui rétablit une articulation orale. La cavité buccale peut elle-même<br />
6. changer <strong>de</strong> mille manières grâce à l’extrême mobilité et plasticité <strong>de</strong> la langue<br />
et aux divers <strong>de</strong>grés d’ouverture que la bouche autorise 3 .<br />
I.1.2. La phonétique : les sons français et leurs caractéristiques générales<br />
Si l’on en croit Joëlle Gar<strong>de</strong>s-Tamine (1990 : 9), un <strong>de</strong>s traits les plus<br />
saillants <strong>de</strong> la prononciation du français est « sa gran<strong>de</strong> netteté articulatoire due<br />
entre autres à une forte tension musculaire » (souligné par l’auteur), ce qui fait que<br />
ses sons sont toujours perçus comme particulièrement précis et nets.<br />
Le français, comme le roumain, comporte trois types <strong>de</strong> sons : les voyelles,<br />
les consonnes et les semi-voyelles ou semi-consonnes, connues aussi sous le nom<br />
<strong>de</strong> gli<strong>de</strong>s.<br />
D’une façon très générale, nous dirons que toutes les voyelles, telles [a], [e],<br />
[i], etc., sont sonores, acoustiquement elles ne comportent pas <strong>de</strong> bruit audible :<br />
elles sont, comme nous l’avons déjà dit, le résultat <strong>de</strong> la vibration <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s<br />
vocales, elles sont continues au sens qu’on peut les faire durer aussi longtemps que<br />
les poumons fournissent l’air qui, sans jamais rencontrer d’obstacle, traverse la<br />
bouche ou les fosses nasales.<br />
Les consonnes, elles, contiennent au contraire <strong>de</strong>s bruits car, sur son trajet,<br />
l’air expiré peut rencontrer différents obstacles formées par la langue et les<br />
diverses parties <strong>de</strong> l’appareil phonatoire.<br />
Ainsi distingue-t-on <strong>de</strong>s consonnes momentanées — qu’on ne peut pas faire<br />
durer : elles sont le résultat d’une fermeture (occlusion) complète suivie d’une<br />
ouverture instantanée (“explosion”) et <strong>de</strong>s consonnes continues qui sont le résultat<br />
d’un rétrécissement du passage <strong>de</strong> l’air et qui peuvent, comme les voyelles, durer.<br />
3 Voir aussi, pour d’autres détails et précisions, Grammont, 1965, 16-23.<br />
6
Un autre trait saillant <strong>de</strong>s consonnes est la présence ou l’absence du voisement<br />
(présence ou absence <strong>de</strong> vibrations <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales), ce qui donne une série <strong>de</strong><br />
consonnes sonores, comme [b], [d], [v], etc., et une série <strong>de</strong> consonnes sour<strong>de</strong>s,<br />
comme [p], [t], [f], etc.<br />
Les gli<strong>de</strong>s (semi-voyelles ou semi-consonnes), tout en étant très proches <strong>de</strong>s<br />
voyelles, s’en distinguent en ceci qu’ils présentent un léger bruit <strong>de</strong> frottement<br />
causé par le rétrécissement du passage <strong>de</strong> l’air entre la langue et le palais : par<br />
exemple le i <strong>de</strong> corbeille, travail. En outre, comme les consonnes, ils ont la<br />
particularité <strong>de</strong> ne pas pouvoir former à eux seuls une syllabe, ils doivent se faire<br />
précé<strong>de</strong>r ou suivre par une voyelle : yeux [j4], mais œil [5j].<br />
Une autre particularité du système phonétique du français mo<strong>de</strong>rne est qu’il a<br />
perdu ses diphtongues 4 du fait <strong>de</strong> sa prononciation tendue, à l’opposé <strong>de</strong> l’allemand<br />
ou <strong>de</strong> l’anglais, et même du roumain, qui ont une prononciation plutôt relâchée qui<br />
favorise la diphtongaison. Ces diphtongues sont formées <strong>de</strong> voyelles qui changent<br />
<strong>de</strong> timbre au cours <strong>de</strong> leur émission.<br />
Enfin, le français ne connaît pas l’accent <strong>de</strong> mot, mais l’accent <strong>de</strong> groupe, qui<br />
frappe toujours la <strong>de</strong>rnière syllabe du groupe <strong>de</strong> mots : un enfant, un petit, un petit<br />
enfant, un charmant, un charmant petit enfant, un amour, un amour d’enfant.<br />
Pour finir cette petite introduction au particularités du phonétisme français,<br />
nous donnons une simple liste <strong>de</strong>s sons du français contemporain transcrits dans<br />
l’alphabet phonétique international (API) :<br />
voyelles :<br />
[i] comme dans ici, initier, rythme, onyx<br />
[y] comme dans une, sûr, vue<br />
[u] comme dans ourlet, cour, caillou<br />
[e] comme dans été, péril, café, chant(er)ai<br />
[1] comme dans êtres, faîte, taie, chant(er)ais<br />
[4] comme dans feu, yeux, heureux, peux<br />
4 « Le français mo<strong>de</strong>rne n’a pas <strong>de</strong> diphtongues. Les groupes ie, ui, oi et oui dans <strong>de</strong>s mots comme<br />
pied, nuit, fois, oui sont à interpréter comme une suite <strong>de</strong> consonne plus voyelle. L’ancienne langue<br />
française, au contraire, était riche en diphtongues, dont l’orthographe gar<strong>de</strong> encore beaucoup <strong>de</strong><br />
trace (ex. fait, fleur, haut, mou, qui se prononçaient au Moyen Âge avec <strong>de</strong>s diphtongues a + i, e +<br />
ou, a + ou, o + ou). L’ancien français a connu aussi, à certaines époques, <strong>de</strong>s triphtongues,<br />
contenant trois différents timbres vocaliques (par ex. dans beau prononcé be + a + ou). »<br />
(Malmberg, 1971 : 44)<br />
7
[5] comme dans œil, peur, teuf-teuf,<br />
[0] comme dans le, ce, premier, <strong>de</strong>hors, faisan, faisons<br />
[o] comme dans eau, pot, château, héros, vaux<br />
[3] comme dans or, sort, porte, cohorte<br />
[a] comme dans à, abat, tard, tarama<br />
[2] comme dans hâte, pâte, rare, rat<br />
[!] comme dans hein, pin, tain, faim, teint, fantassin, sympa<br />
[%] comme dans un, brun, embrun, parfum<br />
[#] comme dans on, bon, longueur, tonton, plombier<br />
[$] comme dans an, en, temps, pantin, pampa, pente, entente<br />
semi-voyelles (semi-consonnes) :<br />
[j] comme dans yeux, pied, feuillage, fille, travaille<br />
[6] comme dans huit, lui, fuite, fruit<br />
[w] comme dans oui, loi, mouette, louer, watt, whisky<br />
consonnes :<br />
[p] comme dans pas, pot, pont, appas, cep, trappe<br />
[b] comme dans bal, bol, abat, habit, crabe, nabab, baobab<br />
[t] comme dans tas, athée, attestation, bath, carte, pente, tête<br />
[d] comme dans don, ad<strong>de</strong>nda, ai<strong>de</strong>, idylle, ri<strong>de</strong><br />
[k] comme dans cap, chœur, kaki, lac, laque, technique, quiproquo<br />
[g] comme dans gar<strong>de</strong>, gué, agglomérat, agha, aguichant, bague<br />
[m] comme dans maman, ami, amnésie, album, (il) consomme<br />
[n] comme dans nana, ennemi, automne, âne, banane<br />
[ϕ] comme dans gnangnan, gagner, ignare, oignon, cygne<br />
[f] comme dans fiche, photo, affiche, infini, orphelinat, touffe<br />
[v] comme dans vallée, ville, avocat, avis, rive, wagon<br />
[s] comme dans soleil, citerne, scène, recette, essaim, housse<br />
[z] comme dans zoo, zinc, zigzag, horizon, oseille, osmose<br />
[8] comme dans chat, chouchou, chic, échine, schéma, short, livèche<br />
[7] comme dans jambe, jet, jus, jonc, joujou, fange, gibier, gêne<br />
[l] comme dans lac, langue, ourlet, chorale, chan<strong>de</strong>lle, maboul<br />
[r] comme dans rat, riz, ruche, fortune, rhum, pourriture torture, or<br />
8
I.1.3. L’unité <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> perception : syllabe phonique et syllabation<br />
Les locuteurs d’une langue ne prononcent pas <strong>de</strong>s sons isolés, ce qu’ils<br />
prononcent et enchaînent sont <strong>de</strong>s suites plus ou moins longues <strong>de</strong> sons, les<br />
syllabes, unités <strong>de</strong> production en rapport très étroit avec la physiologie <strong>de</strong> la parole.<br />
La parole nous apparaît comme une chaîne continue formée <strong>de</strong> petites unités, les<br />
sons, qui normalement ne sont pas séparés. Les sons se groupent pour former <strong>de</strong>s<br />
syllabes, lesquelles se combinent pour former <strong>de</strong>s mots, les mots s’agglutinent pour<br />
former <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> mots et ces <strong>de</strong>rniers pour former <strong>de</strong>s phrases. Si nous avons<br />
une conscience nette <strong>de</strong> la syllabe, « c’est qu’elle correspond à une réalité<br />
perceptive […] et à une réalité articulatoire » (Riegel, Pellat, Rioul, 1998 : 41). Ces<br />
<strong>de</strong>ux réalités sont rendues sensibles par l’existence <strong>de</strong> sons <strong>de</strong> transition entre les<br />
syllabes d’un mot et par l’effort musculaire qui, pour chaque syllabe, suit une ligne<br />
décroissante (un maximum d’ouverture vocalique suivi d’une baisse <strong>de</strong> la tension) 5 .<br />
De manière générale, on voit dans la syllabe une suite <strong>de</strong> sons qui se prononcent<br />
en une seule émission <strong>de</strong> voix soutenue par la présence d’une — et une seule !<br />
— voyelle 6 , le plus souvent accompagnée — précédée ou suivie — d’au moins<br />
une consonne ou d’un gli<strong>de</strong>, ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers ne pouvant jamais à eux seuls<br />
former <strong>de</strong> syllabe. La syllabe est composée d’un « noyau » ou « centre », toujours<br />
une voyelle (notée V), et, souvent, <strong>de</strong> part et d’autre, d’une « frange » ou<br />
« marge », formée par une consonne (notée C) ou plus. La (les) consonne(s) qui<br />
précè<strong>de</strong>(nt) le centre <strong>de</strong> la syllabe sont explosives (tension haute) et celles qui le<br />
suivent sont implosives (tension basse). La frontière entre <strong>de</strong>ux syllabes est la<br />
coupe syllabique, ou jointure.<br />
Le découpage syllabique se trouvant à la base <strong>de</strong>s analyses phonologiques<br />
s’opère suivant quelques principes (cf. Gar<strong>de</strong>s-Tamine, 1990 : 10-11) :<br />
5 « Pendant la phonation, les muscles se ten<strong>de</strong>nt et se déten<strong>de</strong>nt pour former <strong>de</strong>s unités rythmiques :<br />
la syllabe est la partie <strong>de</strong> la chaîne comprise entre <strong>de</strong>ux moments <strong>de</strong> tension » (Derivery, 1997 : 7).<br />
6 « Il est possible <strong>de</strong> définir la voyelle […] comme le son élémentaire qui peut former une syllabe à<br />
lui seul ; alors que la consonne (étymologiquement : qui sonne avec) ne peut être prononcée<br />
isolément sans l’appui d’une voyelle » (Riegel, Pellat, Rioul, 1998 :41). Les mêmes auteurs<br />
décrivent la syllabe comme « une unité d’effort musculaire, une réalité purement articulatoire, sans<br />
réelle pertinence linguistique » (p. 54), tout en soulignant le caractère quelque peu aléatoire et<br />
variable du traitement <strong>de</strong> la syllabation par les locuteurs (ex. : prononcer ou non le e caduc, appelé,<br />
pour ces raisons mêmes, instable [p0ti]/[pti], pratiquer <strong>de</strong>s découpages différents d’un même mot :<br />
[1g-zis-t$s]/[1-gzi-st$s] ). La syllabation compte fonctionnellement quand elle permet, par exemple,<br />
<strong>de</strong> distinguer <strong>de</strong>s énoncés par ailleurs homophones (cf. les petites roues [le-ptit-ru]/les petits trous<br />
[le-pti-tru] ou c’est elle qu’il aime [s1-t1l-kil-1m]/c’est elle qui l’aime [s1-t1l-ki-l1m].<br />
9
1. la segmentation <strong>de</strong>s groupes qui forment la chaîne parlée se fait toujours<br />
à l’intérieur <strong>de</strong> ces groupes mêmes : amical adieu [a-mi-ka-la-dj4] et non<br />
[a-mi-kal a-dj4] ;<br />
2. il y a toujours autant <strong>de</strong> syllabes que <strong>de</strong> voyelles : dans le groupe ci-<br />
<strong>de</strong>ssus il y a bien cinq voyelles, donc cinq syllabes [a-mi-ka-la-dj4]. Le<br />
découpage syllabique se complique quand dans un groupe il y a un e<br />
muet, appelé aussi caduc ou instable (voir infra I.2. Le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la<br />
phonétique combinatoire) parce que, suivant l’environnement<br />
phonétique ou le niveau <strong>de</strong> langue, il peut ou non être prononcé. Le<br />
nombre <strong>de</strong> syllabes orales ne coïnci<strong>de</strong>nt pas avec le nombre <strong>de</strong> syllabes<br />
graphiques. Ainsi dans amical au revoir, on peut compter 6 syllabes<br />
graphiques 7 contre 5 syllabes orales (ou phoniques) seulement dans le<br />
français standard où l’on ne prononce pas le e muet : [a-mi-ka-lor(0)-vwar] ;<br />
3. lorsque, entre <strong>de</strong>ux voyelles, il y a une consonne, la consonne passe<br />
dans la même syllabe que la voyelle qui la suit, quand bien même elles<br />
peuvent, à l’intérieur d’un groupe, appartenir à <strong>de</strong>s mots différents : [a-mi-<br />
kal], mais [a-mi-ka-la-dj4] ;<br />
4. si <strong>de</strong>ux voyelles sont séparées par <strong>de</strong>ux consonnes, chaque consonne<br />
s’attache à une <strong>de</strong>s voyelles : la première va fermer la syllabe avec la<br />
voyelle qui la précè<strong>de</strong>, la <strong>de</strong>uxième forme la syllabe avec la voyelle qui la<br />
suit : infecté [!-fek-te], festival [fes-ti-val], stagnation [stag-na-sj#] ;<br />
cependant, si la <strong>de</strong>uxième consonne est [r] ou [l], les <strong>de</strong>ux consonnes<br />
forment la syllabe avec la voyelle qui suit, sauf si la première consonne<br />
est elle-même [r] ou [l]: patrici<strong>de</strong> compte quatre syllabes graphiques : pa-<br />
tri-ci-<strong>de</strong>, et trois syllabes orales [pa-tri-cid], sarcler [sar-klé], mais parler<br />
[par-le] ;<br />
5. le français comporte <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> syllabes : <strong>de</strong>s syllabes ouvertes (ou<br />
libres) et <strong>de</strong>s syllabes fermées (ou couvertes). Les syllabes terminées par<br />
une voyelle sont dites ouvertes (type CV) et celles terminées par une ou<br />
7 La syllabe graphique est constituée d’un seul graphème vocalique — lequel peut compter une ou<br />
plusieurs lettres — précédé ou suivi <strong>de</strong> graphèmes consonantiques : le groupe nominal la fenêtre se<br />
découpe en quatre syllabes graphiques, la-fe-nê-tre, et <strong>de</strong>ux syllabes phoniques : [la-fn1tr] ou peutêtre<br />
aussi [laf-n1tr](cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1998 : 55).<br />
10
plusieurs consonnes sont dites fermées (types VC, CVC) : seau [so], peau<br />
[po], râteau [ra-to], etc. / art [ar], part [par], port [p3r], pourtour [pur-tur],<br />
tarte [tart], (il) farfouille [far-fuj], tartre [tartr], etc. Plus <strong>de</strong> 80 % <strong>de</strong>s<br />
syllabes sont ouvertes (Derivery, 1997 : 8), ce qui confirme la tendance<br />
très marquée du français à la syllabation ouverte, que seuls contrecarrent<br />
la chute <strong>de</strong>s [0] qui amène <strong>de</strong>s syllabes fermées (tu me le rediras [ty-m0-l0-<br />
r0-di-ra] <strong>de</strong>vient en conversation courante [tym-l0r-di-ra]) et les emprunts<br />
(busines [biz-nes], basket-bal [bas-k1t-bo:l], week-end [wik-1nd]) ;<br />
6. la segmentation (la coupe syllabique) débor<strong>de</strong> le cadre du mot, se<br />
faisant au niveau <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> mots qui s’agglutinent dans la chaîne<br />
parlée ; la conséquence en est que le phonétisme français est caractérisé<br />
par la prédominance <strong>de</strong>s syllabes ouvertes 8 , comme cela peut se voir<br />
dans la phrase suivante (Gar<strong>de</strong>s-Tamine, 1990 : 11) : Un vent sec et froid<br />
soufflait en rafales, qui compte non moins <strong>de</strong> 9 syllabes ouvertes pour une<br />
seule syllabe fermée ([-fal]) : [% - v$ - s1 - ke - frwa - su - fl1 - t$ - ra - fal]. Ou<br />
encore dans : Paul est allé à Paris en auto [p3-l1-ta-le-a-pa-ri-$-no-to], où<br />
toutes les syllabes sont ouvertes ;<br />
7. les formes syllabiques du français se caractérisent par une gran<strong>de</strong> variété :<br />
V, CV, CCV [lwa], CCCV [krwa], VC [ar], VCC [u:rs], CVC [r3b], CCVC<br />
[trak], CCVCC [trist] et même CCCVCC [strikt]. Mais la forme qui<br />
l’emporte par sa fréquence au point <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir le schéma canonique <strong>de</strong> la<br />
syllabe française est le type CVCV, engendré et soutenu par<br />
l’enchaînement, la liaison et l’élision 9 (voir plus bas).<br />
On va en conclure que la syllabe est une entité plastique qui va, selon le<br />
contexte phonique, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la frontière du mot ou du groupe du mot, car, à la<br />
jointure entre <strong>de</strong>ux mots, peut se former une nouvelle syllabe quand la consonne<br />
finale du premier mot se joint à l’initiale vocalique du second (enchaînement). La<br />
8 « La forme la plus courante <strong>de</strong> syllabe est composée d’une consonne (suivie éventuellement d’un<br />
[l], d’un [r], d’un [j], d’un [6] ,d’un [w] ) et d’une voyelle. C’est vers ce schéma idéal <strong>de</strong> syllabe<br />
ouverte que tend le plus souvent la prononciation courante du français (c’est nous qui<br />
soulignons) : Tous les invités sont ici [tu-le-z !-vi-te-s#-ti-si] – trois grands blonds [trwa-gr$-bl#] »<br />
(Riegel, Pellat, Rioul, 1998 : 54).<br />
9 « On peut dire que le français, dans un registre soigné, est une langue très liée et que les<br />
séparations entre les mots se font peu entendre » (Derivery, 1997 : 32, souligné par l’auteur), sauf<br />
les cas d’accentuation didactique, expressive, etc. (voir l’accent externe au II.2.1.2. Les <strong>de</strong>ux types<br />
d’accent : l’accent interne et l’accent externe).<br />
11
liaison (prononciation d’une consonne latente <strong>de</strong>vant la voyelle initiale du mot<br />
suivant) et l’élision (suppression d’une voyelle finale d’un mot <strong>de</strong>vant l’initiale<br />
vocalique du mot suivant) sont <strong>de</strong>ux autres phénomènes qui sous-ten<strong>de</strong>nt et<br />
augmentent la plasticité <strong>de</strong> la syllabe française (cf. infra la liaison et l’élision).<br />
I.1.3.1. L’enchaînement<br />
D’une façon générale, l’enchaînement est le fait, à l’intérieur d’un groupe et<br />
même au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong> prononcer <strong>de</strong> façon liée, sans aucun heurt, sans non plus le<br />
moindre arrêt <strong>de</strong> la voix, toutes les syllabes inaccentuées — toutes égales en<br />
intensité et en durée — qui précè<strong>de</strong>nt la syllabe finale accentuée. L’enchaînement<br />
ne crée pas <strong>de</strong> son nouveau (au contraire <strong>de</strong> la liaison, voir infra), il organise et<br />
suscite la structure syllabique liée du groupe accentuel, qui tend vers le schéma<br />
canonique CV-CV : Il a eu une amie à Paris [i-la-y(-)y-na-′mi(-)a-pa-′ri] 10 , Il a vécu<br />
avec elle à Orléans [i-la-ve-′ky(-)a-ve-′k1(-)la-or-le-′$]. Le trait d’union marque les<br />
bornes <strong>de</strong>s syllabes et, en même temps, leur prononciation liée à l’intérieur <strong>de</strong><br />
chaque groupe rythmique.<br />
Suivant la nature <strong>de</strong>s sons — voyelle ou consonne — qui se suivent à<br />
l’intérieur du groupe rythmique, l’enchaînement est vocalique ou consonantique :<br />
– l’enchaînement vocalique est le fait <strong>de</strong> prononcer <strong>de</strong> façon liée, sans faire la<br />
moindre pause, toutes les voyelles qui se suivent à l’intérieur du même groupe<br />
accentuel : tu as eu [ty-a-′y], tu as eu aussi [ty-a-y-o-′si], tu as été invité, [ty-a-e-<br />
′te-!-vi-′te], tu as été aussi aimé [ty-a-e-′te-o-′si-1-′me]. L’absence <strong>de</strong> coupure entre<br />
les voyelles d’un même groupe rend la notion d’hiatus purement théorique.<br />
C’est ce qui explique la tendance, dans le cas d’un débit rapi<strong>de</strong>, <strong>de</strong> prononcer la<br />
voyelle [y], dans les groupes tu as, tu es comme la semi-voyelle [6] <strong>de</strong> (il) tua /<br />
tuait [′t6a] / [′t61]. L’enchaînement se fait aussi entre toute voyelle orale ou<br />
nasale 11 , y compris e instable, et la voyelle du mot suivant commençant par h<br />
aspiré : en haut [$′o], là-haut, [la′o], ce héros [s0e′ro], la halte [la′alt], une halte<br />
[yn0′alt], quelle honte [k1l0′#:t], parle haut [parl0′o]. Il en est <strong>de</strong> même pour les<br />
10 Les traits d’union entre parenthèses marquent la borne finale du groupe rythmique, qui<br />
correspondrait à une toute petite pause, plutôt fictive, car cette borne marque la fin d’un groupe<br />
syntaxique (groupe nominal sujet, groupe verbal, etc.). Même avec un débit lent, le locuteur<br />
enchaîne les syllabes et les groupes accentuels.<br />
11 Il n’y a pas <strong>de</strong> dénasalisation <strong>de</strong>vant les mots à h aspiré, ni après les noms propres à finale nasale :<br />
un hangar [%$′gar], Julien arrive [7ylj !a′r ].<br />
12
adverbes interrogatifs quand, comment, pourquoi, où : Quand arrive-t-il ?<br />
[k$ariv′til], Comment arrive-t-il ? [k3′m$ariv′til], Pourquoi habite-t-il si loin ?<br />
[pur′kwaabit(0)′tilsi′lw!], Où est Pierre [u1′pj1:r] ;<br />
– l’enchaînement consonantique, c’est le fait, en prononçant, <strong>de</strong> lier la<br />
consonne finale d’un mot à l’initiale vocalique du mot suivant avec laquelle elle<br />
forme syllabe : Il a une auto neuve [i-la-y-no-to-′n5:v], Paul a vécu avec elle et<br />
pour elle [p3-la-ve-ky-a-v1-k1-le-pu-r1l], Il examine [i-leg-za-′min]. Les groupes<br />
consonne + r / l à la finale d’un mot passent à l’initiale du mot suivant : Le<br />
maître est toujours à l’heure [l0-m1-′tr1-tu-7u-ra-′l5:r], On ne peut rien contre eux<br />
[#n-p4-′rj1-k#-′tr4] ou [#-n0-p4-ri1-k#-tr4], Le livre était ouvert [l0-li-vre-t1-tu-v1:r],<br />
Le gosse était maigre et sale [l0-g3-se-t1-m1-gre-sal], L’ombre arrive et l’air est<br />
plus frais [l#-bra-ri-ve-l1-r1-ply-fr1].<br />
I.1.3.2. La liaison et l’élision<br />
A la jointure entre <strong>de</strong>ux ou plusieurs mots formant un groupe rythmique, une<br />
syllabe peut toujours se former du phonème final (consonne) du premier mot et le<br />
phonème initial (voyelle) du mot suivant, et c’est la liaison. Un <strong>de</strong>uxième cas <strong>de</strong><br />
figure peut se présenter, complémentaire du premier, où <strong>de</strong>ux voyelles se<br />
rencontrent à la finale et à l’initiale <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mots qui se suivent, ce qui se sol<strong>de</strong> par<br />
la chute <strong>de</strong> la voyelle finale du premier. <strong>Cel</strong>a s’appelle une élision qui, dans l’écrit,<br />
est marquée par une apostrophe (’) :<br />
I.1.3.2.1. La liaison<br />
La liaison est le fait <strong>de</strong> prononcer la consonne finale d’un mot <strong>de</strong>vant le mot<br />
suivant qui commence par une voyelle et h muet. Cette consonne dite latente n’est<br />
normalement pas prononcé dans le mot pris isolément ou <strong>de</strong>vant un mot qui<br />
commence par une consonne ou par h aspiré. Le t latent n’est pas prononcé dans un<br />
petit [%-p(0)′ti], un petit garçon [%-p(0)ti-gar-′s#], un petit héros [%-p(0)ti-e′ro], mais<br />
il l’est toujours dans un petit enfant [%-p(0)ti-t$′f$], un petit hommage [%-p(0)ti-<br />
to′ma7] ; le graphème s, marque du pluriel à l’écrit, ne se prononce pas dans les<br />
petits [le-′p(0)ti], les petits garçons [le-pti-gar-′s#], les petits héros [le-p(0)ti-e′ro], mais<br />
il l’est dans les petits enfants [le-p(0)ti-z$-′f$],] les petits hommages [le-p(0)ti-zo-′ma7].<br />
13
La liaison se fait entre <strong>de</strong>ux mots appartenant au même groupe rythmique 12 . En<br />
outre, elle peut parfois entraîner la modification du timbre <strong>de</strong> la voyelle précédant<br />
la consonne latente : le divin enfant [l0-di-vi-n$-′f$] et l’enfant divin.<br />
Les consonnes <strong>de</strong> liaison sont [z], [t] et [n] : Les_amis sont_arrivés à<br />
huit_heures chez_eux [le-za-′mi-s#-ta-ri-′ve-a-h6i-′t%:r-8e-′z4]<br />
La consonne [n], latente dans la finale nasale d’un mot, se manifeste dans la<br />
liaison <strong>de</strong>vant les mots à initiale vocalique ou à h muet, sans pour autant entraîner<br />
— sauf cas rarissime : (voir supra transcription phonétique) — la modification du<br />
timbre <strong>de</strong> la voyelle nasale 13 :<br />
un ami [%na′mi], un homme [%′n3m], aucun élève [ok%ne′l1:v], un immeuble<br />
[%nim5bl], bien élégant [bj!neleg$], en un instant [$n%n!st$], rien à faire [rj!<br />
naf1:r], le Moyen Age [l0mwaj!na:7]<br />
Il est bien rare qu’on puisse entendre, comme consonne <strong>de</strong> liaison, [r] , [p],<br />
[k] ou [g] : [r] se fait entendre dans <strong>de</strong>s adjectifs comme premier, <strong>de</strong>rnier, léger, ou,<br />
dans une prononciation qui se veut soignée, sinon légèrement affectée, après <strong>de</strong>s<br />
verbes à l’infinitif :<br />
Un léger_émoi a suivi le premier_appel déchirant du <strong>de</strong>rnier_homme<br />
blessé. [%le71re′mwa / aas6i′vi / l(0)pr0mj1ra′p1l / dyd1rnj1′r3mble′se] ;<br />
Parler_avec vous, quel plaisir ! [pal1rav1k′vu / k1l pl1′zi:r].<br />
La consonne [p] fait la liaison après les adverbes beaucoup et trop :<br />
Trop_aimable, il a beaucoup_apprécié mon discours [tr3p1′mabl0 /<br />
ilabo′kupapre′sjem#dis′kur].<br />
Enfin le graphème consonantique g se prononce dans l’expression<br />
consacrée [k] dans sang impur (cf. la Marseillaise), ou bien, en variation libre,<br />
[k] ou [g] : un long hiver [%l#ki′v1:r] / [%l#gi′v1:r]<br />
12 « On lie un mot accentué à un autre mot inaccentué ou à un mot accentué. Il n’y a jamais <strong>de</strong><br />
liaison après un mot accentué [et pour cause : la <strong>de</strong>rnière syllabe du mot accentué est la borne finale<br />
du groupe rythmique, n. n., V. D.], c’est-à-dire entre <strong>de</strong>ux groupes rythmiques : Alain est un grand<br />
ami [a-′l!-1-%-′gr$-ta-′mi] / Il est grand, Alain [i-l1-′gr$/a-′l!]<br />
13 Janeta Drăghicescu (1980 : 34) parle <strong>de</strong> dénasalisation là où nous n’en voyons aucune (sauf le cas<br />
rarissime: le divin enfant [l0-di-vi-n$-′f$] ). La voyelle nasale est la substance phonique qui engendre<br />
le phonème [n] <strong>de</strong> liaison tout en conservant sa nasalité.<br />
14
L’enchaînement alterne avec la liaison pour marquer l’opposition singulier-<br />
pluriel dans les verbes ou pour éviter l’ambiguïté : il existe [i-leg-′zist] mais ils<br />
existent [il-zeg-zist] ; il hérite [i-le-′rit] mais ils héritent [il-ze-′rit]. De même, après <strong>de</strong>s<br />
verbes comme prendre, répondre, sortir, etc., au présent <strong>de</strong> l’indicatif, affirmatif,<br />
troisième personne, la <strong>de</strong>rnière consonne prononcé s’enchaîne au déterminant qui<br />
suit le verbe : il répond aujourd’hui [il-re-p#-o-7ur-′d6i], avec enchaînement<br />
vocalique (singulier), mais ils répon<strong>de</strong>nt [il-re-p#-do-7ur-′d6i], avec enchaînement<br />
consonantique (pluriel). A la forme interrogative, c’est la liaison qui joue : il<br />
répond [il-re-′p#] / répond-il [re-p#-′til], ils répon<strong>de</strong>nt [il-re-p#d] / répon<strong>de</strong>nt-ils [re-<br />
p#-d0-′til].<br />
Après la <strong>de</strong>uxième personne du pluriel du verbe être, <strong>de</strong>vant les noms <strong>de</strong><br />
qualité (métier, profession, nationalité) l’enchaînement indique un singulier (forme<br />
<strong>de</strong> politesse) : vous êtes humaine [vuz1ty′m1n], vous êtes architecte [vuz1tar8i′t1kt],<br />
vous êtes Allemand [vuz1tal′m$], tandis que la liaison renvoie à un pluriel : vous êtes<br />
humaines [vuz1tzy′m1n], vous êtes architectes [vuz1tzar8i′t1kt], vous êtes Allemands<br />
[vuz1tzal′m$].<br />
Pour finir, il nous faut dire que la liaison peut être obligatoire, facultative et<br />
même abusive (donc interdite) :<br />
♦ la liaison est obligatoire, avec souvent une valeur grammaticale (marque du<br />
pluriel dans les groupes nominal et verbal) :<br />
à l’intérieur du groupe nominal, entre le déterminant (article, démonstratif,<br />
possessif, etc.) et le mot suivant, nom ou adjectif : les hommes [le′z3m], un<br />
ami [%na′mi], mon amitié [m#nami′tje], ces élèves [seze′l1:v], mes étudiants<br />
[mezety′dj$], leurs amis [l5rza′mi], un étrange émoi [%netr$7e′mwa], un<br />
immense scandale [%ni′ (m)m$s(s)k$′dal], quels événements [k1lzev1n′m$] ;<br />
à l’intérieur du groupe nominal, entre l’adjectif (qualificatif, indéfini,<br />
numéral) et le nom (ou un autre adjectif) qui le suit : petits ennuis<br />
[p(0)tiz$′n6i], certains auteurs [s1rt!zo′t5:r], les <strong>de</strong>ux ennemis [led4zen(0)′mi],<br />
les <strong>de</strong>ux autres affaires [led4zo.tr0za′f1:r], quelques écrivains [k1lk0zecri′v!] ;<br />
15
<strong>de</strong> même, la liaison est obligatoire entre le nom introduit par les quantitatifs<br />
certains et quelques et l’adjectif qui le suit : certaines critiques indiscrètes<br />
[s1rt1nkri′tikz!dis′kr1t], quelques mesures efficaces [k1lk0 m0′zyrzefi′kas] ;<br />
à l’intérieur du groupe verbal, entre le pronom personnel — quelle qu’en<br />
soit la fonction syntaxique — et le verbe (ou un autre pronom) qui le suit :<br />
Ils achètent <strong>de</strong>s pommes [ilza8′1t<strong>de</strong>′p3m], elles les aiment, elles en mangent<br />
chaque jour [1lle′z1m // 1lz$′m$78ak′ju:r]. Tu nous apportes beaucoup<br />
[tynuza′p3rt(0) bo′cu]. Ils y vont, elles en arrivent [ilzi′v# / 1lz$na′ri:v]. La<br />
liaison est obligatoire après les verbes avoir ou être avec les participes<br />
passés, après être suivi d’un adjectif-attribut : ils ont aimé, [ilz#t1me], elle y<br />
est allé [1li1tale], elle est aimable [1l1t1mabl] ;<br />
entre la préposition et le syntagme nominal, entre l’adverbe d’intensité et<br />
l’adjectif (ou l’adverbe) qu’il modifie, entre les proclitiques (les mots<br />
formant un groupe accentuel avec le mot suivant) et ce qui les suit (cf.<br />
Riegel, Pellat, Rioul, 1998 : 56) : en un an [$n%′n$], sans aucun doute<br />
[s$zok%′dut], chez elles [8e′z1l], très aimable [tr1z1′mabl], fort<br />
heureusement [f3rt4r4z′m$], je vous en aime plus encore ;<br />
[70vuz$n′1mplyz$′ko:r] ; (voir si ce paragraphe n’est pas mieux placé dans la<br />
liaison facultative, cf. Riegel, 56, surtout la première phrase)<br />
dans <strong>de</strong>s mots composés et <strong>de</strong>s locutions figées dont la cohésion morpho-<br />
sémantique est précisément étayée par la liaison : avant hier [$v$′tj1:r], <strong>de</strong><br />
fond en comble [d0f#t$k#bl], les Etats-Unis [lezetazy′ni], un pot-au-<br />
feu [%poto′f4], <strong>de</strong> temps en temps [d0t$z$′t$], un pied-à-terre [%pjeta′t1:r],<br />
mais il y aura enchaînement vocalique si les constituants recouvrent leur<br />
indépendance : trois jours avant hier [trwa7u:r$v$j1:r] ; le fond en toile<br />
rouge [l0f#$twal′ru:7], les Etats unis dans leur combat…<br />
[lezetay′nid$l5rk#′ba], il met le pot au feu [ilm1l(0)′poo′f4], il met le pied à<br />
terre [ilm1l(0)′pjea′t1:r] ;<br />
♦ la liaison est facultative : c’est le niveau <strong>de</strong> langue qui joue dans la réalisation<br />
facultative <strong>de</strong> la liaison . D’une manière générale, on la fait beaucoup moins<br />
16
dans le français courant, standard ou familier, et beaucoup plus dans le français<br />
soigné. On peut dire que le français courant, plus spontané, moins élaboré, plus<br />
direct, aux ratés plus nombreux, préfère l’enchaînement là où le français soigné<br />
s’accommo<strong>de</strong> très bien <strong>de</strong> la liaison. Voici les contextes 14 dans lesquels la<br />
liaison est facultative :<br />
entre le nom et l’adjectif qualificatif postposé, et seulement pour marquer le<br />
pluriel : un enfant intenable [%n$′f$!t′nabl] mais <strong>de</strong>s enfants intenables<br />
[<strong>de</strong>z$′f$(z)!t′nabl], un étudiant appliqué [%nety′dj$apli′ke] mais <strong>de</strong>s étudiants<br />
appliqués [<strong>de</strong>zety′dj$(z)a pli′ke] ;<br />
entre le verbe et son déterminant (complément, attribut), entre l’auxiliaire<br />
(ou semi-auxiliaire) et le participe passé (ou l’infinitif) : prends un jus [pr$<br />
(z)%′7y], elle vont à Paris [1lv#(t)apa′ri], nous allons à Rome<br />
[nuzal#(z)a′r3m], vous avez entendu [vuza′ve(z)$t$′dy], il doit arriver<br />
[ildwa(t)ari′ve], nous voulons écouter [nuvu′l#(z)ecu′te] ; je suis un fan <strong>de</strong><br />
Piaf [70s6i(z)%fand(0)′piaf] 15 ;<br />
après les prépositions ou les adverbes comportant à la finale un [t] latent, et<br />
dans d’autres séquences plus ou moins figées, formant un même groupe<br />
rythmique : pendant une année [p$d$(t)yna′ne], remarquablement<br />
intéressant [r0markabl′m$(t)!tere′s$], d’autres encore [dotr(0z)$′ko:r] ;<br />
♦ enfin, la liaison est abusive, et partant interdite :<br />
entre <strong>de</strong>ux mots appartenant à <strong>de</strong>ux groupes rythmiques, à <strong>de</strong>ux groupes<br />
syntaxiques différents : comparez l’énoncé Paul a <strong>de</strong>s enfants intelligents<br />
(avec liaison) [p3′la<strong>de</strong>z$′f$z!teli′7$], où intelligents, à fonction d’épithète,<br />
fait partie du syntagme nominal objet direct <strong>de</strong>s enfants intelligents, à<br />
l’énoncé Paul trouve ces enfants / intelligents [p3latru′vesez$′f$!teli′7$], où<br />
14 « Les unités susceptibles <strong>de</strong> se rattacher par la liaison sont du même type que les unités qui<br />
apparaissent dans les liaisons obligatoires : l’auxiliaire ou le semi-auxiliaire et le participe passé ou<br />
l’infinitif, la préposition et le déterminant indéfini ou le nom, le verbe ou son déterminant, etc. »<br />
(Drăghicescu, 1980 : 38).<br />
15 En langage familier, on prononce le plus souvent : [86i!fand′piaf].<br />
17
intelligents, à fonction d’attribut, forme à lui seul un groupe syntaxique (et<br />
rythmique). Voici d’autres exemples :<br />
Julien est parti pour Paris [7y′lj!1par′tipurpa′ri], Comment / interprétez-<br />
vous cela [k3′m$!t1rpretevu′sla], Quand / espérez-vous finir [′k$ /<br />
1spere′vufi′nir], Souvent, il ne dort pas [su′v$ / iln0dor′p2], Quand es-tu <strong>de</strong><br />
retour [′k$ / 1tydr0′tur] ;<br />
dans les tours inversifs, entre le pronom sujet et le participe passé ou<br />
l’infinitif, ou bien un adjectif qualificatif : Ont-ils / écouté le poème ?<br />
[#′tilecu′tel(0)po′1m], Sont-elles / arrivées ? [s#t1lari′ve], Vont-ils / émigrer<br />
au Québec ? [v#′tilemi′greoke′b1k] ; Avez-vous / habité à Paris ?<br />
[ave′vuabi′teapa′ri] Sont-ils / énervants, ces gosses ! [s#′tilen1r′v$ / se′gos] ;<br />
<strong>de</strong>vant les mots oui, oh, ah, eh bien, ainsi que <strong>de</strong>vant les mots (ou toute<br />
phrase) à initiale vocalique, substantivés ou en citation : Un oui mais<br />
[%wi′m1], Des ah, <strong>de</strong>s oh, <strong>de</strong>s eh bien, ponctuaient son discours [<strong>de</strong>′a /<br />
<strong>de</strong>′o / <strong>de</strong>e′bj!p#k′ty1s#dis′ku:r], Le prof a bien dit / « éminent » et non /<br />
« imminent » [l0′profabj!′di / emi′n$en# / imi′n$], On entendait <strong>de</strong>s « Allez les<br />
Bleus » [#n$t$′d1<strong>de</strong>a′lele′bl4] ;<br />
dans certains mots composés et certaines locutions : nez à nez [nea′ne], <strong>de</strong>s<br />
bons à rien [<strong>de</strong>b#a′rj!] ;<br />
avec les numéraux huit et onze et entre cent et un : les / huit étudiants<br />
[le6itety′dj$], les / onze premiers [le#zpr0′mje], cent / un concurrents [s$<br />
%k#ky′r$] ;<br />
la consonne latente suivant un [r] prononcé est interdite normalement à la<br />
liaison (sauf, exceptionnellement, dans un niveau <strong>de</strong> langue<br />
particulièrement affecté) : nord-est [n3r′1st], il sort à midi [ils3rami′di],<br />
toujours incertain [tu7ur!s1rt!] (cf. Riegel, Rioul, Pellat, 1994 : 56) ;<br />
Pour conclure, nous dirions qu’en matière <strong>de</strong> liaison, pour éviter <strong>de</strong> passer<br />
pour affecté, voire même pour pédant, le locuteur doit s’en tenir aux liaisons<br />
18
traditionnelles ou obligatoires, surtout observer les liaisons grammaticales, celles<br />
qui permettent <strong>de</strong> lever <strong>de</strong>s ambiguïtés et <strong>de</strong> mettre un maximum <strong>de</strong> netteté dans ce<br />
qu’il dit.<br />
I.1.3.2.2. L’élision<br />
L’élision consiste, à la jointure entre <strong>de</strong>ux mots, lorsque le premier mot se<br />
termine par une voyelle, dans la suppression <strong>de</strong> celle-ci <strong>de</strong>vant l’initiale vocalique<br />
du mot suivant, ce qui, graphiquement, est marqué par l’apostrophe (’). Le<br />
phénomène <strong>de</strong> l’élision se produit dans tous les niveaux <strong>de</strong> langue 16 :<br />
après le et la, articles définis ou pronoms personnels proclitiques, les<br />
pronoms je, me, te, se et le pronom ce : l’étudiant, l’amour, l’homme,<br />
l’armoire, l’harmonie – je l’ai vu, ce film – Cette rencontre, je l’ai faite par<br />
pur hasard – Tu m’apportes <strong>de</strong>s bonbons – Tu t’habilles avec goût –<br />
J’arrive quand elle s’en va : c’est une chance ;<br />
Après <strong>de</strong>, préposition ou variante <strong>de</strong> l’article indéfini <strong>de</strong>s : d’un bout à<br />
l’autre – une foule d’émigrants, d’hommes et d’enfants tristes –<br />
d’étonnantes manifestations, – il n’a pas d’amis, pas d’ennemis non plus ;<br />
après ne, adverbe <strong>de</strong> négation : tu n’expliques pas, il n’en parle pas – il n’y vas<br />
pas – elle n’habites plus ici ;<br />
après que, conjonction (et ses composés), pronom relatif ou adverbe<br />
exclamatif : Je pense qu’il est mala<strong>de</strong> – Lorsqu’elle me sourit… – Les amies<br />
qu’ils ont invitées, qu’on aime beaucoup – Qu’elles sont gentilles ! ;<br />
après si, conjonction, <strong>de</strong>vant le seul pronom il(s) : S’il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’ils viennent,<br />
n’en dites rien.<br />
I.1.4. Les voyelles. Définition<br />
Les voyelles du français contemporain s’organisent dans un système où elles<br />
se groupent en séries et où chacune d’elle prend son individualité par rapport aux<br />
autres.<br />
16 Il y a élision avec tu dans le français parlé familier , populaire ou argotique : T’es mon pote,<br />
t’habites avec moi.<br />
19
D’une façon générale, chaque voyelle peut se définir par rapport à quatre<br />
facteurs : le lieu d’articulation 17 , c’est-à-dire selon qu’elle est prononcée en avant<br />
ou en arrière <strong>de</strong> la bouche ;<br />
le <strong>de</strong>gré d’aperture, plus ou moins gran<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la bouche ;<br />
l’intervention ou non d’un <strong>de</strong>s résonateurs : les lèvres projetées en avant et<br />
arrondies engendrent les voyelles labialisées, retirées, ou plutôt en position<br />
neutre, les lèvres donnent les voyelles délabialisées ; la bouche comme<br />
résonateur engendre les voyelles orales tandis que les fosses nasales traversées<br />
par le courant d’air produisent les voyelles nasales.<br />
Le système vocalique français compte, en théorie, 16 voyelles, dont 12<br />
voyelles orales et 4 voyelles nasales 18 . Le fameux triangle vocalique est formé par<br />
les trois voyelles, [i] et [u], dont les points d’articulation sont situés respectivement<br />
en avant et en arrière du palais, avec un <strong>de</strong>gré d’aperture minimal, et [a], dont le<br />
point d’articulation est en bas (sur le plancher formé par la langue) et en position<br />
médiane, avec un <strong>de</strong>gré d’aperture maximal. Toutes les autres voyelles peuvent<br />
alors être situées par rapport à ces trois voyelles extrêmes sur le triangle ou plutôt<br />
sur un trapèze renversé, appelé aussi le trapèze vocalique. <strong>Cel</strong>ui-ci rend compte <strong>de</strong><br />
façon plus précise <strong>de</strong> la topographie articulatoire <strong>de</strong>s voyelles 19 , comme dans la<br />
figure ci-<strong>de</strong>ssous :<br />
Voici maintenant la disposition <strong>de</strong>s voyelles avec leurs caractéristiques<br />
données par l’intersection <strong>de</strong>s trois facteurs cités ci-<strong>de</strong>ssus :<br />
A. ORALES Antérieures Postérieures<br />
17 « On appelle lieu d’articulation l’endroit où le passage <strong>de</strong> l’air est le plus étroit par suite du<br />
rapprochement <strong>de</strong> la pointe, du dos ou <strong>de</strong> la racine <strong>de</strong> la langue vers une partie du palais » (Derivery,<br />
1997 : 19).<br />
18 Nous montrerons plus tard que le nombre <strong>de</strong>s voyelles et leur répartition ne sont pas les mêmes<br />
pour tous les francophones (ils varient suivant le <strong>de</strong>gré d’instruction, l’âge, la région, etc. : « […] la<br />
répartition et le nombre <strong>de</strong> ces phonèmes vocaliques ne sont pas i<strong>de</strong>ntiques chez tous les locuteurs<br />
francophones, notamment le nombre <strong>de</strong>s nasales et la répartition <strong>de</strong>s voyelles <strong>de</strong> moyenne<br />
aperture (2 et 3) » (Derivery, 1997 : 220-21).<br />
19 On remarquera, avec Derivery, que le travail <strong>de</strong>s organes articulatoires est asymétrique, en ce sens<br />
que, par exemple, pour les voyelles antérieures, la mâchoire inférieure s’écarte beaucoup plus que<br />
pour les voyelles postérieures (qui s’articulent en arrière <strong>de</strong> la bouche).<br />
20
Lèvres rétractées Lèvres arrondies (labialisées)<br />
Degré d’aperture : fermées [i] [y] [u]<br />
B. NASALES<br />
mi-fermées [e] [4] [o]<br />
mi-ouvertes [1] [0] [5] [3]<br />
ouvertes [a] [2]<br />
Degré d’aperture : mi-ouvertes [!] [%] [#]<br />
ouvertes [$]<br />
A regar<strong>de</strong>r attentivement la disposition <strong>de</strong>s voyelles conformément aux<br />
facteurs rappelés ci-<strong>de</strong>ssus, on peut facilement dégager plusieurs séries se<br />
caractérisant chacune par un trait articulatoire commun.<br />
I.1.4.1. Série <strong>de</strong>s voyelles antérieures non arrondies : [i],[e],[1],[a]<br />
Pour les voyelles <strong>de</strong> cette première série, les lèvres sont rétractées, les<br />
commissures <strong>de</strong> celles-ci étant écartées, les points d’articulation se succè<strong>de</strong>nt entre<br />
la partie avant et la partie médiane du palais, tandis que le <strong>de</strong>gré d’ouverture va<br />
croissant <strong>de</strong> [i], le plus fermé, à [a], le plus ouvert.<br />
21
I.1.4.2. Série <strong>de</strong>s voyelles antérieures arrondies : [y], [4], [5], [0]<br />
C’est précisément cette série qui fait l’originalité du vocalisme français 20 par<br />
rapport à beaucoup <strong>de</strong> langues. Elle pose quelques difficultés d’acquisition qui<br />
consistent dans la coordination <strong>de</strong> la projection et <strong>de</strong> l’arrondissement simultanée<br />
<strong>de</strong>s lèvres. Les points d’articulation <strong>de</strong> cette série sont situés un peu en arrière par<br />
rapport à ceux <strong>de</strong> la première série. Pour ce qui est <strong>de</strong> leur prononciation, il nous<br />
faut dire qu’il suffit <strong>de</strong> prononcer chacune <strong>de</strong>s trois premières voyelles <strong>de</strong> la<br />
première série et, en même temps, projeter ses lèvres en avant tout en les<br />
arrondissant. Ainsi, [i] + lèvres arrondies projetées en avant → [y] ; [e] + lèvres<br />
arrondies projetées en avant → [4] et [0] ; [1] + lèvres arrondies projetées en avant<br />
→ [5] et [0] 21 .<br />
Comme on voit, le « e », en transcription phonétique : [0], dit caduc, muet ou<br />
instable, apparaît comme une voyelle plutôt centrale, mi-fermée et mi-ouverte, mi-<br />
antérieure et mi-postérieure, mi-labiale, c’est du moins ce que nous fait voir le<br />
tableau 1. En réalité, ce son a une existence assez mouvementée et plutôt précaire :<br />
tantôt il se prononce, tantôt il ne se prononce pas : ce garçon [s0gars#], la fenêtre<br />
[lafn1:tr], mais une fenêtre [ynf0n1:tr]. Phonétiquement il a bien sa place dans cette<br />
série, et c’est un son moyen entre [4] et [5].<br />
I.1.4.3. Série <strong>de</strong>s voyelles postérieures arrondies [u], [o], [3], [2]<br />
Ces voyelles se succè<strong>de</strong>nt par ordre d’aperture croissante, les <strong>de</strong>ux premières<br />
cependant pouvant avoir le même lieu d’articulation, ou légèrement décalé en avant<br />
pour [u] (voir le trapèze vocalique). Les <strong>de</strong>ux premières sont plutôt fermées (et<br />
même très fermée dans le cas <strong>de</strong> [u]), les <strong>de</strong>ux autres sont <strong>de</strong>s voyelles ouvertes (très<br />
ouverte dans le cas <strong>de</strong> [2]).<br />
20 Le vocalisme du français, par rapport à d’autres langues européennes, se caractérise par la<br />
prédominance <strong>de</strong>s articulations antérieures et <strong>de</strong> l’articulation labiale, celle-ci s’accompagnant d’un<br />
arrondissement <strong>de</strong>s lèvres, enfin par le rôle du voile du palais pour différencier nettement les<br />
voyelles orales et nasales (Derivery, 1997, 21).<br />
21 Concomitamment à la projection <strong>de</strong>s lèvres en avant et à leur arrondissement, le point<br />
d’articulation se déplace légèrement en arrière.<br />
22
I.1.4.4. Série <strong>de</strong>s nasales [!], [%], [#], [$]<br />
La particularité <strong>de</strong> ces voyelles est la combinaison <strong>de</strong> l’articulation orale qui<br />
engendre les voyelles les plus ouvertes ([1], [5], [3], [a]) avec, pour toutes, une<br />
résonance nasale i<strong>de</strong>ntique.<br />
I.1.5. Les consonnes.<br />
Nous avons déjà vu que grosso modo les consonnes sont le résultat <strong>de</strong><br />
l’obstruction totale ou partielle du passage <strong>de</strong> l’air. Pour donner un classement <strong>de</strong>s<br />
consonnes, il nous faut distinguer <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’articulation et <strong>de</strong>s lieux<br />
d’articulation.<br />
I.1.5.1. Classement <strong>de</strong>s consonnes selon les mo<strong>de</strong>s d’articulation<br />
Le classement <strong>de</strong>s consonnes, selon les mo<strong>de</strong>s d’articulation, fait intervenir,<br />
dans chaque cas, un mo<strong>de</strong> dominant, par exemple [± obstruction], et un ou <strong>de</strong>ux<br />
mo<strong>de</strong>s secondaires, tels [± sonorité] et/ou [± nasalité], qui définissent différentes<br />
séries <strong>de</strong> consonnes. Les trois mo<strong>de</strong>s d’articulation sont : le <strong>de</strong>gré d’obstruction<br />
du conduit vocal, la sonorité, ou voisement, et la présence <strong>de</strong> résonance (nasale<br />
ou labiale).<br />
I.1.5.1.1. Le <strong>de</strong>gré d’obstruction du conduit vocal (conduit buccal fermé totalement<br />
ou partiellement) : consonnes occlusives ou momentanées, constrictives,<br />
sonnantes et mi-occlusives<br />
♦ Les occlusives : [p], [b], [t], [d], [k], [g], [m], [n]<br />
Ces consonnes sont produites en <strong>de</strong>ux temps : une fermeture totale du passage<br />
<strong>de</strong> l’air est suivie <strong>de</strong> l’ouverture du conduit vocal, du relâchement brusque <strong>de</strong><br />
l’occlusion, ce qui se sol<strong>de</strong> par un bruit d’explosion (d’où aussi l’appellation d’<br />
« explosives »). Elles sont également dites momentanées, leur émission ne pouvant<br />
pas être prolongée au-<strong>de</strong>là du moment du relâchement <strong>de</strong> l’occlusion.<br />
23
♦ Les constrictives<br />
Dans la production <strong>de</strong> ces consonnes, il y a resserrement du passage <strong>de</strong> l’air,<br />
ce qui se traduit par un bruit <strong>de</strong> friction, <strong>de</strong> frottement (d’où aussi l’appellation <strong>de</strong><br />
fricatives), bruit qu’on peut prolonger tant que la provision d’air <strong>de</strong>s poumons n’est<br />
pas épuisée, d’où, également, l’appellation <strong>de</strong> continues. Tels sont [f], [v], [8], [7], [s],<br />
[z].<br />
♦ Les sonantes<br />
Ce sont les consonnes qui présentent un <strong>de</strong>gré d’obstruction faible ; en outre, à<br />
l’obstacle articulatoire s’ajoute un important phénomène <strong>de</strong> résonance nasale ou<br />
labiale (cf. infra). Ainsi les consonnes nasales [m], [n], latérales comme [l], vibrantes<br />
comme [r], [R] et les gli<strong>de</strong>s [j], [6] et [w], sont <strong>de</strong>s sonantes. Si pour les <strong>de</strong>ux premières<br />
il y a occlusion suivie d’une légère explosion, pour [l], il y a, comme pour les<br />
constrictives, un léger resserrement du passage <strong>de</strong> l’air qui s’écoule latéralement, <strong>de</strong><br />
part et d’autre <strong>de</strong> la langue, tandis que pour les vibrantes il y a <strong>de</strong>s battements<br />
rapi<strong>de</strong>s du bout <strong>de</strong> la langue pour [r] apical, et <strong>de</strong> la luette pour [R] dorsal ou<br />
dorsovélaire.<br />
♦ Les mi-occlusives<br />
Placées entre les occlusives et les constrictives, dont elles combinent le mo<strong>de</strong><br />
d’articulation, ce sont <strong>de</strong>s consonnes d’emprunt à faible ren<strong>de</strong>ment, situées à la<br />
périphérie du système phonologique français. On ne les trouve que dans <strong>de</strong>s mots<br />
d’origine étrangère : [t8] <strong>de</strong> tchétchène [t8et81n], [d7] <strong>de</strong> job [d73b], [ts] ou [dz] <strong>de</strong> tsar<br />
[tsa:r] ou [dza:r].<br />
I.1.5.1.2. La sonorité, ou voisement<br />
Ce mo<strong>de</strong> d’articulation secondaire permet d’opposer ces mêmes consonnes en tant<br />
que sonores ou sour<strong>de</strong>s. Suivant que les vibrations <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales se font<br />
entendre ou non, les consonnes sont sonores (voisées), appelées aussi lâches ou<br />
douces car produites avec une énergie musculaire moindre, et, respectivement,<br />
sour<strong>de</strong>s (non-voisées), appelées aussi tendues ou fortes, ce qui se constitue en une<br />
opposition importante dans le système consonantique français au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la<br />
phonétique articulatoire (voir infra). Des paires <strong>de</strong> consonnes se forment que<br />
24
n’oppose et ne distingue que l’absence ou la présence du voisement : [p]/[b], [t]/[d],<br />
[k]/[g], [f]/[v], [ 8 ]/[7], [s]/[z].<br />
I.1.5.1.3. La présence <strong>de</strong> résonance (nasale ou labiale)<br />
Ce mo<strong>de</strong> d’articulation confère à certaines consonnes le trait [+ nasal] ou [+<br />
labial] selon que la cavité nasale résonne (voile du palais abaissé) ou que les lèvres<br />
participent à leur production formant résonateur labial.<br />
Entrent dans cette catégorie les consonnes nasales [m] et [n] 22 , occlusives<br />
nasalisées (le voile du palais s’abaisse et une partie <strong>de</strong> l’air passe à travers les<br />
fosses nasales), les constrictives [8] et [7] et les semi-consonnes [6] et [w] à résonance<br />
labiale.<br />
I.1.5.2. Classement <strong>de</strong>s consonnes selon les lieux d’articulation : a. zones labiale et<br />
<strong>de</strong>ntale, b. zone palatale, c. zone vélaire (du voile du palais)<br />
Le lieu d’articulation est défini par l’endroit précis dans lequel les organes<br />
mobiles se rapprochent <strong>de</strong>s organes fixes ou forment <strong>de</strong>s obstacles (fermeture<br />
complète ou presque complète du conduit vocal) avec ceux-ci. Ces lieux<br />
d’articulation vont du plus avancé, au niveau <strong>de</strong>s lèvres [± bilabial] au plus reculé,<br />
au niveau du voile du palais [± vélaire]. Voici supra, sur la figure, le détail <strong>de</strong> ces<br />
différents lieux où l’on distingue les zones qui réunissent l’ensemble <strong>de</strong>s consonnes<br />
en séries homogènes du point <strong>de</strong> vue du lieu d’articulation.<br />
a. Zones labiale et <strong>de</strong>ntale :<br />
Série bilabiale [p], [b], [m]<br />
Les <strong>de</strong>ux lèvres accolées sont brusquement relâchées sous la pression <strong>de</strong> l’air,<br />
ce qui se sol<strong>de</strong> par une petite explosion. [p], [b], [m] sont <strong>de</strong>s occlusives bilabiales.<br />
Série apico-<strong>de</strong>ntale [t], [d], [n]<br />
La pointe <strong>de</strong> la langue s’appuie contre les <strong>de</strong>nts supérieures, plus précisément elle<br />
est en contact avec la zone alvéolaire située immédiatement <strong>de</strong>rrière les <strong>de</strong>nts<br />
supérieures. Comme pour les occlusives bilabiales, le même relâchement produit<br />
les occlusives [t], [d], [n], qui sont <strong>de</strong>s occlusives apico-<strong>de</strong>ntales.<br />
Série labio-<strong>de</strong>ntale [f] et [v]<br />
22 Comme la fermeture du conduit vocal n’est pas complète, Derivery (1997 : 23) les classe dans les<br />
sonantes.<br />
25
La lèvre inférieure se rapproche <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts supérieures produisant un<br />
resserrement (constriction) du conduit vocal qui fait un bruit <strong>de</strong> frottement, un peu<br />
comme un souffle. [f] et [v] sont <strong>de</strong>s consonnes constrictives labio-<strong>de</strong>ntales.<br />
Série prédorso-alvéolaire [s] et [z] ou série sifflante<br />
La partie avant du dos <strong>de</strong> la langue se rapproche <strong>de</strong>s alvéoles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts<br />
supérieures produisant le même resserrement du conduit vocal, ce qui se sol<strong>de</strong> par<br />
un bruit <strong>de</strong> sifflement. Les constrictives [s] et [z] sont <strong>de</strong>s consonnes sifflantes<br />
prédorso-alvéolaires.<br />
Série apico-alvéolaire [l] et [r]<br />
La pointe <strong>de</strong> la langue s’appuie contre les alvéoles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts supérieures<br />
faisant barrage à l’air qui s’écoule sur les côtés <strong>de</strong> la langue, et c’est la sonnante<br />
latérale [l], ou bien la pointe <strong>de</strong> la langue s’appuie contre les alvéoles <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts<br />
supérieures et l’air, pour s’échapper, la fait vibrer (<strong>de</strong>ux à cinq battements), et c’est<br />
la sonnante vibrante [r] roulé.<br />
b. Zone palatale<br />
Série prédorso-palatale [8] et[7]<br />
La partie avant du dos <strong>de</strong> la langue se rapproche <strong>de</strong> la partie avant du palais dur en<br />
rétrécissant le conduit vocal au point que l’air qui s’échappe produit un bruit <strong>de</strong><br />
chuintement « évoquant le cri <strong>de</strong> la chouette, ou encore un bruit d’un jet <strong>de</strong><br />
vapeur, mais imprécis » (Riegel, Pellat, Rioul, 1998 : 39), à quoi s’ajoutent la<br />
projection et un léger arrondissement <strong>de</strong>s lèvres, ce qui leur donne la résonance<br />
bilabiale (cf. supra I.1.5.1.3. La présence <strong>de</strong> résonance). Les constrictives [8] et<br />
[7] sont <strong>de</strong>s consonnes chuintantes prédorso-palatales.<br />
Série médio-palatale<br />
Cette série est représentée par le seul item [ϕ], comme dans gagner [gaϕe] : pour<br />
articuler cette consonne la partie médiane du dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre la<br />
partie centrale du palais. La sonnante [ϕ] est une consonne nasale médio-palatale.<br />
Série dorso-palatale / dorso-vélaire [k] et [g].<br />
Ces <strong>de</strong>ux consonnes sont sensibles à l’environnement phonétique, plus<br />
précisément aux voyelles qui les suivent : le dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre le<br />
26
palais dur quand ces consonnes sont suivies d’une voyelle antérieure comme [i], [e]<br />
dans qui [ki] / gui [gi], quai [ke] / gai [ge]. Elles sont alors <strong>de</strong>s occlusives dorso-<br />
palatales. Le dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre le voile du palais si elles sont suivies<br />
d’une voyelle postérieure, telle [u], comme dans cou [ku] / goût [gu]. Elles sont alors<br />
<strong>de</strong>s occlusives dorso-vélaires.<br />
c. zone vélaire (du voile du palais)<br />
Série dorso-vélaire [k] / [g] (cf. supra).<br />
Série postdorso-vélaire [9]<br />
Cette série ne compte que le seul item [9], un emprunt à l’anglais (cf. les mots<br />
en -ing : parking, camping) : la partie arrière du dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre le<br />
voile du palais. [9] est une consonne nasale post-dorso-vélaire.<br />
Série dorso-uvulaire<br />
Pour cette série, la partie arrière du dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre la luette<br />
(extrémité du voile du palais) ou s’en rapproche. Avec un léger battement, on<br />
articule [R], appelé « r » grasseyé. Sans battement, avec juste une vibration à peine<br />
sensible <strong>de</strong> la luette, on articule [ř], connu sous le nom <strong>de</strong> « r » parisien. (voir si on<br />
peut remplacer [ř] par R renversé)<br />
I.1.5.3. La série <strong>de</strong>s trois semi-consonnes [j], [6] et [w]. Un mo<strong>de</strong> d’articulation<br />
mixte ([+ constriction], [+ sonorité])<br />
Il s’agit <strong>de</strong>s trois sons [j], [6] et [w], qu’on appelle aussi semi-voyelles ou<br />
gli<strong>de</strong>s (voir supra). Leur articulation se rapproche <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s trois voyelles les<br />
plus fermées [i], [y] et [u] avec, toutefois, un resserrement marqué du conduit vocal,<br />
ce qui donne un bruit <strong>de</strong> frottement. Riegel, Pellat et Rioul (1994 : 46) les classent<br />
dans la série <strong>de</strong>s constrictives. Les trois semi-consonnes sont donc sonores<br />
(présence <strong>de</strong> vibrations <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales). Côté lieux d’articulation, les <strong>de</strong>ux<br />
premières [j] et [6] sont articulées avec la partie médiane du dos <strong>de</strong> la langue qui<br />
remonte vers la partie avant du palais, ce sont donc <strong>de</strong>s médio-palatales, la<br />
<strong>de</strong>uxième, [6], étant en outre labialisée ; enfin la troisième, [w], toujours labiale, est<br />
une post-dorso-vélaire, c’est-à-dire qu’on la prononce avec la partie postdorsale <strong>de</strong><br />
27
la langue qui remonte vers le voile du palais. Comme les autres consonnes elles ne<br />
peuvent pas former à elles seules une syllabe (voir supra).<br />
I.1.6. Tendances articulatoires du français contemporain<br />
Pour finir avec la présentation du système phonétique du français, il nous faut<br />
rappeler les tendances articulatoires du français (cf. Riegel, Pellat et Rioul, 1994 :<br />
47) :<br />
9 sur les 16 voyelles et 15 sur les 20 ( ! ?) consonnes du français ont une<br />
articulation antérieure 23 , c’est-à-dire qu’elles se prononcent dans la<br />
partie avant <strong>de</strong> la bouche, « ce qui fait volontiers ressentir aux<br />
francophones certaines autres langues comme gutturales » (ibid.).<br />
une articulation très tendue 24 et nette 25 , favorisant la syllabation ouverte<br />
(la syllabe se termine <strong>de</strong> préférence sur une voyelle : « toutes les<br />
consonnes intervocaliques se rattachent à la voyelle qui les suit, même si<br />
cette voyelles appartient à un autre mot », (Derivery, 1997 : 61 ; c’est<br />
l’auteur qui souligne. Voir l’enchaînement consonantique et la liaison).<br />
23 Derivery parle du « mo<strong>de</strong> antérieur » : « Parler sur le mo<strong>de</strong> antérieur signifie que les lieux<br />
d’articulation ainsi que les centres <strong>de</strong>s cavités <strong>de</strong> résonance se portent <strong>de</strong> préférence vers l’avant ;<br />
l’antériorité en français est marquée à la fois par la position <strong>de</strong> la langue, qui est maintenue pointe en<br />
bas dans une position convexe vis-à-vis du palais dur et du voile, et par l’arrondissement <strong>de</strong>s<br />
lèvres » (1997 : 60 – souligné par l’auteur).<br />
24 Ou « mo<strong>de</strong> tendu » : « Parler sur un mo<strong>de</strong> tendu signifie qu’il se produit, pendant la phonation,<br />
une gran<strong>de</strong> dépense d’énergie, pour tendre les muscles <strong>de</strong> la langue et <strong>de</strong>s lèvres notamment. Les<br />
sons sont articulés énergiquement, sans renforcement <strong>de</strong>s uns aux dépens <strong>de</strong>s autres » (Derivery,<br />
1997 : 61) . Les conséquences du mo<strong>de</strong> tendu, selon le même auteur, sont : – l’absence <strong>de</strong>s<br />
diphtongues et <strong>de</strong>s voyelles diphtonguées, du fait du timbre égal <strong>de</strong>s voyelles pendant l’émission ;<br />
– une nasalisation forte « pas d’appendice nasal consonantique <strong>de</strong>rrière les voyelles nasales », p.<br />
61) ; – l’absence <strong>de</strong> semi-occlusives, « excepté dans les mots d’emprunt comme tsar, pizza,<br />
djebel… », ibid .) ; – enfin, « une gran<strong>de</strong> égalité rythmique », le français privilégiant une<br />
élocution égale, ce qui veut dire que les syllabes accentuées ne se détachent guère du point <strong>de</strong> vue<br />
acoustique : « la phrase semble composée d’une succession <strong>de</strong> syllabes presque égales, qui se<br />
combinent en groupes accentuels », p. 62.<br />
25 Ou « mo<strong>de</strong> croissant » (Derivery, 1997 : 61) : « Le mo<strong>de</strong> croissant signifie que les voyelles et les<br />
consonnes se réalisent avec une énergie physiologique qui commence avec une attaque douce et<br />
s’accroît progressivement. Les syllabes ten<strong>de</strong>nt à se terminer sur leur noyau vocalique. La<br />
transition <strong>de</strong> consonne à voyelle est nette, sans diffusion entre les sons » (c’est nous qui<br />
soulignons).<br />
28
I.2. Le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la phonétique combinatoire (ou variation <strong>de</strong>s sons)<br />
Les contraintes physiologiques, qui surviennent lors <strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong>s<br />
sons dans la chaîne parlée, sorte <strong>de</strong> « continuum sonore » (Deriverry), sont source<br />
<strong>de</strong> modifications phonétiques, et c’est la phonétique combinatoire qui s’en occupe.<br />
Un phonème, un son n’est jamais prononcé <strong>de</strong> la même façon par <strong>de</strong>ux<br />
locuteurs, ni même par le même locuteur à <strong>de</strong>s moments différents, d’où une gran<strong>de</strong><br />
diversité <strong>de</strong> réalisations phonétiques que notre oreille ne perçoit même plus.<br />
D’ailleurs à l’oral, comme à l’écrit, nous ne percevons pas chaque son ou chaque<br />
graphème (ou lettre), mais l’ensemble <strong>de</strong>s sons ou <strong>de</strong>s graphèmes formant un mot<br />
ou un groupe <strong>de</strong> mots, voire même un énoncé entier, et cependant nous les<br />
reconnaissons et en comprenons le sens, malgré la variété <strong>de</strong>s formes sonores ou<br />
écrites que peut prendre un même énoncé, grâce le plus souvent au co-texte, c’est-<br />
à-dire grâce à ce qui les précè<strong>de</strong> et/ou ce qui les suit, et au contexte (ou situation <strong>de</strong><br />
communication) dans les cas d’altérations majeures <strong>de</strong>s formes sonore ou écrite 26 .<br />
Les combinaisons <strong>de</strong> sons en syllabes ne vont jamais sans que voyelles et<br />
consonnes ne s’influencent et ne se modifient mutuellement ; « […] les consonnes<br />
sont soumises à l’influence acoustique <strong>de</strong>s voyelles et […] les spectres vocaliques<br />
sont modifiés au contact <strong>de</strong>s consonnes » (Malmberg, 1971 : 64) 27 .<br />
Sans vouloir nous attar<strong>de</strong>r sur la phonétique combinatoire, nous voulons<br />
simplement l’illustrer en montrant quelques phénomènes suffisamment fréquents<br />
pour que l’on soit en droit <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> tendances fortement ancrées dans les<br />
comportements phonétiques <strong>de</strong>s francophones natifs, tendances dont certaines sont<br />
<strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s lois générales.<br />
La diversité <strong>de</strong>s réalisations phonétiques comporte <strong>de</strong>s variantes frappantes,<br />
dont les variantes dites libres et les variantes conditionnées.<br />
26 « […] c’est la silhouette du mot qui est saisie, et, fût-elle confuse, le sens du contexte oriente le<br />
déchiffrement. De la même manière (que les graphèmes, n. n., V.D.), les phonèmes réellement<br />
prononcés, érodés voire escamotés, sont souvent bien loin <strong>de</strong> leur image idéale » (Riegel, Pellat,<br />
Rioul, 1994 : 52).<br />
27 Voir, pour d’autres détails, au chapitre VII <strong>de</strong> Malmberg (1971 : 64-73) sur la phonétique<br />
combinatoire, les phénomènes combinatoires <strong>de</strong> palatalisation, <strong>de</strong> vélarisation, <strong>de</strong> labialisation, <strong>de</strong><br />
labio-vélarisation ou les changements phonétiques plus radicaux (assimilation, dissimilation,<br />
interversion, métathèse, etc.).<br />
29
I.2.1. Les variantes libres<br />
On retient, parmi les plus intéressantes, les variantes qui évoquent une<br />
certaine catégorie <strong>de</strong> locuteurs ou bien un milieu social ou géographique 28 . Il en est<br />
ainsi, par exemple, du /r/ qui comporte <strong>de</strong>s réalisations phonétiques — au moins<br />
trois : roulé, grasseyé, dévibré — différentes selon la région (Paris, Bourgogne, le<br />
Midi) ou le milieu social (couches populaires parisiennes). En Alsace les occlusives<br />
sonores, telles [b], [d], [g], ont tendance à s’assourdir, en Lorraine on assiste à <strong>de</strong>s<br />
phénomènes <strong>de</strong> diphtongaison (le timbre <strong>de</strong> la voyelle se ferme à la finale) comme<br />
dans mariée prononcé [marjei] (cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 52), dans les<br />
régions du Sud <strong>de</strong> la France, surtout à l’Ouest du Rhône (ibid), on entend <strong>de</strong>s<br />
nasalisations surprenantes : année prononcé [$ne] et même, avec gémination en<br />
plus, [$nne]. Dans le français d’outre-mer, plus précisément au Québec, les<br />
occlusives <strong>de</strong>ntales s’amalgament à une fricative (ibid.) : Dis [d z i], tiens [t s j!],<br />
médicament [med z ikam$], etc. 29<br />
I.2.2. Les variantes conditionnées<br />
Les variantes conditionnées sont suscitées par l’entourage phonétique qui<br />
exerce <strong>de</strong>s contraintes physiologiques sur la production <strong>de</strong>s sons en modifiant leur<br />
lieu ou leur mo<strong>de</strong> d’articulation, la “migration” d’un ou <strong>de</strong> plusieurs traits<br />
articulatoires d’un son à l’autre (cf. l’assimilation consonantique et vocalique).<br />
I.2.2.1. La loi du moindre effort : facilités <strong>de</strong> prononciation<br />
La fameuse loi du moindre effort illustrant le principe d’économie dans la<br />
langue explique que, lorsque les locuteurs enchaînent les sons, contraints par <strong>de</strong>s<br />
inerties physiologiques, ils sont portés à faire l’économie <strong>de</strong> mouvements<br />
articulatoires qui ne sont pas essentiels pour se faire comprendre. Ainsi, si <strong>de</strong>ux [t]<br />
successifs se présentent à la jointure <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mots, le premier sera prononcé avec<br />
seulement une occlusion tandis que l’explosion finale marquera le <strong>de</strong>uxième : cette<br />
tasse [s1ttas] 30 . Ou encore, il peut arriver que <strong>de</strong>ux sons différents partage un même<br />
28 Peuvent être considérées comme <strong>de</strong>s variantes libres individuelles le zézaiement, le bégaiement,<br />
etc. qui relèvent plutôt <strong>de</strong> la pathologie du langage.<br />
29 « De toutes ces particularités, les unes respectent le système phonologique (par exemple les<br />
diverses réalisations <strong>de</strong> /r/), les autres remettent en cause ce système ou si l’on veut révèlent la<br />
coexistence <strong>de</strong> plusieurs systèmes (comme la neutralisation dans le parler parisien <strong>de</strong>s oppositions<br />
[a]/[2] et [!]/[%]) » (Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 52).<br />
30 « […], on ne prononce pas normalement le premier t d’une façon complète, avec une occlusion<br />
suivie d’une explosion. Ce serait un travail superflu que d’ouvrir d’abord le passage <strong>de</strong> l’air pour le<br />
30
lieu d’articulation, tels [t], occlusive <strong>de</strong>ntale sour<strong>de</strong>, et [d], occlusive <strong>de</strong>ntale<br />
sonore, comme dans le groupe <strong>de</strong> mots une sorte <strong>de</strong> bière prononcé [yns3rtd0bj1:r] ;<br />
mais comme les cor<strong>de</strong>s vocales commencent à vibrer pendant l’unique occlusion, le<br />
trait <strong>de</strong> sonorité passe sur la sour<strong>de</strong> [t] qui <strong>de</strong>vient [d] : [yns3rd0bj1:r]. Pendant la<br />
prononciation d’un groupe <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes nasales n+ m ou m + n, dans une<br />
maison, amnistie, le passage par le nez reste ouvert, le voile du palais abaissé le<br />
temps d’articuler les <strong>de</strong>ux nasales.<br />
C’est toujours la même loi qui explique <strong>de</strong>s prononciations familières qui<br />
suppriment une consonne, par exemple [k] ou [l], dans une séquence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou<br />
plusieurs consonnes 31 : Excuse-moi ! prononcé [1skysmwa], quelque chose prononcé<br />
[k1k8o:z], ou quelqu’un dans, par exemple, Y a quelqu’un ? [jak1k%]. De même,<br />
dans le même parler familier, [r] et [l], ne sont pas prononcés en position finale,<br />
après consonnes, surtout, lorsqu’à la jointure, ils sont suivis aussi d’une consonne :<br />
j’achète un livre [7a81t%li:v(r)] / j’achète un livre d’histoire [7a81t%li:vdistwar],<br />
apporte la table [ap3rtlatab(l)] / apporte la table <strong>de</strong> marbre [ap3rtlatabd0marb(r)].<br />
Toutes ces modifications sont autant <strong>de</strong> facilités <strong>de</strong> prononciation dont tout locuteur<br />
est prêt à profiter pour économiser l’effort articulatoire tant que cela n’entrave pas<br />
la compréhension.<br />
I.2.2.2. Modification du lieu d’articulation<br />
Le lieu d’articulation peut varier, comme nous l’avons déjà vu, pour les<br />
occlusives [k] et [g], qui modifient leur point d’articulation suivant qu’ils sont<br />
suivis <strong>de</strong> [i], voyelle antérieure, ou <strong>de</strong> [u], voyelle postérieure (voir supra Série<br />
dorso-palatale / dorso-vélaire [k] et [g]). Il semble que ce phénomène concerne<br />
toutes les consonnes car « la langue et les lèvres prennent dès le début <strong>de</strong> la<br />
consonne la position qu’elle occupe pour l’émission <strong>de</strong> la voyelle » (Derivery,<br />
1997 : 36). Ainsi, [t] [d], [l], [m], [s], etc., seront prononcés avec les lèvres écartées<br />
si suivis <strong>de</strong> [i] et avec les lèvres arrondies si suivis <strong>de</strong> [u] : tisse / tout, dis / doux, lis<br />
fermer <strong>de</strong> nouveau pour le <strong>de</strong>uxième t, dont le point et le mo<strong>de</strong> d’articulation sont les mêmes. On<br />
gar<strong>de</strong> le premier contact et on se contente d’une occlusion allongée […]. C’est là un exemple d’une<br />
facilité <strong>de</strong> prononciation, due au contact <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux phonèmes i<strong>de</strong>ntiques » (Malmberg, 1971 : 65).<br />
Voir d’autres exemples du même phénomène pp. 65-66.<br />
31 « Les consonnes initiales <strong>de</strong> syllabe sont plus fortes et plus nettes (on les dit explosives) que<br />
celles qui terminent la syllabe (on les dit implosives). Ainsi [r] est articulé fortement dans riz [ri],<br />
moins fortement dans prie [pri] et plus faiblement dans pire [pi:r]. <strong>Cel</strong>a peut aller, dans la diction<br />
relâchée, jusqu’à la disparition pure et simple : [kat] pour quatre, comme [kartab] pour cartable »<br />
(Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 53).<br />
31
loue, mie / mou, six / sous, etc. <strong>Cel</strong>a explique le très grand nombre <strong>de</strong> variantes<br />
labialisées, palatalisées ou vélarisées <strong>de</strong>s consonnes, qui « conditionnées par le<br />
contexte, sont produites inconsciemment par les locuteurs et non perçus par le<br />
<strong>de</strong>stinataire » (ibid., p. 37). C’est dire que toutes ces modifications n’ont<br />
pratiquement pas d’influence sur la compréhension. Aussi ne doivent-elles pas faire<br />
l’objet d’applications pédagogiques particulières.<br />
I.2.2.3. L’assimilation consonantique (progressive et régressive)<br />
Le changement phonétique que le contexte (une consonne qui précè<strong>de</strong> ou qui<br />
en suit une autre) fait subir à une consonne à l’intérieur d’un mot ou à la jointure<br />
entre <strong>de</strong>ux mots, et même à la suite <strong>de</strong> la chute d’un e muet [0], s’appelle<br />
assimilation et la consonne qui en est responsable s’appelle consonne assimilatrice.<br />
Le changement consiste dans le transfert partiel ou total d’un ou <strong>de</strong> plusieurs traits<br />
articulatoires sur cette consonne. L’assimilation peut modifier le trait <strong>de</strong> voisement<br />
ou <strong>de</strong> dévoisement <strong>de</strong> la consonne, ainsi que le mo<strong>de</strong> d’articulation <strong>de</strong> celle-ci.<br />
L’assimilation est, suivant la direction du transfert, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sortes :<br />
elle est dite progressive lorsque, dans une série <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes, la première<br />
transmet au moins un <strong>de</strong> ses traits articulatoires à la <strong>de</strong>uxième : par exemple, [r]<br />
et [l] atténuent leur sonorité sous l’influence <strong>de</strong> consonnes sour<strong>de</strong>s, telles [f],<br />
[k], [t] ou [p] dans <strong>de</strong>s mots comme affres, socle, feutre, peuple, etc. ;<br />
elle s’appelle régressive quand c’est la <strong>de</strong>uxième consonne qui modifie celle<br />
qui la précè<strong>de</strong> immédiatement : dans une soupe <strong>de</strong> chou, à la jointure entre<br />
soupe et <strong>de</strong>, la consonne [d] transfère partiellement le trait [+ sonore] au [p],<br />
qu’on prononce ainsi plus proche <strong>de</strong> [b] ; <strong>de</strong> même, dans anecdote, où le<br />
transfert <strong>de</strong> voisement est total, qu’on entend prononcer [an1gd3t] au lieu <strong>de</strong><br />
[an1kd3t], ou dans absent, où le dévoisement <strong>de</strong> [b], sous l’action assimilatrice<br />
<strong>de</strong> la sour<strong>de</strong> [s], est quasiment total [aps$], quand bien même les <strong>de</strong>ux<br />
consonnes en contact appartiennent à <strong>de</strong>ux syllabes différentes. Dans le mot<br />
isolé iceberg et dans les groupes <strong>de</strong> mots bec <strong>de</strong> gaz, tête <strong>de</strong> veau, coupe <strong>de</strong><br />
champagne, on a le même phénomène, avec voisement cette fois-ci : [izb1:rg],<br />
[b1gd0gaz], [t1dvo], [kubd08$paϕ]. L’assimilation régressive avec dévoisement a<br />
même été sanctionnée par l’orthographe dans un cas comme celui <strong>de</strong><br />
absorption, dérivé du verbe absorber, où le <strong>de</strong>uxième [b] a totalement perdu<br />
son trait [+ sonore], changeant carrément en [p], sous l’effet <strong>de</strong> la sour<strong>de</strong> [s] du<br />
32
suffixe -tion. On a les mêmes effets dans <strong>de</strong>s mots comme mé<strong>de</strong>cin ou clavecin,<br />
dans lesquels la chute <strong>de</strong> [0] muet met en contact immédiat <strong>de</strong>ux consonnes,<br />
dont la <strong>de</strong>uxième, sour<strong>de</strong>, dévoise partiellement ou totalement la première :<br />
d’où les prononciations [meds!] ou [mets!], et respectivement, [klavs!] ou [klafs!]<br />
(nous notons par <strong>de</strong>s symboles phonétiques en italique le dévoisement partiel :<br />
[d], [v]). Il y a toujours dévoisement par assimilation régressive dans <strong>de</strong>s<br />
groupes comme je t’attends, où la chute <strong>de</strong> [0] muet met en contact la sonore [7]<br />
et la sour<strong>de</strong> [t], ce qui entraîne une perte <strong>de</strong> sonorité partielle [7tat$] ou totale<br />
[8tat$]. Même explication pour la prononciation familière [8s1] <strong>de</strong> j’sais, voire<br />
même [81pa] <strong>de</strong> j’sais pas.<br />
Il y a aussi assimilation régressive, accompagnée du changement du<br />
mo<strong>de</strong> d’articulation, par exemple, quand on entend prononcer [yn5:renmi]<br />
pour une heure et <strong>de</strong>mie, où le [d], par anticipation <strong>de</strong> l’articulation <strong>de</strong> la<br />
consonne [m] (pour la production <strong>de</strong> laquelle le voile du palais est abaissé), est<br />
partiellement nasalisé, sinon carrément remplacé par [n]. C’est ainsi que<br />
s’explique aussi la prononciation [manmwaz1l] dans un mot comme<br />
ma<strong>de</strong>moiselle, au lieu <strong>de</strong> [mad(0)mwaz1l], avec un [d] pur, ou bien légèrement<br />
nasalisé lorsque le [0] muet, n’étant pas prononcé du tout, met en contact le [d]<br />
et le [m].<br />
un cas particulier est celui où l’assimilation agit dans les <strong>de</strong>ux directions, sur la<br />
consonne d’avant et sur celle d’après (« assimilation double » chez Malmberg).<br />
Une double influence assimilatrice s’exerce dans pendant prononcé [p$n$], ou<br />
encore dans maintenant que souvent, sans le savoir, on prononce [m!nn$] ou<br />
même [m!n$] : le [d] et [t] intervocaliques sont remplacés par [n] sous<br />
l’influence conjuguée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux voyelles nasales qui les entourent.<br />
Dans le groupe Je crois, la chute <strong>de</strong> [0] muet entraîne l’assimilation (avec<br />
dévoisement) par l’occlusive sour<strong>de</strong> [k] <strong>de</strong> la constrictive sonore [7] qui le<br />
précè<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la sonante [r] qui le suit : [7kr wa] et même [8kr wa].<br />
I.2.2.4. L’assimilation vocalique<br />
Un premier cas <strong>de</strong> figure est celui que certains appellent « harmonisation<br />
vocalique » ou « dilatation » (Derivery), phénomène qui consiste en ce que tel trait<br />
distinctif d’une voyelle peut, dans certaines conditions (par ex., la loi <strong>de</strong> position :<br />
en syllabe fermée, toute voyelle a tendance à s’ouvrir), déteindre sur une autre<br />
33
voyelle non contiguë : un exemple en est la prononciation quasi courante [o73:rdyi],<br />
au lieu <strong>de</strong> [o7u:rdyi], <strong>de</strong> l’adverbe aujourd’hui, dans laquelle le [u], voyelle très<br />
fermée, s’ouvre sous l’influence assimilatrice <strong>de</strong> [o], plus ouvert. Dans maman,<br />
prononcé [m$m$], le trait [+ nasalité] <strong>de</strong> la voyelle nasale finale se propage sur la<br />
voyelle orale <strong>de</strong> la première syllabe, etc.<br />
Le <strong>de</strong>uxième cas <strong>de</strong> figure est représenté par les « voyelles d’aperture<br />
moyenne » (Derivery, 1997 : 38). L’auteur cité évoque l’existence en français <strong>de</strong><br />
nos jours d’« une tendance assez nette à faire varier le <strong>de</strong>gré d’ouverture <strong>de</strong> la<br />
voyelle inaccentuée » (ibid.). Ainsi la voyelle antérieure non labiale représentée<br />
par le symbole /E/ au timbre variable (fermé, ouvert et moyen) en position non<br />
accentuée, se prononce plutôt ouverte sous l’influence d’une voyelle finale<br />
accentuée, donc ouverte, comme dans il était [il1t1], nous aimons [nuz1m#], aimant<br />
[1m$], nous laissons [nul1s#] (les voyelles nasales sont censées être toutes très<br />
ouvertes !), mais plutôt fermée : il a été [ilaete], vous aimez [vuzeme], aimer [eme],<br />
vous laissez [lese], dans le contexte d’une voyelle fermée, en finale accentuée. Le<br />
plus souvent, c’est la voyelle fermée, en position finale, donc accentuée, qui suscite<br />
l’harmonisation vocalique (par assimilation régressive à distance) 32 . Ces voyelles<br />
sont [e], [i] et [y]. Comparez : sec [s1k] et séché [se8e], règle [r1gl] et réglé [regle],<br />
aigre [1gr] et aigrir [egr:ir], Eugène [471n] et Eugénie [47eni], tête [t1t] et tétu [tety],<br />
etc. En syllabe fermée cependant, [1], même suivi d’une <strong>de</strong> ces voyelles, conserve<br />
son timbre ouvert : (je) perce [p1rs] / (vous) percez [p1rse], (tu) perds / perdu<br />
[p1rdy].<br />
L’assimilation dans le cas <strong>de</strong>s voyelles d’aperture moyenne ne serait qu’une<br />
tendance dans le français <strong>de</strong> nos jours. Riegel, Pellat et Rioul (1998 : 53) estiment<br />
cependant que, dans le cas <strong>de</strong>s voyelles, « leurs variantes conditionnées les plus<br />
intéressantes ne concernent pas leur timbre mais leur longueur ».<br />
32 « C’est un phénomène d’assimilation régressive à distance : le [1] ouvert, en syllabe ouverte, suivi<br />
d’une voyelle fermée accentuée, se ferme. On se prépare à articuler la voyelle accentuée (forte) et<br />
fermée et on néglige l’articulation <strong>de</strong> la voyelle inaccentuée (faible) et ouverte qui se ferme, elle<br />
aussi. Elle s’harmonise avec la voyelle fermée accentuée » (Drăghicescu, 1988 : 63).<br />
34
I.2.2.5. La durée vocalique<br />
Les voyelles du français sont variables du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> leur durée suivant<br />
le contexte dans lequel elles se trouvent. Si dans raie [r1] il y a une voyelle brève,<br />
dans air [1:r ] la même voyelle est nettement plus longue. D’une manière générale,<br />
la longueur <strong>de</strong>s voyelles est conditionnée par leur position dans le mot ou dans<br />
le groupe rythmique. A la <strong>de</strong>rnière syllabe, toujours accentuée, toute voyelle<br />
<strong>de</strong>vient plus longue. En outre, elle est longue si elle est suivie d’une consonne, en<br />
syllabe fermée : si les voyelles [2], [o], [4], [$], [!],[#], [%] s’allongent <strong>de</strong>vant<br />
n’importe quelle consonne, toutes les autres voyelles sont particulièrement plus<br />
longues <strong>de</strong>vant les consonnes [r], [7], [v] et [z] ou un groupe <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes,<br />
l’une muette ou sonore et l’autre liqui<strong>de</strong>, telles [pl], [bl], [tr], [br], [fr], etc., et, le plus<br />
souvent, <strong>de</strong>vant [vr]. L’allongement est marqué par un double point :<br />
race [′r2:s], faune [′fo:n], émeute [e′m4:t], langue [′l$:g], assistance<br />
[asis′t$:s], feinte [′f!:t], fonte [′f#:t], défunte [<strong>de</strong>′f%:t] ;<br />
partir [par′ti:r], tare [′ta:r], pourtour [purtu:r], cire [si:r], anaphore<br />
[ana′f3:r], avantage [av$′ta:7], neige [n1:7], luge [′ly:7], rive [′ri:v],<br />
épreuve [e′pr4:v], louve [lu:v], morose [′ro:z] ;<br />
peuple [′p5:pl], table [′ta:bl], feutre [′f4:tr], fenêtre [f(0)′n1:tr], poutre<br />
[′putr:], fibre [′fi:br], ombre [′#:br], fifre [′fi:fr], il souffre [il′su:fr], goinfre<br />
[′gw!:fr], il ouvre [i′lu:vr], fièvre [′fi1:vr], chanvre [′8$:vr], contre [′k#:tr],<br />
ogre [′3:gr], etc.<br />
La durée <strong>de</strong>s voyelles peut être plus ou moins importante : à l’intérieur du<br />
groupe rythmique, dans les conditions évoquées plus haut, les voyelles sont <strong>de</strong>mi-<br />
longues. Placées en syllabe accentuée à la fin du groupe, les mêmes voyelles<br />
redoublent <strong>de</strong> longueur. Dans, par exemple, Regar<strong>de</strong>z ces roses blanches !<br />
[r0gar′<strong>de</strong>sero.z′bl$:8], où, le nom rose n’ayant qu’un accent secondaire,<br />
l’allongement <strong>de</strong> la voyelle o fermé est partiel (noté par un point [o.]), tandis que<br />
dans l’adjectif blanches l’allongement <strong>de</strong> la voyelle nasale est complet [$:] ; dans<br />
Regar<strong>de</strong>z ces roses ! [r0gar′<strong>de</strong>se′ro:z], où le nom rose placé en fin <strong>de</strong> groupe, a<br />
35
epris l’accent principal, l’allongement du même o fermé est complet [o:]. Il en est<br />
<strong>de</strong> même dans : Les roses sont dans un vase [le′ro.zs#d$l′v2:z]. Voici un vase <strong>de</strong><br />
roses [vwa′si%v2.zd0′ro:z].<br />
I.2.2.6. La phonétique combinatoire du « e » instable<br />
Appelé « atone » parce qu’il n’apparaît jamais en syllabe accentuée,<br />
« caduc » parce qu’il est toujours prêt à “tomber”, « muet » parce que, souvent, il<br />
ne se fait pas entendre, ou encore « féminin » parce que, à l’écrit, il marque le<br />
féminin — tout en restant parfaitement muet ! — dans les noms, les adjectifs et le<br />
verbe (cf. les formes adjectives, les participes), ce son (voir sa <strong>de</strong>scription<br />
articulatoire dans I.1.4.2. Série <strong>de</strong>s voyelles antérieures arrondies : [y], [4], [5], [0])<br />
qui, dans le co<strong>de</strong> oral, joue au cache-cache, tantôt parfaitement sonore, tantôt muet<br />
comme une carpe, toujours visible dans le co<strong>de</strong> écrit — et même audible tout en<br />
étant invisible ! (cf. infra : un ours brun [%nurs(0)br%]) — est une autre gran<strong>de</strong><br />
originalité du phonétisme français. Enfin, l’appeler « instable » nous semble la<br />
meilleure solution vu son existence aventureuse.<br />
Et pourtant cette voyelle a une raison d’être : servir d’appui ou <strong>de</strong> support<br />
facilitateur — Martinet l’appelle « lubrifiant phonétique » — dans la prononciation<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou plusieurs consonnes qui se suivent : une jolie tenue [ynj3litny] vs une<br />
tenue distinguée [ynt0nydist!ge], tranquillement [tr$kilm$] vs paisiblement [pezibl0m$].<br />
Dans <strong>de</strong>s énoncés comme Je ne te le reprocherai pas, dans lequel le « e »<br />
muet apparaît six fois, fonctionne ce qui s’appelle la loi <strong>de</strong>s trois consonnes : la<br />
prononciation du [0] permet d’éviter la formation d’une suite <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
consonnes : [70nt0lr0pr38rep2], où l’on voit qu’on prononce un [0] sur <strong>de</strong>ux.<br />
Qui plus est, le « e » dit muet peut se prononcer — encore une curiosité<br />
française ! — quand même il ne s’écrit pas (c’est dans ces cas-là qu’il joue son rôle<br />
<strong>de</strong> « lubrifiant phonétique ») : un ours brun [%nurs(0)br%], un film superbe<br />
[%film(0)syp1:rb)], un film d’horreur [%film(0)d3r5:r].<br />
Mais on ne s’étonnera pas, alors qu’on l’écrit, <strong>de</strong> ne pas l’entendre prononcer,<br />
même si cela engendre un bloc <strong>de</strong> quatre consonnes, dans un syntagme comme une<br />
secrétaire [ynskret1r]…, du moins dans le français plutôt “très” familier <strong>de</strong> la<br />
conversation courante. Fantomatique voyelle ! 33<br />
33 « Quant à la représentation /0/ qui hante les manuels <strong>de</strong> prononciation et qui se justifie dans<br />
une perspective théorique, elle nous paraît inutile, voire dangereuse, dans une perspective<br />
didactique parce qu’elle reste muette ou mystérieuse sur la prononciation qu’elle est censée<br />
36
Il faut cependant savoir comment s’y prendre pour s’en servir correctement.<br />
La phonétique combinatoire nous fournit <strong>de</strong>s lois, ou du moins <strong>de</strong>s règles, que l’on<br />
peut, selon le niveau <strong>de</strong> langue (soigné, standard ou familier), le débit <strong>de</strong> la<br />
conversation, observer on non. Dans ce qui suit nous donnons les règles produites<br />
par le seul contexte phonétique dans la conversation courante 34 .<br />
1. Quelques règles <strong>de</strong> prononciation du [0] instable dans le français standard:<br />
♦ En début <strong>de</strong> groupe rythmique :<br />
– précédé d’une seule consonne prononcé, il est facultatif : je bois [70bwa]/<br />
[7bwa], je pars [70pa:r] ou [7pa:r], ou même [8pa:r], ne parle pas [n0parlpa] ou<br />
[nparlpa], etc. Cependant on le prononce si sa chute peut amener une consonne<br />
double : ce soir [s0swar], ce siège [s0sj17], le lait [l0l1], ou bien un groupe <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux consonnes inhabituel ou inconnu dans le phonétisme français : on dira <strong>de</strong><br />
préférence [d0bu] et non pas [dbu] pour <strong>de</strong>bout.<br />
– précédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes prononcées, il <strong>de</strong>vient obligatoire <strong>de</strong> le<br />
prononcer : crevez l’abcès [kr0velaps1], prenez [pr0ne(z)$k3:r]. Il est toujours<br />
prononcé dans le pronom interrogatif que : que lisez-vous [k0lizevu]. Dans un<br />
même mot, on le prononce s’il se trouve en syllabe initiale du groupe :<br />
comparez Mesure le risque ! [m0zy.rl0risk] et Je mesure le risque [70mzy:rl0risk],<br />
Demain, tu viens ? [d0m!/tyvj!] et Tu viens <strong>de</strong>main ? [tyvj!dm!], Revoir mes amis ?<br />
[r0vwa.rmezami] Au revoir mes amis [orwa.rmezami], etc.<br />
♦ En finale <strong>de</strong> mot ou <strong>de</strong> groupe :<br />
– même précédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes prononcées, le e instable n’est <strong>de</strong> façon<br />
générale pas prononcé : (je veux) que tu sortes [k0tys3rt], ferme la porte<br />
[f1rmlap3rt], un peu <strong>de</strong> vinaigre [%p4dvin1gr], à la poste [alap3st], une tenue<br />
stricte [ynt0nystrikt], etc. Si le groupe se termine par les monosyllabes ce ou le<br />
sous l’accent, il est prononcé : sur ce [syrs0], dis-le [disl0] 35 .<br />
♦ A l’intérieur du mot ou d’un groupe rythmique :<br />
représenter » (Wioland, 1991 : 11 ; c’est nous qui soulignons).<br />
34 Ces règles ne s’appliquent pas au français du Midi <strong>de</strong> la France, où le e dit muet est, au contraire,<br />
une voyelle plutôt “diserte”.<br />
35 Même en syllabe initiale <strong>de</strong> groupe, il est toujours prononcé dans ces <strong>de</strong>ux monosyllabes : le<br />
garçon…, ce livre…, ce faisant, ce n’est pas possible [s0nepap3sibl]. En finale <strong>de</strong> mot ou <strong>de</strong> groupe,<br />
il est toujours prononcé, même précédé d’une seule consonne, dans le pronom le après l’impératif :<br />
chante-le [8$tl0], chantez-le [8$tel0], <strong>de</strong>vant un mot commençant par un h aspiré : quelle honte<br />
[k1l0#:t], une belle haie [ynb1l0haie], etc. (Voir Drăghicescu, 1988: 75-76).<br />
37
– précédé d’une voyelle ou d’une seule consonne prononcée, le e instable n’est<br />
pas prononcé : dénouement [<strong>de</strong>num$], soierie [swari], samedi [samdi], matelot<br />
[matlo], doucement [dusm$], appeler [aple] 36 , ça me dit [samdi], il paiera<br />
sûrement samedi ou la semaine prochaine [ilp1ra/sy:rm$/samdi/ulasm1npro81n] 37 .<br />
Il sera plutôt prononcé, du moins dans une conversation soignée, s’il se trouve<br />
– précédé <strong>de</strong> plus d’une consonne prononcée, il <strong>de</strong>vient obligatoire, ayant une<br />
articulation aux lèvres moins allongées et moins arrondies, qui donne une<br />
voyelle chuchotée, moins nette que dans, par exemple , atelier (voir note 35),<br />
mais suffisamment tendue [cf. supra le rôle d’appui, <strong>de</strong> support facilitateur, <strong>de</strong><br />
« lubrifiant phonétique ») : brevet [br0v1], crever [kr0ve], gredin [gr0d!], premier<br />
[pr0mje], autrement [otr0m$], parlement [parl0m$], mercredi [m1rkr0di],<br />
fortement [f3rt0m$], etc.<br />
♦ La règle <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong> e instables<br />
Si, au début du groupe rythmique, <strong>de</strong>ux ou plusieurs e instables se suivent,<br />
dans la conversation courante, à rythme normal, on prononce généralement un<br />
sur <strong>de</strong>ux : si on prononce le premier, on ignore le <strong>de</strong>uxième : ne me parle pas<br />
[n0mparlpa], je refuse [70rfy:z], je reviens [70rvj !], etc. L’ordre inverse est<br />
possible <strong>de</strong> sorte que l’on a souvent <strong>de</strong>ux prononciations d’une même série : Je<br />
ne pars pas [80npa:rpa] ou [7n0pa:rpa].<br />
Quelques groupes se sont figés : je me prononcé [70m], je ne prononcé [70n],<br />
je te prononcé [7t0], ou même [8t0], ne te prononcé [nt0], ce que prononcé<br />
[sk0] : je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> mais je ne sais pas ce que je te dois<br />
[70md0m$:d/m170ns1pa/ sk07t0dwa], ne te fâche pas [nt0f2.8pa0]. Cependant on<br />
entend souvent prononcer indifféremment Je ne crois pas [70nkrwapa] ou<br />
[7n0krwapa].<br />
36 Les verbes du premier groupe suivent la même règle au futur (à toutes les personnes) : je<br />
continuerai [70k#tinyre], au conditionnel (sauf la première et la <strong>de</strong>uxième du pluriel) : je<br />
continuerais [70k#tinyr1], mais nous continuerions [nuk#tiny0r#], vous continueriez [k#tiny0rj#] ou à<br />
l’imparfait (pour les verbes ayant un e instable dans le radical) : j’appelais [8apl1], mais nous<br />
appelions [nuzap0lj#]. Voir le détail dans Drăghicescu (1988 : 74).<br />
37 Font exception les mots terminés par le suffixe – lier [lje] : atelier [at0lje], bachelier [ba80lje],<br />
hôtelier [ot0lje], etc. (ibid.), où le e instable est une voyelle bien nette, prononcé avec les lèvres bien<br />
arrondies et bien allongées.<br />
38
Dans les séries <strong>de</strong> plusieurs e instables, l’ordre premier prononcé – <strong>de</strong>uxième<br />
supprimé prévaut. Ainsi, on prononce :<br />
un e sur <strong>de</strong>ux : Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> [70dm$:d]<br />
<strong>de</strong>ux e sur trois : Je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas [70nd0m$.dpa]<br />
Je le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> [70ld0m$:d]<br />
<strong>de</strong>ux e sur quatre : Je ne le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas [70nl0dm$.dpa]<br />
trois e sur cinq : Je ne me le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas [70nm0ld0m$.dpa]<br />
A l’intérieur d’un groupe <strong>de</strong> plusieurs e instables, la prononciation <strong>de</strong> chaque e<br />
est décidée par le nombre <strong>de</strong> consonne prononcées qui le précè<strong>de</strong>nt. Dans la<br />
phrase Il vaut mieux que tu me le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s [ilvomj4/k0tyml0dm$:d], le e <strong>de</strong> le est<br />
prononcé parce qu’il est précédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes prononcées [ml]. Voici<br />
d’autres exemples : il vient <strong>de</strong> Paris [ilvj!dpari] / il sort <strong>de</strong> Paris [ils3:rd0pari], il<br />
a peur <strong>de</strong> ne pas pouvoir le quitter [ilap%:rd0npaspouvoirl0kite].<br />
♦ Le e appendice : le e instable, plus ou moins audible, apparaît en appendice à<br />
la finale <strong>de</strong>s mots qui se terminent par <strong>de</strong>ux consonnes prononcées : un principe<br />
strict [%pr!sipstrikt0], un sentier abrupt [%s$tjeabrpt0]. Enfin, on entend <strong>de</strong> jeunes<br />
Parisiens “branchés” prononcer un e instable très net à la finale <strong>de</strong> mots se<br />
terminant avec une seule consonne : Le flic a eu un déclic quand il a vu la meuf<br />
[l0flik0a y/%!<strong>de</strong>klik0/k$tilavy/lam%f0]. Prononciation “branchée” ou marque<br />
d’affectation, aucune loi phonétique ne justifie pareil traitement phonétique<br />
d’un e instable qui n’a même pas d’équivalent graphique.<br />
D’une façon générale, les règles énoncées jusqu’ici peuvent être, dans un<br />
esprit <strong>de</strong> synthèse, ramenées à une seule loi, qui, si on l’observe attentivement,<br />
permet une interprétation correcte du statut phonétique du e instable à l’intérieur du<br />
mot ou du groupe rythmique. Il s’agit <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong>s trois consonnes (cf. supra ) qui<br />
veut que l’on ne peut pas prononcer, dans la même syllabe, une séquence <strong>de</strong> trois<br />
consonnes ou plus. Il en résulte que, précédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux consonnes, le e instable <strong>de</strong>vra<br />
toujours être prononcé. A la jointure <strong>de</strong>s mots cependant, cette même loi n’est pas<br />
toujours suivie, du moins dans la conversation courante, où il n’est pas prononcé<br />
selon Dérivery (1997 : 40) : il marche vite [ilmar:8vit], il parle bien [ilparlbj!], mais<br />
39
prononcé dans le français soigné (cf. Drăghicescu, 1988 : 76) : [ilmar:80vit],<br />
[ilparl0bj!].<br />
Le statut phonétique du e instable, sa réalisation phonique est affaire<br />
d’exercice. La combinatoire <strong>de</strong> ces règles, leur application sont contraintes par les<br />
trois facteurs déjà mentionnés — entourage phonétique, niveau <strong>de</strong> langue, débit <strong>de</strong><br />
la conversation — à quoi peut s’ajouter un quatrième, à savoir les effets<br />
d’insistance ou <strong>de</strong> mise en relief poursuivis par le locuteur. On peut donc très bien<br />
n’appliquer aucune <strong>de</strong> ces règles :<br />
par exemple, ne pas prononcer le [0] <strong>de</strong> je même en initiale <strong>de</strong> groupe et <strong>de</strong><br />
phrase, ce qui se passe dans la conversation courante, moins soignée, à débit<br />
plutôt rapi<strong>de</strong> : je bosse [7b3s], je gagne [7ga9], je dors [7d3:r] ; suivi <strong>de</strong>s<br />
consonnes sour<strong>de</strong>s [t], [p], [k], [f], [s], [8], le [7] <strong>de</strong> je s’entend comme sa paire<br />
sour<strong>de</strong> [8] : je travaille [8travaj], je pense [8p$s], Je commence [8k3m$:s], je<br />
fonce [8f#:s], je charge [88ar7] ;<br />
ou prononcer tous les e graphiques, comme dans l’énoncé je ne te le<br />
reprocherai jamais [70n0t0l0r0pro80re], prononciation qui n’exige qu’un débit<br />
légèrement plus lent que la normale et qui n’entrave nullement la<br />
compréhension, bien au contraire !<br />
C’est que, comme nous l’avons dit (cf. II.1.1.5. Le statut phonologique du e<br />
instable), n’entrant en opposition avec aucune autre voyelle, si ce n’est avec une<br />
absence <strong>de</strong> voyelle, le e instable n’a pas <strong>de</strong> statut phonologique proprement dit,<br />
c’est-à-dire que sa fonction distinctive est plutôt discutable, sinon carrément nulle.<br />
Si on le prononce, et quand on le prononce (même lorsqu’il est invisible), c’est pour<br />
mettre un peu d’huile dans l’engrenage phonétique.<br />
II. La Prosodie<br />
II.1. Phonèmes et phénomènes suprasegmentaux<br />
Nous avons vu ce que sont les phonèmes, unités minimales distinctives et<br />
significatives, décomposables en segments plus petits, les traits pertinents,<br />
articulatoires et acoustiques qui, eux, ne sont plus signifiants. Les phonèmes se<br />
40
combinent pour former <strong>de</strong>s syllabes, et <strong>de</strong>s groupements <strong>de</strong> syllabe, c’est-à-dire<br />
<strong>de</strong>s mots phoniques, <strong>de</strong>s groupes rythmiques, <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> souffle, enfin <strong>de</strong>s<br />
phénomènes connus couramment aussi comme l’accentuation, le rythme et<br />
l’intonation qui font intervenir l’intensité, la hauteur ou la durée, la quantité <strong>de</strong>s<br />
sons : toutes ces choses-là, on les appelle phénomènes suprasegmentaux ou unités<br />
suprasegmentales chez les anglo-saxons ou, en Europe, avec un mot plus parlant du<br />
métalangage linguistique, prosodèmes (Hjemslew). La phonétique ne s’arrête donc<br />
pas à la frontière du mot ou <strong>de</strong> la phrase en tant que combinaison <strong>de</strong> phonèmes, elle<br />
s’occupe aussi <strong>de</strong> ce qui porte la phrase, qu’il faut se représenter comme formée <strong>de</strong><br />
« <strong>de</strong>ux lignes parallèles, celle <strong>de</strong>s phonèmes et celle <strong>de</strong> la ligne mélodique qui<br />
s’ajouterait en quelque sorte à la première. Cette ligne mélodique n’a pas<br />
simplement une fonction expressive, mais bien une fonction significative et toutes<br />
ces unités suprasegmentales ou prosodèmes dont elle est formée sont,<br />
conformément à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s récentes, <strong>de</strong>s unités linguistiques discrètes, donc<br />
segmentables tout comme les phonèmes. On distinguera tout <strong>de</strong> même un niveau<br />
<strong>de</strong> la prosodie proprement linguistique 38 , où se manifestent <strong>de</strong>s oppositions qui<br />
ont <strong>de</strong>s fonctions importantes dans l’organisation syntaxique <strong>de</strong>s énoncés et dans la<br />
construction du sens, et un niveau <strong>de</strong> la prosodie spontanée, qui relève <strong>de</strong> la vie<br />
affective <strong>de</strong>s locuteurs manifestée dans <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> colère ou <strong>de</strong> joie,<br />
d’énervement ou <strong>de</strong> calme, d’apathie ou d’enthousiasme, etc. : « […] la prosodie a<br />
un double rôle : d’une part elle contribue à l’organisation syntaxique et<br />
discursive du discours, et d’autre part, en tant que gestuelle vocale, elle permet<br />
l’expression <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s émotions dans une langue donnée » (c’est nous<br />
qui soulignons).<br />
38 Voir dans Ducrot, O. et Schaeffer, J.-M. (1995) le chapitre Prosodie linguistique, pp. 340-357.<br />
On y trouve aussi une riche bibliographie sur les faits prosodiques.<br />
41
II.2. Les faits prosodiques : caractéristiques physiques et fonctions<br />
Parmi les faits prosodiques qui caractérisent le français, on retiendra<br />
l’accentuation (nature et place <strong>de</strong> l’accent et délimitation <strong>de</strong>s unités phoniques<br />
concernées par l’accent), le rythme (alternance <strong>de</strong>s accents et <strong>de</strong>s pauses dans la<br />
chaîne parlée) et l’intonation (variations <strong>de</strong> la hauteur <strong>de</strong> la voix qui font la<br />
mélodie qui porte la chaîne parlée). Les faits prosodiques sont donc caractérisées<br />
par <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> hauteur (fréquence <strong>de</strong>s vibrations sonores), d’intensité<br />
(amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s vibrations) et <strong>de</strong> durée « qu’il n’est pas toujours facile d’attribuer à<br />
un fait d’accentuation ou d’intonation, ces phénomènes étant étroitement<br />
imbriquées » (Derivery, 1997 : 50).<br />
Les faits prosodiques seront classés selon les fonctions qu’ils sont censés<br />
remplir dans l’engendrement <strong>de</strong> la signification <strong>de</strong>s unités phoniques :<br />
♦ la fonction distinctive permet d’opposer, tel un phonème, un mot un autre,<br />
comme en anglais : import (importation) et import (import) ;<br />
♦ la fonction significative permet d’opposer <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> phrase par<br />
l’intonation : il neige / il neige ? Ou bien, par l’intonation et l’accentuation, elle<br />
permet <strong>de</strong> manifester <strong>de</strong>ux sens différent <strong>de</strong> la même phrase : c’est ′bien / ce<br />
que tu ′dis et c’est bien ce que tu ′dis (apud Derivery, 1997 : 51) ;<br />
♦ la fonction démarcative (ou délimitative) : la limite d’une unité phonique est<br />
marquée par l’accent final <strong>de</strong> mot ou <strong>de</strong> groupe <strong>de</strong> mot ; la pause ou l’intonation<br />
elles-mêmes peuvent remplir la même fonction ;<br />
♦ la fonction culminative (ou démarcative) se manifeste dans la mise en relief<br />
d’une unité phonique, syllabe, mot ou groupe <strong>de</strong> mots.<br />
II.2.1. L’accentuation<br />
Le phénomène prosodique <strong>de</strong> l’accent consiste à mettre en relief un segment<br />
phonique, une syllabe ou plusieurs syllabes d’un mot ou d’une unité phonique<br />
supérieure. Acoustiquement il correspond à une variation physique d’intensité et <strong>de</strong><br />
durée et il est noté par un petite apostrophe placée <strong>de</strong>vant la syllabe concernée.<br />
42
III.2.1.1. L’accent tonique ou d’intensité que l’on appellerait mieux accent final<br />
ou accent rythmique 39<br />
Une <strong>de</strong>s spécialités du phonétisme français en matière d’accentuation est<br />
précisément le fait que l’accent, prévisible, frappe toujours et invariablement la<br />
<strong>de</strong>rnière syllabe prononcé du mot ou du groupe <strong>de</strong> mots, c’est l’accent fixe 40 : J’ai<br />
mangé avec mon ami est formé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong> mots, groupes accentuels ou<br />
groupes rythmiques, dont la syllabe finale porte l’accent :<br />
[7em$′7e/ av1km #na′mi].<br />
Mais on peut avoir les <strong>de</strong>ux groupes rythmiques suivants : J’ai mangé tard avec<br />
mon ami Alain, où l’on voit l’accent se déplacer sur la <strong>de</strong>rnière syllabe <strong>de</strong> chaque<br />
groupe rythmique :<br />
[7em$7e′tar: // av1km #namial′!]<br />
Cet accent appelé tonique ou d’intensité, et que l’on appellerait mieux<br />
accent final ou accent rythmique (Derivery), n’a pas <strong>de</strong> valeur phonologique 41 . Il<br />
est en même temps un accent syntaxique 42 parce qu’il marque la frontière d’un mot<br />
isolé, éventuellement, mais le plus souvent celle d’un groupe <strong>de</strong> mots, syntagme<br />
nominal, verbal, adjectival, etc. (à la différence <strong>de</strong> l’accent lexical en italien, ou en<br />
roumain, où chaque mot plein a son accent).<br />
III.2.1.2. Les <strong>de</strong>ux types d’accent : l’accent interne et l’accent externe<br />
Le français comporte <strong>de</strong>ux types d’accent (cf. Gar<strong>de</strong>s-Tamine, 1990 : 20) :<br />
l’accent interne, non emphatique, qui frappe toujours la <strong>de</strong>rnière syllabe du<br />
mot isolé ou l’avant-<strong>de</strong>rnière si la syllabe comporte un [0] : garçon [gar′s#] ;<br />
anticonstitutionnellement [$tik#stitysj#n1l′m$] ; petite [p0′tit0], et toujours la<br />
39 « Du point <strong>de</strong> vue phonétique, « accent » se comprend au niveau perceptif comme élément<br />
(syllabe) « proéminent » […]. La succession <strong>de</strong>s syllabes proéminentes et non proéminentes crée un<br />
« rythme » défini par la distance temporelle entre <strong>de</strong>ux syllabes accentuées. Le rythme peut être<br />
perçu <strong>de</strong> manière autonome, « musicale », mais en français conversationnel, il est fortement corrélé<br />
à la structure syntaxique et discursive <strong>de</strong> l’énoncé, sans correspondre systématiquement à un rythme<br />
métrique bien défini » (Ducrot, Schaeffer et collab., 1995 : 341-342).<br />
40 A la différence d’autres langues à accent libre (anglais, roumain, etc.) où l’accent n’est pas<br />
prévisible : « Le français a souvent été décrit comme une langue caractérisée par une succession <strong>de</strong><br />
syllabes <strong>de</strong> même longueur et une absence d’accent, ce qui traduit surtout l’impression auditive <strong>de</strong><br />
ceux qui sont habitués au rythme <strong>de</strong>s langues européennes à accent <strong>de</strong> mot (accent généralement<br />
d’intensité) » (Derivery, 1997 : 51)<br />
41 Comme en anglais dans <strong>de</strong>s mots contrast et contrast ou record et record, où l’accent opère une<br />
différentiation sémantique.<br />
42 Il a donc une fonction démarcative : « Les limites <strong>de</strong>s groupes accentuels ou groupes rythmiques<br />
ne sont pas fixes et restent déterminées par <strong>de</strong>s critères syntaxiques et sémantiques : ils<br />
correspon<strong>de</strong>nt donc généralement aux groupes <strong>de</strong> sens, mais selon le débit <strong>de</strong> paroles et le type <strong>de</strong><br />
discours, <strong>de</strong>s accents secondaires peuvent également apparaître » (Derivery, 1997 : 51).<br />
43
<strong>de</strong>rnière syllabe du groupe : un petit garçon [%p(0)tigar′s#]. Seuls les mots pleins<br />
ou lexicaux, à valeur sémantique pleine, comportent une syllabe dite<br />
accentogène, les déterminants 43 — articles, adjectifs possessifs, démonstratifs,<br />
pronoms conjoints à fonction <strong>de</strong> sujet ou d’objet et l’adjectif épithète antéposée<br />
—, sont interdits d’accent : ce garçon [s0gar′s#] ; ton gentil garçon [t#7$tigar′s#] ;<br />
il le lui dit [ill0l6i′di]. Mais on peut séparer le nom <strong>de</strong> l’adjectif épithète postposée<br />
et placer un accent sur la <strong>de</strong>rnière syllabe sur les mots à valeur sémantique d’un<br />
groupe comme : un garçon intelligent [%gar′s#!teli′7$]. La fonction démarcative<br />
<strong>de</strong> l’accent interne permet, en outre, <strong>de</strong> lever une ambiguïté : un savant anglais<br />
aura <strong>de</strong>ux lectures selon que le nom est savant ou anglais : savant portera<br />
l’accent s’il est bien le nom centre du groupe [%sa′v$$gl1]. L’accent interne a<br />
aussi une fonction contrastive ou culminative par la mise en relief <strong>de</strong> la<br />
syllabe accentuée par rapport aux autres inaccentuées. Enfin Gar<strong>de</strong>s-Tamine<br />
(1990 : 22) lui assigne un rôle essentiel sur le plan <strong>de</strong> l’intonation « puisqu’il<br />
tombe sur la <strong>de</strong>rnière syllabe du groupe intonatif et en quelque sorte souligne<br />
l’effet <strong>de</strong> relief mélodique ».<br />
L’accent externe ou emphatique, toujours fixe, est suscité par <strong>de</strong>s mouvements<br />
affectifs et <strong>de</strong>s facteurs expressifs ou intellectuels qui relèvent <strong>de</strong>s intentions <strong>de</strong><br />
communication que veut faire valoir l’énonciateur. A la différence <strong>de</strong> l’accent<br />
interne, il frappe toujours la première syllabe. L’accent externe prendrait <strong>de</strong>ux<br />
formes distinctes selon Derivery (1997 : 52) :<br />
♦ l’accent d’insistance à valeur didactique en position d’accent initial <strong>de</strong> mot<br />
ou <strong>de</strong> syntagme, accent qu’on appelle « didactique » ou « intellectuel », qu’il<br />
faut distinguer <strong>de</strong> l’accent <strong>de</strong> groupe rythmique qu’il affaiblit et <strong>de</strong> l’accent<br />
d’insistance à valeur expressive. Ces <strong>de</strong>ux accents ont les mêmes fonctions<br />
démarcative et contrastive, avec, <strong>de</strong> surcroît, une fonction d’insistance.<br />
L’accent d’insistance à valeur didactique se caractérise par une variation <strong>de</strong><br />
hauteur et, très souvent, il serait précédé d’un coup <strong>de</strong> glotte (fermeture<br />
momentanée suivie <strong>de</strong> l’ouverture brusque <strong>de</strong> la glotte, noté [?]). Il sert à mettre<br />
en relief tel ou tel mot, ou plutôt tel ou tel aspect <strong>de</strong> sa signification en langue<br />
ou <strong>de</strong> son sens pragmatique, il a à notre sens une fonction métalinguistique :<br />
43 Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s prépositions et <strong>de</strong>s conjonctions, <strong>de</strong>s auxiliaires, en un mot, <strong>de</strong> tous les mots<br />
outils (ou morphèmes grammaticaux).<br />
44
Dans ce discours il s’agit bien d’une déclaration <strong>de</strong> guerre, et non <strong>de</strong><br />
vagues menaces. Ce conflit est impossible à régler, comprenez :<br />
insoluble. Nous somme bien d’accord, aujourd’hui on parle bien<br />
phonologie et non pas phonétique. Insensé et encensé ne se prononcent<br />
pas <strong>de</strong> la même façon et sont <strong>de</strong>ux mots différents. La paix du mon<strong>de</strong><br />
est menacé : nous <strong>de</strong>vons à tout prix nous battre, ensemble, contre le<br />
terrorisme. C’est fondamental !<br />
Fonctionnant donc pour opposer <strong>de</strong>s mots ou <strong>de</strong>s aspects particuliers <strong>de</strong> leurs<br />
signifiés, il peut également frapper, presque toujours, l’initiale <strong>de</strong> certains<br />
adjectifs ou adverbes qui expriment implicitement le haut <strong>de</strong>gré d’intensité,<br />
tels : essentiel, extraordinaire, fondamental, important…, absolument,<br />
vraiment, décidément : La question est absolument importante. Nous avons là<br />
une mise en valeur qu’on retrouve avec <strong>de</strong>s groupes syntaxiques dans une<br />
énumération d’activités à accomplir, dans une démonstration 44 : D’abord, je me<br />
lève, ensuite je me douche, enfin je me rends un bon café.<br />
♦ L’accent d’intensité expressif, emphatique ou émotionnel (noté ′′) traduit les<br />
sentiments du locuteur, ses réactions affectives par rapport à ce qu’il<br />
exprime. Aussi frappe-t-il fort la première syllabe d’un mot dans <strong>de</strong>s<br />
séquences à contour exclamatif :<br />
C’est inouï ! Exécrable, cette nourriture ! Adorable, ce gosse. Cette<br />
imbécile ! Cet acci<strong>de</strong>nt, un vrai carnage !<br />
Quand la syllabe initiale commence par une consonne, l’accent engendre un<br />
allongement (noté :) <strong>de</strong> la tenue <strong>de</strong> consonne, lequel entraîne à son tour une<br />
variation <strong>de</strong> hauteur <strong>de</strong> la voyelle suivante, comme dans : C’est une<br />
calamité ! [setyn′′k:alamite]. La syllabe commençant par une voyelle se fait<br />
souvent précé<strong>de</strong>r d’un coup <strong>de</strong> glotte : Marie est éhonté, vraiment<br />
impardonnable ! [mari1?′′e#te/ vr1m$?′′!pard3nabl(0)]. Ce même accent peut,<br />
avec <strong>de</strong>s effets d’insistance particuliers, frapper chaque syllabe du mot, cela<br />
revient à une syllabation où chaque syllabe est détachée et frappée d’un fort<br />
accent d’insistance ayant à la fois une fonction didactique et expressive<br />
(haut <strong>de</strong>gré d’intensité) : Ce conflit me semble, à n’en pas douter, in-so-lu-<br />
44 « L’accent initial joue ici le même rôle que l’accent <strong>de</strong> groupe rythmique ou un rôle redondant<br />
puisque ce <strong>de</strong>rnier subsiste. On peut parler dans ce cas <strong>de</strong> la fonction démarcative dans une<br />
énumération, une démonstration » (Derivery, 1997 : 52).<br />
45
le. Sa défection est une tri-hi-son. En abandonnant notre action, Paul<br />
nous a tous tra-his.<br />
III.2.1.3. Une tendance accentuelle en français contemporain<br />
L’accent d’intensité peut frapper aussi la <strong>de</strong>uxième syllabe du mot ou toute<br />
autre syllabe. Un énoncé comme C’est impardonnable peut être prononcé [set!<br />
′′p:ardonabl] ou [set!par′′d:3nabl], voire même [set!pard3′′na::bl]. Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières<br />
prononciations que nous avons souvent entendues dans la région <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux,<br />
renforcent davantage l’effet d’insistance à valeur emphatique et crée l’impression<br />
que, dans les énoncés marqués d’une forte affectivité, l’accent d’insistance a<br />
tendance à acquérir une plus gran<strong>de</strong> mobilité, tandis que le mot reprendrait son<br />
individualité à l’intérieur du groupe rythmique. <strong>Cel</strong>a revient à constater qu’une<br />
nouvelle tendance accentuelle s’amorce en français contemporain, qui veut que<br />
l’accentuation rythmique évolue vers une accentuation lexicale 45 .<br />
III.2.2. Le rythme 46<br />
Le rythme linguistique est précisément engendré par l’accent tonique qui<br />
frappe la <strong>de</strong>rnière syllabe <strong>de</strong>s mots sémantiques (à sens plein) et consiste dans la<br />
récurrence <strong>de</strong> groupes formés <strong>de</strong> trois à quatre syllabes 47 dont les premières sont<br />
atones et la <strong>de</strong>rnière accentuée. Les mesures rythmiques sont i<strong>de</strong>ntiques ou au<br />
moins semblables <strong>de</strong> par le nombre <strong>de</strong>s syllabes (trois ou quatre) <strong>de</strong>s groupes et le<br />
temps que dure leur prononciation : « les enregistrements phonétiques montrent une<br />
tendance à allonger les groupes numériquement plus courts » (Gar<strong>de</strong>s-Tamine,<br />
1990 : 22), ce qui se sol<strong>de</strong> par une égalisation ou une uniformisation rythmique <strong>de</strong>s<br />
groupes dans la chaîne parlée 48 .<br />
45 « L’accent d’insistance <strong>de</strong>venant <strong>de</strong> plus en plus mobile, l’accentuation rythmique semble<br />
progressivement remplacée par une accentuation lexicale puisque n’importe quel mot peut être<br />
accentué. Même les mots normalement inaccentués peuvent le <strong>de</strong>venir : ′je sais » (Derivery, 1997 :<br />
52).<br />
46 « Le rythme du français parlé doit faire l’objet d’une sensibilisation particulière parce qu’il<br />
participe directement à la compréhension du message, les unités rythmiques correspondant à <strong>de</strong>s<br />
unités <strong>de</strong> sens, mais surtout parce que leur i<strong>de</strong>ntification à l’oreille n’est pas évi<strong>de</strong>nte du fait <strong>de</strong><br />
l’absence d’accent lexical en français » (Wioland, 1991 : 51).<br />
47 « Les unités rythmiques se caractérisent par un nombre peu élevé <strong>de</strong> syllabes […]. Comme chaque<br />
syllabe ne signifie pas, une communication efficace se doit d’arriver au sens le plus rapi<strong>de</strong>ment<br />
possible en utilisant un minimum <strong>de</strong> syllabes par unité significative. La moyenne du nombre <strong>de</strong><br />
syllabes observées en discours spontané est <strong>de</strong> 2,5 par unité rythmique, y compris les oui, non, si,<br />
ben, et, mais, etc. qui forment à eux seuls <strong>de</strong>s unités rythmiques » (Wioland, 199 : 35).<br />
48 « L’utilisation <strong>de</strong> ce rythme est évi<strong>de</strong>mment optimale en poésie » (Gar<strong>de</strong>s-Tamine, 1990 : 22).<br />
46
III.2.2.1. Groupes <strong>de</strong> souffles et groupes rythmiques 49<br />
♦ Le groupe <strong>de</strong> souffle est lié à la respiration, <strong>de</strong>s pauses respiratoires audibles<br />
(marquées par # indiquant un très bref arrêt <strong>de</strong> la phonation, arrêt qu’on ne<br />
saurait codifier) marquent la fin <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> souffle qui peuvent être plus ou<br />
moins longs. Il est <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> pause : – <strong>de</strong>s pauses d’hésitation, à<br />
fonction pragmatique, qui relèvent <strong>de</strong> l’état du locuteur et/ou <strong>de</strong>s contraintes du<br />
contexte situationnel et peuvent apparaître à n’importe quel point <strong>de</strong> la chaîne<br />
parlée ; – et <strong>de</strong>s pauses grammaticales qui délimitent les unités accentuelles.<br />
C’est pourquoi on les appelle aussi externes et elles s’opposent aux pauses<br />
internes (cf. Derivery, 1997) au groupe qui peuvent avoir une fonction<br />
phonologique permettant <strong>de</strong> distinguer par exemple : [s#livr1tu′v1:r] transcription<br />
phonétique <strong>de</strong> son livre est ouvert et [s#livr1′tu#v1:r] qui transcrit son livre est<br />
tout vert.<br />
Le groupe <strong>de</strong> souffle représente les mots prononcés entre <strong>de</strong>ux<br />
inspirations et peut contenir un ou plusieurs groupes rythmiques (cf.<br />
infra). Le nombre <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> souffle est déterminé par la vitesse <strong>de</strong><br />
phonation ou débit <strong>de</strong> la parole. Un débit rapi<strong>de</strong> intègre plusieurs groupes<br />
rythmiques entre <strong>de</strong>ux inspirations et réduit le nombre <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> souffle 50 .<br />
♦ Le groupe rythmique est « toute suite <strong>de</strong> mots qui exprime une idée simple et<br />
unique [et] n’a d’accent que sur sa <strong>de</strong>rnière syllabe » (Grammont, 1965 : 105),<br />
autrement dit, tout syntagme délimité par un accent final démarcatif, terminé —<br />
mais pas obligatoirement ! — par une pause 51 . Les groupes rythmiques sont<br />
engendrés par l’accent d’intensité. La <strong>de</strong>rnière syllabe <strong>de</strong> la structure syntaxique<br />
la plus simple (par ex., déterminant + nom : mon ami) est accentogène et<br />
49 Janeta Drăghicescu (1980 : 22) parle du « groupe logique », défini par <strong>de</strong>s rapports sémantiques et<br />
représenté par un énoncé, ou groupe syntactique, ou bien par un seul constituant <strong>de</strong> groupe<br />
syntactique, « si le sens est complet » (ibid.) et du « groupe syntactique », groupe <strong>de</strong> mots<br />
remplissant une fonction syntactique et représenté par les groupes sujet + déterminants, verbe +<br />
déterminants et les groupes prépositionnels, compléments circonstanciels <strong>de</strong> verbe (ou <strong>de</strong> phrase,<br />
ajoutons-nous). En fait ces groupes se superposent plus ou moins au groupe <strong>de</strong> souffle et au groupe<br />
rythmique.<br />
50 Voir, dans Drăghicescu (1980 : 23-24), comment s’actualisent, dans une phrase, les différents<br />
groupes <strong>de</strong> mots et comment, suivant la vitesse du débit (régulier — relativement lent, plus ou moins<br />
rapi<strong>de</strong> et accéléré), la même phrase comporte cinq, quatre et, respectivement, <strong>de</strong>ux groupes <strong>de</strong><br />
souffle seulement.<br />
51 « Le groupe rythmique est le plus petit groupe <strong>de</strong> mots pourvu <strong>de</strong> signification, délimité par une<br />
pause brève ou le plus souvent par une rupture tonale et caractérisé par une courbe mélodique<br />
spécifique » (Drăghicescu, 1980 : 22 — c’est nous qui avons souligné).<br />
47
marque la fin du groupe syntaxique en même temps que celle du groupe<br />
rythmique 52 . La délimitation <strong>de</strong>s groupes rythmiques d’une phrase est donc<br />
sous-tendue par la structure syntaxique <strong>de</strong> celle-ci 53 (cf. la <strong>de</strong>rnière phrase <strong>de</strong> la<br />
note 42), et ils correspon<strong>de</strong>nt en général aux différents groupes<br />
syntaxiques, nominal, adjectival, verbal, adverbial. Ainsi l’énoncé : Tous les<br />
matins (/) à la même heure, / le voisin du huitième / sort <strong>de</strong> l’ascenseur, (/) suivi<br />
docilement (/) <strong>de</strong> son gros chien, peut comporter, selon la vitesse d’élocution<br />
<strong>de</strong>s locuteurs, <strong>de</strong>ux, trois, cinq ou même six groupes rythmiques, et autant <strong>de</strong><br />
groupes <strong>de</strong> souffle. D’une façon générale, les groupes rythmiques se plient aux<br />
structures syntaxiques 54 du groupe nominal ou <strong>de</strong> la phrase à sujet réalisé par le<br />
seul pronom personnel atone et conjoint. En voici quelques exemples :<br />
1. Structures <strong>de</strong> groupe nominal<br />
déterminant + nom :<br />
l’homme, la femme, ce garçon, un ami, aucune faute, etc. ;<br />
déterminant + nom + adjectif :<br />
l’homme universel, la femme mondaine, ce garçon intelligent, un ami fidèle,<br />
aucune faute grave, etc. ;<br />
déterminant +adjectif + nom :<br />
le seul homme, la première femme, ce charmant garçon, un vieil ami, <strong>de</strong>(s)<br />
belles filles, etc. ;<br />
déterminant + adjectif + nom + adjectif :<br />
le seul homme dévoué, la première femme émancipée, ce petit garçon si gentil,<br />
un grand ami roumain, aucune autre faute grave, etc.<br />
déterminant + adjectif + adjectif + nom :<br />
le seul grand homme, la première gran<strong>de</strong> femme, ce petit joli garçon, ce cher<br />
grand ami, etc. ;<br />
préposition + déterminant + nom :<br />
52 « L’importance linguistique <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière syllabe prononcée est, pour l’apprenant, une découverte<br />
qui peut être assimilée, à la condition d’être intégrée aux syllabes, qui la précè<strong>de</strong>nt, à l’ai<strong>de</strong> d’un<br />
modèle essentiellement rythmique » (Wioland, 1991 : 51).<br />
53 Voir, dans Drăghicescu (1980 : 23-28), les principaux types <strong>de</strong> structure du groupe rythmique<br />
illustrés <strong>de</strong> maints exemples.<br />
54 Wioland insiste (et pour cause : faire <strong>de</strong> la phonétique, c’est former la compétence orale !) sur le<br />
fon<strong>de</strong>ment sémantique <strong>de</strong>s groupes (« unités ») rythmiques : « Le rythme du français […] participe<br />
directement à la compréhension du message, les unités rythmiques correspondant à <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong><br />
sens » (1991 : 51).<br />
48
pour l’homme, avec la femme, contre ce garçon, avec un ami<br />
préposition + déterminant + adjectif + nom :<br />
pour le grand homme, avec cette charmante femme, contre ce gentil garçon,<br />
avec mon meilleur ami, sans cette énorme faute, etc.<br />
préposition + déterminant + nom + préposition + nom :<br />
pour l’homme d’action, pour la femme au foyer, contre le garçon <strong>de</strong> Marie,<br />
avec mon ami <strong>de</strong> Paris, sans aucune faute <strong>de</strong> grammaire, etc.<br />
2. Structures <strong>de</strong> phrase à sujet pronom atone et conjoint<br />
pronom sujet + verbe à un temps simple [± négation] :<br />
il part / il ne part pas, tu entends / tu n’entends pas, nous parlerons / nous ne<br />
parlerons pas, elles chantaient / elles ne chantaient plus, ils lisent / ils ne lisent<br />
jamais, etc.<br />
pronom sujet + auxiliaire + participe passé / infinitif :<br />
je suis parti, ils étaient arrivés, tu vas chanter, nous pouvons lire, vous <strong>de</strong>vez<br />
écrire, elles allaient sortir, etc.<br />
pronom sujet + pronom(s) conjoint(s) complément(s) + verbe à un temps<br />
simple ou verbe auxilié [± négation] + (adverbe):<br />
je le remercie / je ne le remercie pas, tu lui pardonnes / tu ne lui<br />
pardonnes pas, il me l’a dit / il ne me l’a pas dit, nous lui avons<br />
expliqué /nous ne lui avons jamais expliqué, vous nous le direz :<br />
vous ne nous le direz pas, elles vont vous la chanter / elles ne vont<br />
plus vous la chanter, ils nous l’avaient montré / ils ne nous l’avaient<br />
jamais montré, je le leur aurais fait savoir / je ne le leur aurais pas<br />
fait savoir, elle chante faux, elle me l’a très bien expliqué, il est<br />
toujours là à lire, etc.<br />
Dans tous ces groupes nominaux et dans ces phrases à pronom sujet atone,<br />
l’accent d’intensité frappe la <strong>de</strong>rnière syllabe ; il délimite <strong>de</strong> la sorte la frontière<br />
<strong>de</strong>s groupes rythmiques et en établit la cohésion. C’est ce même accent<br />
d’intensité qui explique <strong>de</strong>s mécanismes phonétiques, tels la liaison,<br />
l’enchaînement vocalique, consonantique, le e instable (tantôt prononcé, tantôt<br />
escamoté), la durée <strong>de</strong>s voyelles ou la pause. Un accent secondaire (cf.<br />
Drăghicescu, 1980 : 27) peut, dans la phrase, individualiser le verbe suivi <strong>de</strong> ses<br />
49
déterminants : Revenez <strong>de</strong>main ! [r0v‘ned0′m!], Il vous aime toujours<br />
[ilvuz’1mtu′7u:r]. Certains déterminants <strong>de</strong> noyau syntaxique, s’ils comptent<br />
plusieurs syllabes, peuvent à eux seuls former un groupe rythmique : Le gros<br />
chien (/) <strong>de</strong> mon voisin (/) du huitième / fait peur (/) à tout le mon<strong>de</strong> ; <strong>de</strong> même<br />
que le groupe sujet réalisé par un pronom atone peut très bien former un seul<br />
groupe rythmique avec le verbe et ses déterminants : Il part (/) en voiture (/)<br />
pour Paris / <strong>de</strong>main matin. La barre oblique indique le très bref arrêt <strong>de</strong> la voix<br />
ou la rupture tonale après chaque groupe rythmique / syntaxique, les parenthèses<br />
marquent le caractère facultatif <strong>de</strong> telle ou telle limite d’un groupe. Prononcée<br />
avec un débit accélérée, cette phrase comportera un seul groupe <strong>de</strong> souffle et un<br />
seul groupe rythmique, avec, à la rigueur, trois accents secondaires et l’accent<br />
d’intensité sur la <strong>de</strong>rnière syllabe :<br />
[il‘pa:r$vwa‘tyrpurpa‘rid(0)m!ma′t!]<br />
Le rythme est un phénomène phonétique difficile à définir <strong>de</strong> façon<br />
rigoureuse 55 . Ce que l’on peut ajouter pour en tirer toutes les conséquences<br />
pédagogiques, c’est qu’il est marqué par la perception du retour périodique <strong>de</strong><br />
la mise en relief au moyen <strong>de</strong> l’accent d’insistance frappant la <strong>de</strong>rnière syllabe<br />
du groupe 56 , ce qui se traduit par un rythme régulier (cf. Derivery, 1997 : 53)<br />
caractérisant la conversation quotidienne spontanée, dans laquelle les groupes<br />
rythmiques, formés <strong>de</strong> trois ou quatre syllabes 57 dont la <strong>de</strong>rnière, plus longue 58 ,<br />
reçoit l’accent d’intensité, se succè<strong>de</strong>nt naturellement quand on parle sans<br />
emphase aucune, sans aucun accent d’insistance intellectuelle ou expressive.<br />
Ainsi dans la phrase :<br />
55 Voir toutefois une présentation pertinente <strong>de</strong> l’unité rythmique, avec <strong>de</strong>s conseils et <strong>de</strong>s<br />
applications pédagogiques pour l’acquisition du rythme du français parlé, dans Wioland (1991 :<br />
33-52).<br />
56 « L’originalité rythmique du français parlé rési<strong>de</strong> dans l’énergie articulatoire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière<br />
syllabe prononcée <strong>de</strong> chaque unité, geste articulatoire qui nécessite un entraînement<br />
particulier pour tout apprenant habitué à d’autres gestes » (Wioland, 1991 : 51). C’est nous qui<br />
avons souligné.<br />
57 « C’est pourquoi les unités sont composées d’un nombre relativement restreint <strong>de</strong> syllabes, afin <strong>de</strong><br />
rendre possible l’augmentation <strong>de</strong> la tension articulatoire. Une fois sensibilisé au nombre <strong>de</strong> syllabes<br />
<strong>de</strong>s unités rythmiques et à l'importance <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière, l’apprenant se donne le moyen d’appliquer un<br />
nombre limité d’habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> prononciation, toujours les mêmes, non en fonction du mot écrit, mais<br />
en fonction <strong>de</strong> la position <strong>de</strong>s syllabes dans l’unité » (Wioland, 1991 : 51).<br />
58 Dans une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1984 sur le français spontané, Wioland (cf. Wioland, 1991 : 48) a montré « que<br />
l’augmentation <strong>de</strong> la durée sur la syllabe perçue comme la <strong>de</strong>rnière d’un groupe s’observe dans 90%<br />
<strong>de</strong>s cas, une variation <strong>de</strong> la fréquence fondamentale s’observe dans 56% <strong>de</strong>s cas, et qu’une<br />
augmentation <strong>de</strong> l’intensité acoustique, ne s’observe que dans 27% seulement <strong>de</strong>s cas », ce qui nous<br />
fait conclure que l’augmentation <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> la syllabe finale <strong>de</strong> groupe reste le trait le plus<br />
saillant dans la perception et dans l’acquisition du rythme. La <strong>de</strong>rnière syllabe prononcée en<br />
est l’élément moteur !<br />
50
Marie ira à l’église et priera pour la santé <strong>de</strong> sa fille,<br />
[marii’raale’gli:zepri’rapurlas$’ted(0)sa′fij]<br />
l’accent frappe la troisième ou la quatrième syllabe et délimite cinq groupes<br />
rythmiques. Le rythme est perçu comme un martèlement qui, survenant toutes<br />
les <strong>de</strong>ux ou trois syllabes, détache les groupes rythmiques dans la chaîne parlée,<br />
conformément au schéma suivant (voir la note 42) : syllabes inaccentuées (non<br />
proéminentes) – syllabe finale accentuée (proéminente) 59 .<br />
III.2.3. L’intonation (Voir aussi ce qu’en dit Wioland)<br />
Vue par la phonétique traditionnelle comme une ligne mélodique continue<br />
parallèle à celle <strong>de</strong> la chaîne parlée, l’intonation aurait une fonction distinctive<br />
(rôle linguistique) 60 quand elle permet d’opposer une affirmation à une<br />
interrogation, à un ordre ou à une simple exclamation, et <strong>de</strong>s fonctions expressives<br />
quand elle traduit <strong>de</strong>s états d’âme, toutes sortes d’émotions et <strong>de</strong> sentiments,<br />
comme la peur, la fatigue, la lassitu<strong>de</strong>, l’irritation, la révolte, etc. Marginalisée,<br />
quant à son rôle linguistique, chez les structuralistes, l’intonation n’a aux yeux d’un<br />
fonctionnaliste comme Martinet que surtout <strong>de</strong>s fonctions expressives 61 . Au niveau<br />
<strong>de</strong> l’énonciation et <strong>de</strong> la réception <strong>de</strong> la parole, l’intonation joue également un rôle<br />
capital car il ne peut pas y avoir <strong>de</strong> véritable compréhension sans une intonation<br />
appropriée : « On sait que <strong>de</strong>s énoncés bien “articulés”, (“phonémisés”), mais non<br />
intonés ou mal intonés, c’est-à-dire sans variation prosodique ou avec <strong>de</strong>s variations<br />
mal réalisés, peuvent être mal compris ou pas compris du tout » (Ducrot, Schaeffer<br />
et collab., 1995 : 342). <strong>Cel</strong>a arrive dans le cas <strong>de</strong> pathologies physiques ou<br />
psychologiques <strong>de</strong> la parole ou chez <strong>de</strong>s locuteurs non natifs qui ne maîtrise pas<br />
cette dimension fondamentale <strong>de</strong> la parole étrangère (cf. le structuro-globalisme et<br />
la métho<strong>de</strong> verbo-tonale chez Guberina et son rôle capital dans l’apprentissage oral<br />
59 « Sensibles aux proéminences acoustiques, l’apprenant doit être clairement averti <strong>de</strong> cet état <strong>de</strong><br />
fait. Il ne peut jamais, contrairement à ce qu’il pratique dans sa langue première, relâcher l’effort<br />
articulatoire, ni à l’intérieur, ni à la fin <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> sens » (Wioland, 1991 : 51).<br />
60 « […] l’intonation se combine à la syntaxe pour assurer la « cohésion » <strong>de</strong> la parole, c’est-à-dire<br />
donner une indication <strong>de</strong> mise en relation <strong>de</strong>s unités sur l’axe temporel syntagmatique ; c’est un rôle<br />
linguistique capital qui permet <strong>de</strong> définir la phonosyntaxe, étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s relations entre structures<br />
syntactico-sémantiques et prosodiques » (Ducrot, Schaeffer et collab., 1995 : 342 ; c’est nous qui<br />
soulignons).<br />
61 « Mais l’intonation, dans la parole « spontanée », « naturelle », est également, et peut-être<br />
essentiellement, pertinente au niveau <strong>de</strong>s autres fonctions du langage, surtout au niveau <strong>de</strong> la<br />
manifestation <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s émotions » (ibid., c’est nous qui soulignons). Voir aussi<br />
Drăghicescu (1980 : 40-51).<br />
51
d’une langue étrangère, dans Dospinescu (Didactique <strong>de</strong>s langues – tradition et<br />
mo<strong>de</strong>rnité – et… analyse critique <strong>de</strong> manuels, Iasi, Junimea, 2002, pp. 171-177).<br />
III.2.3.1. Une définition. Les paramètres <strong>de</strong> l’intonation<br />
L’intonation ou la ligne musicale <strong>de</strong> la phrase, la « mélodie <strong>de</strong> la phrase »<br />
(Grammont) accompagne tout énoncé permettant <strong>de</strong> « délimiter une phrase<br />
phonologique, correspondant sur le plan phonétique à la phrase syntaxique »<br />
(Gar<strong>de</strong>s-Tamines, 1990 : 22). L’intonation est le résultat <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> hauteur<br />
dues aux variations <strong>de</strong> fréquence et d’intensité <strong>de</strong>s vibrations <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s vocales qui<br />
<strong>de</strong>ssinent une sorte <strong>de</strong> ligne ou courbe mélodique 62 , appelée unité <strong>de</strong> modulation,<br />
unité d’intonation caractérisée par une ca<strong>de</strong>nce conclusive, avec un centre intonatif<br />
situé sur la syllabe accentuée et suivie d’une pause. Elle peut contenir plusieurs<br />
groupes intonatifs frappés chacun sur la <strong>de</strong>rnière syllabe <strong>de</strong> groupe par l’accent<br />
d’intensité et correspondant à <strong>de</strong>s groupes rythmiques suivis ou non d’une pause :<br />
Les étudiants en français (/) passeront leurs examens (/) fin janvier.<br />
Les nouvelles théories représentées par Pierre Delattre, Gérard Faure,<br />
Philippe Martin, Mario Rossi, etc. (cf. Derivery, 1997 : 54-55) ou encore par<br />
Fonagy (1981), Pierre Léon (1993), voient dans l’intonation non plus une ligne<br />
musicale continue, mais une substance acoustique discontinue analysable en unités<br />
discrètes, « commutables en un même point <strong>de</strong> la chaîne parlée, qui s’organisent<br />
pour former <strong>de</strong>s contours intonatifs dans le cadre <strong>de</strong> la phrase et <strong>de</strong> ses constituants<br />
» (ibid. , p.55). Pour eux, l’intonation comporte plusieurs paramètres tels : la<br />
hauteur, dont les variations infléchissent la ligne mélodique en la faisant monter ou<br />
<strong>de</strong>scendre, l’intensité et la durée associées à la hauteur, la mélodie qui à une<br />
forme et une direction (la courbe intonative peut être concave ou convexe), la<br />
pause et le niveau tonal : aigu, grave, moyen 63 . Tous ces paramètres permettent,<br />
62 Voici, donnée par Riegel, Rioul et Pellat (1994 : 61), une <strong>de</strong>scription synthétique <strong>de</strong> l’intonation :<br />
« Tout au long <strong>de</strong> la chaîne parlée court une fréquence fondamentale (le voisement) dont les<br />
variations <strong>de</strong> hauteur <strong>de</strong>ssinent une ligne mélodique. Cette mélodie est susceptible <strong>de</strong> variations<br />
infinies. Cependant il existe certains schémas typiques <strong>de</strong> la mélodie qui ont une signification<br />
fonctionnelle et constituent <strong>de</strong>s intonations. <strong>Cel</strong>les-ci font intervenir la hauteur ou registre (du grave<br />
à l’aigu), la direction <strong>de</strong> la courbe (montante ou <strong>de</strong>scendante) et sa forme (concave ou convexe) ».<br />
Pour décrire les différents schéma-types <strong>de</strong> la mélodie, ou configurations autonomes <strong>de</strong> la parole,<br />
Fonagy (1981) utilise le concept <strong>de</strong> « cliché mélodique », au moyen duquel on définit les différents<br />
niveaux discursifs, pragmatiques ou situationnels.<br />
63 Voir Derivery (1997 : 55), qui retient cinq niveaux tonaux : « – le niveau 2 ou registre médium est<br />
celui qui correspond à la fréquence moyenne <strong>de</strong>s syllabes atones (il est proche <strong>de</strong> Euh ! d’hésitation<br />
que l’on entend dans la conversation courante) ; – le niveau 1 ou registre grave est atteint par<br />
exemple à la fin d’un énoncé déclaratif ; – le niveau 3 ou registre infra-aigu est atteint dans la<br />
continuation mineure (inachèvement) ; – le niveau 4 ou registre aigu est atteint au terme d’une<br />
52
sur le modèle <strong>de</strong> la phonologie, <strong>de</strong> distinguer dans l’intonation <strong>de</strong>s intonèmes qui<br />
fonctionneraient comme les phonèmes. Ainsi on distingue un intonème continuatif<br />
dont la mélodie va du registre moyen dans le registre aigu, ce qui se traduit par un<br />
allongement <strong>de</strong>s voyelles, légère augmentation <strong>de</strong> leur durée, et un intonème<br />
conclusif qui correspond précisément à une chute <strong>de</strong> la mélodie du niveau moyen<br />
au niveau grave combinée à un allongement plus prégnant <strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> la syllabe<br />
finale :<br />
aigu<br />
moyen<br />
grave tu te reposes je lis<br />
continuatif conclusif<br />
4 aigu<br />
3 infra-aigu tez<br />
2 médium Vous sor avec<br />
1 grave moi<br />
III.2.3.2. Les trois fonctions <strong>de</strong> l’intonation (modale, démarcative et subjective)<br />
En schématisant les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Delattre (1966) et <strong>de</strong> Léon et Martin (1970), on<br />
en retient la fonction modale <strong>de</strong> l’intonation, la fonction démarcative (ou<br />
d’organisation <strong>de</strong> l’énoncé) et la fonction expressive (ou subjective) :<br />
1. la fonction modale joue un rôle linguistique certain car l’intonation est<br />
étroitement liée à toute structure phrastique à laquelle elle permet d’attribuer un<br />
statut modal. La même phrase prend tel ou tel statut modal suivant la courbe<br />
mélodique qui l’accompagne, autrement dit en fonction <strong>de</strong> la partie <strong>de</strong> la phrase<br />
portant le sommet <strong>de</strong> hauteur. Ainsi le locuteur peut faire <strong>de</strong> la séquence <strong>de</strong><br />
mots tu lis :<br />
un énoncé affirmatif : Tu <strong>de</strong>ssines.<br />
un énoncé exclamatif : Tu <strong>de</strong>ssines !<br />
un énoncé interrogatif : Tu <strong>de</strong>ssines ?<br />
question ; – le niveau 5 ou registre suraigu et le niveau 0 ou infra-grave sont surtout utilisés dans la<br />
fonction expressive. »<br />
53
un énoncé jussif (impératif) : Tu <strong>de</strong>ssines.<br />
Comme on voit, les différentes modalités, l’assertion, l’exclamation,<br />
l’interrogation, l’ordre ou le comman<strong>de</strong>ment seront marquées par <strong>de</strong>s variations <strong>de</strong><br />
la mélodie et par les différences <strong>de</strong> niveau tonal surimposées à la structure<br />
syntaxique. Les différents contours intonatifs sont notés dans le co<strong>de</strong> écrit, bien que<br />
d’une façon imparfaite, par <strong>de</strong>s signes différents (./ ?/ !). Voici maintenant une<br />
<strong>de</strong>scription plus détaillée, accompagnée d’une schématisation graphique, <strong>de</strong> chaque<br />
valeur modale :<br />
a) L’assertion (ou modalité déclarative) 64 :<br />
La mélodie <strong>de</strong> la phrase assertive simple, formée d’un seul groupe rythmique,<br />
ne comportant donc pas <strong>de</strong> pause, se présente comme une courbe intonative<br />
arrondie <strong>de</strong>scendante inscrite entre les niveaux 2 et 1 :<br />
4<br />
3<br />
2 il ar il n’arrive<br />
1 rive pas<br />
Cependant les phrases à plus d’un groupe accentuel sont bien plus fréquentes.<br />
Leurs groupes rythmiques ou accentuels sont d’une façon générale répartis en <strong>de</strong>ux<br />
séquences dont la première est ascendante et la <strong>de</strong>uxième, finale, est <strong>de</strong>scendante :<br />
4<br />
3 sera là<br />
2 notre ami ce<br />
1 soir<br />
On peut avoir aussi :<br />
4<br />
3 notre ami<br />
2 ce soir sera<br />
1 là<br />
La phrase peut comporter plusieurs groupes rythmiques. La mélodie assertive<br />
aura un seul sommet <strong>de</strong> hauteur et chacune <strong>de</strong>s séquences, montante (niveaux 2,<br />
64 « En simplifiant, on caractérise la phrase assertive par une intonation montante (thème), puis<br />
<strong>de</strong>scendante (propos), ou <strong>de</strong>scendante (propos antéposé) puis plate (thème postposé) » (Riegel,<br />
Rioul et Pellat 1994 : 61).<br />
54
moyen, et 3, infra-aigu) et <strong>de</strong>scendante (niveaux 3, infra-aigu, et 1, grave) se<br />
partagera le nombre <strong>de</strong> groupes accentuels <strong>de</strong> façon égale, tandis qu’on marque,<br />
entre les groupes, une toute petite pause et une petite pause, plus nettement<br />
perceptible, entre la séquence ascendante et celle <strong>de</strong>scendante 65 : Notre ami <strong>de</strong><br />
Paris, / le prof // vient nous voir / ce soir.<br />
4<br />
3 <strong>de</strong> Paris/le prof//vient nous voir/<br />
2 notre ami ce<br />
1 soir<br />
b) la phrase impérative :<br />
D’une manière générale, ce type <strong>de</strong> phrase, exprimant un ordre, un<br />
comman<strong>de</strong>ment, une invitation à accomplir telle ou telle action, <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong><br />
langage directifs, comporte une courbe mélodique <strong>de</strong>scendante « rectiligne »<br />
(Derivery) qui s’inscrit entre les niveaux 4 (aigu) et 1 (grave) :<br />
4 vous<br />
3 sor<br />
2 tez<br />
1 à l’instant<br />
ou les niveaux 3 (infra-aigu) et 1 (grave) :<br />
4<br />
3 (vous) sor<br />
2 tez<br />
1 à l’instant<br />
Si la fonction expressive s’en mêle, c’est-à-dire si le locuteur s’implique<br />
émotionnellement — impatience et énervement — dans ce qu’il dit, la courbe peut<br />
très bien être ascendante :<br />
4 à l’instant<br />
65 « […] à mesure que le phrase s’allonge, l’équilibre entre les <strong>de</strong>ux parties (ascendante et<br />
<strong>de</strong>scendante) change en faveur <strong>de</strong> la parie ascendante. La limite entre les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> la courbe<br />
mélodique est marquée par le sommet <strong>de</strong> hauteur par lequel se termine la partie ascendante <strong>de</strong> même<br />
que par une petite pause. La partie <strong>de</strong>scendante débute par une voix basse caractérisée ensuite par <strong>de</strong><br />
légères remontées suivies par une chute nette qui marque la fin <strong>de</strong> la phrase » (Drăghicescu 1980 :<br />
44). Voir aussi, pour d’autres détails et précisions, les pages 42-45 du même auteur.<br />
55
3 tez<br />
2 (vous) sor<br />
1<br />
c) l’interrogation<br />
Deux cas <strong>de</strong> figure se présentent 66 :<br />
– avec l’interrogation totale (réponse par oui ou non), marquée ou non par<br />
l’inversion ou par le morphème interrogatif est-ce que, l’énoncé s’inscrit dans une<br />
courbe <strong>de</strong> forme concave et <strong>de</strong> direction ascendante, entre les niveaux 2 (moyen) et<br />
4 (aigu) :<br />
4 à l’instant<br />
3 tez<br />
2 vous sor<br />
1<br />
4 à l’instant<br />
3 vous<br />
2 sortez<br />
1<br />
4 à l’instant<br />
3 vous sortez<br />
2 est-ce que<br />
1<br />
C’est surtout et précisément dans l’interrogation sans est-ce que ni inversion que la<br />
mélodie ascendante <strong>de</strong>vient essentielle et, partant, obligatoire ; elle est ainsi la seule<br />
marque perceptible (audible) qui permet <strong>de</strong> transformer un énoncé affirmatif en une<br />
question : le sommet <strong>de</strong> hauteur monte alors toujours jusqu’au registre aigu (niveau<br />
4) et il est nettement placé sur la syllabe tonique finale 67 .<br />
66 Drăghicescu (1980) en distingue trois, le troisième étant représenté par ce qu’on appelle<br />
l’interrogation à inversion complexe (le sujet, en tête <strong>de</strong> la phrase est réalisé par un nom ou par un<br />
pronom(inal) autre que les pronoms conjoints ou <strong>de</strong> conjugaison : je, tu, il, nous…). Le groupe<br />
nominal sujet se prononce sur un ton plat continué par une montée <strong>de</strong> la voix ; le sommet <strong>de</strong> hauteur<br />
se situe sur le pronom <strong>de</strong> reprise du sujet : Votre ami, sera-t-il là ? — Vous avez pas mal <strong>de</strong> livres.<br />
Ceux-ci sont-ils à vendre ? — <strong>Cel</strong>a vous intéresse-t-il vraiment ? Après le sommet <strong>de</strong> hauteur, la<br />
voix, le ton <strong>de</strong>scend légèrement. Voir aussi les pages 48-50.<br />
67 « Des étu<strong>de</strong>s très précises <strong>de</strong> l’interrogation totale ont montré que la courbe ascendante n’est pas<br />
essentielle dans la perception interrogative — elle définit également les énoncés inachevés —, mais<br />
que la phrase interrogative qui n’est marquée ni par l’inversion ni par le morphème<br />
interrogatif est-ce que se caractérise toujours par un niveau tonal nettement localisé sur la<br />
56
– avec l’interrogation partielle il y a une courbe <strong>de</strong>scendante, caractérisée<br />
par un ton haut sur le mot interrogatif (pronom ou adverbe) ; le sommet <strong>de</strong> hauteur,<br />
placé dans le registre 4 (aigu), <strong>de</strong>scend jusqu’au registre 1 (grave) :<br />
4 qui quand<br />
3 sort sor<br />
2 à l’ins tez<br />
1 tant vous<br />
Si le morphème interrogatif est rejeté à la fin <strong>de</strong> l’énoncé, la mélodie, évoluant<br />
entre les registres 2 (moyen) et 4 (aigu), est montante, car le sommet <strong>de</strong><br />
hauteur marque le mot interrogatif :<br />
4 quand<br />
3 tez<br />
2 vous sor<br />
1<br />
2. la fonction démarcative, que l’on peut appeler aussi fonction d’organisation<br />
<strong>de</strong> l’énoncé, joue un rôle important sur les plans syntaxique, sémantique et<br />
pragmatique. D’une façon générale, c’est, comme nous venons <strong>de</strong> le voir<br />
jusqu’ici, l’intonation qui assigne le statut d’énoncé (assertif, impératif ou<br />
interrogatif) à un mot ou à un groupe <strong>de</strong> mots.<br />
L’intonation permet aussi <strong>de</strong> segmenter l’énoncé en groupes syntaxiques, <strong>de</strong><br />
marquer la continuation d’un énoncé ou sa fin, ou encore <strong>de</strong> délimiter les autres<br />
formes d’énonciation secondaire (phrases inci<strong>de</strong>ntes, appositions, etc.) :<br />
Intonation syntaxique : en outre, l’intonation permet <strong>de</strong> délimiter <strong>de</strong>s groupes<br />
syntactico-sémantiques conformément à <strong>de</strong>s hiérarchies ou <strong>de</strong>s<br />
configurations qui peuvent se sol<strong>de</strong>r avec un sens différent pour une même<br />
phrase assertive comportant plusieurs groupes rythmique, avec une mélodie à<br />
double contours : montée initiale <strong>de</strong>scente finale. Dans cette fonction,<br />
l’intonation joue comme facteur <strong>de</strong> désambiguïsation. Une phrase comme :<br />
C’est le stylo que j’ai emprunté pourra ainsi opposer, selon l’intonation, <strong>de</strong>ux<br />
interprétations : a. « c’est (parmi d’autres) ce stylo que j’ai emprunté » et<br />
b. « c’est le stylo (non pas le crayon) que j’ai emprunté », dont la courbe<br />
syllabe tonique finale et atteint dans tous les cas le registre aigu » (Derivery, 1997 : 57 ; c’est<br />
nous qui soulignons en gras)<br />
57
mélodique est différente autant par la forme que par la présence en b. d’une<br />
pause après le premier groupe rythmique :<br />
a.<br />
4 lo<br />
3 sty que j’ai<br />
2 c’est le emprun<br />
1 te<br />
b.<br />
4 c’est<br />
3 le sty<br />
2 lo<br />
1 que j’ai emprunté<br />
Il en est <strong>de</strong> même dans <strong>de</strong>s énoncés tels : Pierre veut bien / lire et Pierre veut / bien<br />
lire ; La belle / porte le voile et La belle porte / le voile ; C’est bien / ce que vous<br />
pensez et C’est / bien ce que vous pensez, dans lesquels l’ambiguïté est levée grâce<br />
précisément à la fonction démarcative <strong>de</strong> l’intonation : le sens est déterminé par le<br />
mot qui porte le sommet <strong>de</strong> hauteur.<br />
Intonation <strong>de</strong> continuation et <strong>de</strong> finalité : Derivery (1997 : 58) trouve que cette<br />
même fonction démarcative ou fonction d’organisation <strong>de</strong> l’énoncé permet,<br />
à travers les variations <strong>de</strong> hauteur <strong>de</strong>s groupes accentuels, permet<br />
d’opposer une intonation <strong>de</strong> continuation, marquant l’inachèvement <strong>de</strong><br />
l’énoncé, et une intonation <strong>de</strong> finalité qui en indique l’achèvement, comme<br />
dans cet exemple (ibid.) : Si Marie / nous invitait / on irait, dans lequel il y<br />
aurait <strong>de</strong>ux intonations <strong>de</strong> continuation 68 , une mineure, après Si Marie<br />
(montée 2-3), et une majeure, après nous invitait (montée 2-4). Ceci<br />
donnerait graphiquement cela :<br />
(1) (2) (3)<br />
4 tait<br />
3 Marie invi<br />
2 si nous on i<br />
1 rait<br />
68 Ces <strong>de</strong>ux intonations <strong>de</strong> continuation, mineure et majeure, relèveraient du registre soigné <strong>de</strong> la<br />
prononciation. Aux <strong>de</strong>ux intonations <strong>de</strong> continuation, il nous faut ajouter une courte pause après Si<br />
Marie et une <strong>de</strong>uxième plus longue après nous invitait, qui marquent l’inachèvement <strong>de</strong> l’énoncé.<br />
Nous pensons que, dans la réalité, dans le français courant, il y a une seule courbe intonative <strong>de</strong><br />
continuation et une seule petite pause après nous invitait, suivies <strong>de</strong> l’intonation <strong>de</strong> finalité. Cette<br />
analyse conforte aussi le point <strong>de</strong> vue pédagogique.<br />
58
On retrouve donc ici ce qu’on appelait plus haut l’intonème continuatif et<br />
l’intonème conclusif qui constituent la courbe mélodique normale <strong>de</strong> toutes les<br />
phrases énonciatives assertives formées <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux groupes rythmiques. Donc,<br />
rien <strong>de</strong> spécial dans ces <strong>de</strong>ux intonations <strong>de</strong> continuation et <strong>de</strong> finalité, sauf pour<br />
l’intonation <strong>de</strong> continuation, que j’appellerai suspensive, dans <strong>de</strong>s énoncés comme<br />
Si Marie nous invitait…, Si on pouvait aller skier…Et si Paul arrivait ce soir… par<br />
lesquels nous pouvons exprimer un souhait, un désir, une hypothèse, ou même dans<br />
<strong>de</strong>s énoncés exclamatifs marqués par <strong>de</strong>s mouvements émotionnels forts : appel<br />
(Au secours ! on met le feu !), agacement (Mais entrez !), énervement et reproche<br />
(Me faire ça à moi !), surprise (Vous et Paul ici !), etc., ou encore dans la phrase<br />
interrogative totale non marquée par d’autres moyens (morphème est-ce que ou<br />
inversion) : Paul part à midi ?. Par contre, la continuation <strong>de</strong> finalité se retrouve<br />
dans plusieurs types <strong>de</strong> phrases : assertive à un seul groupe rythmique (Paul<br />
arrive), exclamative à un ou à <strong>de</strong>ux groupes rythmiques ou à inversion du pronom<br />
sujet (Que c’est beau ! Est-il gentil !) et impérative (en contexte affectif neutre) :<br />
Veuillez me suivre ! Mettez-vous à l’aise !<br />
3. la fonction subjective (ou expressive) 69<br />
On reconnaît <strong>de</strong> plus en plus à l’intonation une fonction subjective-expressive<br />
(cf. Fonagy, 1981, Léon, 1993), grâce à laquelle le sujet parlant peut exprimer une<br />
multitu<strong>de</strong> d’attitu<strong>de</strong>s ou d’émotions, toujours décodés par l’interlocuteur comme<br />
autant <strong>de</strong> commentaires, raisonnés ou affectifs, volontaires ou involontaires, qui se<br />
greffent sur les structures sémantico-syntaxiques <strong>de</strong>s énoncés. L’intonation<br />
subjective-expressive à dominante émotive traverse les énoncés dans leur<br />
globalité, tous leurs éléments en sont affectés, la ligne mélodique étant la résultante<br />
<strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong> contours intonatifs aussi différents qu’imprévisibles dans leur<br />
ordre <strong>de</strong> succession : intonème continuatif + intonème conclusif + intonème<br />
parenthétique + variations <strong>de</strong> durée syllabique + absence / présence d’intensité +<br />
variations <strong>de</strong> hauteur. Il n’est pas inintéressant <strong>de</strong> souligner que le décodage <strong>de</strong>s<br />
énonciations à intonation expressive à dominante émotive est, dans toutes les<br />
69 Mais l’intonation, dans la parole « spontanée », « naturelle », est également, et peut-être<br />
essentiellement, pertinente au niveau <strong>de</strong>s autres fonctions du langage, surtout au niveau <strong>de</strong> la<br />
manifestation <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s émotions » (Ducrot, Schaeffer et collab., 1995 : 342 ; c’est nous<br />
qui soulignons).<br />
59
situations <strong>de</strong> face à face, facilité par le langage non verbal (mimique, gestes,<br />
postures, etc.), qui s’exacerbe précisément dans le cas <strong>de</strong> l’expression d’émotions,<br />
<strong>de</strong> sentiments ou d’attitu<strong>de</strong>s.<br />
Différents types <strong>de</strong> classes d’émotions ont été retenues (cf. Derivery, 1997 :<br />
59) qui se caractérisent par certains traits acoustiques :<br />
– une absence d’intensité et <strong>de</strong> variations <strong>de</strong> hauteur conviennent à l’expression<br />
du chagrin, <strong>de</strong> la tristesse, <strong>de</strong> l’ennui, <strong>de</strong> la honte, etc. ;<br />
– une intensité maximale et peu <strong>de</strong> variations <strong>de</strong> hauteur <strong>de</strong> la fréquence<br />
fondamentale traduisent l’affection, l’amusement, la gratitu<strong>de</strong>, etc. ;<br />
– une intensité maximale doublée <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s variations <strong>de</strong> hauteur traduisent<br />
l’agacement, l’irritation, la colère, la peur, etc.<br />
Enfin, l’intonation subjective-expressive peut, comme la prononciation<br />
particulière <strong>de</strong> certains phonèmes, indiquer — fonction in<strong>de</strong>ntificatrice —<br />
l’origine régionale, l’extraction et l’i<strong>de</strong>ntité sociales <strong>de</strong>s locuteurs, et l’on parle<br />
alors d’accents régionaux.<br />
III. Physionomie articulatoire du français standard <strong>de</strong> nos jours : « les trois<br />
mo<strong>de</strong>s phonétiques du français »<br />
Toute langue présente, à un moment précis <strong>de</strong> son histoire, <strong>de</strong>s particularités<br />
<strong>de</strong> prononciation frappantes, autant d’habitu<strong>de</strong>s articulatoires qui la différencient<br />
par rapport à d’autres langues. Ainsi le français standard <strong>de</strong> nos jours comporte-t-il<br />
un certain nombre d’habitu<strong>de</strong>s articulatoires ou manières <strong>de</strong> prononcer, qui en<br />
<strong>de</strong>ssinent la physionomie spécifique. Ces manières particulières <strong>de</strong> prononcer les<br />
mots d’une langue s’appellent mo<strong>de</strong>s phonétiques.<br />
Derivery (1997 : 60-63) parle, pour le français <strong>de</strong> nos jours, <strong>de</strong> trois mo<strong>de</strong>s<br />
phonétiques :<br />
1. le mo<strong>de</strong> antérieur : « parler sur le mo<strong>de</strong> antérieur signifie que les lieux<br />
d’articulation ainsi que les centres <strong>de</strong>s cavités <strong>de</strong> résonance se portent <strong>de</strong><br />
préférence vers l’avant »). Cette antériorité du français est donnée par la<br />
position <strong>de</strong> la langue (pointe en bas, dans une position convexe vis-à-vis du<br />
60
palais et du voile) et l’arrondissement <strong>de</strong>s lèvres. Les conséquences du mo<strong>de</strong><br />
antérieur sont : le grand nombre <strong>de</strong> sons antérieurs (neuf voyelles sur quinze,<br />
treize consonnes sur dix-sept et les <strong>de</strong>ux semi-consonnes [j] et [6]),<br />
l’arrondissement <strong>de</strong>s lèvres même pour les consonnes suivies d’une <strong>de</strong> ces<br />
nombreuses voyelles arrondies, l’antériorité <strong>de</strong>s consonnes [t], [d], [l], articulées<br />
avec le bout <strong>de</strong> la langue dirigé vers les incisives supérieures et non pas vers le<br />
palais dur ou le voile comme en anglais, enfin la tendance à toujours<br />
anticiper la position <strong>de</strong> la voyelle fait que toutes les consonnes suivies d’une<br />
voyelle antérieure et/ou arrondie s’articulent elles-mêmes un peu plus avant<br />
et/ou avec les lèvres bien arrondies ;<br />
2. le mo<strong>de</strong> croissant « signifie que les voyelles et les consonnes se réalisent avec<br />
une énergie physio-logique qui commence avec une attaque douce et s’accroît<br />
progressivement ». Les conséquences en sont : le rattachement <strong>de</strong>s consonnes<br />
inter-vocaliques à la voyelle qui les suit (syllabation majoritairement ouverte),<br />
la mise <strong>de</strong>s consonnes dans la position articulatoire <strong>de</strong> la voyelle qui les suit<br />
(d’où labialisation forte <strong>de</strong> certaines consonnes, articulation très sonore <strong>de</strong> [b] et<br />
[d], puisque les cor<strong>de</strong>s vocales se mettent à vibrer avant l’explosion), l’absence<br />
d’assourdissement <strong>de</strong>s consonnes finales (grâce au phénomène, si<br />
caractéristique du français <strong>de</strong> nos jours, <strong>de</strong> « détente <strong>de</strong>s consonnes finales »,<br />
qui sont très bien articulées, comme si elles com-mençaient une nouvelle<br />
syllabe 70 ), enfin la nette séparation du son nasal du son oral.<br />
3. le mo<strong>de</strong> tendu « signifie qu’il se produit, pendant la phonation, une gran<strong>de</strong><br />
dépense d’énergie, pour tendre les muscles <strong>de</strong> la langue et <strong>de</strong>s lèvres<br />
notamment, [ce qui veut dire] que les sons sont articulés énergiquement, sans<br />
renforcement <strong>de</strong>s uns aux dépens <strong>de</strong>s autres » : d’où l’absence <strong>de</strong> diphtongue<br />
ou <strong>de</strong> voyelle diphtonguée, la nasali-sation forte, l’absence <strong>de</strong>s semi-<br />
occlusives du système phonologique français (excepté les emprunts : tsar, pizza,<br />
70 « La bouche s’ouvre légèrement et un embryon <strong>de</strong> voyelle se fait entendre » (Derivery, 1997 : 61).<br />
De là vient la prononciation d’un e muet, qui n’a pas <strong>de</strong> correspondant graphique, même à la finale<br />
<strong>de</strong> mots terminés par une consonne (cf. supra Le e appendice, p.86). Ce doit être le mo<strong>de</strong><br />
croissant, comme peut-être aussi le mo<strong>de</strong> tendu (phonation avec une gran<strong>de</strong> dépense d’énergie.<br />
Voir ci-après), qui explique la prononciation, en finale consonantique et parfois vocalique, d’une<br />
sorte <strong>de</strong> nasale, quelque chose comme ein [!] : « Ce qui est tordant, c’est que cet ein ex-muet,<br />
épentéthique (ça veut dire <strong>de</strong> soutien), peut même aujourd’hui renforcer toute finale, consonan-tique<br />
(avec ou sans e dans l’écriture) ou non : – Alor-ein, les copin-ein ? Vous venez-ein ?, quoi-ein ? »<br />
(Munot & Nève, 2002 : 155).<br />
61
djinn) et la gran<strong>de</strong> égalité rythmique (la succession <strong>de</strong> syllabes égales<br />
combinées en groupes accentuels).<br />
Nous dirons, en manière <strong>de</strong> conclusion, que le français <strong>de</strong> nos jours, possè<strong>de</strong><br />
un vocalisme riche avec ses 16 voyelles. Cependant <strong>de</strong>ux paires au moins, /a/ et /2/<br />
(cf. tache et tâche prononcés tous <strong>de</strong>ux avec un même /a/, plutôt [ta8]) et /!/ et /%/<br />
(cf. brun et brin prononcés plutôt [br!]), ne s’opposent plus vraiment sur les plans<br />
phonétique et phonologique ; <strong>de</strong>ux autres paires encore, /e/ et /1/ et /o/ et /3/,<br />
ten<strong>de</strong>nt vers la centralisation (on prononce une variante moyenne), ce qui revient à<br />
affirmer que, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’emploi phonématique <strong>de</strong> ces paires <strong>de</strong> voyelles,<br />
le français <strong>de</strong> nos jours peut donc se tirer d’affaire avec seulement dix phonèmes<br />
vocaliques, dont sept voyelles orales (/i/, /e/, /a/, /y/, /5/, /o/, /u/, et trois nasales /!/, /<br />
#/, /$/.<br />
Autrement dit, qu’un Roumain francophone prononce la paire ouverte ou<br />
fermée <strong>de</strong> /E/ ou <strong>de</strong> /O/, antérieure ou postérieure <strong>de</strong> /A/, la voyelle nasale /!/ ou /%/,<br />
il se fera toujours très bien comprendre.<br />
Sur les 18 ou 19 consonnes, sauf [9], emprunté à l’anglais, consonne nasale<br />
post-dorso-vélaire. (la partie arrière du dos <strong>de</strong> la langue s’appuie contre le voile du<br />
palais) et /r/, avec ses trois variantes (roulé, grasseyé et parisien), dont on peut<br />
indifféremment prononcer n’importe laquelle, toutes les autres ne présentent aucune<br />
difficulté d’articulation pour <strong>de</strong>s Roumains. Pour ce qui <strong>de</strong> l’acquisition du système<br />
phonologique du français <strong>de</strong> nos jours par <strong>de</strong>s étudiants roumains, seuls posent<br />
quelques problèmes les voyelles antérieures arrondies /y/ et /5/ et les trois<br />
nasales /!/, /$/ et. /#/. On retiendra pour /y/, /5/, /$/, voyelles labialisées, et. /#/, la<br />
voyelle la plus labialisée (surlabialisée même), l’arrondissement et la projection en<br />
avant <strong>de</strong>s lèvres, le volume variable <strong>de</strong>s cavités pharyngale et buccale : par<br />
exemple, /y/ présente une cavité pharyngale large, une cavité buccale antéri-eure<br />
étroite et un orifice labial étroit ; /#/ se caractérise par un orifice labial très petit,<br />
tandis que /$/, qui, s’en rapproche, présente un orifice labial plus grand et un<br />
passage pharyngal plus réduit, etc. La nasale /!/, par contre, est non labialisée (voir,<br />
pour d’autres détails, Wioland, 1991 : 26-29).<br />
62
Une fois que la prononciation <strong>de</strong> ces cinq voyelles ne pose plus <strong>de</strong> problème à<br />
l’élève, l’enseignant <strong>de</strong>vra veiller à lui faire acquérir l’accent, le rythme et<br />
l’intonation, tout cela en tenant compte <strong>de</strong>s trois mo<strong>de</strong>s phonétiques (voir supra) du<br />
français <strong>de</strong> nos jours.<br />
63
Bibliographie<br />
Delattre, P., 1966, Studies in French and Comparative Phonetics, Paris, Mouton.<br />
Derivery, N., 1997, La phonétique du français, Paris, Editions du Seuil.<br />
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analyse critique <strong>de</strong> manuels, Coll. Conex,<br />
Iasi, Junimea.<br />
Drăghicescu, J., 1980, Phonétique française appliquée et exercices, Bucureşti,<br />
Editura Didactică şi Pedagogică.<br />
Ducrot, O., Schaeffer, J.-M. et collab., 1995, Nouveau dictionnaire<br />
encyclopédique <strong>de</strong>s sciences du langage,<br />
Paris, Editions du Seuil.<br />
Encrevé, P., 1988, La liaison avec et sans enchaînement. Phonologie<br />
tridimensionnelle et usages du français,<br />
coll. « travaux linguistiques, Paris,<br />
Editions du Seuil.<br />
Gar<strong>de</strong>s-Tamine, J., 1990, La Grammaire, 1/ Phonologie, Paris, Armand Colin.<br />
Grammont, M., 1965, Traité <strong>de</strong> phonétique, Paris, Delagrave.<br />
Encrevé, P., La liaison avec ou sans enchaînement, Seuil.<br />
Fonagy, I, 1981, La Vive Voix, Paris<br />
Léon, P. et Martin, Ph., 1970, Prolégomènes à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s structures intonatives,<br />
coll. Studia Phonetica, n° 2, Paris, Didier.<br />
Léon, P., 1976, De l’analyse psychologique à la catégorie auditive <strong>de</strong>s émotions<br />
dans la parole, article repris dans Précis<br />
<strong>de</strong> phonstylistique, parole et expressivité,<br />
Paris.<br />
Malmberg, B., 1971, La Phonétique, neuvième édition, Paris, P.U.F.<br />
Riegel, M., Pellat, J.-C., 1998, Grammaire méthodique du français, Paris, P.U.F.<br />
Wioland, F., 1991, Prononcer les mots du français (Des sons et <strong>de</strong>s rythmes),<br />
Paris, Hachette.<br />
64