MAULEVRIER XXI, Notre vieux lycée n°209, novembre 2010
MAULEVRIER XXI, Notre vieux lycée n°209, novembre 2010
MAULEVRIER XXI, Notre vieux lycée n°209, novembre 2010
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Numéro 209 - Novembre <strong>2010</strong><br />
<strong>MAULEVRIER</strong> <strong>XXI</strong><br />
Association des anciens élèves du Lycée Corneille de Rouen<br />
Jean-LouisCurtis<br />
Le secret bien gardé<br />
d’un académicien,<br />
professeur d’anglais au <strong>lycée</strong> Corneille
Association reconnue d’utilité publique<br />
Siège social : Lycée Corneille<br />
4, rue du Maulévrier 76177 ROUEN CEDEX 1<br />
Envoyer le courrier à :<br />
M. Philippe PRIOL<br />
52, rampe Saint-Hilaire 76000 Rouen<br />
Conseil d’Administration<br />
MEMBRES D’HONNEUR<br />
Raymond ANDRIEU<br />
Chemin de Chanta-Merloz<br />
CH-1137 Yens (Suisse)<br />
Jean-Claude GUEZENNEC<br />
4 bis, rue Lanjallay<br />
76420 Bihorel<br />
PRÉSIDENT<br />
Philippe PRIOL<br />
52, rampe St-Hilaire<br />
76000 Rouen<br />
Tél. 02 35 88 46 38<br />
VICE PRÉSIDENT<br />
René LAPEL<br />
3, Place de l’Union<br />
76130 Mont-Saint-Aignan<br />
SECRÉTAIRE<br />
Nicolas OOGHE<br />
496, chemin de Clères<br />
76230 Bois-Guillaume<br />
TRÉSORIER<br />
Didier DUMESNIL<br />
34, chemin des Cottes<br />
76130 Mont-Saint-Aignan<br />
Tél. 02 35 07 10 52<br />
MEMBRES DU CONSEIL<br />
André WINTHER<br />
12, parc Cerisy<br />
76130 Mont-Saint-Aignan<br />
Tél. 02 35 74 46 48<br />
René LAPEL<br />
3 place de l’Union<br />
76130 Mont-Saint-Aignan<br />
Pierre BERTEAU<br />
1037, rue de la Haie<br />
76230 Bois-Guillaume<br />
Jacques JOANNES<br />
181, rue du Hamel<br />
76230 Bois-Guillaume<br />
Antoine FONDIMARE<br />
40, Rampe Bouvreuil<br />
76000 Rouen<br />
MEMBRES DU CONSEIL (suite)<br />
Bruno FERRARO<br />
59, avenue Jean Jaurès<br />
76140 Petit-Quevilly<br />
Jean-Pierre STAIN<br />
2, rue Walter<br />
76000 Rouen<br />
Tél. 02 35 71 52 03<br />
Paul LIMARE<br />
21 rue de Vaucouleurs<br />
76000 Rouen<br />
Patrice DEFRESNE<br />
79, rue des Ecoles<br />
46090 Le Montat<br />
Guy NIQUET<br />
144, Chemin de la Ferme<br />
76360 Pissy-Poville<br />
COMMISSAIRE AUX COMPTES<br />
RELATIONS SUISSE<br />
Raymond ANDRIEU<br />
RELATIONS NORVEGE<br />
Jean-Marc CAPELLO<br />
CONSEIL DES SAGES (anciens présidents)<br />
Jean-Pierre LENGLET<br />
André BOEDA<br />
Pierre BERTEAU<br />
Pierre TROUDE<br />
Claude THEVENIN<br />
Pierre FOULQUIE<br />
Jacques JOANNES<br />
Alain PREVOT<br />
Serge GOUPIL (┼)<br />
Antoine FONDIMARE<br />
René LAPEL<br />
2<br />
Sommaire<br />
Edito<br />
(Philippe PRIOL)<br />
Vincent Dulague, homme de<br />
sciences à Rouen au XVIIIe s<br />
(Mathieu CATHELIN et Frédéric VIVIEN)<br />
Caneton à la Rouennaise,<br />
l’Ordre des Canardiers<br />
(Jean-Pierre CORLAY)<br />
L’anglais vivant<br />
(Maurice COURAGE)<br />
La dernière expédition de<br />
Roald Amundsen<br />
(Jean-Marc CAPELLO )<br />
La musique au <strong>lycée</strong><br />
Corneille<br />
(Paul LIMARE)<br />
Nicolas MESNAGER,<br />
portrait<br />
(Jacques DELECLUSE)<br />
Nécrologie<br />
En bref<br />
Informations culturelles<br />
<strong>MAULEVRIER</strong> <strong>XXI</strong><br />
Directeur<br />
de la Publication<br />
Philippe PRIOL<br />
Rédacteur en Chef<br />
André WINTHER<br />
Comité Editorial<br />
Jean-Marc CAPELLO<br />
Pierre BERTEAU<br />
AGENCE ROUEN Jeanne d'Arc<br />
p.3<br />
p.4<br />
p.8<br />
p.13<br />
p.17<br />
p.19<br />
p.20<br />
p.22<br />
p.23<br />
Comité Editorial (suite)<br />
René LAPEL<br />
Maquette-Imprimerie<br />
Imag² Imprimerie<br />
10 CAP Darnétal<br />
76160 Darnétal
Edito<br />
La liberté est certainement le bien le plus précieux dont puisse jouir l’être humain.<br />
Elle est pourtant sans cesse menacée ou contrainte. La liberté d’agir, de penser, et<br />
d’entreprendre dans les limites de la bienséance et de la morale ambiante est un bastion qu’il<br />
faut préserver contre les obscurantismes et les sectarismes malheureusement inhérents à<br />
la nature humaine. Ces acquis sont le fruit de longs combats menés dans le temps contre<br />
les fanatismes, les déviations de la pensée, l’omnipotence de certains pouvoirs en place<br />
dans le monde. L’esprit de notre revue est animé par ces valeurs de liberté d’expression.<br />
Aussi se réclame-telle d’un éclectisme des sujets auquel nous sommes fondamentalement<br />
attachés. C’est la raison pour laquelle nous nous efforçons, dans la mesure du possible,<br />
comme vous pouvez en juger, de l’ouvrir à la plus grande variété possible de sujets. Nos<br />
maîtres nous ont formé dans le passé à ces règles : chacun, dans son for intérieur, doit se<br />
souvenir de la sacro-sainte trilogie, thèse, antithèse, synthèse. Cette façon d’aborder tous<br />
les aspects d’une question répond à cette éthique, celle d’une démarche éclairée qui nous<br />
conduit à une largeur de vues, à une honnêteté intellectuelle et à une vision la plus juste<br />
possible des choses. C’est certes le fruit d’une éducation, mais c’est aussi une position<br />
de l’esprit, un défi que nous devons perpétuellement relever, un idéal que nous devons<br />
défendre, pour la liberté de tous et le bien de chacun.<br />
3<br />
Philippe PRIOL,<br />
Le Président
Vincent Dulague<br />
HOMME DE SCIENCES A ROUEN AU XVIIIe SIECLE<br />
Professeur d’hydrographie au Collège Royal<br />
de Rouen pendant près de trente années, membre<br />
de l’Académie des Sciences de Rouen, vice-directeur<br />
puis directeur de l’Académie des Sciences, Belles<br />
Lettres et Arts de Rouen, Vincent DULAGUE aura<br />
particulièrement marqué le développement des<br />
connaissances des techniques de navigation en<br />
Normandie au XVIIIe siècle ainsi que leur diffusion à<br />
travers ses cours et ses différents ouvrages, largement<br />
répandus. Nous retraçons ici sa vie au sein du<br />
Collège Royal, son œuvre scientifique, ainsi que son<br />
implication dans le développement de l’astronomie à<br />
Rouen au XVIIIe siècle.<br />
Sa jeunesse à Dieppe et le départ pour Rouen<br />
Vincent François Jean Noël DULAGUE naît le 24<br />
décembre 1729 à Dieppe, berceau de la navigation et de<br />
l’hydrographie, sous le nom de LULAGUE. Son père, Vincent<br />
DULAGUE était tourneur<br />
d’ivoire. Les revenus de ce<br />
travail devaient êtres faibles<br />
puisque le jeune DULAGUE,<br />
fils unique, ne reçut qu’une<br />
éducation élémentaire.<br />
Il suivit probablement<br />
les cours du jeune<br />
Joseph-Thomas FOURAY,<br />
professeur d’hydrographie<br />
à Dieppe, jusqu’à ce qu’une<br />
grave maladie l’empêcha de<br />
poursuivre ses études.<br />
Sa santé rétablie, il partit à<br />
Rouen et trouva refuge au prieuré de Saint Lô, où il rencontra<br />
l’abbé Jean Théodore BOUIN (1715-1795), chanoine régulier<br />
de ce prieuré et membre de l’Académie de Rouen. Cette<br />
rencontre avec l’abbé BOUIN sera déterminante pour le reste<br />
de sa vie. En effet, le religieux décela chez le jeune DULAGUE<br />
de tels talents pour les mathématiques qu’il l’encouragea<br />
à poursuivre dans ce domaine et lui fournit, à l’aide de ses<br />
confrères de l’Académie, toutes les ressources nécessaires<br />
à son instruction. Auprès de ces savants, fasciné par leurs<br />
connaissances et guidé par leurs conseils – ce qui forgea<br />
très certainement dès ces moments-là les futurs talents de<br />
DULAGUE pour l’enseignement des sciences - il ne put que<br />
progresser très rapidement, en particulier dans la science de<br />
la navigation : l’hydrographie.<br />
DULAGUE et l’enseignement de<br />
l’hydrographie à Rouen<br />
4<br />
Pendant tout le XVIIe siècle et la première moitié du<br />
XVIIIe siècle, afin de se conformer à l’Ordonnance d’août<br />
1681 de COLBERT, l’enseignement de l’hydrographie se<br />
fait, à Rouen, par des professeurs libres, recrutés parmi<br />
d’anciens navigateurs qui se dévouaient à l’instruction<br />
des jeunes marins.<br />
Apprécié et recommandé par les savants de l’Académie,<br />
Vincent DULAGUE est fortement pressenti pour devenir<br />
professeur d’hydrographie à Rouen. Le 20 avril 1753, il<br />
reçoit en ce sens une commission de l’Amiral de BOURBON<br />
qui le nomme officiellement dans ses nouvelles fonctions.<br />
Les dix premières années, il reconnaitra lui même que son<br />
enseignement fut assez restreint : les élèves étaient peu<br />
nombreux, DULAGUE devait exiger une rémunération de<br />
ses élèves et disposait certainement de peu de matériel.<br />
Il devenait donc néces-saire de rendre cet enseignement<br />
gratuit et subventionné.<br />
Le 16 juin 1756, le chanoine BOUIN présenta en ce sens<br />
un mémoire devant l’Académie<br />
prônant l’ouverture d’une Ecole<br />
d’hydrographie à Rouen sous la<br />
protection de l’Académie et détailla<br />
les moyens de réaliser ce projet.<br />
Le développement de Rouen au<br />
XVIIIe siècle et l’essor des idées<br />
des Lumières sont les raisons pour<br />
lesquelles l’Académie accueillit avec<br />
intérêt cette proposition, et ce fut<br />
naturellement le nom de DULAGUE,<br />
professeur vertueux et reconnu<br />
pour la clarté de ses cours, qui fut<br />
proposé pour y enseigner.<br />
Apprenant l’exclusion des Jésuites<br />
en 1762 du Collège de Rouen suite à un arrêt du Parlement<br />
ordonnant la fermeture de toutes les maisons des Jésuites,<br />
DULAGUE envisagea d’y installer ses cours et, comme<br />
BOUIN, rédigea un long mémoire en faveur de la création<br />
d’une chaire d’hydrographie au sein de ce Collège. Il y<br />
écrivait :<br />
« Si on avait quelques doutes sur l’utilité d’une chaire<br />
d’hydrographie dans le collège de Rouen : une simple<br />
réflexion doit être plus que suffisante pour en convaincre.<br />
Les deux rives de la Seine ne sont peuplées que de gens<br />
qui semblent par leur naissance même destinés à la<br />
Marine : Le siège général de l’Amirauté de la province exige<br />
un hydrographe pour examiner la capacité de ceux qui s’y<br />
font recevoir pour la Navigation : un nombre considérable<br />
d’enfants trouvés et inutiles peut fournir d’excellents Pilotes .<br />
La situation de cette ville sur la rivière en a faite une des<br />
plus commerçantes du Royaume ; sa proximité de la Mer
lui a fait accorder les privilèges de Port de Mer pour les<br />
armemens des colonies. Combien de ses Négocians ont<br />
leur fortune au delà des Mers ? Combien sont obligés d’y<br />
envoyer leurs parens, leurs enfans ou des les traverser eux<br />
mêmes ? Quoi de plus utile par conséquent qu’une Science<br />
qui peut seul donner les moyens de dompter le plus terrible<br />
des Elémens pour le faire servir au commerce qui fait la<br />
subsistance de cette vile : Plut à Dieu que nous n’eussions<br />
pas éprouvé combien la Marine étoit utile à l’Etat ».<br />
Il précise par ailleurs que l’enseignement de la navigation<br />
ne peut venir du commerce lui-même : l’Hôtel de Ville<br />
devant une bonne part de ses revenus au trafic des<br />
commerçants, il est donc légitime que ce soit la ville qui<br />
finance cet enseignement et les professeurs.<br />
Les lettres insistantes de Pierre Charles LE MONNIER<br />
(1715-1799), astronome privilégié de LOUIS XV, adressées<br />
au Ministre pour la conservation d’une<br />
chaire d’hydrographie au Collège Royal<br />
de Rouen permirent, entre autre, à<br />
DULAGUE d’y ouvrir provisoirement sa<br />
classe, la nomination définitive devant<br />
être validée par le Roi. Le Parlement<br />
nomma le 31 janvier 1763 le bureau<br />
d’administration du Collège de Rouen,<br />
lequel se réunit pour la première fois<br />
le 5 février et accepta la création de la<br />
chaire. La classe ouvrit le 2 mars 1763.<br />
Le Journal de Rouen du 4 mars 1763<br />
annonce le début de ses cours :<br />
Ainsi que le prescrivait l’Ordonnance de COLBERT,<br />
DULAGUE donnait ses leçons à raison de 4 jours par<br />
semaine, les lundi, mercredi, vendredi et samedi de dix<br />
heures à midi. Le succès ne tarda pas à venir, comme le<br />
fait remarquer LE MONNIER de passage à Rouen le 7<br />
mai 1763 dans une de ces lettres : le nombre d’auditeurs<br />
« est réel et constant, et cette école si utile à la navigation<br />
pourroit être maintenue, si le ministère prend connaissance<br />
de cette affaire ». Il va jusqu’à convaincre le Roi de nommer<br />
à cette chaire « Dulague qui me paraît fort bon hydrographe<br />
et attaché depuis plusieurs années à la profession ». La<br />
création de la chaire d’hydrographie, aux appointements<br />
de 1 200 livres par an ainsi que l’hébergement dans le<br />
collège, fut ratifiée le 20 juin 1765 par Lettres patentes du<br />
Roi. Le bureau d’administration du Collège, convoqué le<br />
22 août 1765 élit à l’unanimité Vincent DULAGUE à cette<br />
chaire en signalant que son enseignement avait donné<br />
de bons résultats depuis mars 1753 et qu’il convenait de<br />
continuer. L’Amiral Louis-Jean Marie de BOURBON, Duc de<br />
Penthièvre, fut sollicité et valida ce choix le 5 septembre<br />
suivant.<br />
5<br />
Les succès des cours de DULAGUE au<br />
Collège Royal<br />
Fort de dix années d’enseignement de<br />
l’hydrographie, soucieux de rechercher les moyens<br />
propres à faciliter la compréhension de cette science<br />
abstraite auprès de ses élèves, les leçons de DULAGUE,<br />
principalement orales, eurent un succès sans précédent :<br />
il forma pendant près de quarante ans d’excellents élèves<br />
auxquels l’Hôtel de Ville de Rouen décernait chaque année,<br />
pendant les séances de l’Académie, des prix – quatre à cinq<br />
cents livres au plus - et des récompenses.<br />
Mais la municipalité rouennaise ne comptait pas s’arrêter<br />
là : afin de contribuer à la prospérité du Collège et à<br />
l’essor de cet enseignement, elle fournit également « tous<br />
les instruments, livres, cartes et cartons qui<br />
seront représentés nécessaires ».<br />
Les cours de DULAGUE suscitent alors<br />
l’admiration de ses pairs : l’ordre, la clarté, la<br />
précision et la solidité des démonstrations<br />
caractérisaient des leçons, pour la plupart<br />
orales, longuement et minutieusement<br />
préparées à l’aide des meilleurs traités de<br />
navigation de l’époque. Il s’inspira entre<br />
autre de celui de Pierre BOUGUER qu’il<br />
affectionnait particulièrement et qui fut le<br />
livre de ses élèves les premières années.<br />
DULAGUE privilégiait les explications<br />
orales et la pratique, préférait les cahiers<br />
et les affiches aux longues notes de cours.<br />
Toujours dans un souci louable d’inciter de<br />
plus en plus de jeunes élèves à venir suivre<br />
ses cours, il décida ensuite de donner<br />
ses leçons en fin de journée, de 16h30<br />
à 18h30. En effet, seule, la formation théorique aurait<br />
été insuffisante : les futurs pilotes devaient également<br />
consacrer un temps certain à la navigation en mer pendant<br />
leur apprentissage, à confirmer lors d’un examen en mer.<br />
Mais le travail d’un professeur d’hydrographie ne s’arrêtait<br />
pas là : en plus de ses cours, il devait vérifier les journaux<br />
de navigation des pilotes déposés au retour de chaque<br />
voyage au greffe de l’Amirauté et les corriger. L’objectif<br />
était de pointer les erreurs de pilotage mais aussi de<br />
relever les découvertes.<br />
C’est certainement ce travail qui permit à DULAGUE<br />
d’enrichir ses cours d’un grand nombre d’exemples divers<br />
et variés indispensables à l’apprentissage, car d’après son<br />
expérience personnelle, seule « une pratique forcée et<br />
soutenue est le moyen le plus sûr pour procurer le progrès<br />
du plus grand nombre, qui n’est pas ordinairement en état<br />
de saisir la théorie au premier aspect ».<br />
Il devait également composer le jury des examens de<br />
pilotage et de maîtrise conformément à une clause de<br />
l’Ordonnance de 1681.
Face au succès de ses leçons<br />
et suivant les conseils de plusieurs de<br />
ses amis, il se lança dans la publication<br />
de ses Cahiers. Sur près de quarante<br />
ans, douze éditions se succédèrent. La<br />
première édition parut à Rouen en 1768<br />
en un volume in-8° sous le titre Leçons de<br />
navigation.<br />
Il précisera dans son<br />
Avertissement s’être très largement<br />
inspiré du traité de BOUGUER : « Ces<br />
Leçons ne font presque qu’un extrait de<br />
différens auteurs, & principalement de<br />
Traité de Navigation de M.Bouguer […] On<br />
a préféré cet excellent Traité : & persuadé<br />
qu’on ne pouvoit expliquer les principes du<br />
Pilotage plus clairement, ni s’énoncer mieux<br />
que les Savans dans lesquels on a puisé, on<br />
les a presque toujours copiés », reconnaît-il<br />
modestement.<br />
Les travaux et théories de BOUGUER en la matière<br />
inspireront de nombreux scientifiques, comme DULAGUE<br />
qui reprit plusieurs de ses idées, le considérant comme<br />
l’un « des plus grands hommes de notre siècle », notamment<br />
pour la rédaction de son mémoire sur la création de la<br />
chaire d’hydrographie de Rouen, partageant avec lui cette<br />
conviction que théorie et pratique marchent de pair pour<br />
enseigner la navigation.<br />
Le succès des Leçons de Navigation de DULAGUE<br />
fut immédiat. Elles furent unanimement appréciées,<br />
tant par les marins que par les Sociétés Savantes de<br />
l’époque, mais aussi par les élèves eux-mêmes qui, diton,<br />
revendaient à la fin de leurs études tous leurs livres,<br />
excepté celui de DULAGUE. Si bien que le Gouvernement<br />
décida de faire de ces Leçons de Navigation le livre de<br />
référence pour toutes les écoles d’hydrographie de<br />
France.<br />
Un exemple de la réussite des élèves de<br />
DULAGUE<br />
DULAGUE forma ainsi pendant près de 40 ans un<br />
très grand nombre de marins, scientifiques ou ingénieurs,<br />
dont quelques uns se firent<br />
connaître à Rouen ou à l’étranger.<br />
Citons pour commencer le cas<br />
de Sir Marc-Isambart BRUNEL,<br />
né le 25 avril 1769 à Hacqueville,<br />
une commune de l’Eure près des<br />
Andelys dans une riche famille<br />
de cultivateurs. A l’âge de onze<br />
ans, il fut envoyé au séminaire de<br />
Saint Nicaise où le supérieur de ce séminaire lui permit<br />
d’y apprendre la menuiserie et fut plutôt attiré par les<br />
mathématiques et le dessin. Son père l’envoya alors chez<br />
des parents à Rouen dont le père, François CARPENTIER<br />
obtint la tutelle de Marc par son ami Vincent DULAGUE,<br />
6<br />
avec l’objectif pour Marc de rejoindre la<br />
marine en tant qu’élève-officier. Il suivit<br />
ainsi les cours de dessin, de perspective et<br />
d’hydrographie de DULAGUE.<br />
Impressionné par Marc BRUNEL,<br />
DULAGUE utilisa ses contacts en 1786 avec<br />
le Ministère de la Marine pour assurer à<br />
Marc la position d’officier subalterne d’une<br />
nouvelle frégate. Marc commença alors son<br />
service militaire en partant vers les Antilles<br />
et en Amérique et retourna à Rouen en<br />
janvier 1792. Il y rencontra sa future épouse<br />
mais dut la quitter lorsqu’il émigra en 1793<br />
aux Etats-Unis. Il y exécuta d’importants<br />
travaux comme ingénieur en chef de la ville<br />
de New-York à partir de 1796. En 1799, il<br />
émigra une nouvelle fois pour l’Angleterre<br />
où il inventa des machines, notamment<br />
pour la Marine. On lui doit également le<br />
tunnel sous la Tamise en 1842, premier tunnel sous un<br />
fleuve navigable, en tant qu’ingénieur en chef et que son<br />
fils, Isambard Kingdom BRUNEL, réalisera.<br />
DULAGUE, membre de l’Académie de<br />
Rouen et passionné d’Astronomie<br />
Initié à l’astronomie par BOUIN qui disposait d’un<br />
observatoire (il existait à Rouen trois observatoires : celui<br />
de LE CAT à l’Hôtel Dieu, celui de PINGRE au prieuré du<br />
Mont aux malades, et enfin celui de BOUIN, en haut des<br />
tours du prieuré de Saint Lô), DULAGUE et ce dernier<br />
consacrèrent beaucoup de temps aux observations<br />
astronomiques : on peut relever dès 1751 dans les recueils<br />
de l’Académie un nombre non négligeable d’observations<br />
lues en assemblée à l’Académie des Sciences. L’une d’elles,<br />
en particulier, la description de l’occultation d’une étoile<br />
du Taureau ainsi qu’un mémoire sur l’hydrographie<br />
permirent à DULAGUE d’être reçu comme membre<br />
adjoint de l’Académie de Rouen le 24 <strong>novembre</strong> 1756. La<br />
séance du 18 juin 1758 lui permit d’accéder au poste de<br />
titulaire.<br />
Parfois en compagnie de BOUIN, il est l’auteur de<br />
nombreux mémoires dont on donne ici quelques titres :<br />
Passage de la Lune par les Hyades du 21 septembre 1758,<br />
Observation du passage de Mercure en octobre 1758, Lieux<br />
des planètes observées à Rouen dans le cours de l’année<br />
1758, Observation de l’éclipse de Soleil du 13 juin 1760,<br />
Observation d’une éclipse de Lune, faite à Rouen le 18 mai<br />
1761. Les deux amis firent également partie de ce qui peut<br />
être considéré comme l’une des premières expériences<br />
internationales : l’observation du transit de Vénus de<br />
1761 et 1769.<br />
DULAGUE participa très activement aux divers<br />
travaux de l’Académie au travers des séances publiques dans<br />
lesquelles sont présentées ses mémoires, généralement<br />
en relation avec ses observations astronomiques. Tout<br />
comme les personnalités scientifiques du XVIIIe siècle, ses
compétences n’étaient pas limitées à quelques domaines.<br />
Avec ses confrères LE MONNIER et BOUIN, on a la trace<br />
d’un mémoire sur des Travaux relatifs au nivellement de<br />
la Seine, en 1781. Dans la charge d’analyse de comptes<br />
rendus d’écrits envoyés à l’Académie, DULAGUE et<br />
BOUIN furent par exemple nommés commissaires par<br />
l’Académie pour examiner les mémoires de l’astronome<br />
PINGRE. Ils passèrent en revue des thèmes aussi variés<br />
que la propagation de la lumière, la noirceur des nègres,<br />
les éclipses de Lune et plus particulièrement les méthodes<br />
proposées par PINGRE pour le calcul des longitudes.<br />
En reconnaissance de son travail au sein de<br />
l’Académie, Vincent DULAGUE fut promu le 21 août<br />
1765 vice-directeur de l’Académie puis, le 13 août 1766<br />
directeur.<br />
DULAGUE pendant la Révolution<br />
La Révolution de 1789 va resserrer les liens<br />
d’amitié entre DULAGUE et BOUIN, ce dernier allant<br />
subir la pauvreté et l’emprisonnement. En effet, plusieurs<br />
religieux réfractaires furent poursuivis à cette époque, à<br />
l’image de l’abbé BOUIN qui se vit chassé de son prieuré<br />
de Saint-Lô, dépouillé de tout et ruiné : le 3 juin 1793, il<br />
reçut l’ordre de «vider ses appartements dans le plus bref<br />
délai possible, afin d’en disposer en faveur des gendarmes».<br />
Victime d’une attaque d’apoplexie dégénérée en paralysie,<br />
il avait dû abandonner ses fonctions.<br />
DULAGUE, reconnaissant pour tout ce que son ami<br />
avait pu lui apporter depuis près de quarante ans comme<br />
aide et soutien tant dans ses projets d’enseignement que<br />
pour l’accession au poste de directeur de l’Académie de<br />
Rouen, recueillit BOUIN chez lui, à Bois-Guillaume. Mais<br />
très vite on vint saisir ce dernier chez DULAGUE pour le<br />
mettre en prison, dans les sous-sols du Palais de Justice.<br />
Il mourut néanmoins chez son ami DULAGUE<br />
en 1795, à l’âge de 80 ans. Reconnu par les membres de<br />
l’Académie comme un homme talentueux, il sera pourtant<br />
vite oublié suite à la suppression des Académies à cette<br />
époque, imposée par le décret de la Convention du 8 août<br />
1793.<br />
En 1793, une dizaine de personnalités enseignantes<br />
et non enseignantes de l’Ecole Centrale de Rouen,<br />
anciennement Collège de Rouen, rejoignirent la Société<br />
d’Emulation de Rouen, dont M. PRUDHOMME, professeur<br />
de mathématiques et d’hydrographie, M. LIGOT,<br />
professeur de mathématiques et Vincent DULAGUE, alors<br />
à la retraite. Ces deux derniers furent reçus membres de la<br />
Société le 19 thermidor an IV avec DEGAULLE, professeur<br />
d’hydrographie à Honfleur. DULAGUE y travailla encore<br />
activement jusqu’à sa mort survenue le 9 septembre 1805<br />
dans son appartement, 7 rue de la Seille à Rouen.<br />
Dans le discours prononcé à l’ouverture de<br />
la séance publique par M. GOSSEAUME, directeur de<br />
l’Académie à la séance du 22 août 1804, après son<br />
rétablissement, ce dernier reprit l’histoire de l’Académie<br />
7<br />
de Rouen. Il évoqua les différentes personnalités de<br />
l’Académie du XVIIIe siècle, remarquables par leur action<br />
au sein de l’institution et, tout naturellement, décrit<br />
DULAGUE :<br />
«M. Dulague, le seul de ces hommes laborieux que nous<br />
ayons encore le plaisir de posséder dans cette enceinte,<br />
donnait des leçons d’hydrographie, et faisait passer à la<br />
postérité, dans un ouvrage aussi méthodique que concis, les<br />
préceptes lumineux qu’il donnait à ses élèves.»<br />
Mathieu CATHELIN et Frédéric VIVIEN
Caneton à la Rouennaise<br />
et l’Ordre des Canardiers ®<br />
Nous sommes à Rouen, le 1er<br />
janvier 1939, dans le petit salon<br />
de l’Hôtel de Dieppe en face de<br />
la gare SNCF, il est 11 heures.<br />
Lors de la cérémonie des vœux,<br />
l‘instant est solennel, Eugène<br />
le père passe les pouvoirs à son<br />
fils Michel GUERET qui devient<br />
gérant minoritaire de Hôtel de Dieppe SARL. Michel<br />
recrute un nouveau maître d’hôtel, un nouveau Chef,<br />
baptise le restaurant de l’hôtel « Michel son restaurant »<br />
et bouleverse la carte du restaurant en y ajoutant ses<br />
créations personnelles. La sole Michel, l’Omelette<br />
Michel et le Caneton rouennais Félix FAURE créé en<br />
1933 sur le S/S Félix Faure qui assurait la liaison entre<br />
Rouen et Le Havre et dont Eugène GUERET avait la<br />
concession de la restauration, deviennent les recettes<br />
emblématiques du restaurant « Michel » de l’Hôtel de<br />
Dieppe. Si Michel a créé le Caneton Félix Faure en 1933<br />
la recette du canard au sang existe depuis un moment<br />
et le canard depuis encore plus longtemps !<br />
Le Canard<br />
Le terme «canard» désigne un très grand nombre<br />
d’espèces d’oiseaux palmipèdes lamellirostres de la<br />
famille des anatidés. Les canards proprement dits<br />
constituent le genre Anas: le plus abondant en Europe<br />
est le canard colvert (Anas platyrhynchos), ancêtre du<br />
canard domestique. Il peuple toutes les eaux douces,<br />
voire les eaux marines. Le mâle a la tête verte et un<br />
collier blanc; la cane est brunâtre. Les canards du genre<br />
Anas sont des canards de surface, c’est-à-dire qu’ils<br />
ne s’immergent pas: ils se contentent de barboter,<br />
autrement dit ils basculent l’avant-train dans l’eau. Les<br />
autres canards de surface de la faune française sont le<br />
Pilet (à longue queue), le Chipeau, le Siffleur, le Souchet<br />
(au bec spatulé) et les deux Sarcelles, celle d’été et celle<br />
d’hiver, de très petite taille. On trouve également les<br />
plongeurs, les Harles qui sont remarquables par les<br />
petites «dents» qui garnissent leur bec et leur sont fort<br />
utiles pour retenir le poisson qu’ils ont pêché. Mais<br />
nous nous limiterons aux canards domestiques élevés<br />
pour la consommation.<br />
Les espèces<br />
A partir des espèces sauvages, de l’importation du<br />
« Pékin en 1870, et des croisements successifs, les<br />
éleveurs ont créé un nombre important d’espèces,<br />
chacune ayant des caractéristiques bien spécifiques :<br />
8<br />
les Kaki Campbell, les Mulards, les Coureurs indiens,<br />
les Orpington, les Aylesbury, les Cayuga, les Barbaries,<br />
les Nantais, les Rouen, les Duclair etc….<br />
Les canards domestiques<br />
Les canards de Rouen eurent toujours une réputation<br />
glorieuse, mais on ne pourrait cependant faire<br />
remonter leur origine très haut car, au moyen âge, les<br />
canards domestiques, ne sont pas très répandus dans<br />
les basses-cours normandes. Jean de Garlende les cite<br />
cependant parmi les volailles vendues sur le marché de<br />
Poulaillers et dans un bail de la ferme, la Maillardère,<br />
aux Frétils dans le canton de Rugles en 1275, c’est à<br />
ce moment que l’on en trouve les premières traces. En<br />
1498 les canards sont cités dans Ies comptes sous le<br />
nom de bourres et de bourrettes. Soit dit en passant, ce<br />
nom de bourrettes a servi à qualifier la fameuse foire<br />
St Mathieu de Bourg-Achard, « la foire à bourettes »<br />
ainsi dénommée parce que marchands et visiteurs sont<br />
souvent mouillés comme des canards. Plus près de nous<br />
au manoir épiscopal de Déville - qu’on a spirituellement<br />
appelé le garde-manger des archevêques de Rouen - les<br />
canards figurent dans les viviers alimentés par les eaux<br />
de la Clairette où l’on peut rencontrer les cygnes, Ies<br />
grues et les cigognes.<br />
Au 18° siècle, la réputation des canards et des canetons<br />
de Rouen s’affirme complètement et les canards de<br />
Duclair partagent avec les dindons de la St Gourgon<br />
une place honorable dans l’histoire culinaire. Pierre<br />
Corneille, dans la petite mare qui avoisinait sa maison<br />
de Petit-Couronne, pouvait voir ses canetons barboter,<br />
« dans la bourbe de l’eau » comme il l’écrivit.<br />
Dans une lettre écrite à son ami rouennais Cideville,<br />
Voltaire ne peut s’empêcher de rappeler les canards du<br />
château de la Rivière Bourdet, tout près de Duclair où<br />
l’aimable présidente de Bernières lui offrit bon souper,<br />
bon gîte... et le reste !<br />
Le 15 septembre 1733, il écrit : « J’ai vu hier la présidente<br />
de Bernières. Est-il possible que nous ayons pour toujours<br />
dit adieu à la Rivière-Bourdet ? Qu’il serait doux de nous<br />
y revoir. Ne pourrions-nous mettre le Président dans un<br />
couvent et venir manger ses canards chez lui ? » (Edition<br />
TH BESTERMAN,1953, page 153).<br />
Quand on dînait chez Flaubert, explique « Les Affiches<br />
de Normandie » en 1991 : Il était bien rare qu’on ne<br />
servit pas comme rôti, un plat de Vieux Rouen tapissé<br />
d’aiguillettes fumantes. Riverain de la Seine, Gustave<br />
Flaubert vivait non loin de ses poules et de ses canards.<br />
Il prétendait même que, quand il voulait faire fuir<br />
la bande, il n’avait qu’à dire à la cuisinière : « Allons
Jeannette, il n’est que temps d’apprêter les navets ! ».<br />
Aussitôt la troupe de canards filait en cancanant vers<br />
la Seine.<br />
Le Caneton rouennais<br />
Dans « LE CANARDIER » n°1 juin de 1986 Yvon<br />
AVENEL(┼), Membre Fondateur écrivait : « Le Caneton<br />
Rouennais, ou plus exactement celui qui provient de la<br />
région de Duclair, généralement utilisé pour la spécialité<br />
qui nous intéresse, est un véritable enfant de l’amour.<br />
C’est pourquoi, dit-on, il est si tendre...<br />
A l’origine en effet, il y a bien des années, ce caneton<br />
résultait des ébats des jeunes canes des basses-cours<br />
séduites au vol, si l’on peut s’exprimer ainsi, par de<br />
rapides et vigoureux canards sauvages, à l’époque des<br />
migrations. Ces canards sauvages ne manquaient pas<br />
d’organisation et connaissaient les bonnes étapes pour<br />
se reposer et joindre l’utile â l’agréable. C’est ainsi<br />
que la boucle de la Seine, à Duclair, à l’abri des vents<br />
du Nord, derrière les hautes falaises de craie blanche,<br />
constituait un asile de transit à la température tempérée<br />
et à l’accueil chaleureux. Nos canards sauvages étaient<br />
régulièrement attendus et cela jacassait dans les bassescours.<br />
Les canes étaient ainsi prêtes à s’accoupler deux<br />
mois avant celles des autres régions, au moment où<br />
les mâles, libres et voyageurs, fuyant les grands froids,<br />
s’envolent, en bandes, vers des cieux plus cléments. En<br />
remontant le fleuve, ceux-ci n’étaient pas insensibles<br />
aux appels des femelles qui les guettaient en bas. Apres<br />
leur passage, on notait une ponte rapide, suivie d’une<br />
précoce couvaison... d’où sortaient des palmipèdes, de<br />
taille moyenne, bien campés, d’un poids d’environ deux<br />
kilos â l’âge de deux mois et pouvant peser le double â<br />
l’âge adulte... De magnifiques recrues pour la presse des<br />
tables d’hôtes ! ».<br />
Origine de la recette<br />
Au moyen âge, Guillaume TIREL dit TAILLEVENT (né<br />
en 1310 à Pont-Audemer, chef de cuisine de Philippe<br />
de Valois et de Charles V) cite dans «Le Viandier» le<br />
canard à la dodine ou « dodine rouge », c’est-à-dire servi<br />
avec des croûtons revenus avec de l’oignon haché et du<br />
vin rouge, accompagné d’épices dont la cannelle. Cette<br />
préparation pourrait être considérée comme l’ancêtre<br />
de notre canard à la rouennaise. Dans les années 1830-<br />
1880, pour se rendre au marché de Duclair vendre<br />
les canards de leurs élevages, les fermières de la rive<br />
gauche de la Seine devaient emprunter des barques.<br />
Les canards étaient serrés dans des paniers et il arrivait<br />
fréquemment que quelques uns d’entre eux soient<br />
morts étouffés au terme du voyage. Vous savez que<br />
les normands sont prêt de leurs sous et n’aiment pas<br />
gâcher, aussi ces canards étaient vendus à prix réduit<br />
aux aubergistes duclairois, ravis de l’aubaine pour<br />
régaler leurs clients à coût réduit. Ce serait là, dit-on,<br />
9<br />
l’origine moderne de la recette.<br />
Le caneton à la Denise<br />
A cette même époque, celle du Père Denise, le<br />
réfrigérateur n’existait pas encore. Il fallait donc qu’une<br />
basse-cour jouxtât l’auberge pour que, à l’occasion<br />
d’un repas imprévu ou rapide, on pût disposer d’une<br />
volaille fraîche et tendre. En une demi-heure, elle était<br />
étouffée, plumée et rôtie. Le caneton était embroché et<br />
rôti durant vingt minutes au feu de bois, avant d’être<br />
servi aux convives. Les aiguillettes étaient présentées<br />
saignantes, comme un bifteck, les pattes et les ailerons<br />
grillés après avoir été moutardés et passés dans la<br />
chapelure. On servait une sauce confectionnée avec<br />
le foie et des échalotes. Les canards venus de la rive<br />
gauche, étouffés durant le voyage faisaient parfaitement<br />
l’affaire les jours de marché ! Le caneton à la Denise fit<br />
sa renommée ainsi que celle de son auberge.<br />
Quelle espèce pour le « Canard au sang » ?<br />
Dans son «Guide culinaire» paru en 1902, Auguste<br />
ESCOFFIER précise à propos des « canards et canetons »:<br />
« Culinairement, ont distingue trois sortes de canards qui<br />
sont: les Nantais, les Rouennais et les diverses variétés<br />
de canards sauvages. Ces derniers sont principalement<br />
employés comme Rôtis et en Salmis. La caractéristique<br />
de l’apprêt du canard Rouennais étant, d’être tenu<br />
saignant, ce n’est que très rarement qu’il est braisé.<br />
Comme on le sait, le canard Rouennais n’est pas saigné<br />
comme les autres volailles, mais il est étouffé. Le canard<br />
Nantais, qui est moins fourni en chair que le Rouennais,<br />
est généralement braisé, poêlé ou rôti ».<br />
La recette<br />
Comme on vient de le voir, le Caneton Rouennais résulte<br />
du croisement de canards sauvages avec des canes<br />
d’élevage. Aujourd’hui il n’est plus nécessaire d’attendre<br />
le passage des canards sauvages, les souches sont bien<br />
maîtrisées par producteurs et les éleveurs produisent<br />
des animaux parfaits pour la réalisation de la recette<br />
du Caneton à la Rouennaise. Mais à défaut, d’autres<br />
espèces (Challans, par exemple) peuvent convenir à la<br />
réalisation de la recette « à la Rouennaise » pour autant<br />
qu’ils aient été étouffés. Aujourd’hui de nombreux<br />
restaurants de Rouen, de Normandie, mais également<br />
dans de nombreux pays servent le « Caneton à la<br />
Rouennaise », Il peut être également appelé « Canard au<br />
sang », « Canard à la presse », il en existe de nombreuses<br />
recettes, mais pour avoir droit à ces appellations il doit<br />
respecter les règles de base suivantes:<br />
• le Caneton doit être étouffé,<br />
• il doit être cuit saignant (17 à 20 minutes),<br />
• les aiguillettes doivent être levées sur l’animal,<br />
• la carcasse doit être pressée pour extraire le sang,<br />
• la sauce (Bordelaise ou fond rouennais) est liée avec<br />
le sang extrait.
Le Canard au sang à la Cour Impériale<br />
du Japon<br />
Le « Figaro Magazine » du 8 décembre 1990 (4<br />
pages avec photos couleurs) annonçait : le mardi 18<br />
décembre, « La Tour d’Argent » donne une grande fête<br />
pour célébrer le centenaire de son canard au sang. On<br />
en déduit donc que Frédéric DELAIR a créé sa fameuse<br />
recette en 1890. Or, 16 ans plus tôt, en 1874 le Caneton<br />
à la Rouennaise était servi à la Cour Impériale du Japon.<br />
C’est le14 octobre 2000 à Deauville lors du Festival<br />
International de l’Ordre des Canardiers que nous avons<br />
appris la nouvelle. Dans son allocution, Monsieur Akira<br />
TAKEICHI, Consul du Japon de l’Ordre des Canardiers<br />
nous confiait : Je le cite :<br />
« Aujourd’hui, je vais vous faire part d’une anecdote qui<br />
a trait à la maison impériale japonaise et aux canards.<br />
Nous faisons une plongée dans le passé: il y a maintenant<br />
126 ans, en 1874, le Japon venait à peine de s’ouvrir au<br />
monde extérieur après une période de fermeture du<br />
pays aux étrangers. Le 22 septembre de cette année fut<br />
organisé pour la première fois un dîner au palais impérial<br />
où devaient être conviés les ambassadeurs en poste au<br />
Japon. La grande question fut de savoir si le menu serait<br />
japonais ou occidental. Le choix se porta en définitive<br />
sur la cuisine occidentale. Et pour le plat principal, c’est<br />
le fameux Caneton à la Rouennaise qui fut retenu! Ainsi,<br />
les dîners au palais impérial japonais furent lancés avec<br />
le Caneton à la Rouennaise. Nous pouvons tous nous en<br />
réjouir en bons amateurs de cet excellent plat. Plus tard,<br />
le canard figurera à de nombreuses reprises au menu<br />
des dîners au palais impérial ». A l’appui de son propos<br />
Monsieur TAKEICHI nous offrit une copie de ce célèbre<br />
menu.<br />
Création de l’Ordre des Canardiers<br />
Michel GUERET raconte : « En <strong>novembre</strong> 1979, à<br />
l’occasion d’un bref séjour à Hong Kong, mon regard<br />
fut attiré par l’enseigne d’un restaurant appelé « Au<br />
trou Normand », devant la surprise et l’émotion mon<br />
sang ne fit qu’un tour et je me précipitai sur le menu<br />
affiché à l’extérieur de l’établissement. « Le Caneton à la<br />
Rouennaise » y figurait. Je restai longtemps sous le coup<br />
de la surprise. ». Quelques années plus tard, le Caneton<br />
à la rouennaise étant toujours la recette emblématique<br />
de l’Hôtel de Dieppe, Jean Pierre GUERET, son fils ayant<br />
pris les commandes de l’entreprise lui demandait<br />
de lui proposer un sigle destiné à être remis aux<br />
clients qui avaient dégusté et apprécié le Caneton à la<br />
Rouennaise servi au restaurant de l’Hôtel. L’épisode<br />
de Hong Kong lui revenant en mémoire, Michel pensa<br />
que si le Caneton était servi à Hong Kong, il pourrait<br />
l’être dans bien d’autres pays et il lui proposa la<br />
création d’une association qui regrouperait à la fois des<br />
professionnels ayant à leur actif notre fameux Caneton<br />
à la Rouennaise, ainsi que des amateurs fins gourmets.<br />
10<br />
Un peu plus tard, Jean LECANUET adhéra avec<br />
enthousiasme à ce projet et Michel se mit à la tâche. Il<br />
établit le projet de statuts, le blason décliné des armes<br />
de la ville de Rouen et le 22 janvier 1986 il réunissait<br />
à l’Hôtel de Dieppe 21 personnalités rouennaise, mais<br />
pas n’importe lesquelles! Il y avait un journaliste de<br />
Paris Normandie, un huissier de justice, un avocat, un<br />
expert comptable, un vice Président de la Chambre<br />
de Commerce et d’Industrie de Rouen, un adjoint au<br />
Maire de Rouen, un Conseiller Général et un prêtre,<br />
on ne sait jamais! Au titre de proche collaborateur de<br />
Michel GUERET dans la Chaîne des Rôtisseurs, j’étais<br />
parmi ces 21 personnalités constituant un groupe<br />
multi-compétences, connecté aux réseaux locaux et aux<br />
centres de décisions utiles pour la création de l’Ordre<br />
des Canardiers. Ce groupe, enthousiastes, constitua le<br />
premier Conseil de l’Ordre des Canardiers, l’association<br />
était créée, les statuts étaient rapidement déposés en<br />
préfecture, la grande aventure des Canardiers était<br />
lancée. Le 15 <strong>novembre</strong> 1986 à la Halle aux Toiles de<br />
Rouen le premier Festival International de l’Ordre des<br />
Canardiers déroulait ses fastes, en présence du Grand<br />
Canardier d’Honneur Jean LECANUET et de nombreus<br />
invités dont Pierre TROISGROS, venu spécialement<br />
de Roanne pour cet évènement. Une cinquantaine de<br />
nouveaux Canardiers étaient intronisés sur les 360<br />
participants à cette grande première. Le 20 <strong>novembre</strong><br />
<strong>2010</strong> à l’Hôtel de Bourgtheroulde à Rouen se tiendra la<br />
vingt-troisième édition de ce Festival.<br />
Michel GUERET Président Fondateur, dirigera<br />
l’association durant six ans, le 22 janvier 1992 Pierre<br />
LEPATEZOUR était élu Président. A la demande de<br />
Michel GUERET, je présentait ma candidature et j’étais<br />
élu Président de l’Ordre des Canardiers le 20 octobre<br />
1994.<br />
L’Ordre des Canardiers<br />
Régit par la Loi française du 1er juillet 1901, créé le 22<br />
janvier 1986, ses objectifs sont : «La sauvegarde de notre<br />
patrimoine culturel l’art culinaire, symbolisé par la mise<br />
en valeur et la promotion de notre recette régionale le<br />
Caneton à la Rouennaise. La promotion de la ville de<br />
Rouen, de la Normandie et de ses produits». L’association<br />
est composée de 3 catégories de membres : Maîtres<br />
Canardiers – Dames et Gentislhommes Canardiers –<br />
Canardiers d’Honneur. Les Maîtres Canardiers sont des<br />
professionnels de la restauration (Cuisiniers ou Maîtres<br />
d’Hôtel) qui proposent dans leurs établissements le<br />
Caneton à la Rouennaise. Les Gentilshommes et Dames<br />
Canardiers sont des gastronomes qui apprécient ce<br />
plat et qui partagent les objectifs de l’association. Les<br />
Canardiers d’Honneur sont des personnes qui ont<br />
rendu des services notables à l’association, ou de hautes<br />
personnalités que l’Ordre des Canardiers souhaite<br />
honorer. Parmi les Canardiers d’Honneur on trouve :<br />
S.E. Carlos de AZAMBUJA Ambassadeur du Brésil en
France, Paul BOCUSE Cuisinier, Gérard BOYER Cuisinier,<br />
Olivier de KERSAUZON Navigateur, Wladimir KOSMA<br />
Compositeur, Alexandre LAGOYA Guitariste, Gérard<br />
LARCHER Président du Sénat, Jaime LERNER Chef de<br />
l’Etat du Parana Brésil, Guy MARTIN Cuisinier, Jacques<br />
MARTIN Artiste, S.E. José MORALES Ambassadeur du<br />
Chili en France, Antonio da Costa MOURA Ministre<br />
plénipotentiaire du Portugal, Jean Pierre RAFFARIN<br />
ancien Premier Ministre, Pierre SALINGER Conseiller<br />
du Président Kennedy, Pierre TROISGROS Cuisinier,<br />
Claude VILLERS Journaliste, pour ne citer que les plus<br />
connus.<br />
L’Ordre des Canardiers organise des démonstrations<br />
dans les écoles, <strong>lycée</strong>s hôteliers et C.F.A, avec la volonté<br />
de transmettre des techniques professionnelles,<br />
des valeurs et des savoirs faire. Il organise, chaque<br />
année, la Coupe Canardiers des Etablissements de<br />
Formation, et ponctuellement le Trophée International<br />
de l’Ordre des Canardiers pour les professionnels. Il<br />
assure également des démonstrations de la recette du<br />
Caneton à la Rouennaise lors d’évènements régionaux<br />
ou locaux, il accueille ponctuellement des stagiaires<br />
étrangers cuisiniers ou maîtres d’hôtels. L’Ordre<br />
organise chaque année des déjeuners ou dîners, chez<br />
les professionnels membres de l’association ainsi que<br />
dans les restaurants d’application des établissements<br />
de formation aux métiers de la cuisine et de la salle. A<br />
titre d’exemple, entre juillet 2009 et Juin <strong>2010</strong> l’Ordre<br />
des Canardiers a organisé les manifestations suivantes :<br />
déjeuner au Réverbère à Rouen, dîner du Festival<br />
international à la Halle aux Toiles à Rouen, dîner aux<br />
Quatre Saisons à Rouen, démonstration culinaire<br />
et dîner à l’Auberge des Ruines à Jumièges, dîner<br />
conférence aux Capucines à Petit Quevilly, dîner au<br />
restaurant Gill à Rouen, démonstrations aux Journées<br />
Européennes du Patrimoine au CFA de Mont Saint<br />
Aignan, à la Fête du Ventre à Rouen, au Salon Normand<br />
du Vin et des produits du Terroir, formation aux <strong>lycée</strong>s<br />
de Bazeilles (Sedan), Rabelais (Hérouville Saint Clair),<br />
Coupe Canardiers des Etablissements de formation au<br />
<strong>lycée</strong> Georges Baptiste de Canteleu.<br />
Dès qu’une région ou un pays compte au moins trois<br />
Maîtres Canardiers et une vingtaine de Dames ou<br />
Gentilshommes Canardiers, l’Ordre peut y installer<br />
un Consulat. Celui-ci reçoit sa bannière lors d’une<br />
cérémonie officielle et peut ensuite organiser<br />
manifestations et intronisations sous l’égide de l’Ordre<br />
des Canardiers.<br />
Depuis 1986 une trentaine de Consulats ont été<br />
installés dans de nombreux pays ou régions : France<br />
(Normandie, Paris Ile de France, Picardie, Lyon-<br />
Rhone-Alpes), Allemagne (Munich), Grande Bretagne<br />
(Londres), Portugal (Porto) Canada (Montréal),<br />
Etats-Unis (Chicago, Atlanta, Kansas City, Miami),<br />
Japon (Tokyo, Nagoya, Osaka) et en Uruguay à Punta<br />
del Este, en février 2005. Les activités de l’Odre des<br />
Canardiers et de ses Consulats sont consultables sur<br />
le site de l’association www.ordredescanardiers.fr et<br />
11<br />
publiées dans la magazine « LE CANARDIER » mis<br />
gracieusement à la disposition des gourmets, chez<br />
les restaurateurs Maîtres Canardiers et à l’office de<br />
tourisme de la Communauté de Rouen vallée de Seine<br />
(place de la Cathédrale à Rouen). Plus de 3 000 membres<br />
« Canardiers »ont été intronisés dans le monde depuis<br />
la création de l’association.<br />
La marque les titres et le logo, ont été déposés à<br />
l’Institut National de la Propriété Industrielle et sont<br />
protégés dans le monde entier.<br />
L’Ordre des Canardiers a mené à travers le monde de<br />
nombreuses missions de promotion de la recette du<br />
Caneton à la rouennaise de la ville de Rouen et de la<br />
Normandie:<br />
1991 Chicago, Canada, Jersey<br />
1992 Floride, Géorgie, Louisiane, Basse-Saxe, Grande Bretagne<br />
1994 Tokyo, Nagoya, Grande Bretagne<br />
1996 Grande Bretagne<br />
1998 Chicago, Grande Bretagne, Jersey<br />
2001 Chine, Grande Bretagne<br />
2002 Osaka, Tokyo<br />
2005 Canada, Uruguay, Argentine, Brésil<br />
2008 Munich<br />
Pour devenir Maître Canardier, le professionnel<br />
doit servir le Caneton à la Rouennaise dans son<br />
établissement, avoir rempli une demande et reçu l’avis<br />
favorable de la commission d’admission. Il sera ensuite<br />
intronisé lors d’une manifestation officielle de l’Ordre<br />
des Canardiers.<br />
Pour devenir Dame ou Gentilhomme Canardiers, il suffit<br />
de remplir une demande d’admission, être parrainé par<br />
deux membres de l’association et s’acquitter des droits<br />
d’entrée et de la cotisation annuelle.<br />
Le Caneton Rouennais « Félix Faure »<br />
Michel GUERET (┼) a créé cette recette en 1933 pour<br />
les membres du Rotary Club du Havre. Jeune intendant<br />
à bord du paquebot « Félix Faure », il s’est inspiré de la<br />
recette conçue par Louis CONVERT, chef des cuisines<br />
de S.M. Edouard VII.<br />
Eléments de composition (pour 2 convives)<br />
1 Caneton Rouennais de 2 kg étouffé et non saigné.<br />
1 bouteille de Beaune rouge.<br />
50cl de fond de veau.<br />
un demi citron.<br />
20g de beurre.<br />
1 verre de Porto.<br />
1 verre de Cognac<br />
20g d’échalotes hachées<br />
quatre épices, thym, laurier, sel, poivre du moulin<br />
Préparation en cuisine<br />
Préparer le fond Bordelais: réduction à glace de<br />
l’échalote et du thym avec le vin de Beaune. Mouiller<br />
avec le fond de veau. Cette Bordelaise doit être<br />
fortement aromatisée aux quatre épices. La laisser
dépouiller durant une heure. Cette sauce devra se lier<br />
naturellement.<br />
Le caneton étant vidé, hacher le foie et le cœur, passerle<br />
tout au chinois puis verser dans ce même chinois la<br />
Bordelaise, nous obtenons ainsi un fond rouennais.<br />
D’autre part saisir le caneton à la broche et le cuire<br />
durant 17 à 20 minutes.<br />
Préparation en salle<br />
Au réchaud dans une sauteuse, flamber un bon verre<br />
de Cognac. Verser le fond Rouennais, laisser chauffer<br />
presque à ébullition (90°) ajouter le jus d’un demicitron,<br />
un verre de Porto et monter avec les 20g de<br />
beurre. Remuer au fouet pour obtenir une sauce<br />
onctueuse.<br />
Entre temps les aiguillettes du caneton seront levées<br />
puis dressées sur un plat beurré avec les abattis<br />
grillés au feu d’enfer (moutardés, panés et grillés).<br />
On pressera la carcasse pour en exprimer le sang qui<br />
liera la préparation au réchaud. Laisser chauffer sans<br />
bouillir. Napper les aiguillettes. Servir sur des assiettes<br />
très chaudes avec une garniture (un petit flan de céleri<br />
par exemple).<br />
Jean-Pierre CORLAY, Membre Fondateur,<br />
Président de l’Ordre des Canardiers<br />
12<br />
Un couple de canards Rouennais<br />
(La Ferme du Canardier Anneville Ambourville)<br />
Service du Caneton à la Rouennaise<br />
(Restaurant Le Rouennais à Rouen)<br />
Les nouveaux intronisés et le Conseil de l’Ordre (Festival International, Rouen <strong>novembre</strong> 2009)
L’anglais vivant !<br />
Habituellement, ceux qui ont eu le bonheur<br />
d’avoir été les élèves d’hommes remarquables<br />
le claironnent, tellement ils se sentent avoir été<br />
influencés: « Ah, mon maître Alain »… « Ah, Untel,<br />
il nous parlait de tout… ». Avec l’académicien Jean<br />
Louis Curtis, c’est différent, il faut longuement<br />
réfléchir pour cerner les dimensions de la<br />
rencontre. Et pourtant, une année au contact d’un<br />
homme aussi brillant, même si nous l’ignorions<br />
à l’époque, ne pouvait que nous avoir laissé une<br />
empreinte bénéfique. Seulement, elle avait été<br />
transmise avec discrétion et mystère. D’autant plus<br />
floue et subtile que pour tout compliquer, il y avait<br />
eu la solide barrière de la langue… Car ce fut en<br />
qualité de professeur d’anglais que nous avons eu<br />
l’honneur de le côtoyer.<br />
La partie « Joyeuse » du Lycée Corneille,<br />
monopolisée par certains services de l’armée<br />
américaine depuis la Libération venait de lui être<br />
restituée. Ce ne fut donc pas tellement surprenant dans<br />
ces lieux qu’apercevoir à la rentrée 1946, la silhouette<br />
de celui qui prenait possession, entre autres, de l’une<br />
des classes d’anglais de quatrième.<br />
Le professeur qui nous était attribué, tel un cadeau<br />
du Plan Marshall, donnait vraiment matière à rêver.<br />
Il arborait souvent la tenue de sortie yankee, à la fois<br />
décontractée et impeccable, sûr de son rayonnement,<br />
sain, dynamique, beau gosse super-actif. C’était un<br />
extra-terrestre tranchant absolument sur l’ensemble<br />
du corps professoral. On le disait fréquenter l’étatmajor<br />
allié… Se non è vero, era bene trovato… C’était en<br />
tout cas vraisemblable. Mieux encore, il ne se nommait<br />
pas Durand comme tout le monde mais Curtis! Le<br />
summum!<br />
La langue anglaise pour notre jeunesse libérée<br />
était magique. Il s’y mêlait le moderne, l’ailleurs, avec<br />
un parfum de tabac blond et de liberté. C’était tout<br />
un univers sympathique et enivrant. Nous allions<br />
forcément vivre avec lui une aventure inoubliable. Le<br />
parler britannique, soudain magique, allait s’imprimer<br />
en nous comme par enchantement.<br />
Ce ne fut pas, car en classe, rien ne changea, comme<br />
s’il se vérifiait une fois de plus que l’habit ne fait pas le<br />
moine. La façon d’enseigner du héros demeurait des<br />
plus traditionnelles. Les documents qu’il nous proposait<br />
d’étudier n’étaient pas les récits des épopées de Mac<br />
Arthur ou de Patton. On se borna aux textes désuets du<br />
manuel officiel, c’est à dire en quatrième de l’époque,<br />
ceux de « l’Anglais Vivant » édition brune, l’ouvrage le<br />
13<br />
plus rébarbatif qui fût, dès son aspect, puis de par son<br />
contenu. Rien de plus moderne n’agrémentait les cours,<br />
projections, visites, revues, imprimés, plaquettes, que<br />
sais-je… De mémoire, ce fut vraiment exceptionnel<br />
qu’une digression notable rehaussât l’enseignement<br />
rituel.<br />
Curieusement, notre séduisant G.I. se révéla en<br />
effet tout ce qu’il y a d’académique. Il puisait dans la<br />
vieille armoire des textes obligatoires, des extraits<br />
complètement déconnectés de la vie. Un moment, il se<br />
sentit obligé de nous persuader à longueur de cours de<br />
l’intérêt d’une mystérieuse chronique irlandaise où il<br />
était question d’un certain « Leprecaun ». On ne voyait<br />
pas ce que pouvait bien être ce Leprecaun dont le nom<br />
se répétait constamment dans les propos du maître.<br />
Certains élèves le savaient peut-être… Nous, les autres,<br />
résignés, attendions une improbable étincelle. D’autres<br />
fois, il s’évertua, sans plus de succès, à nous passionner<br />
pour l’idylle d’un criquet et d’une sauterelle, les docks<br />
du port de Londres et autres joyeusetés. En vain.<br />
L’ennui, le découragement, la noyade et l’indiscipline<br />
gagnait les rangs. Au point que notre Glenn Miller était<br />
contraint de s’époumoner pour tenter de dominer<br />
l’implacable bastringue. Rien d’étonnant à ce que colles<br />
et punitions du dimanche aient fini par tomber... Car il<br />
sut s’inspirer à l’occasion de la « Military Police ».<br />
Déçus, nous ne comprenions pas. Mais, n’en voulions<br />
instinctivement qu’au système éducatif auquel<br />
finalement aucun professeur ne semblait pouvoir se<br />
soustraire!<br />
Mais, soyons juste. Malgré la confusion et la désillusion,<br />
il faut bien admettre, surtout avec du recul, qu’il nous<br />
apprenait des choses. De la grammaire, un peu de<br />
l’alchimie du passage d’une langue à l’autre, le goût de<br />
la bonne traduction, parvinrent à s’inscrire en nous.<br />
Un jour, il réussit même à nous initier à l’humour<br />
britannique avec une courte incursion dans « Trois<br />
hommes dans un bateau »… Sans résultat immédiat<br />
bien sûr, mais pour plus tard. Egalement, ses allusions<br />
aux brumes écossaises: « My heart’s in the Highland »…<br />
et le Ben Nevis dont le vocable revenait souvent dans ses<br />
tentatives de descriptions de l’Ecosse demeurant fort<br />
obscure, nous habiteraient longtemps. Son obstination<br />
à ne pas déroger à l’Anglais Vivant édition brune, même<br />
si tout la condamnait n’était-il pas une ouverture à<br />
l’anticonformisme et au flegme britanniques en nous<br />
montrant qu’en dépit des circonstances, un gentleman<br />
se doit de respecter la tradition, fût-elle rude, sans<br />
vaciller et sans hésiter. Là, il avait fort à faire mais le<br />
faisait avec ténacité.
Jean-Louis Curtis traversa le ciel normand<br />
comme un météore. Superstar, il ne passa au <strong>lycée</strong><br />
que ce que passent les superstars dans les institutions<br />
comme l’opéra ou le football, l’espace d’une saison,<br />
d’une année scolaire en l’occurrence.<br />
Car il s’agissait bien d’une grande vedette même si<br />
nous n’en étions pas conscients. Nous fûmes très<br />
surpris d’apprendre à l’automne que notre play-boy<br />
avait reçu le prix Goncourt avec « Les forêts de la nuit ».<br />
Il s’agissait d’une histoire se passant en 1942 dans<br />
une petite ville près de Pau, Saint-Clar, qui pouvait<br />
être Orthez. La France vaincue était divisée en deux et<br />
Saint-Clar était en zone occupée, à proximité de la ligne<br />
de démarcation. C’était sa région. Louis Laffite, nom<br />
véritable de Jean Louis Curtis, était né précisément à<br />
Orthez. Il avait enseigné à Bayonne où il avait été agrégé<br />
en 1943.<br />
Ce qu’on découvrit ensuite avec de plus en<br />
plus d’étonnement, ce fut sa notoriété croissante<br />
au fil de nombreux romans. Il passa à la télé « chez<br />
Pivot » en janvier 1985. C’était à propos d’un dernier<br />
livre, biographique : « Une éducation d’écrivain ». A<br />
cette occasion, sa nouvelle apparence nous stupéfia.<br />
Médusés, nous nous sentîmes témoins d’un cas<br />
caractérisé de polymorphisme, digne de Protée luimême.<br />
On découvrait un personnage élégant, précieux,<br />
onctueux, pontifiant, aux antipodes de celui que nous<br />
avions connu auparavant. Disparu, méconnaissable,<br />
notre jeune premier décontracté, désordonné, à la<br />
recherche perpétuelle de copies et de notes égarées.<br />
Eventuellement, nous aurions pu l’imaginer<br />
correspondant de guerre en Indochine après qu’il nous<br />
eu quittés. On apprit en effet qu’auparavant, il avait<br />
eu un passé militaire. Pilote dans l’armée de l’air en<br />
1940 il s’était engagé en août 1944, dans le corps franc<br />
Pommiès et avait participé aux campagnes des Vosges,<br />
d’Alsace et du Rhin. Sachant cela, nous aurions compris<br />
qu’il devint un Hemingway ou un Malraux. Mais ce ne fut<br />
pas le cas. Sa trajectoire militaire n’avait pu supplanter<br />
la littéraire pure, même s’il en avait gardé à notre<br />
époque un certain goût pour la tenue conquérante.<br />
Consécration suprême, il fut élu à l’Académie Française<br />
en 1986.<br />
Jean d’Ormesson le louait, le considérant<br />
du cercle très fermé de l’intelligentsia parisienne.<br />
Il l’appréciait aussi beaucoup pour la qualité de ses<br />
pastiches. Contrairement à l’apparence, son livre « La<br />
Chine m’inquiète » sorti en 1971, soit un an avant le bestseller<br />
« Quand la Chine s’éveillera » d’Alain Peyrefitte en<br />
est un recueil écrit à propos de mai 1968 à la manière<br />
des grands contemporains. Il s’était également illustré<br />
en traduisant des pièces de Shakespeare pour la<br />
Comédie Française et en assurant le sous-titrage des<br />
œuvres complètes de la série Shakespeare produite<br />
par la BBC. On ne saurait avoir mieux été.<br />
Mais comment pouvait donc s’expliquer sa<br />
14<br />
métamorphose?<br />
Une première clé nous permit tout d’abord de dissiper<br />
les ambiguïtés de la période que nous avions passée<br />
avec lui. Elle figurait, tout simplement, à la dernière<br />
ligne de son roman couronné par l’Académie Goncourt :<br />
« septembre 1946 - mai 1947 »<br />
Ces dates recouvraient précisément celles de notre<br />
année scolaire en commun. Sans le savoir, nous avions<br />
participé à un moment primordial de sa vie. Jean Louis<br />
Curtis, riche de toute la matière dont il allait composer<br />
sa grande œuvre, s’était mis à l’écart du décor béarnais<br />
pour mieux dominer son sujet et écrire en toute<br />
sérénité, sans nouvelle influence.<br />
Mais, pourquoi s’être ingénié à une telle mise en scène?<br />
C’est là qu’une deuxième clé se révèle. <strong>Notre</strong> homme<br />
était très brillant. Il s’était illustré dans tellement de<br />
spécialités : militaire, aventurier, enseignant agrégé,<br />
écrivain, grand écrivain, trousseur de pastiches,<br />
traducteur émérite et, ce qui est loin d’être anodin,<br />
spécialiste éminent de Shakespeare. Shakespeare !<br />
L’année que nous avions partagée n’avait-elle pas<br />
l’allure du Premier Acte de l’une de ses pièces.<br />
« Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes,<br />
femmes, ne sont que des acteurs; Ils ont leurs entrées,<br />
ils ont leurs sorties, Et chaque homme y voit maint rôle<br />
lui échoir… » Comme il vous plaira (II,7.138)<br />
En arrière plan, le héros travaille, construit. Il tisse son<br />
avenir dans l’ombre. « La vie n’est qu’une ombre qui<br />
marche… » Macbeth (V,5.23)<br />
Le roi, lui, joue dans la lumière officielle. Il a choisi<br />
d’être professeur d’anglais. Qui plus est, Louis Laffite<br />
joue le rôle sous un nom de théâtre : « Ma conscience<br />
a mille langues diverses et chaque langue raconte une<br />
autre histoire… » Richard III (V,3.193)<br />
Il n’enseigne pas de l’anglais démagogique et<br />
facile comme on s’y attendait. Non, il respecte l’anglais<br />
noble comme son agrégation le lui commande en<br />
courant le risque de passer pour un despote. Il est<br />
intransigeant avec ses sujets.<br />
Ses sujets, justement, troisième personnage : NOUS,<br />
ignorant que nous étions sur scène, plus vrais que<br />
nature. Trouvaille géniale digne du grand modèle.<br />
Pour compléter la distribution, il y a le personnage «<br />
genre G.I. » qui n’avait pour raison d’être que celle de<br />
brouiller les cartes. C’est le bouffon.<br />
Et un cinquième rôle accessoire qui serait le maître de<br />
la Place, autrement dit l’Etat-major allié pour le cas où<br />
réellement J.L. Curtis l’ait fréquenté. Ce qui expliquerait<br />
la tenue du bouffon, si ce n’est sa gestuelle.<br />
Jean Louis Curtis n’abandonnera l’enseignement<br />
qu’en 1955, si bien qu’il y aura d’autres périodes où<br />
son personnage sera double. Mais triple comme cette<br />
première fois, c’est improbable. Nous avions été gâtés.<br />
A ce grand jeu, il adhère consciemment à ce grand jeu.<br />
Il le cultive et l’exprime dans son œuvre. Il s’en explique<br />
volontiers.
Les termes d’un interview qu’il accorda lors de la<br />
parution en 1960 de son livre « La Parade » sont<br />
significatifs. Interrogé à propos de l’ambigüité du titre,<br />
il expliqua: « … Comme je voulais montrer dans ce livre<br />
des gens pour qui l’extérieur, les apparences, sont tout,<br />
des gens soucieux de la figure qu’ils font dans le monde,<br />
c’est évidemment le sens de façade ou de spectacle qui<br />
prédomine. Mais l’autre sens émerge aussi… ». A propos<br />
de l’héroïne : « … Les sœurs Pina, qui sont assez bon<br />
juge de caractère, la trouvaient merveilleuse. D’autres<br />
gens, qui connaissaient sa ténacité et son habileté,<br />
pensent qu’elle est un petit monstre. Je crois qu’elle est<br />
à la fois l’un et l’autre. Double, comme beaucoup d’entre<br />
nous. Elle doit être née sous le signe des Gémeaux… ».<br />
Il concluait : « … Nous vivons aujourd’hui au milieu<br />
d’images qui multiplient à l’infini notre apparence,<br />
au détriment sans doute de notre vrai moi. Certains<br />
primitifs croient que la photo ou le film qu’on prend<br />
d’eux subtilise leur mana, leur essence vitale. Cette<br />
croyance doit correspondre à quelque chose de réel.<br />
Plus les images se multiplient sur la terre (les images<br />
de ce que nous voulons être pour les autres) plus notre<br />
personnalité véridique tendra vers l’effacement. Les<br />
apparences finiront par envahir tout. Le paraître finira<br />
par manger l’être… ».<br />
En fin de compte, que nous aura laissé Jean-<br />
Louis Curtis? En grande partie, ce que tout autre bon<br />
prof nous aurait donné. La différence, c’est que lui jouait<br />
le rôle d’un bon prof. Cela empêchait toute chaleur<br />
relationnelle. De même qu’un acteur n’éprouverait<br />
aucune émotion en retrouvant le spectateur du troisième<br />
rang qui avait été impressionné quatre ans plus tôt à<br />
telle représentation, il n’est pas imaginable qu’il ait pu<br />
se souvenir d’un ancien élève, même d’un élève brillant<br />
sachant de ce qu’était un Leprecaun, renouer un jour<br />
avec lui et lui exprimer de la sympathie<br />
En revanche, où il a pu jouer un rôle spécial<br />
chez ses ouailles, c’est dans ce fait inhabituel d’une<br />
constante atmosphère théâtrale shakespearienne<br />
où il les plongeait. L’ambiguïté de la réalité, la<br />
correspondance constante entre le faux et le vrai, des<br />
rôles diamétralement opposés contribuaient à toute<br />
une atmosphère: être ou ne pas être… A son contact,<br />
nous avons intimement pris conscience que la vie était<br />
souvent comédie, même où on ne l’attendait pas et à<br />
tous les degrés. Le savoir et se méfier, c’est s’habituer à<br />
le détecter et à prendre des dispositions pour ne pas en<br />
être dupes. A contrario, notre goût pour l’authentique<br />
et la vérité s’affina sûrement.<br />
Et si l’on ne s’en tient pas à un seul aspect<br />
défensif, nous avons retenu qu’on pouvait aussi s’offrir,<br />
à l’instar du maître, la fantaisie d’un peu de théâtre. Se<br />
risquer par exemple à interrompre le cours habituel de<br />
son existence pour se donner de temps à autre, des airs<br />
de littérateur…<br />
15<br />
Quant à notre progression en anglais utile, la rencontre<br />
n’y put rien. Nous poursuivîmes nos classes dans la<br />
crasse la plus sombre. Comme chaque petit français de<br />
l’époque, mal préparés, nous eûmes à subir en classe<br />
de première, l’interminable et angoissant morceau<br />
de bravoure « The rime of the ancient mariner ». Un<br />
chansonnier bien connu à l’époque en parlait dans un<br />
sketch : « un texte dont les mots n’étaient même pas<br />
dans le dictionnaire ». Quant à pouvoir demander son<br />
chemin outre-manche, participer à un colloque, faire<br />
comprendre à un chauffeur de bus affiché « Heathrow »<br />
que précisément c’est là que l’on désire se rendre ou<br />
réussir à faire comprendre à la vendeuse d’un magasin<br />
arborant l’enseigne « Chocolat » que justement on<br />
désire du chocolat, il ne pourrait en être question plus<br />
tard que moyennant quelques semaines à ajouter aux<br />
six ou sept ans d’anglais… vivant. But, this is another<br />
story.<br />
Maurice Courage, <strong>2010</strong>.
Jean-Louis Curtis répond au questionnaire de<br />
Marcel Proust *<br />
QUEL EST, POUR VOUS, LE COMBLE DE LA MISÈRE ?<br />
Solitude et pauvreté<br />
OU AIMERIEZ-VOUS VIVRE ?<br />
En hiver, Afrique tropicale. Les autres saisons, Béarn et<br />
Paris.<br />
VOTRE IDÉAL DE BONHEUR TERRESTRE ?<br />
Faire toujours ce que l’on veut.<br />
POUR QUELLES FAUTES AVEZ-VOUS LE PLUS<br />
D’INDULGENCE ?<br />
Les fautes d’orthographe.<br />
QUELS SONT LES HÉROS DE ROMAN QUE VOUS<br />
PRÉFÉREZ ?<br />
Le narrateur du Temps perdu.<br />
QUEL EST VOTRE PERSONNAGE HISTORIQUE FAVORI ?<br />
Jeanne d’Arc.<br />
VOS HEROINES FAVORITES DANS LA VIE RÉELLE ?<br />
Celles qui ne se savent pas héroïques.<br />
VOS HÉROINES DANS LA FICTION ?<br />
Les jeunes filles de Giraudoux.<br />
VOTRE PEINTRE FAVORI ?<br />
Claude Lorrain.<br />
VOTRE MUSICIEN FAVORI ?<br />
Mozart, Haendel.<br />
VOTRE QUALITÉ PRÉFÉRÉE CHEZ L’HOMME ?<br />
Le courage.<br />
VOTRE QUALITÉ PRÉFÉRÉE CHEZ LA FEMME ?<br />
Le naturel.<br />
VOTRE VERTU PRÉFÉRÉE ?<br />
La générosité.<br />
VOTRE OCCUPATION PRÉFÉRÉE ?<br />
Écrire.<br />
QUI AURIEZ-VOUS AIMÉ ÊTRE ?<br />
Moi, très amélioré.<br />
LE PRINCIPAL TRAIT DE MON CARACTÈRE ?<br />
Le goût de l’indépendance.<br />
CE QUE J’APPRÉCIE LE PLUS CHEZ MES AMIS ?<br />
Gaieté, fidélité.<br />
MON PRINCIPAL DÉFAUT ?<br />
La paresse.<br />
16<br />
MON RÊVE DE BONHEUR ?<br />
Pastoral.<br />
QUEL SERAIT MON PLUS GRAND MALHEUR ?<br />
N’aimer personne.<br />
CE QUE JE VOUDRAIS ÊTRE ?<br />
Assez riche pour ne dépendre que de moi-même.<br />
LA COULEUR QUE JE PRÉFÈRE ?<br />
Indifférence.<br />
LA FLEUR QUE J’AIME ?<br />
Toutes les fleurs de printemps<br />
L’OISEAU QUE JE PRÉFÈRE ?<br />
L’hirondelle.<br />
MES AUTEURS FAVORIS EN PROSE ?<br />
Chateaubriand, Stendhal, Proust et quelques autres.<br />
MES POÈTES PRÉFÉRÉS ?<br />
Théocrite, Ronsard, Milton, Keats, Baudelaire, et<br />
quelques autres.<br />
MES HÉROS DANS LA VIE RÉELLE ?<br />
Les humbles.<br />
MES HÉROINES DANS L’HISTOIRE ?<br />
Les folles, comme Christine de Suède.<br />
MES NOMS FAVORIS ?<br />
Indifférence.<br />
CE QUE JE DÉTESTE PAR-DESSUS TOUT ?<br />
L’intolérance.<br />
CARACTÈRES HISTORIQUES QUE JE MÉPRISE LE PLUS ?<br />
Les despotes.<br />
LE FAIT MILITAIRE QUE J’ADMIRE LE PLUS ?<br />
Les Thermopyles.<br />
LA RÉFORME QUE J’ADMIRE LE PLUS ?<br />
L’abolition de l’esclavage.<br />
LE DON DE LA NATURE QUE JE VOUDRAIS AVOIR ?<br />
Une persistante jeunesse.<br />
COMMENT J’AIMERAIS MOURIR ?<br />
Sans peur, les yeux ouverts.<br />
ÉTAT PRÉSENT DE MON ESPRIT ?<br />
Paisible.<br />
MA DEVISE ?<br />
Virtus propter se.<br />
* Page jointe au roman de J.L. Curtis « Le thé sous les cyprès ». Edition<br />
Le Cercle du Nouveau Livre. 1969.
La dernière expédition<br />
de Roald Amundsen<br />
Le 16 avril 1928, la nouvelle se répand dans les<br />
rédactions: la veille, à 1h15, le général Umberto NOBILE<br />
a décollé de Milan pour rejoindre la Baie du Roi, au<br />
coeur du Spitzberg, à bord du dirigeable Italia, frère<br />
quasi jumeau du Norge utilisé par Roald AMUNDSEN<br />
en 1926. A la différence du Norge, l’aéronef italien<br />
est équipé pour se poser sur la banquise. NOBILE est<br />
accompagné d’une équipe scientifique entièrement<br />
italienne à l’exception du météorologue suédois<br />
Finn Malmgren (compagnon d’AMUNDSEN à bord<br />
du Norge en 1926) et du météorologue et radiologue<br />
tchèque, le professeur Frantisek Behounek, chargé<br />
tout particulièrement d’étudier la radio-activité et les<br />
phénomènes électriques au-delà du cercle polaire.<br />
Placée sous l’égide de la Société Royale<br />
Géographique Italienne et financée par la ville de Milan<br />
qui avait également affrété le <strong>vieux</strong> navire italien Città<br />
di Milano pour ravitailler l’Italia, l’expédition avait pour<br />
but d’approfondir les recherches sur le pôle magnétique<br />
et d’étudier la glace constituant la calotte glaciaire de<br />
l’Arctique, nouvellement découverte par AMUNDSEN.<br />
Le dirigeable était doté de matériel scientifique d’avantgarde<br />
avec lequel il devait effectuer des mesures très<br />
importantes pour la géophysique.<br />
Les toutes premières vingt-quatre heures<br />
furent marquées par des avaries de toutes sortes dues<br />
à des conditions météorologiques très défavorables:<br />
hélices striées par la grêle, gouvernails fortement<br />
endommagés. NOBILE dut donc se résigner à patienter<br />
à Stolp, dans le Nord de l’Allemagne jusqu’au 4 mai<br />
avant de pouvoir décoller à nouveau en direction de<br />
Stockholm et Vadsø, dans le fjord de Varanger, après de<br />
longues réparations.<br />
Le dirigeable atteint enfin la Baie du Roi le 5 mai<br />
1928(1), le Città di Milano venant juste de le rejoindre<br />
alors que, base de ravitaillement, il était censé le<br />
précéder de plusieurs jours. L’Italia repartit le 11 mai<br />
pour un vol de reconnaissance de 3 heures le long de la<br />
côte nord du Spitzberg. Le 14, nouveau décollage pour<br />
un vol de sept heures, cette fois, qui le mena jusqu’à<br />
l’archipel François-Joseph, par très beau temps malgré<br />
des formations de givre qui alourdissaient l’enveloppe<br />
du ballon.<br />
Le vol décisif à destination du pôle eut lieu<br />
le 23 mai à 4 heures 30. L’aéronef avait à son bord,<br />
outre le général Nobile et sa fidèle chienne Titina,<br />
quinze hommes dont un journaliste du Corriere del<br />
Mezzogiorno. Heure après heure, l’équipage put<br />
17<br />
donner des nouvelles du voyage et on sut donc que le<br />
pôle fut atteint le 24 mai à 1h20. Ce furent tout d’abord<br />
des cris de victoire mais, bientôt, l’inquiétude s’installa:<br />
l’Italia n’avait pu atterrir comme prévu à cause d’un<br />
brouillard épais doublé d’une tempête de neige venant<br />
du sud-ouest. NOBILE décida de retourner à sa base<br />
du Spitzberg. C’est alors que survint le drame quand,<br />
le 25 mai à 10h33, l’aérostat, alourdi par la glace et<br />
gêné par des conditions météorologiques de plus en<br />
plus défavorables, heurta la banquise avec une telle<br />
violence qu’un mécanicien fut éjecté et tué sur le coup<br />
et que la nacelle de pilotage se détacha et tomba sur<br />
la banquise avec neuf membres d’équipage et du lest<br />
de toute nature. L’Italia, allégé, reprit de l’altitude avec,<br />
à son bord, les six hommes restants qui disparurent à<br />
jamais.<br />
Les survivants, tous mal en point: NOBILE avait un bras<br />
et une jambe cassés, d’autres étaient blessés, réussirent<br />
à construire un abri à l’aide de bâches qu’ils peignirent<br />
en rouge pour être mieux repérés sur la banquise. Cette<br />
abri portera à jamais le nom de «tente rouge» dans les<br />
annales de l’aéronautique.<br />
Au bout de deux jours sans nouvelles de l’Italia,<br />
diverses équipes d’aviateurs norvégiens, suédois,<br />
finlandais et italiens ainsi que des alpinistes envoyés<br />
par l’Italie organisèrent des expéditions de recherches à<br />
partir de la base de la Baie du Roi sans pouvoir localiser<br />
les éventuels survivants. Par chance, les signaux de<br />
détresse que n’avait cessé d’envoyer l’officier radio de<br />
l’expédition, Giuseppe Biagi, grâce à un émetteur resté<br />
intact, furent finalement captés par un radio amateur<br />
russe.<br />
Une gigantesque opération de sauvetage internationale<br />
fut immédiatement déclenchée avec, parmi d’autres,<br />
l’Italien Umberto Maddalena à bord de son hydravion<br />
S55, le Suédois Finn Lützow-Holm et le Norvégien<br />
Hjalmar Riiser-Larsen. C’est alors que Roald AMUNDSEN,<br />
décidé depuis le début à participer aux recherches,<br />
reçut un coup de téléphone de Paris: son interlocuteur,<br />
un homme d’affaires norvégien, lui annonça que la<br />
France mettait à sa disposition un hydravion, le Latham<br />
47, fabriqué à Caudebec-en-Caux . AMUNDSEN accepta<br />
l’offre et le 16 juin, l’appareil s’envola pour Bergen avec,<br />
à son bord, outre le commandant, René GUILBAUD, le<br />
co-pilote Albert CAVELIER de CUVERVILLE, l’officierradio<br />
Emile VALETTE et l’officier-mécanicien Gilbert<br />
BRAZY.<br />
Le 17 juin, Roald AMUNDSEN et Leif Ragnar<br />
DIETRICHSON rejoignirent l’équipage français à
Bergen. Les Norvégiens constatèrent alors, ce que<br />
savaient déjà les Français, que le Latham 47, de par<br />
son poids, n’était pas adapté aux régions polaires et<br />
qu’il ne pourrait se tirer d’affaire en cas d’amerrissage<br />
forcé dans de mauvaises conditions météorologiques.<br />
Mais la situation était grave et, dans cette course contre<br />
la montre, AMUNDSEN décida de ne pas attendre un<br />
autre avion.<br />
Le 18 juin, le Latham 47 atterrit à Tromsø.<br />
Après un repos de trois heures, René GUILBAUD mit les<br />
puissants moteurs en marche et l’avion prit lentement<br />
la direction du nord, alourdi par les 5 000 litres de<br />
carburant qu’il transportait. La station de radio de<br />
Tromsø resta en contact avec le commandant pendant<br />
3 heures puis, plus rien. Plus tard, on apprit qu’un<br />
cargo avait capté des signaux de détresse de GUILBAUD.<br />
On s’inquiéta du sort de l’appareil, on alerta un navire<br />
norvégien, le Michael Sars, qui, lui non plus, n’avait<br />
reçu aucun signal.<br />
Pendant ce temps, le 19 juin, le colonel Umberto<br />
MADDALENA, envoyé par l’Italie à bord de son<br />
hydravion S55, parvint à localiser la «tente rouge»<br />
sans pouvoir atterrir. Trois jours plus tard, il réussit,<br />
avec un autre officier italien, à larguer des vivres et du<br />
matériel de confort aux rescapés. Et, finalement, le 24<br />
juin, le pilote de la marine suédoise, Einar LUNDBORG,<br />
réussit à atterrir et à sauver Umberto NOBILE. D’autres<br />
membres d’équipage de l’Italia retrouvèrent la terre<br />
ferme mais plusieurs, dont MALMGREN, périrent en<br />
attendant les secours.<br />
Malheureusement, du Latham 47, on ne retrouva rien<br />
sauf un flotteur et un réservoir, malgré les recherches<br />
entreprises alors par le croiseur français Strasbourg et<br />
par le cuirassé norvégien Tordenskiold.<br />
Une expédition scientifique norvégienne qui<br />
se déroula au cours de l’été 2009, sur une centaine<br />
de kilomètres carrés au nord-ouest de l’île aux Ours,<br />
mettant en oeuvre des techniques de pointe et du<br />
matériel de tout dernier cri comme un sous-marin<br />
automatisé et divers sonars, n’obtint aucun résultat.<br />
Outre ses découvertes de tout premier plan, par son<br />
immense courage et sa généreuse abnégation la<br />
mémoire de Roald AMUNDSEN reste à jamais attachée<br />
à cette malheureuse expédition de sauvetage à bord du<br />
LATHAM 47.<br />
C’est la raison pour laquelle, chaque année, lors de leur<br />
fête nationale, les élèves norvégiens de notre <strong>lycée</strong> et les<br />
Norvégiennes du <strong>lycée</strong> de Bayeux se recueillent devant<br />
le mémorial A ceux du LATHAM 47, dû à l’architecte<br />
Léon REY et au sculpteur Robert DELANDRE, érigé à<br />
Caudebec-en-Caux.<br />
(1) Certaines sources donnent le 8 mai<br />
Références: http://www.wikipedia.fr article intitulé Latham. Le sort de<br />
l’Italia, Charles Rabot, l’Illustration, 16 juin 1928. Le sort de Guilbaud,<br />
d’Amundsen et de leurs compagnons, Charles Rabot, L’Illustration, 15<br />
septembre 1928. http//www.acrostati.it/nobile.htm<br />
18<br />
En 1928, l’explorateur Roald Amundsen, à<br />
la recherche d’un hydravion pour aller au secours<br />
de l’expédition d’Umberto Nobile en perdition sur la<br />
banquise, au nord de la Norvège, fait appel à la France.<br />
Un nouvel hydravion, le Latham 47, vient de terminer<br />
ses premiers essais à Caudebec-en-Caux. Il s’envole le<br />
16 juin pour Bergen (Norvège).<br />
Commandé par René Guilbaud, le Latham 47 a<br />
pour co-pilote Albert Cavelier de Cuverville, pour<br />
mécano Gilbert Brazy, et comme radio Émile Valette.<br />
L’hydravion disparaît le 18 juin 1928 avec l’explorateur<br />
Roald Amundsen et le pilote norvégien Lief Dietrichsen<br />
qui y avaient pris place à Bergen. On ne retrouvera de<br />
l’appareil qu’un flotteur et un réservoir.<br />
Un mémorial À ceux du Latham 47, dû à l’architecte<br />
Léon Rey et au sculpteur Robert Delandre a été érigé à<br />
Caudebec-en-Caux en 1931.<br />
Le dernier voyage<br />
Wilkins Hubert et le Lockeed Vega sur la traversée Alaska<br />
Spitzberg en 1928. Il sera aussi le pionnier des vols antarctiques.<br />
Carte postale du monument représentant le Latham 47 à<br />
Caudebec en Caux (Normandie) en souvenir de l’accident tragique.<br />
Le Latham 47 avait été construit sur les chantiers<br />
de Caudebec en Caux dans l’esprit d’une traversée<br />
Transatlantique. C’est de cette ville que l’hydravion et<br />
son équipage partirent le 16 juin pour rallier Bergen le<br />
17 juin, et Tromsoë le 18 juin pour disparaître en mer.<br />
Ce mémorial est l’oeuvre de l’architecte Léon Rey et<br />
du sculteur Robert Delandre.Il fut inauguré le 21 juin<br />
1931.Umberto Nobile participa à cette cérémonie.<br />
Jean-Marc CAPELLO<br />
On peut lire sur le monument :<br />
GUILBAUD • Roald AMUNDSEN • CAVELIER de CUVERVILLE<br />
• Lief DIETRICHSON • BRAZY • VALETTE<br />
«A CEUX DU LATHAM 47<br />
• Caudebec-en-Caux, 16 juin 1928<br />
• Bergen, 17 juin<br />
• Tromsoë, 18 juin<br />
A DIEU VAT !» LATHAM 47
La musique<br />
au Lycée Corneille<br />
Dans les années d’avant-guerre, il n’existait<br />
pas d’enseignement musical intégré au programme<br />
des classes au <strong>lycée</strong> Corneille. Seuls des cours privés<br />
pouvaient être dispensés aux élèves qui désiraient<br />
apprendre un instrument.<br />
J’avais demandé à mes parents de me faire donner des<br />
leçons de piano. Ces leçons étaient assurées par deux<br />
professeurs: le «père» Dupré, dont le fils Marcel faisait<br />
une brillante carrière d’organiste, et Monsieur Vimont,<br />
qui devait plus tard assurer les cours de musique à des<br />
générations de potaches... plus ou moins motivés.<br />
Le «père» Dupré, avec ses cheveux blancs et sa barbe<br />
blanche, nous semblait un vieillard. Nous l’entendions<br />
souvent s’entretenir avec des collègues. Ses phrases en<br />
rafales, et son défaut de prononciation qui transformait<br />
les sonates en fonates et le solfège en folfége nous<br />
ravissaient.<br />
M. Vimont, comme on dit, «portait beau»: l’oeil<br />
brillant, la petite moustache conquérante, un ventre<br />
avantageux, un feutre légèrement incliné sur l’oreille<br />
lui donnaient fière allure. Je ne dirai rien de ses leçons,<br />
qui ont contribué à faire de moi un pianiste médiocre.<br />
Nous avions à notre disposition, pour «étudier» notre<br />
piano dans les intervalles des leçons, deux instruments<br />
qui se trouvaient dans deux salles situées à chaque<br />
extrémité de la galerie du «petit <strong>lycée</strong>». Celui du «père»<br />
Dupré était une infâme casserole. L’autre, celui de M.<br />
Vimont, était acceptable.<br />
Comme nous avions toute liberté d’accéder à<br />
ces salles afin de nous exercer, les pianistes en herbe<br />
que nous étions se réunissaient souvent dans la salle<br />
de M. Vimont pour parler musique et confronter leurs<br />
talents. Nous formions ainsi une sorte de petit club de<br />
musiciens unis par une passion commune.<br />
Certains, parmi les «grands», étaient d’un<br />
niveau élevé et leurs exécutions nous remplissaient<br />
d’admiration, et de confusion si nous comparions leur<br />
talent et le nôtre. L’un d’entre eux, Préchac, m’a laissé<br />
un souvenir inoubliable par son interprétation de la<br />
3ème ballade de Chopin, qu’il m’a fait découvrir. Un<br />
autre virtuose en herbe, Meyer, avait un répertoire plus<br />
éclectique: il adorait le jazz et il n’avait pas de peine à<br />
nous enthousiasmer.<br />
Ces deux pianistes s’illustrèrent lors d’une<br />
Saint Charlemagne célébrée au <strong>lycée</strong> dans une salle<br />
que je ne saurais identifier. Préchac interpréta la partie<br />
de piano du 2ème concerto de Chopin. Quant à Meyer,<br />
il nous divertit en jouant Au clair de la lune à la façon<br />
de Mozart, de Beethoven, «à la manière tendre et<br />
mélancolique de Chopin» (ce sont ses termes) et enfin<br />
sur un rythme de jazz.<br />
19<br />
J’avais un camarade de classe, Poujol, qui prenait lui<br />
aussi des leçons de piano avec M. Vimont. Les morceaux<br />
qu’on nous proposait ne nous suffisaient pas. Nous<br />
rêvions d’aborder un répertoire plus prestigieux,<br />
particulièrement les sonates de Beethoven. Tout dans<br />
ce compositeur nous fascinait: sa vie tragique, ses<br />
luttes, sa noblesse d’esprit, son amour de la liberté.<br />
Nous déchiffrions ses symphonies dans une réduction<br />
pour quatre mains. Les jours de congé, j’allais à la<br />
bibliothèque municipale m’exalter à la lecture des livres<br />
que Romain Rolland lui avait consacrés. Cet amour de<br />
jeunesse ne s’est jamais tari.<br />
Un beau jour, nous vîmes arriver dans notre<br />
«club» un grand garçon dégingandé et un peu fou qui<br />
s’appelait Léon Chenu. Il était plus <strong>vieux</strong> que nous<br />
(vingt ans peut-être) et avait été reçu en première<br />
comme interne. Il était pianiste, jouait avec beaucoup<br />
de facilité et... composait. C’est ainsi que nous pûmes,<br />
Poujol et moi, apprécier la Suite indienne et sa danse<br />
du scalp, et l’ouverture de Romulus.<br />
Chenu était fasciné par le veilleur de nuit qui<br />
faisait sa ronde dans les dortoirs et avait composé à<br />
son sujet une petite chanson, dont voici les paroles:<br />
Un ‘chic’ au veilleur,<br />
Un ‘chic’ au veilleur de nuit<br />
Qui passe à côté d’notr’ lit<br />
Avec sa lampe électrique.<br />
etc...<br />
Après quelques mois de <strong>lycée</strong>, Léon Chenu<br />
disparut aussi vite qu’il était apparu et nous<br />
n’entendîmes plus parler de lui. Mais ses compositions<br />
sont restées présentes à ma mémoire.<br />
Ainsi s’écoulaient des années certes difficiles pour un<br />
interne soumis à une discipline sévère, mais riches en<br />
savoir et en découvertes.<br />
A la fin de ma scolarité à Corneille je décidai,<br />
sur le conseil de mon ami Carpentier, de solliciter une<br />
entrée en Khagne. On m’orienta vers le <strong>lycée</strong> Lakanal,<br />
à Sceaux. Nous disposions d’un parc, d’une chambre<br />
particulière, et de l’enseignement de Jean Guéhenno.<br />
Mais ceci est une autre histoire...<br />
Paul LIMARE
Nicolas Mesnager,<br />
Ministre plenipotentiaire de Louis XIV<br />
L’exemple n’a guère de précédent. La diplomatie au<br />
temps de la monarchie fut essentiellement réservée à<br />
des représentants de l’aristocratie militaire ou civile<br />
et à d’éminents ecclésiastiques. Comment, Nicolas<br />
MESNAGER, issu du grand commerce gagna-t-il sa<br />
place à la table de négociations du célèbre Traité qui<br />
clôtura le règne de Louis XIV, le Traité d’Utrecht?<br />
En le choisissant Louis XIV ne dédaignait pas de s’écarter<br />
des comportements traditionnels qu’il avait déjà négligés<br />
en confiant la direction des affaires de l’Etat à Colbert ,<br />
notable bourgeois entre tous. Il persistait donc en<br />
s’attachant les services de Nicolas MESNAGER.<br />
Le recours aux marchands<br />
Celui-ci s’était acquis quelques titres pour<br />
retenir son attention. C’est à l’occasion de la création<br />
du Conseil du Commerce en 1700 que se noua cette<br />
relation exceptionnelle. Convoqué pour proposer<br />
remèdes et suggestions au pouvoir royal aux prises<br />
avec une crise économique sévère, il réunissait les<br />
représentants négociants des principales villes du<br />
royaume - dont Rouen - chargés de dresser un état des<br />
lieux et de fournir des perspectives de redressement.<br />
On s’avisait enfin que le recours aux marchands pouvait<br />
apporter une solution à des problèmes qui entravaient<br />
l’activité et les échanges et qui plaçaient la France en<br />
situation de dépendance vis à vis des autres grandes<br />
nations étant donné le dépérissement accentué de<br />
ses finances. Acteurs sur la plupart des terrains où<br />
s’exerçait leur commerce, les marchands ainsi réunis<br />
ne manquèrent pas d’analyser toutes les causes de<br />
cette crise et d’appeler les décisions qui devaient<br />
20<br />
permettre de les combattre. Parmi eux, mandaté<br />
par les marchands rouennais, Nicolas MESNAGER se<br />
distingua par la pertinence de ses remarques, la qualité<br />
de ses observations et le caractère constructif de ses<br />
propositions.<br />
Un diagnostic intelligible<br />
Son credo ne pouvait que séduire mais<br />
s’inscrivait dans une logique qui devait faire école :<br />
rendre compatible l’enrichissement des marchands<br />
avec celui de la France. Sa démonstration révélait les<br />
failles de la pratique en cours, deux mondes vivaient<br />
en parallèle et s’ignoraient mutuellement, l’ignorance<br />
des données macro-économiques de ces sphères<br />
respectives devait être combattue et susciter des<br />
initiatives pour en corriger le caractère conflictuel, la<br />
notion de balance des échanges au niveau de la nation<br />
était à construire et ferait ressortir les comportements<br />
néfastes que pratiquaient le Il grand commerce Il à son<br />
profit mais au détriment de la richesse générale.<br />
Assortie d’exemples, cette profession de foi<br />
plaçait l’économie et les lois qui commandent son<br />
fonctionnement au cœur de la problématique que<br />
posait la crise sévère qu’une politique dispendieuse<br />
et des guerres coûteuses et successives avaient<br />
provoquée. Nicolas MESNAGER se montrait d’autant<br />
plus convaincant que ses propositions « ne demandait<br />
pas la suppression ni la diminution des droits du<br />
Roy» mais tentait d’orienter cette pression vers<br />
davantage de justice pour l’imposition des produits<br />
provenant de l’étranger, vers davantage d’efficacité par<br />
l’investissement en faveur des secteurs d’activité sous<br />
développés, vers davantage d’égalité et de simplicité<br />
dans la perception de ces droits , vers davantage de<br />
liberté dans la pratique générale des affaires et en<br />
particulier dans la fixation des droits locaux.<br />
Il adhérait aussi aux vœux, communément partagés, qui<br />
sollicitaient la création d’institutions commerçantes<br />
décentralisées d’où devaient naître les Chambres de<br />
Commerce.<br />
C’est donc cette capacité de critique constructive<br />
qui contrastait avec le cahier des remontrances dressé<br />
avec complaisance par les milieux consultés bien qu’il<br />
ne taisait pas, lui-même, les attitudes négatives dont les<br />
négociants étaient les victimes, le peu de considération<br />
publique dont ils étaient l’objet, les contraintes inutiles<br />
qu’on leur faisait subir , l’ignorance dans laquelle ils<br />
étaient tenus des décisions prises les concernant et<br />
qu’imposaient les traités de paix successifs, mais son<br />
discours outrepassait ces constats ordinaires.
Conseiller économique du Roi<br />
Louis XIV qu’on savait ouvert à la « société civile »<br />
et qui mesurait l’urgence de la situation s’attacha les<br />
services de Nicolas MESNAGER rendu disponible par<br />
son éloignement récent des affaires.<br />
Pendant plusieurs années il l’appela en consultation lui<br />
confiant des missions successives en Espagne et auprès<br />
des Provinces-Unies (Hollande) dont il s’acquitta avec<br />
bonheur. Il était devenu son conseiller économique et le<br />
partenaire privilégié des intendants qui l’instruisaient<br />
sur les questions en suspens: tarif douanier, taux<br />
de change, prix des grains, octrois, particularités<br />
portuaires.<br />
C’est aussi pendant cette période que s’éternisait un<br />
conflit, la Guerre de Succession d’Espagne, engagée en<br />
1702, qui mettait en cause les politiques dynastiques<br />
de plusieurs pays d’Europe, et non des moindres,<br />
coalisés contre la France (Angleterre, Provinces-Unies,<br />
Portugal, Savoie, Autriche, Confédération Germanique,<br />
Brandebourg). Ils s’opposaient à la dévolution de la<br />
Couronne d’Espagne, rendue libre par le décès sans<br />
succession de son titulaire, au petit-fils de Louis XIV, le<br />
duc d’Anjou, regroupant de ce fait sur la famille Bourbon<br />
les deux trônes d’Espagne et de France.<br />
Ce conflit, mal engagé, bouscula pendant plusieurs<br />
années les positions militaires françaises sur la<br />
frontière Nord mais aussi en Bavière, en Savoie et en<br />
Espagne, tous lieux concernés par le jeu des alliances.<br />
Louis XIV pressé par les succès cumulés de la coalition<br />
(dont les troupes étaient brillamment conduites par<br />
le duc de Marlborough et le Prince Eugène de Savoie)<br />
fut prêt à renoncer. Les exigences abusives de ses<br />
adversaires l’en dissuadèrent.<br />
Ambassadeur officiel à UTRECHT<br />
C’est au cours de cette période de transition,<br />
entre 1709 et 1713, que des tentatives de compromis<br />
furent engagées de part et d’autre. Nicolas MESNAGER<br />
fut associé à celle qui conduisit à la paix et qu’il mena<br />
en Grande Bretagne auprès de la reine Anne dans le<br />
domaine où les intérêts commerciaux britanniques<br />
étaient dominants.<br />
Au terme de ces Préliminaires, l’Angleterre se dissocia<br />
de la coalition, chercha à convaincre ses partenaires<br />
à abandonner leur opposition militaire lors d’Etats<br />
Généraux réunis à Utrecht et y fut d’autant plus<br />
encouragée que la victoire du Maréchal de Villars<br />
à Denain en 1712 donnait l’initiative aux armées<br />
françaises qui récupéraient, à l’issue de cette bataille,<br />
l’essentiel des espaces qu’elles avaient du céder<br />
précédemment à leurs opposants (en particulier la<br />
place de Lille).<br />
Dans l’entrelacs des rencontres qui conduisirent à<br />
la paix, Nicolas MESNAGER joua un rôle capital et s’il<br />
ne fut pas le seul signataire, côté français , du Traité<br />
21<br />
d’Utrecht en 1713 qui clôtura ces négociations, c’est<br />
à lui qu’en revint, sans conteste, le mérite.Il ne profita<br />
pas longtemps de cette notoriété, succombant à une<br />
crise d’apoplexie en 1714 précédant d’un an le décès<br />
de son souverain qu’il avait, selon le mot de ce dernier,<br />
« si bien servi »<br />
Ancré à ROUEN, sa ville d’origine.<br />
Bien que ce soit loin de Rouen, au sein de<br />
concertations internationales qu’il ait acquis sa<br />
réputation, Nicolas MENAGER ne manquait pas de<br />
titres à la reconnaissance de ses concitoyens et de sa<br />
ville d’origine.<br />
C’est là que, derrière son père, il conduisit l’entreprise<br />
de négoce internationale qui étendait ses réseaux sur<br />
l’Europe Occidentale, de l’Espagne, site privilégié par<br />
Cadix du commerce rouennais, à la Russie en passant<br />
par les Provinces-Unies et la Grande Bretagne.<br />
C’est là qu’il reçut, au terme de son parcours commercial,<br />
la charge de « Secrétaire du Roi, maison et couronne<br />
de France » et qu’il exerça la fonction d’avocat au<br />
Parlement de Normandie.<br />
C’est là qu’il suscita le mouvement conduisant au rachat,<br />
par lui-même et 40 de ses partenaires marchands, de la<br />
charge imposée à l’Office habilité à administrer la Halle<br />
aux Toiles où se regroupaient, pour y être contrôlées,<br />
toutes les productions textiles de la région. Il le convertit<br />
en Octroi des Marchands et en confia l’exploitation à la<br />
toute récente Chambre de Commerce lui fournissant,<br />
dès sa création, les premières ressources de son<br />
fonctionnement et les moyens de son ambition.<br />
C’est là, précisément, que les élus de la Juridiction<br />
Consulaire, le désignèrent pour être leur député au<br />
Conseil du Commerce créé à Paris d’où partit son<br />
exceptionnel parcours diplomatique.<br />
C’est là que, paroissien et trésorier de St Vincent et<br />
modeste quartenier de la cité, il résida et qu’il transmit<br />
(par testament à l’Hospice Général de Rouen un legs de<br />
20 000 livres aux déshérités dont cette institution avait<br />
la charge.<br />
Enterré à Paris, dans l’église St Roch où l’on<br />
regroupait les dépouilles des notables de ce temps, son<br />
tombeau subit les outrages des excès révolutionnaires<br />
mais il reste la mémoire de l’épitaphe qu’il portait :<br />
« Ci-git Nicolas MESNAGER, conseiller du roi dans ses<br />
Conseils, ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté,<br />
lequel après avoir donné témoignage de sa capacité<br />
dans les négociations, tant en Espagne qu’en Hollande et<br />
après avoir posé en Angleterre les premiers fondements<br />
de la paix générale les a heureusement conclus et signés<br />
à Utrecht, le 11 avril 1713 ».<br />
Jacques DELECLUSE
Nécrologie<br />
« Marcel Guéret »<br />
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris, à la fin du printemps, le décès brutal et inattendu de<br />
notre cher Marcel Guéret. C’est en effet le 11 mai dernier, à l’âge de 68 ans, qu’il nous a quittés, entouré des siens,<br />
à l’hôpital Charles Nicolle de Rouen où il avait été hospitalisé à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Nous<br />
n’oublierons pas sa dimension humaine, très caractéristique de sa personnalité. Son écoute et l’attention qu’il<br />
portait aux autres, son amour de la vie, son sens des valeurs, celles que lui avaient inculquées ses parents, Odette<br />
et Michel Guéret, les propriétaires bien connus de l’hôtel de Dieppe, le rendaient particulièrement attachant. Il est<br />
vrai que depuis ses années de <strong>lycée</strong>, ses engagements à la fois professionnels et personnels avaient été nombreux,<br />
cela depuis ses débuts où il était entré au service économique du « Figaro » à celles où il avait créé sa propre affaire,<br />
un cabinet d’expertise comptable. Son charisme naturel en faisait une personnalité recherchée. Aussi occupait-il<br />
de nombreuses fonctions qui exigeaient disponibilité, sens du contact et diplomatie. Ces dernières années, il avait<br />
eu l’occasion de mettre ces qualités au service des autres dans les fonctions de président du « Lloyd », le club<br />
rouennais très prisé ainsi que dans celle de conciliateur de justice. Fidèle au <strong>lycée</strong> de sa jeunesse, il avait gardé avec<br />
lui ce lien privilégié qui en faisait le commissaire aux comptes dévoué de notre association d’anciens élèves. A sa<br />
famille qui est dans la peine, nous présentons nos condoléances émues.<br />
Philippe PRIOL<br />
« Serge Huguerre »<br />
C’est le dimanche soir 11 juillet que s’est éteint de suites d’une longue maladie, à l’âge soixante dix-huit<br />
ans, Serge Huguerre, acteur politique bien connu de notre région. De ce <strong>lycée</strong> qu’il avait quitté, je crois, en classe<br />
de première, il gardait un souvenir assez vif, revenant de temps à autre sur ces lieux de jeunesse, pour lesquels il<br />
semblait conserver un attachement particulier. Originaire de Oissel (76), c’est à Rouen qu’il laissera l’essentiel de<br />
sa trace. Comptable de formation, publicitaire à une époque de sa vie, son engagement social et politique s’étendra<br />
sur de longues années. En effet, il occupera des fonctions d’adjoint au maire de Rouen sans interruption de 1955<br />
à 1988, puis de conseiller municipal jusqu’en 1995 ainsi que de conseiller général pendant plus de trente ans. Son<br />
parcours sera fait des aléas qui entourent toute carrière longue et prometteuse. D’abord membre de la SFIO, du<br />
Parti Social Démocrate, puis du Parti Radical et enfin de l’UDF, il avait évolué au fil des ans, selon des critères qui lui<br />
apparaissaient comme étant les plus justes à l’heure des choix. Connu dans tous les milieux politiques rouennais,<br />
il était resté fidèle à ses convictions premières, celles d’un engagement humaniste et social. A sa famille éprouvée,<br />
nous exprimons nos vifs sentiments de tristesse.<br />
Philippe PRIOL<br />
« Gudmund Sandvik »<br />
Gudmund Sandvik, né en 1925 à Høyland, département de Rogaland, est décédé le 2 fevrier 2008 à Oslo<br />
où il était professeur d’histoire du droit à l’ université depuis 1975. Sandvik fut reçu à l’agrégation norvégienne<br />
d’histoire en 1954 avec le norvégien et le français comme options . Il fut successivement, professeur des élèves<br />
norvégiens au Lycée Pierre-Corneille, lecteur à la Sorbonne, puis professeur au Lycée de Vinstra avant d’être<br />
nommé à l’Institut d’histoire de la Faculté des lettres d’Oslo. En 1965, il soutînt une thèse de doctorat sur le droit<br />
de propriété des presbytères norvégiens. En 1983 au triple titre d’historien, de juriste et de linguiste, il présida<br />
la commission officielle pour l’élaboration des propositions pour la nouvelle loi sur la toponymie norvégienne.<br />
Plus tard, en tant que membre de la commission sur le droit des Sâmes et du Comité juridique qui avait mis à<br />
jour le droit de propriété du sol, des rivières et des lacs au Finnmark, il étudia de façon approfondie les dialectes<br />
du nord de la Norvège et l’histoire des Sâmes. Au sein de cette Commission, il fut particulièrement chargé de la<br />
recherche des justifications historiques en vue de la rédaction du nouvel article de la Constitution norvégienne<br />
portant sur le droit des Sâmes qui constitua la reconnaissance officielle de la dimension autochtone du peuple<br />
sâme et eut pour conséquence pratique de lui donner de nombreux droits socio-économiques et culturels afin<br />
que leurs particularités, leurs traditions, fussent mieux prises en compte, tout en les intégrant davantage dans la<br />
société. En dépit de son départ en retraite en 1995, Gudmund Sandvik maintint des liens étroits avec les historiens<br />
et les juristes.<br />
Jean-Marc CAPELLO<br />
Références : Wikipedia, Norvège. Eloge funèbre prononcé à l’académie des sciences de Norvège, Dag Michalsen, 12 mars 2009. Correspondance<br />
avec Jan I Pedersen, un de ses anciens élèves au <strong>lycée</strong>.<br />
22
En bref<br />
Informations culturelles<br />
« Mémoires de madame la duchesse de Tourzel gouvernante des enfants<br />
de France de 1789 à 1795 »<br />
Mercure de France, coll. Le temps retrouvé, 2007.<br />
Madame de Tourzel, née princesse de Croy, immortalisa son nom en liant son destin à celui de la famille<br />
royale au cours des années les plus sombres du règne de Louis XVI. Cela nous vaut un témoignage inestimable<br />
de la période révolutionnaires qu’elle traversera dans la fonction de gouvernante des enfants royaux. La<br />
plume de madame de Tourzel est alerte, colorée et précise. Véritable calendrier vécu sur le vif des évènements<br />
qui ont transformé le visage d’une France que l’on pensait éternelle, on voit comment le piège se referme sur<br />
un monarque à l’innocence acquise, pris en étau entre la tradition qu’il incarne et le bouleversement sans<br />
précédent qui entraîne tout sur son passage. Aussi a-t-on bien la conviction que la cause est perdue d’avance.<br />
Quoiqu’il fasse, quelque complaisance qu’il ait pour les transformations en cours auxquelles il acquiesce<br />
parfois avec tout le poids que lui ordonne la raison, le roi ne contrôle plus rien. Aussi madame de Tourzel,<br />
femme de caractère, à l’élévation d’esprit certaine, ce dont elle fait la preuve dans l’analyse très fine de ces<br />
épisodes tragiques vécus par une famille royale, certes, mais aussi par des êtres qui sont d’abord des humains,<br />
nous démontre que l’on a affaire à une conjuration du temps et des esprits. Son propos est bien sûr empreint<br />
d’affectivité et le manque d’objectivité ne fait aucun doute, toutefois l’auteur ne fait preuve d’aucune mièvrerie. La<br />
langue riche, claire et sans ambiguïté traduit une intelligence sans faille et un attachement indéfectible à l’ordre<br />
ancien, que rien, pas même la crainte de perdre la vie, ne viendrait remettre en question. Personnage central de<br />
la tragique épopée de Varennes, baptisée baronne de Korff pour la circonstance, incarcérée en même temps que<br />
madame de Lamballe qui aura moins de chance, miraculeuse survivante d’une épuration sanguinaire, madame de<br />
Tourzel témoigne non seulement d’une page fondamentale de notre histoire, mais aussi d’une personnalité au sang<br />
froid admirable qui la place au rang d’une femme d’exception.<br />
Philippe PRIOL<br />
« Saint-Laurent, Mauvais Garçon »<br />
Marie-Dominique Lelièvre, ed. Flammarion <strong>2010</strong>.<br />
Journaliste à Libération, Marie-Dominique Lelièvre, après une biographie très remarquée de l’écrivain<br />
Françoise Sagan, parue l’an passé, vient de confirmer son talent de portraitiste en consacrant son dernier ouvrage<br />
à l’un des monstres sacrés de la haute couture parisienne, Yves Saint-Laurent. C’est avec beaucoup de talent que<br />
l’auteur explore les arcanes secrètes d’une vie que la légende a très vite entourée d’un halo doré, depuis l’enfance<br />
heureuse à Oran qui restera, en dépit d’un mal-être identitaire, le berceau d’un rêve accompli, jusqu’aux heures<br />
sombres de l’agonie dans un contexte de déchéance. Au gré des pages et de la vie de ce créateur incontestablement<br />
béni des dieux plane l’ombre tutélaire d’un homme, Pierre Bergé, dont on finit par comprendre qu’il fut le complément<br />
indispensable d’une réussite, gardien de ses fruits et d’un talent que la fièvre dévore. On découvre aussi les dessous<br />
du monde de la mode, un univers fait de luxe et d’artifices, dissimulant derrière ses ors et ses fastes le désarroi<br />
profond d’un homme qui poursuit inlassablement sa course à l’abîme. Il n’en faut pas moins pour devenir un mythe<br />
vivant. Le prix à payer est très élevé. Ainsi la gloire d’un nom associé à l’un des labels les plus prestigieux d’une<br />
nation se pare-t-elle d’une odeur de souffre. C’est au travers d’une analyse subtile et sans concession, la réflexion<br />
d’une femme, Marie-Dominique Lelièvre, qui s’interroge sur le vertige de la création, l’incompatibilité du génie et<br />
du bonheur, le destin tragique de l’artiste en proie aux forces indomptables qui le possèdent. C’est aussi la peinture<br />
d’une époque très proche de nous, si proche, que nous nous en sommes imperceptiblement éloignés.<br />
23<br />
Philippe PRIOL
Nos élèves<br />
ont du talent !<br />
Depuis un peu moins de cinq ans, avec la coopération de Mme<br />
Christine MARCHAIS, professeur au conservatoire de Rouen, le <strong>lycée</strong><br />
Corneille organise au mois de mai une journée modestement intitulée<br />
«Nos élèves ont du talent !».<br />
Cette journée a pour but chaque année de permettre à des élèves<br />
d’options artistiques ou suivant une formation au conservatoire de<br />
présenter leurs talents. Auparavant, cette journée avait lieu dans<br />
l’enceinte du <strong>lycée</strong> : une série de films de la section «audiovisuel» était<br />
présentée en boucle dans la salle de cinéma tandis que des élèves<br />
présentaient des improvisations théâtrales, et un concert de musique<br />
classique clôturait l’ensemble.<br />
Cette année, la journée a eu lieu à la chapelle Saint-Denis, Place<br />
de la Rougemare, le 12 mai dernier. Les festivités ont débuté avec<br />
la présentation de deux courts métrages : «Les Jeux sont faits» de<br />
Clément Soyer, tourné l’année dernière par les étudiants du BTS dans<br />
le cadre de leur première année d’études ; puis «My Generation» de Zoé<br />
Bellepaume, film de fin d’études tourné l’année dernière par les élèves<br />
de terminale littéraire option cinéma pour leur baccalauréat. Enfin,<br />
une projection de photographies diverses réalisées par des élèves du<br />
<strong>lycée</strong>, allant de 2006 à 2009, a clôturé cette première partie.<br />
La seconde partie de la célébration consista en un concert de<br />
musique classique durant lequel des élèves se produisirent sur des<br />
morceaux tels que «le Concerto pour flûte en ré majeur, allegro», de<br />
Mozart, «Le Cygne» de Camille Saint-Saëns ou encore «Impromptu»<br />
de Schubert. Un court entracte permit de remettre aux lauréats des<br />
concours nouvelles et poésie du <strong>lycée</strong> leurs prix, un élève lauréat en<br />
profita, à la demande de M. Dumotier, professeur de lettres au <strong>lycée</strong>,<br />
pour lire une courte nouvelle de deux pages sur un homme prêt à<br />
mettre fin à ses jours.<br />
Enfin, d’autres élèves interprétèrent des morceaux classiques<br />
comme «La Fantaisie pour violon» de Telemann ou encore<br />
«La Sonatine» pour clarinette Si bémol et piano de Bohuslav Martinu.<br />
Un apéritif convivial et chaleureux finit de conclure cette<br />
agréable soirée placée sous le signe de la culture et de l’art cultivés au<br />
sein de notre <strong>vieux</strong> <strong>lycée</strong>. Nos élèves ont du talent, qu’on se le dise, ils<br />
en ont en tout cas fait la preuve ce jour-là.<br />
Nicolas OOGHE