26.06.2013 Views

Cahier n°1 - Chretiens-juifs.org

Cahier n°1 - Chretiens-juifs.org

Cahier n°1 - Chretiens-juifs.org

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Les <strong>Cahier</strong>s de YERUSHALAIM<br />

N°1<br />

MEDITATION<br />

sur les<br />

SACREMENTS<br />

Joël Putois<br />

avec la participation de Henri LEFEBVRE<br />

Les voûtes de la cathédrale de Nevers (photo JP)<br />

Edité par l’association CŒUR<br />

Comité Œcuménique d’Unité chrétienne pour la Repentance<br />

envers le peuple juif


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Sommaire<br />

Préface<br />

Prologue<br />

Première partie : Un sacrement qu’est-ce que c’est ?<br />

Chapitre 1 : Précisions sémantiques 8<br />

Chapitre 2 : Les éléments constitutifs du sacrement : liberté – responsabilité – grâce 10<br />

Chapitre 3 : L’âme du sacrement : validité – efficacité – fécondité : La position radicale de Saint-Augustin 13<br />

Chapitre 4 : Les sacrements dans la vie courante 17<br />

Deuxième partie : Racines sacramentelles<br />

Chapitre 5 :Immanence et transcendance dans le Christianisme 20<br />

Chapitre 6 :Immanence et transcendance en Orient : un cinquième partenaire ? 22<br />

Chapitre 7 :Nos conceptions traditionnelles à l’épreuve de la Bible. 26<br />

Chapitre 8 :Itinéraire complexe de cette « assomption » 29<br />

Chapitre 9 :Justification – salut : contenus respectifs 32<br />

Chapitre 10 :Justification – salut : relations mutuelles – distinction chez l’apôtre Paul. 35<br />

Chapitre 11 :Sacrements – observances 38<br />

Chapitre 12 :Les vannes de l’Eau Vive sacramentelle 40<br />

Chapitre 13 :L’irrigattion des sacrements par l’Eau Vive. 42<br />

Troisième partie : Tous les sacrements : un même logiciel.<br />

Chapitre 14 : Une diversité de sacrements dans la pratique. 43<br />

Chapitre 15 :La notion de sacrement dans l’intimité des consciences. 45<br />

Chapitre 16 :La parabole de la Croisée d’ogives appliquée à la Confirmation 47<br />

Chapitre 17 :La clé de voûte du Baptême. 50<br />

Chapitre 18 : La clé de voûte de l’Eucharistie 52<br />

Quatrième partie : Les quatre autres sacrements<br />

Chapitre 19 : La clé de voûte de l’Ordination sacerdotale. 59<br />

Chapitre 20 :La clé de voûte de la Réconciliation 63<br />

Chapitre21 :La clé de voûte de l’Onction des malades. 66<br />

Chapitre22 :La clé de voûte du Mariage 68<br />

En manière de conclusion<br />

Proposition de synthèse :<br />

« Croisées d’ogives » et « clés de voûte » des sacrements<br />

2<br />

70<br />

73


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Préface<br />

Yerushalaïm, jusqu’à présent revue trimestrielle, prend désormais la forme de « <strong>Cahier</strong> », dont la<br />

périodicité dépendra de l’ampleur du sujet traité, comme de sa complexité.<br />

Mais si ce mode d’expression change, l’esprit et la finalité demeurent : Apporter langage et éclairage<br />

à la repentance chrétienne devant Dieu pour les rejets et persécutions du Peuple d’Israël au<br />

long de l’histoire et contribuer au ré-enseignement du Peuple chrétien concernant les racines juives<br />

de sa foi.<br />

Pourquoi avons-nous consacré ce premier <strong>Cahier</strong> à une réflexion, combien rapide, sur le vaste<br />

thème des « Sacrements » dans l’Eglise Catholique ? La réponse est bien évidente. Ce thème<br />

constitue la suite logique des études qui ont fait l’objet principal de nos dernières Revues Yerushalaïm<br />

publiées : le « Sacerdoce » (Yerushalaïm N° 40 à 44) et « Qui est Jésus » (Yérushalaïm<br />

N° 45 à 47 et 49), Le thème des Sacrements nous est apparu comme le complément nécessaire.<br />

D’autant que pour la première fois depuis bien longtemps, nos réflexions sur ces thèmes délicats et<br />

majeurs du « Sacerdoce » et de « Qui est Jésus » ont suscité un certain « courrier des lecteurs<br />

».<br />

La plupart des dites réactions venues du public ont constitué pour nous des encouragements à<br />

poursuivre dans cette démarche. Celle-ci consiste, d’une manière générale, à soulever des problèmes-clés<br />

du point de vue de la pastorale de la foi et qui peuvent apparaître abrasifs à l’égard d’une<br />

certaine catéchèse usuelle, ou même qui sont depuis des générations, pour ne pas dire depuis des<br />

siècles, matière à divorces entre les Eglises Chrétiennes, comme entre ces Eglises Chrétiennes et le<br />

Judaïsme par exemple.<br />

Certes, des courriers nous sont également parvenus, traduisant quelques interrogations à la limite<br />

du malaise devant ce qui est apparu comme des divergences entre les opinions exprimées par<br />

l’auteur et la formulation des enseignements qui ont l’aval des hiérarchies et des traditions.<br />

En tout état de cause, ce genre de retour d’information est essentiellement précieux pour tout rédacteur.<br />

Car rien n’est plus déprimant que de diffuser des pensées, qui sont d’abord des hypothèses,<br />

fruits de recherches personnelles, et de ne jamais connaître l’impact qu’elles ont dans la conscience<br />

des lecteurs pour susciter un intérêt et recueillir leurs remarques, ou objections.<br />

Dans la plupart des spiritualités existantes sur notre planète, nous avons bien expérimenté depuis<br />

quelque soixante ans la désaffection des croyants, et le déclin des ouvertures tant inter-religieuses<br />

qu’œcuméniques, qui avaient marqué l’après guerre puis l’immédiat-après Concile Vatican II.<br />

Il est tentant, mais ce serait bien chimérique, devant le matérialisme, la paganisation et les intégrismes<br />

identitaires fanatiques et violents, qui marquent l’époque contemporaine, d’appeler à la<br />

réunion d’un Concile Inter-Religieux. Il peut apparaître souhaitable que toutes les spiritualités<br />

méritant ce nom donnent publiquement à la face de ce monde le témoignage convergent, sinon<br />

commun, de leur solidarité fondamentale pour la destinée de l’humanité tout entière.<br />

Mais oui, ce serait bien chimérique, car toute reconnaissance de solidarité, entre des individus ou<br />

des groupes, doit être précédée et préparée par une conversion-disponibilité d’esprit individuelle,<br />

dans l’humilité. Et cette humilité ne peut mûrir en chaque partenaire qu’après conviction<br />

qu’une part de révélation divine est vivante en chacun. Si l’on médite sur l’histoire des millénaires<br />

écoulés, la renonciation au monopole de la vérité est, en tout domaine, pour chaque institution un<br />

test bien difficile à passer, déjà pour le formuler des lèvres, davantage encore pour l’intégrer dans<br />

son cœur, puis dans son comportement quotidien.<br />

3


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Ceci dit au point où nous en sommes, à partir du moment où le « ministère » dans l’Eglise (notamment<br />

l’Eglise Catholique romaine) est essentiellement « ordonné » en vue de la vie sacramentelle<br />

du Corps du Christ, il semble donc bien logique, qu’après avoir médité sur le Sacerdoce Ministériel<br />

exercé dans le monde au Nom de Jésus Christ, puis sur les fondements et développements<br />

de la Christologie elle-même, il fallait en venir à une méditation sur les Sacrements.<br />

Car, en toute cohérence, on ne peut donc s’empêcher de poser la question : « Quelle nature de Sacerdoce<br />

Ministériel pour quel genre de Sacrement, … et réciproquement ? ».<br />

* * *<br />

4


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

PROLOGUE<br />

Repentance est le maître-mot de l’association CŒUR (Comité Œcuménique d’Unité chrétienne<br />

pour la Repentance envers le peuple juif).<br />

La Repentance n’est pas, à nos yeux, l’expression d’une émotion ponctuelle, même profonde. Ce<br />

n’est pas un événement, c’est une conscience nouvelle dans notre vie spirituelle, qui nous conduit<br />

nécessairement à un aggiornamento.<br />

Si l’on entre dans le chemin de la Repentance, il nous faut consentir à un ré-examen lucide, approfondi,<br />

radical même, des causes fondamentales du divorce entre Judaïsme et Christianisme. Il ne<br />

s’agit pas pour le Chrétien de se reconnaître une culpabilisation personnelle de principe. Mais de<br />

discerner le passif inclus dans l’héritage qu’il a reçu dans l’Eglise. Faire la paix implique que les<br />

armes jusque là utilisées contre l’adversaire ne restent pas tournées contre lui. C’est ainsi que si<br />

l’on reconnaît les fautes chrétiennes envers le peuple juif, il nous faut extirper de nos consciences,<br />

de nos traditions, de nos vies, les racines de ces fautes.<br />

C’est ainsi que, pour notre association, les démarches initiales de repentance ayant été vécues, il<br />

fallait ensuite examiner attentivement d’où provenait la situation du Christianisme vis-à-vis du<br />

Judaïsme, il fallait pointer clairement les origines des dissensions, situer où se trouvait la dérive<br />

par rapport à l’ordre de mission que nous disions avoir reçu en tant qu’Eglise. Cet ordre de mission<br />

peut être résumé en trois points :<br />

• la diffusion du message divin jusqu’aux extrémités de la terre auprès de l’ensemble de<br />

l’humanité,<br />

• un service dans l’humilité et à dimension planétaire en témoignage concret de ce message.<br />

• la reconnaissance du Plan divin de salut établi « de toute éternité ».<br />

La diffusion du message a été globalement accomplie jusqu’à présent, la multiplicité sur la terre<br />

des communautés reconnaissant le Dieu vivant en est le témoin. Nombreux sont les chrétiens qui y<br />

ont contribué largement et restent engagés sur ce terrain.<br />

L’exigence de service dans l’humilité ne peut pas, par contre, être considérée comme observée. Il<br />

suffit, pour s’en convaincre, de citer les combats fratricides entre « chrétiens », la situation aberrante<br />

d’un « monde chrétien » divisé sur lui-même mais dominant sans état d’âme la planète, en<br />

participant à son pillage et à l’asservissement d’une partie de l’humanité. Même si nous ne reconnaissons<br />

pas ce jugement pour ce qui nous concerne personnellement, nous sommes obligés de<br />

reconnaître qu’une proportion notable de l’humanité voit le « monde chrétien » sous ce jour, à<br />

notre grande honte ! Si donc, à la suite de son Seigneur et Maître, le « monde chrétien » était un<br />

exemple de service désintéressé et d’humilité, cela se verrait et se saurait !<br />

Nous ne nous étendrons pas ici sur cette question qui sort du cadre de la tâche que nous nous reconnaissons.<br />

Nous sommes ici plus concernés par le troisième volet de l’ordre de mission. « Reconnaître le Plan<br />

de Salut établi par l’Eternel » implique une fidélité à tous les signes qui ont été donnés par Lui<br />

dans l’Histoire. Parmi ces signes, il faut apprécier et accepter pleinement, notamment :<br />

• le don des Ecritures, permettant à l’homme de discerner sa voie au milieu de la cacophonie<br />

des désirs et des sentiments émanant du moi et du monde.<br />

• la stratégie divine mettant en œuvre le choix parmi tous les peuples d’un peuple « choisi »,<br />

peuple « élu » dans le langage de nos Bibles, peuple mis à part en vue d’une action qui ne dépendra<br />

pas de lui, mais de l’Eternel. Cette mise à part ne s’est d’ailleurs pas avéré de tout repos dans la<br />

suite des siècles .<br />

5


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

• l’établissement avec ce peuple d’une Alliance explicitement destinée à s’étendre à toute<br />

l’humanité. Cette alliance est de la part du Seigneur l’assurance d’une fidélité éternelle, et implique<br />

pour les hommes l’appel à un service et à un témoignage destinés à faire connaître à leurs<br />

« frères en humanité » l’Amour que le créateur éprouve pour eux.<br />

Une mission exigeante<br />

L’Eglise se trouve donc être au bénéfice de cette Alliance et a même affirmé par la doctrine de la<br />

substitution en être la seule héritière. L’Histoire nous montre que, malheureusement, loin de rester<br />

fidèles à l’appel reçu en fonction de cette Alliance, nos pères se sont conduits comme ces serviteurs<br />

infidèles de la parabole que l’évangéliste Luc nous rapporte<br />

Mais supposez que ce serviteur se dise : « Mon maître n’est pas près de rentrer », et qu’il se<br />

mette alors à maltraiter les autres serviteurs et servantes, à manger, à boire et à s’enivre.<br />

( Luc 12:45 )<br />

Ne sommes-nous pas tous, peu ou prou, ce genre de « serviteur » qui se prend pour un « petit maître<br />

», prenant outrageusement autorité sur « les autres serviteurs », se servant « à manger et à<br />

boire » comme s’il était le Maître, allant même jusqu’à en abuser en « s’enivrant » à la pensée de sa<br />

supériorité ?<br />

On retrouve là l’origine des fautes dont nous avons à faire repentance. Fadiey Lovsky a bien montré<br />

que la mère de toutes les divisions était celle qui survint entre l’Eglise naissante et la Synagogue.<br />

Cette première division laissait l’Eglise, coupée de la structure sociale du judaïsme, et donc dans la<br />

nécessité de structurer d’une autre manière la vie communautaire et la prière des « chrétiens ».<br />

Deux signes évidents furent vite distingués dans les récits du Nouveau Testament , le baptême<br />

marquant l’entrée dans la communauté, et le repas du Seigneur concrétisant le lien de la communauté.<br />

Mais d’autres signes furent rapidement mis en exergue qui furent ajoutés à ces deux premiers,<br />

structurant ainsi la vie des fidèles tout au long de leur existence, naissance, ouverture à la foi, vie<br />

quotidienne, résolution des écarts, mariage, maladie, décès. Ces « gestes forts », qui marquaient<br />

les différentes étapes de la vie humaine, allaient être appelés « sacrements ».<br />

Y fut ajouté, le « sacrement » destiné à assurer la cohésion de l’ensemble en promouvant les responsables,<br />

chargés de gérer cette communauté.<br />

C’est ainsi que l’on peut appréhender comment l’Eglise développa la notion de sacrements sur lesquels<br />

nous voulons ici méditer<br />

Richesses et dangers de la sacramentalisation.<br />

Les « sacrements » venaient ainsi structurer la vie chrétienne, lui donnant un cadre quasi juridique<br />

assurant au croyant qu’il restait bien dans la volonté de Dieu. La mise en valeur de ces « gestes<br />

forts » s’est très normalement inspirée des Ecritures, en y trouvant une authentification que l’on<br />

voulait indiscutable. Il était donc normal également de penser que l’approbation divine était promise<br />

à de telles marques de conformité au plan de Dieu<br />

Le risque de cette structuration était évidemment que le peuple de Dieu ne considère ces sacrements<br />

que comme un ensemble de rites à accomplir qui le mettrait « automatiquement » en règle<br />

avec son Dieu. On quitte alors subrepticement le domaine de la foi, pour entrer dans le domaine<br />

des œuvres de la Loi, non pas en raison d’un enseignement défectueux, car celui-ci pouvait constamment<br />

rappeler que c’est par la foi seule qu’on parvient au salut, mais en raison de la paresse<br />

naturelle de l’homme qui, l’effet de routine aidant, tend à perdre de vue les réalités profondes,<br />

pour n’en retenir que l’aspect extérieur.<br />

Cette paresse avait pourtant été pointée du doigt par l’Eternel, qui réclamait continuellement de ne<br />

pas se livrer à l’idolâtrie ; c’est ainsi, par exemple, que lors de l’épisode surprenant rappelé en 2<br />

6


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Rois 18 , le peuple s’étant mis à offrir de l’encens au serpent de bronze de Moïse, qui était donc une<br />

relique précieuse, le roi Ezéchias préféra le faire mettre en pièces : la pratique religieuse devient<br />

une faute grave si le culte n’est plus l’expression de la foi.<br />

De la même façon, le rite sacramentel n’est-il pas susceptible de conduire, par l’usage, à une forme<br />

d’idolâtrie, ou au moins à l’une de ces habitudes banalement humaines ? Si le rite n’est plus qu’une<br />

habitude vidée de la foi, il est comme un faux-billet sans valeur. qui peut encore nous donner<br />

l’illusion de la conformité au Plan de Dieu, mais sans valeur à Ses yeux.<br />

L’apôtre Paul traite d’un tel sujet dans sa lettre aux Colossiens (chapitre 2 et 3) : il fustige les préceptes<br />

qui peuvent avoir une apparence de sagesse, un culte volontaire, mais sont sans aucun mérite<br />

et ne contribuent qu’à la satisfaction du moi. Et il ajoute :<br />

« Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis<br />

à la droite de Dieu. Attachez–vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la<br />

terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu. Quand Christ, votre<br />

vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire. Faites donc mourir ce qui,<br />

dans vos membres, est terrestre,<br />

Une réflexion centrée sur l’essentiel<br />

Ce propos sera peut-être considéré par certains comme une critique acerbe et injustifiée : comment<br />

osons-nous assimiler une pratique considérée comme une des volontés de Dieu pour son<br />

peuple, à certaines pratiques répréhensibles, et en tous cas, très humaines. Nous voulons pourtant<br />

aborder ces problèmes sans jugement, mais sans concession.<br />

On s’étonnera peut-être d’autre part que nous focalisions notre réflexion dans ce premier<br />

« <strong>Cahier</strong> » sur une réalité qui est essentiellement vécue dans l’Eglise Catholique, de sorte que les<br />

chrétiens des autres confessions pourraient ne pas être directement concernés par ce propos.<br />

Plusieurs motifs peuvent être donnés à notre choix. Nous en signaleront seulement deux :<br />

1/ Le langage courant a adopté le terme de « sacrement » , souvent, il faut bien le dire, sans que ce<br />

terme soit compris dans son essence. Cela vient du fait indubitable que le catholicisme, longtemps<br />

dominant durant les siècles passés, est encore majoritaire dans nos pays. Les sept sacrements tels<br />

qu’ils étaient pratiqués font partie en quelque sorte d’une mémoire collective qui est toujours présente,<br />

et donc que noue ne saurions oublier.<br />

2/ La conception actuelle des sacrements correspond à une réalité très ancienne, datant des premiers<br />

siècles de l’ère chrétienne, et correspondant à une situation où l’Eglise n’était pas encore<br />

aussi profondément divisée qu’elle ne l’est maintenant. L’Orthodoxie, puis la Réforme, puis les<br />

nombreuses autres mouvances issues de la Réforme, n’ont pourtant guère apporté de nouveaux<br />

éléments fondamentaux sur le sujet, mais ils sont partis de la conception et des formulations en<br />

place pour y apportert, soit une touche particulière tout en les adoptant dans leur ensemble – c’est<br />

le cas de l’orthodoxie – soit une critique plus radicale qui en conteste le contenu et le catalogue –<br />

c’est le cas de la Réforme– Mais toujours en partant des notions pré-existantes, ce qui fait<br />

qu’effectivement ce sujet touche toutes les composantes du Christianisme.<br />

C’est pourquoi nous avons été amenés à présenter cette contribution dans le cadre de l’association<br />

CŒUR, dont le « OE » veut bien dire œcuménique.<br />

Nous offrons donc ici à tous les chrétiens une réflexion bibliquement fondée sur un sujet qui nous<br />

concerne tous, tant les principes développés se révèlent d’une importance capitale pour toute vie<br />

chrétienne.<br />

* * *<br />

7


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

1 ère Partie<br />

Un Sacrement,<br />

qu’est-ce que c’est ?<br />

------------------------------------------<br />

Chapitre 1<br />

Précisions Sémantiques<br />

Le mot même de « sacrement » nous vient du latin « sacramentum ». L’équivalent en grec<br />

biblique est « musterion », dont par la suite nous avons fait « mystère ».<br />

Traduisant le Nouveau Testament du grec en latin, la Vulgate de Saint Jérôme a traduit en règle<br />

générale ce mot grec « musterion » par le latin « mysterium », sauf en huit versets où elle a<br />

employé précisément le mot « sacramentum ». Ce sont les versets suivants :<br />

- Ephésiens 1.9 : « Il (Dieu) nous a fait connaître le mystère (sacramentum) de sa volonté »<br />

- Ephésiens 3.3 : « Par révélation j’ai eu connaissance du mystère » (sacramentum)<br />

- Ephésiens 3.9 : « J’ai reçu cette grâce ( ) de mettre en lumière comment Dieu réalise le<br />

mystère ( sacramentum) tenu caché depuis toujours »<br />

- Ephésiens 5. 31-32 : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à<br />

sa femme et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère (sacramentum) est grand :<br />

Je déclare qu’il concerne le Christ et l’Eglise »<br />

- Colossiens 1.26-27 : « la charge que Dieu m’a confiée à votre égard : achever l’annonce de<br />

la Parole de Dieu, le mystère (sacramentum) tenu caché au long des âges … »<br />

- 1 Timothée 3.16 : « Assurément, il est grand le mystère (sacramentum) de la piété »<br />

- Apocalypse 1.20 : « Quant au mystère (sacramentum) des sept étoiles que tu as vues<br />

dans ma droite … »<br />

- Apocalypse 17.7 : « Je te dirai le mystère (sacramentum) de la femme et de la bête aux sept<br />

têtes … »<br />

On est obligé de remarquer que dans un seul de ces versets le mot « sacramentum » est pris dans<br />

le sens qu’il a aujourd’hui pour les Sept Sacrements de l’Eglise Catholique (baptême, eucharistie,<br />

ordre, mariage, réconciliation, onction des malades, confirmation). C’est le verset d’Ephésiens<br />

5.31-32 qui a servi de base au Concile de Trente pour le sacrement de mariage. Dans les six<br />

autres versets le mot « sacramentum » est retenu dans le sens d’un enseignement ou d’une<br />

connaissance par l’apôtre ou par l’homme du « mystère » de Dieu.<br />

Ceci rejoint le rappel historique fait par le Père P. Dentin dans son livre : « Peuple de Prêtres ? » p.<br />

34 cité dans notre essai sur le Sacerdoce (Yerushalaïm N° 43 p. 13), à savoir que dans la primitive<br />

Eglise … :<br />

‘’ … la distinction entre prêtres et laïcs est alors totalement impensable. Et la fonction sacerdotale<br />

essentielle de ces premiers chrétiens n’est pas le rite eucharistique, c’est le ministère de la parole’’.<br />

8


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

C’est par la suite, en quelques générations, qu’apparaîtra et s’accentuera la distinction entre prêtres<br />

et laïcs. Il semble qu’il y ait une raison historique à cette évolution des premières générations<br />

dans l’Eglise primitive. Au départ, donc, dans l’Eglise il n’y a pas de prêtres (« cohen » en hébreu et<br />

«iéreus » en grec). Cependant, parmi les <strong>juifs</strong> ayant adhéré à Jésus Messie se sont trouvés nombre<br />

de prêtres précédemment en fonction dans le Temple de Jérusalem. Ils sont entrés dans l’Eglise<br />

comme simples fidèles. Mais peu à peu leur niveau de formation, leur culture biblique, leur aptitude<br />

à animer la prière des croyants, leur expérience du culte sont apparues précieuses pour la vie<br />

de l’Eglise. Ils ont, si l’on peut dire, repris du service et acclimaté progressivement une conception<br />

du sacerdoce chrétien sur un mode ministériel à l’image du sacerdoce lévitique du Temple de Jérusalem<br />

dont ils étaient issus. La reconstitution au sein de l’Eglise d’une caste sacerdotale, non spécifiée<br />

par le Christ, trouve sans doute là l’une de ses explications.<br />

La distinction progressive entre prêtres et laïcs fera que la fonction jugée essentielle des<br />

« ministres » ne sera plus l’enseignement du « kérygme » (témoignage des apôtres et disciples<br />

concernant leur Seigneur Jésus Christ ressuscité), mais la célébration des rites. De ce fait, le<br />

concept de « sacramentum » a été dissocié de cet enseignement du kérygme et affecté à la désignation<br />

des célébrations de rites, qualifiés donc de « sacramentels » par une dérive du vocabulaire.<br />

Ces célébrations de rites sacramentels ont été considérées à partir du début du IIIe siècle<br />

comme occupant désormais la place dominante dans la fonction-vocation sacerdotale ministérielle.<br />

Ceci a traduit une mutation radicale dans l’ecclésiologie.<br />

Or, cette conception originelle du mot « sacramentum » comme enseignement du « kérygme »,<br />

c'est-à-dire témoignage et adhésion de foi au Christ, s’expliquait bien par la signification de ce<br />

terme « sacramentum » dans le langage courant de l’époque. Il s’agissait du serment de fidélité<br />

à l’empereur que devait prononcer tout légionnaire lors de son incorporation dans l’armée romaine.<br />

On comprend donc que la proclamation d’un témoignage en vue de la fidélité au Christ<br />

mort et ressuscité soit authentiquement considérée comme un « sacramentum ».<br />

Mais il y a plus. La dérive parallèle constatée à la fois dans le vocabulaire pour le concept de<br />

« sacramentum » et dans la nature-finalité du « sacerdoce ministériel » est particulièrement<br />

paradoxale. Car, c’est précisément pour le mariage, et lui seul, que le Concile de Trente a utilisé le<br />

terme de « sacramentum », alors que c’est également et seulement pour le mariage que la théologie<br />

traditionnelle reconnaît que les véritables « ministres » sont les deux époux, le prêtre n’étant<br />

appelé qu’à transmettre aux intéressés la prière de bénédiction de la Communauté-Corps du<br />

Christ !<br />

Pourquoi n’en a-t-il pas été de même pour les 6 autres « sacrements ? Mystère … (musterion) !<br />

* * *<br />

9


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 2<br />

Les éléments constitutifs du Sacrement :<br />

liberté-responsabilité-grâce.<br />

Proposons une définition au moins approximative de ce qu’est un « Sacrement » : Un Sacrement<br />

peut être vu comme un don que Dieu fait à l’homme de son Esprit Saint pour le secourir dans<br />

l’exercice quotidien de sa liberté. Mais voilà une définition qui ouvre sur beaucoup de problèmes,<br />

que l’apôtre Paul a analysés subtilement, en disant notamment :<br />

« Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais ». (Rom. 7.19)<br />

Nous allons bien sûr revenir sur ce point complexe.<br />

Sans la grâce, dit en substance l’apôtre, ma volonté est insuffisante pour faire le bien et éviter le<br />

mal. C’est un plaidoyer que fait Paul pour nier la toute-puissance de la Loi, à laquelle s’en tiennent<br />

ses frères Juifs. Mais, il ne critique pas la Loi elle-même. Il affirme même qu’il « prend plaisir » à<br />

cette Loi de Dieu, à laquelle adhère son intelligence « d’homme intérieur » (Rom. 7. 22). Mais la<br />

« chair » en laquelle est enfermé cet homme intérieur, le rend incapable de répondre à cette Loi<br />

dans le vécu concret de sa Foi. En fait, dit-il, cette chair-personne humaine, que je suis (sôma en<br />

grec), est prisonnière de la « loi du péché ». Paul ajoute bien : « Me voilà donc assujetti à la fois<br />

par l’intelligence à la Loi de Dieu et par la nature charnelle de ma personne, à la loi du péché ».<br />

La grâce est donc nécessaire comme secours (ezer en hébreu) pour sortir de ce dilemme. Paul<br />

tranche donc dans ce débat, comme un juif, qu’il est : Il se situe par rapport à la Loi.<br />

C’est par la suite, au 4 e . siècle, qu’une grande querelle s’est élevée dans l’Eglise, soulevée par la<br />

position de Pélage, évêque de Laodicée (35O-425), qui opposa grâce et liberté. Le Dictionnaire<br />

Encyclopédique du Christianisme Ancien Tome 2 (Cerf) p. 1978, déclare que, pour Pélage « la<br />

grâce de Dieu est seulement une aide extérieure à la liberté, une aide pour comprendre la création<br />

et la révélation, une aide pour la rémission des péchés, et non pas une aide pour permettre à<br />

la liberté elle-même d’exister en tant que telle » … et d’agir selon un comportement compatible<br />

avec une vocation à la vie éternelle.<br />

Saint Augustin s’est dressé contre cette conception. Selon le même Dictionnaire, pour Augustin,<br />

c’est « par la grâce que la liberté peut exister. Si la liberté demeure livrée à elle-même, si elle n’a<br />

pas son point d’appui en Dieu, alors cette liberté va à la dérive. L’aide reçue ne signifie pas que la<br />

liberté disparaisse, elle est seulement mise en mesure de pouvoir s’exprimer comme liberté et non<br />

comme conditionnement ». La liberté connaît d’ailleurs des degrés de croissance, de maturation et<br />

de maturité.<br />

La querelle entre les deux thèses s’est ensuite envenimée et leurs radicalisations respectives ont<br />

conduit de part et d’autre à des dérives. La lutte théologique fut ardue. Plusieurs synodes entre 411<br />

et 417 condamnèrent, puis acquittèrent, puis condamnèrent à nouveau Pélage et l’un de ses partisans,<br />

Célestius. Les papes Innocent 1 er puis Zosime oscillèrent entre acquittement et condamnation.<br />

Cette dernière prévalut finalement à partir de 425, d’autant que des partisans de Pélage ont<br />

été trop loin comme champions de la liberté. Ils nièrent que les hommes naissent dans le péché. Il<br />

n’est donc plus besoin, ont-ils dit, de la rédemption en Christ dès la naissance, et donc il est vain<br />

de baptiser les enfants pour la rémission des péchés.<br />

Ceci souligne, en fait, l’importance, justifiée d’ailleurs à nos yeux, que l’Eglise attache à cette question.<br />

Mais on ne peut que regretter que ces débats ont été obscurcis du fait de la confusion, déjà<br />

générale à l’époque et toujours dominante aujourd’hui chez la plupart des théologiens, entre Justification<br />

et Salut, deux réalités spirituelles cependant nettement distinguées par Paul dans ses<br />

Epîtres et qui a fait l’objet de commentaires de notre part dans Yerushalaïm N° 27. Nous revenons<br />

plus loin sur ce problème capital.<br />

10


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

La synthèse entre toutes ces conceptions est délicate, mais nécessaire, pour réduire les outrances<br />

polémiques. Posons quelques principes :<br />

- Il est aussi erroné d’opposer grâce et liberté, que d’enfermer la liberté dans la grâce. Si,<br />

dans l’univers issu de la transgression originelle, il n’y a pas de liberté possible et efficiente sans la<br />

grâce, il n’y a pas non plus de responsabilité et à vouloir radicaliser en ce sens, on tombe dans la<br />

« prédestination ». C’est là ce qui résulterait d’une interprétation trop mécaniste du témoignage<br />

cité plus haut de Paul dans Romains 7. 19. Hélas, Augustin a incliné dans ce sens, et certains de ses<br />

disciples encore davantage. Et on a abouti bien plus tard à l’angoisse de certains Réformés, dont<br />

Calvin, devant le mystère de la grâce et l’enfermement possible dans la « prédestination » :<br />

« Si je n’ai pas la grâce, ma liberté est vaine et je suis promis à la damnation … Alors, ai-je la<br />

grâce … ? Toute l’angoisse est là. Que répondre, lorsqu’on a posé le problème selon ce genre de<br />

dialectique ?».<br />

- Il faut donc reconnaître une liberté de l’homme condition de sa responsabilité, tout en admettant<br />

que l’hypothèque concédée à l’Esprit du Mal par le couple originel, fragilise et rend aléatoire<br />

l’exercice de cette liberté. Dans la prière, l’oraison, l’abandon à Dieu, l’homme peut et doit<br />

sans cesse s’ouvrir à la grâce de Dieu. La clé de réception de la grâce est l’ouverture du cœur de<br />

l’homme et non l’arbitraire de Dieu. Cette grâce, si indispensable soit-elle, n’efface donc pas la liberté<br />

et, par conséquent, la responsabilité. Car, l’Esprit Saint, canal de la grâce, n’agit pas à la<br />

place de la conscience de l’homme. Et c’est la nature fondamentale du « Sacrement » qui est ainsi<br />

en question.<br />

Ce problème de la grâce est celui de toute la relation entre l’homme et son Créateur, c'est-à-dire<br />

entre l’Immanence et la Transcendance. Chaque homme naît pourvu, par grâce, d’un certain nombre<br />

de « dons » qui forment sa personne. Il les a reçus gratuitement et ne les a pas choisis, comme<br />

les cartes reçues par un joueur de bridge. La liberté ne consiste pas dans la vie à choisir ses dons<br />

(et au bridge ses cartes), mais à user au mieux des « dons » (et cartes) reçus. Et dans l’exercice de<br />

cette liberté l’homme sera jugé, selon une « responsabilité » que seul Dieu est à même<br />

d’apprécier. Lui seul sonde les reins et les cœurs. D’où le commandement de Jésus : « Ne vous<br />

posez pas en juges, afin de n’être pas jugés » (Matthieu 7.2)<br />

Ceci veut dire que ces « dons » qui forment la structure de l’ « identité » personnelle, sont donnés<br />

par Dieu en vue de répondre à une « vocation » spécifique à chaque homme, lequel sera<br />

jugé selon la manière dont il aura assumé ses dons et accompli sa vocation. Cette dialectique apparaît<br />

dès le début de la Genèse : Adam, créé à l’image et selon la ressemblance de Dieu et pourvu de<br />

l’haleine de vie divine, est placé dans le Jardin de l’Eden. Voilà les dons identitaires. qui lui sont<br />

accordés. Il reçoit alors la mission de «garder et de cultiver » ce Jardin », c’est sa vocation.<br />

(Genèse 2.15).<br />

C’est pour Dieu, dans toute l’histoire biblique, un principe formel, de respecter la liberté de<br />

l’homme et de lui prodiguer ses enseignements davantage comme des avertissements de nature<br />

pédagogique plutôt que comme des commandements stricto sensu. Telles sont par exemple les Dix<br />

Paroles du Sinaï. Dans le texte hébreu les verbes y sont non pas à l’impératif, mais à l’inaccompli<br />

(présent permanent) La dignité de l’homme, devant Dieu et devant les autres hommes, est la racine<br />

de sa « responsabilité ». Jamais Dieu n’a traité l’homme comme un « robot de la grâce » ou<br />

comme un pantin suspendu aux ficelles de la grâce divine. C’est d’ailleurs pourquoi les fruits de la<br />

connaissance du bien et ceux du mal sont accrochés côte à côte sur le même arbre dans le Jardin<br />

de l’Eden. L’homme a, en permanence, à faire son choix. Et il est prévenu à l’avance des conséquences<br />

de ce choix, car c’est de ce choix que dépend l’accomplissement progressif ou au contraire<br />

la paralysie temporaire du Plan de Salut de Dieu.<br />

Il est symptomatique que Dieu Le Père a tenu à « tester » la fidélité-liberté-responsabilité de tous<br />

les serviteurs qu’il s’est choisis pour incarner au long des siècles les étapes multiples de ce Plan de<br />

Salut. Ainsi ont été Abraham, Moïse et nombre d’autres.<br />

Il en a été de même pour Jésus sortant de l’eau de son baptême dans le Jourdain. Dieu le proclame<br />

son Fils Bien-aimé auquel il remet tout pouvoir (ce sont ses « dons-identitaires ») pour<br />

« accomplir » la Création Nouvelle (c’est sa « vocation ») et il lui envoie le signe de son Esprit<br />

Saint sous la forme d’une colombe (c’est le signe de sa grâce) (Matthieu 3.16-17). Car, Jésus appe-<br />

11


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

lé Fils de Dieu (au sens usuel à l’époque) n’est nullement un clone ou un robot du Père ! Il a été<br />

créé homme, totalement humain, c'est-à-dire libre de son choix devant le bien comme le mal. Il La<br />

preuve en est donnée selon Matthieu dans le verset immédiatement suivant (4.1) :<br />

« Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert pour être tenté (testé) par le diable ».<br />

A la différence d’Adam et Eve, Jésus, Dernier Adam, est sorti vainqueur du test. Si on ne relativisait<br />

pas le radicalisme d’Augustin (et de Paul) dans l’interprétation de ce qu’est la « grâce », et<br />

donc la « Présence divine » en Christ, le principe même de cette « tentation » de Jésus au désert<br />

(étant donné qui est Jésus) serait un non-sens, voire une supercherie absurde et blasphématoire<br />

! La grâce de Dieu est, certes, toute puissante, mais n’est en rien le conditionnement ou la<br />

programmation d’un automatisme, qui déchargerait l’homme, fût-il Jésus, de la responsabilité de<br />

ses choix. Tout est affaire de « disponibilité » de l’homme devant les dons-identité venant de<br />

Dieu et devant la vocation qui en est la contrepartie.<br />

La notion de « sacrement » est au cœur du débat ci-dessus entre grâce, liberté et responsabilité.<br />

Car le sacrement, selon l’enseignement traditionnel, est signe, canal et véhicule de la grâce. Définition<br />

rigoureuse, mais dangereuse par ses diverses interprétations possibles !<br />

REMARQUE<br />

Question : Lorsque vous parlez du baptême du Christ dans le Jourdain vous précisez qu’alors Dieu<br />

lui remet les « pleins pouvoirs ». D’où tirez-vous cette interprétation originale ?<br />

Réponse : Le passage de Matthieu 3 : 16-17 rapportant la parole venant des cieux, lorsque Jésus<br />

sort de l’eau de son baptême dans le Jourdain, est toujours traduit de façon ambiguë et fade : « Celuici<br />

est mon Fils bien aimé, qu’il m’a plu de choisir »(TOB) ou : « …mon Fils bien-aimé, qui a toutes<br />

mes faveurs » (B. de Jérusalem). Ces expressions : « qu’il m’a plu de choisir » et « qui a toutes mes<br />

faveurs » traduisent du texte grec, qui est pour nous l’original, le mot « eudokesa ». C’est le terme du<br />

vocabulaire politique de l’époque par lequel le Sénat d’Athènes nommait un homme à une haute magistrature<br />

ou un commandement en chef et lui conférait les pleins pouvoirs pour l’exercer. C’est<br />

précisément le sens qui convient pour Jésus lors de cet événement initial de sa mission terrestre et<br />

qui est cohérent avec la manifestation du Saint Esprit sous la forme d’une colombe.<br />

Revenons sur cette manifestation de l’Esprit Saint sur Jésus lors de son baptême-intronisation dans<br />

sa mission messianique. Elle surprend, voire interloque, nombre de croyants. Car enfin, comme déjà<br />

indiqué plus haut, si Jésus est « Fils de Dieu » au sens radical le plus souvent admis, quel besoin a-til<br />

d’un secours permanent de l’Esprit Saint, puisqu’il est « Dieu » comme cet Esprit Saint ? Et pour<br />

comble d’in-cohérence ou in-vraisemblance, pourquoi dans son évangile, immédiatement suivant ce<br />

récit du baptême Matthieu mentionne-t-il que l’Esprit conduit Jésus au désert pour le soumettre à un<br />

test de fidélité par les soins du diable ?<br />

C’est pourquoi, comme rappelé plus haut, si Jésus est « Dieu » au sens indiqué ci-dessus, à quoi<br />

rime cette initiative de l’Esprit. Les trois tentations proférées par le diable au désert apparaissent non<br />

seulement blasphématoires, mais absurdes.<br />

* * *<br />

12


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapître 3<br />

L’Âme du Sacrement :<br />

Validité – Efficacité - Fécondité<br />

La position radicale de St Augustin<br />

Il nous faut donc revenir sur le radicalisme de Saint Augustin et le juxtaposer, cette fois avec<br />

celui de Donat, évêque de Carthage au IVe siècle.<br />

Les Donatistes, partisans de Donat, voulaient faire dépendre la réalité d’un sacrement de la dignité<br />

personnelle du ministre qui le confère. En la circonstance, les ministres concernés par cette opinion<br />

avaient abjuré leur foi devant le risque du martyr, durant la grande persécution romaine de<br />

303-306, Certes, la persécution terminée, ils étaient revenus dans l’Eglise. Donat et ses partisans<br />

les déclaraient définitivement exclus du ministère. Un siècle auparavant déjà, Cyprien évêque de<br />

Carthage avait émis une semblable opinion restrictive, déclarant nul un sacrement conféré par un<br />

évêque hérétique ou schismatique.<br />

Saint Augustin au quatrième siècle s’est opposé à cette thèse, disant que « c’est toujours le Christ<br />

qui baptise, même si c’est à travers un mauvais ministre ».<br />

Voila, à notre avis, qui demande à être relativisé. Car il semble bien qu’au long des siècles, cette<br />

formule a fait l’objet d’une tradition théologique appliquée à des cas d’indignité du ministre bien<br />

plus graves qu’un moment de faiblesse humaine devant la peur du martyr : Au long des siècles le<br />

principe général a été admis qu’un sacrement administré par un ministre indigne est valable si le<br />

ministre a été valablement « ordonné » pour le ministère et s’il a célébré conformément aux règles<br />

canoniques. Une logique de ce genre apparaît dangereuse.<br />

L’exemple qui vient le plus souvent à l’esprit dans ce débat est celui de l’eucharistie. On dit alors :<br />

une Eucharistie célébrée par un ministre indigne est authentique pour les fidèles qui ont réellement<br />

communié au Corps du Christ. Certes, s’ils ont participé à cette eucharistie de bonne foi,<br />

l’onction sacramentelle leur est acquise.<br />

Mais le problème de fond alors soulevé n’est pas tant du côté des fidèles, qui ont ainsi célébré dans<br />

ce mémorial le Christ mort et ressuscité. Le problème bien plus fondamental, en la circonstance<br />

est du côté du sacrement de l’ordination des ministres. Quel pouvoir « automatique » pensent-ils<br />

avoir reçu et pense-t-on leur avoir conféré ? La formule de Saint Augustin a ouvert une théologieecclésiologie<br />

qui focalise toute la lumière sur la validité canonique du sacrement (c’est son<br />

« anatomie ») et, pour pousser plus loin l’image, c’est la conformité de sa « mécanique rituelle »<br />

aux usages liturgiques établis. Mais, elle laisse au second plan le problème des fruits du sacrement<br />

(c’est sa physiologie). Dans cette optique, ce qui est en question est moins à situer sur le ministre<br />

qui a administré le sacrement que sur le sacrement d’ordination, qui l’a fait ministre.<br />

Si l’on prend bien ce problème dans le bon sens, il semble très audacieux de soutenir que c’est « le<br />

Christ qui baptise à travers un ministre indigne ». L’Esprit du Christ est-il prisonnier du comportement<br />

d’un ministre réellement indigne, si ce ministre célèbre de façon canoniquement valide ?<br />

Jésus n’a pas été tendre pour ce genre de ministres :<br />

« Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous<br />

avons prophétisé ? en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous<br />

avons fait de nombreux miracles ? Alors je leur dirai : je ne vous ai jamais connus. Ecartezvous<br />

de moi, vous qui commettez l’iniquité » (Matthieu 7. 22)<br />

13


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Certains répondront que cela disqualifie les ministres indignes et non les œuvres qu’ils ont accomplies…<br />

Il faut le souhaiter, mais comment en être sûr ? Cette parole ci-dessus de Jésus dans Matthieu<br />

vient immédiatement après un rappel qu’il vient de faire à ses disciples, leur disant :<br />

« Tout bon arbre produit de bons fruits, mais l’arbre malade produit de mauvais fruits …<br />

un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons<br />

fruits… » (Math. 7.17)<br />

Pour Jésus, il ne s’agit pas là « d’efficacité », mais de « fécondité » spirituelle, ce qui est un tout<br />

autre niveau !<br />

La complexité du problème ainsi soulevé vient du « caractère » peu à peu imprimé par l’Eglise au<br />

sacrement de l’Ordination. A l’origine il a consisté en une prière accompagnée d’une imposition<br />

des mains et onction pour que le secours de l’Esprit Saint aide « l’ordonné » à remplir sa mission.<br />

Peu à peu cette « ordination » a été considérée comme conduisant intrinsèquement, c'est-à-dire<br />

par elle-même, à une transformation indélébile de « l’ordonné », le faisant accéder à un niveau<br />

« ontologique » supérieur, non seulement comme le baptême (ou la confirmation), mais bien plus<br />

encore, comme un super-baptême !<br />

C’est la Foi qui sauve …<br />

Nous avons rejoint là, le souci de la « fécondité » du sacrement, qui ne semble pas faire problème<br />

à Augustin. Il ne dit rien de la disposition d’esprit du destinataire-bénéficiaire de ce sacrement.<br />

Or, c’est bien de sa « foi », en l’espèce sa « bonne foi » et de son ouverture de cœur, que dépend la<br />

fécondité du sacrement. Si la Samaritaine ne s’était pas immédiatement ouverte à la réception de<br />

l’ « Eau Vive », la parole de Jésus à son égard serait demeurée stérile (Jean chap. 4). Nicodème,<br />

lui, lors de sa visite nocturne au Rabbi de Nazareth, a pris le temps de la réflexion. Paralysé par le<br />

poids de son propre savoir, il est reparti ce soir-là sans l’onction de cette parole. (Jean chap. 3).<br />

Nous reviendrons bientôt sur ces deux cas de la Samaritaine et de Nicodème.<br />

Si on retient la validité canonique comme premier critère pour qualifier le sacrement et en déduire<br />

son efficacité, alors, on est devant « l’automaticité » d‘une opération de magie. Le diable lui-même<br />

peut faire des prodiges, dit-on. Mais c’est alors de la magie « noire » qui agit comme de l’extérieur<br />

sur ses destinataires et qu’elle modèle à l’aide de ses forces occultes … lesquelles seraient une manière<br />

de « grâce » négative.<br />

Au contraire, en guérissant l’aveugle Bartimée, qui l’a appelé : « Fils de David, aie pitié de moi »,<br />

Jésus lui dit : «va, ta foi t’a sauvé ». (Marc 10.46). Si Bartimée n’avait pas cru préalablement, aurait-il<br />

été guéri ? La réponse est fournie par Jésus lui-même dans Nazareth, la ville de son enfance,<br />

incrédule à son égard :<br />

« Jésus leur dit : Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. Et là, il<br />

ne fit pas beaucoup de miracles parce qu’ils ne croyaient pas ». (Matthieu 13. 57-58).<br />

La foi, c’est à dire l’ouverture du cœur de l’homme, conditionne la fécondité de la grâce divine,<br />

laquelle peut venir sur les hommes en d’innombrables circonstances de leur vie quotidienne, c’est<br />

à dire autrement, aussi, que par la voie sacramentelle.<br />

Nous le vérifierons plus loin, lorsque nous parlerons de la confirmation. Un sacrement n’a rien<br />

d’une opération magique à effet immédiat et automatique. Même opérée par Jésus ressuscité, la<br />

« confirmation » des disciples au soir de Pâque relatée par Jean (20.21) n’a pas porté de fruit visible<br />

dans l’immédiat. Ce ne fut pas comme lorsque Jésus chassait un démon, celui-ci était expulsé<br />

sans délai. Là au contraire, il a fallu encore aux disciples 50 jours, dont 10 jours après l’Ascension,<br />

pour que la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte puisse métamorphoser leur conscience et en faire<br />

réellement des témoins fidèles jusqu’au martyr. Qui peut douter que les paroles et gestes<br />

14


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

« sacramentels » de Jésus au soir de Pâque aient été « efficaces » ? Mais, il a fallu encore 50 jours<br />

pourqu’ils soient « féconds ».<br />

La foi sauve comment ?<br />

Saint Bonaventure, éminent théologien du XIIIe siècle, a jeté sur tous ces problèmes une lumière<br />

précieuse, en parlant des sacrements, signes efficaces et véhicules de la grâce. Il s’est exprimé ainsi<br />

:<br />

« Les Sacrements disposent l’âme à la grâce. Telle est leur façon de causer … »<br />

Et on pourrait sans doute traduire : « …telle est leur façon d’être féconds ». Saint Bonaventure se<br />

situe dans une position médiane entre Augustin, Pélage et Donat, échappant aux radicalismes<br />

symétriques des uns et des autres. L’essentiel, pour lui, est, certes, dans l’intervention de l’Esprit<br />

Saint. Les sacrements sont des « signes » et des relais de la sollicitude paternelle de Dieu qui forme<br />

ses enfants à l’exercice de leurs liberté et responsabilités fondamentales, pour les conduire dans les<br />

voies du Salut.<br />

Mais, Bonaventure énonce avec insistance la libre contribution que l’homme doit offrir à Dieu<br />

pour correspondre et répondre de façon « féconde » au don de la grâce. Il situe ainsi la relation<br />

souhaitable de l’homme avec Dieu :<br />

« Celui qui veut s’élever vers Dieu doit, en évitant le péché qui déforme la nature, soumettre toutes<br />

ses puissances naturelles à l’action réformatrice de la grâce, cela par l’oraison ; à l’action purificatrice<br />

de la justice, cela par l’ascèse ; à l’action illuminatrice de la connaissance, cela par la<br />

méditation ; à l’action perfective de la sagesse, cela par la contemplation … » (Itinéraire de<br />

l’esprit vers Dieu p. 35)<br />

Jésus lui-même promettant à ses disciples l’envoi du Paraclet ne leur confère pas un rôle passif :<br />

« Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous … » (Jn 14.18)<br />

Comment et quand viendra-t-il ? Sans doute à la fin des temps, mais, d’ici là ? Jésus a précisé :<br />

« Je prierai le Père, il vous donnera un autre Paraclet, qui restera avec vous pour toujours.<br />

C’est lui l’Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d’accueillir… Le Paraclet, que le<br />

Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce<br />

que je vous ai dit » (Jn 14.26)<br />

Jésus n’a pas dit à ses disciples : « Je resterai avec vous sous la forme des sacrements, dans<br />

l’eucharistie notamment et dans la personne des prêtres qui revêtiront ma personne et mes pouvoirs<br />

de salut… » Il a donné d’autres paroles de réconfort et d’autres promesses de sa présence. Le<br />

Paraclet promis par Jésus manifestera, certes, la Toute Puissance du Père, mais selon les paroles<br />

mêmes de Jésus, il apportera un secours d’enseignement et de mémoire, Et c’est la métamorphose<br />

de l’homme intérieur, revêtant « l’homme nouveau », selon l’expression de Paul ( Romains 3. 10),<br />

qui permettra à la « grâce de la rédemption qui est en Jésus-Christ » (selon l’expression de Paul)<br />

d’agir de façon féconde par la voie sacramentelle et, grâce à Dieu, par bien d’autres voies aussi.<br />

Et, ce faisant, Jésus ne s’est pas adressé seulement aux Douze. Répondant à la question de l’apôtre<br />

Jude (Jean 14. 22) :<br />

« Seigneur, comment se fait-il que tu aies à te manifester à nous et non pas au monde ? »<br />

Jésus répond en s’adressant à la multitude future des baptisés :<br />

« Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole et mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et<br />

nous établirons chez lui notre demeure … Cette parole que vous entendez n’est pas de moi,<br />

mais du Père qui m’a envoyé… »<br />

15


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Si l’on peut tirer de ces débats, sinon une conclusion, du moins une « morale » approximative,<br />

nous pourrions rappeler ce proverbe bien connu : « L’homme propose et Dieu dispose ». Ce<br />

proverbe affirme donc que c’est Dieu qui décide et l’homme qui obéit (ou n’obéit pas !). Il semble<br />

bien résulter de toutes les considérations développées ci-dessus que, dans la relation entre Dieu et<br />

l’Homme la réalité est en sens inverse de ce que dit le proverbe. Cette réalité est que « Dieu propose<br />

des voies de Salut et que c’est l’homme qui dispose … (ou non !).<br />

C’est en méditant ce que signifie le langage imagé de Jésus, et celui que, à toutes fins utiles nous<br />

« proposons », que l’on peut mieux comprendre ce qu’est et ce que n’est pas un sacrement.<br />

* * *<br />

16


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

L’Expérience Contemporaine<br />

Chapitre 4<br />

Les sacrements<br />

dans la vie courante<br />

Il importe de ne pas rester au niveau de ce que certains pourraient appeler des spéculations de<br />

l’esprit. Si les sacrements sont dits être donnés pour secourir l’homme dans l’exercice quotidien de<br />

sa liberté, il est normal d’en arriver à des exemples concrets. Bien sûr, on pourrait en citer une<br />

multitude. Nous avons choisi ici deux témoignages qui nous semblent caractéristiques .<br />

En France :<br />

Dans son livre : ‘’ Nous autres, gens de la rue’’ Madeleine Delbrel, apôtre des milieux populaires,<br />

parlant du matérialisme grandissant et de la crise contemporaine de la foi, déclare :<br />

« … Peu à peu, cette relation homme-matière s’établit dans un silence total vis-à-vis de Dieu. Par<br />

une étrange substitution, la création prend la place du Créateur. Ce silence ne nous alerte pas.<br />

Un péril majeur s’approche de l’Eglise, sans bruit : le péril d’un temps, d’un monde où Dieu ne<br />

sera plus nié ni chassé, mais exclu… Cette athéisation, qu’elle soit agressive ou indifférente ou<br />

tolérante vis-à-vis de Dieu, a partout un caractère commun : le rejet d’un Dieu créateur fixant le<br />

monde dans sa condition de créature…<br />

Le monde semble se vider du dedans, de Dieu d’abord, du Fils de Dieu ensuite, puis de ce<br />

que Celui-ci communique de divin à son Eglise. C’est souvent la surface qui s’effondre en dernier,<br />

d’où l’illusion ».<br />

Citant cet extrait dans son livre : ‘’Vous serez mes disciples’’, le Père Loew ajoute :<br />

« Cette « surface qui s’effondre en dernier », nous le savons par expérience, ce sont les sacrements.<br />

Les gens continuent à pratiquer, mais ils ne vivent plus de ce qui leur est communiqué de<br />

divin par les sacrements. Depuis longtemps déjà, ils avaient le nom du Fils de Dieu à la bouche,<br />

mais ce Jésus était vidé de lui-même, de Dieu. Bien auparavant, c’est Dieu qui, pour eux, avait été<br />

vidé de lui-même…<br />

Ce n’est qu’au moment où les sacrements et la pratique religieuse finissent par s’effondrer<br />

qu’on s’aperçoit de tout cela. La pratique n’était déjà plus pour eux qu’une coquille vide. Les sacrements<br />

étaient privés du Christ, le Christ était privé de sa filiation divine. Dieu était privé de<br />

lui-même ».<br />

La coquille semblait encore remplie « d’efficacité » sacramentelle, mais la « fécondité » en était<br />

déjà morte.<br />

En Afrique :<br />

Lors du génocide entre Hutus et Tutsis du Ruanda au printemps 1994, au cours duquel des massacres<br />

se sont déroulés souvent jusque dans des églises, l’évêque de Kabgayi, Président de la<br />

Conférence Episcopale du pays a déclaré, quelques jours avant d’être lui-même assassiné :<br />

« Après 94 ans d’évangélisation, ces massacres sont la sanction de notre échec … Plusieurs prêtres<br />

de mon diocèse ont vu leurs paroissiens, en grand nombre, brandir des machettes et détruire<br />

jusqu’aux lieux de cultes. Telle est la terrible vérité. Les gens n’ont pas assimilé les valeurs chrétiennes.<br />

Il faut recommencer avec de nouvelles méthodes …<br />

17


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Nous nous apercevons que nous avons commis l’erreur de pratiquer une évangélisation de<br />

masse. On a assisté à beaucoup de baptêmes, mais à peu de changements dans la manière de<br />

vivre. ( cf. « Quand le Pape demande Pardon » de Luigi Accatoli p. 230)<br />

Il ne s’agit pas ici de juger, et encore moins de condamner ceux qui ne sont pas restés fidèles aux<br />

engagements initiaux. Nul ne peut prétendre que, lui en tous cas, n’aurait pas failli. On se souvient<br />

que l’un des disciples avait déjà proféré de telles promesses creuses, en forme de rodomontades.<br />

Nous sommes donc plutôt confrontés au travers de ces deux exemples , lesquels pourraient être<br />

multipliés, à la question très concrète : comment, au travers de quels moyens, à quelles conditions,<br />

la « grâce sacramentelle » est-elle active ? Quelles sont ses limites et ses conditions ?<br />

En d’autres termes, comment Jésus, Seigneur de l’Eglise, est-il présent et actif dans la vie de<br />

l’Eglise, c’est à dire, d’une façon plus proche, dans notre vie de chrétiens ?<br />

L’Esprit-Saint sacramentel<br />

Comment Jésus a-t-il choisi de rester présent et actif dans son Eglise future ? Il a commencé son<br />

ministère public en esquissant précisément ce point dans ses deux premiers enseignements déjà<br />

évoqués plus haut, que nous rapportent l’Evangile de Jean et sur lesquels il nous faut revenir.<br />

Le premier (chap. 3) est donc adressé à Nicodème, homme de bonne volonté et docteur de la Loi,<br />

mais ignorant des mystères de l’action de l’Esprit Saint que Jésus lui propose sous l’image du vent.<br />

Oui, mais il y a là plus qu’une image car, vent et esprit c’est le même mot en hébreu ! (Ruah)<br />

Pour percevoir ce vent mystérieux et être mû par lui, il faut « naître à nouveau », dit Jésus, donc<br />

d’abord accepter de mourir à une première forme de vie, celle de l’homme charnel.<br />

Le deuxième enseignement de Jésus concernant l’Esprit Saint (chap. 4) a été présenté à cette<br />

femme Samaritaine, donc hérétique, et, qui plus est, de mœurs dissolues. Mais elle est de psychisme<br />

tout simple. Là, l’image « sacramentelle » choisie par Jésus a été l’Eau vive, ‘’puisée’’ par<br />

lui dans la Bible (Jérémie 2.13). L’eau est signe et facteur à la fois de vie et de mort. En un instant,<br />

cette femme a été retournée spirituellement par les paroles de ce Juif Jésus et, sitôt rincée jusqu’au<br />

fond de l’âme de sa vie pécheresse antérieure, s’est faite immédiatement l’apôtre-témoin auprès de<br />

son village de Samaritains qu’elle a amenés aux pieds de Jésus-Messie.<br />

Jésus avait précisé à cette femme et sans doute répété devant tout le village :<br />

« Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif. Au contraire, l’eau que<br />

je lui donnerai, deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle » (Jean 4. 14 ss.)<br />

Selon cette promesse, non seulement cette Samaritaine, et ses co-villageois, vont recevoir cette<br />

Eau Vive, mais celle-ci va devenir en eux une source jaillissante, c'est-à-dire qui va irriguer à travers<br />

eux leur entourage pour ouvrir également à tous les voies du Salut éternel.<br />

Par là, de cette femme Samaritaine et de ses compagnons méprisés, hérétiques pour la foi juive,<br />

Jésus a fait non seulement des « baptisés », mais des êtres sacerdotaux pour le salut du monde.<br />

Tout baptisé est « prêtre » pour ‘’réfléchir’’ autour de lui la Lumière divine-Eau Vive-Esprit Saint,<br />

qu’il a reçus lui-même. Jésus n’a pas réservé à un petit nombre de disciples la fonction et la dignité<br />

sacerdotale, comme pour en faire des super-baptisés. Lors de son entretien avec elle, Jésus précise<br />

encore à la Samaritaine :<br />

« Crois-moi, femme, l’heure vient, où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous<br />

adorerez le Père … Mais l’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père<br />

en esprit et en vérité, tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit ».<br />

(Jean 4. 21 ss.)<br />

Le culte à rendre désormais à Dieu n’est plus seulement la traduction d’une Alliance globale entre<br />

l’Eternel et un Peuple Elu, Alliance célébrée dans un Temple et sous forme de cérémonies rituelles.<br />

Il est désormais relation directe et personnelle de chaque homme de toute nation avec<br />

Dieu. En communauté, certes, mais non suspendu à une médiation sacerdotale exclusive.<br />

18


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Baptême, Repas du Seigneur et Confirmation-Pentecôte, par exemple pour ne citer que ces trois<br />

« sacrements », dits d’initiation, n’ont pas été à l’origine « initiés » par le Christ comme des cérémonies<br />

rituelles à célébrer dans un lieu sacré.<br />

S’ils ont revêtu de telles formes au fil des siècles de l’ère chrétienne, ils sont des constructions humaines,<br />

répondant sans doute à des nécessités du moment, mais réformables si besoin est.<br />

Réformables selon quels axes ? C’est en ce sens qu’il faut creuser pour dégager la racine.<br />

* * *<br />

19


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

2 ème Partie<br />

RACINES<br />

SACRAMENTELLES<br />

------------------------------------------<br />

Chapitre 5<br />

Immanence et Transcendance<br />

dans le Christianisme<br />

Selon les considérations qui précèdent un sacrement est donc une présence et une manifestation<br />

du « Divin-Transcendant », dans le monde de « l’Immanence ». Est-ce spécifique du Christianisme<br />

?<br />

La Transcendance est ce qui se situe hors d’atteinte de la pensée de l’homme, de sa connaissance,<br />

de son expérience et de son action. Au contraire, l’Immanence est la caractéristique du monde<br />

concret où nous vivons, que nous percevons et analysons par nos sens, notre intelligence et nos<br />

expériences quotidiennes.<br />

Trois religions, dites monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam, se disputent le monopole<br />

de l’authenticité de ce monothéisme. Elles présentent toutes les mêmes caractéristiques de<br />

croyances, qui les distinguent apparemment des autres spiritualités apparues sur la planète. Elles<br />

se réfèrent toutes les trois à un Dieu Unique, créateur, donc distinct de l’Univers et qui a pris<br />

l’initiative de se révéler à l’Homme. Depuis cette création et cette révélation ce Dieu entretient avec<br />

l’Homme une relation spécifique, souvent qualifiée d’ « alliance ».<br />

Oui, seul parmi toutes les autres créatures l’Homme est bénéficiaire d’une relation spécifique avec<br />

Dieu. Et nous sommes conduits à cette conviction par certaines subtilités du texte fondamental en<br />

la matière, qui est le livre biblique de la Genèse. Lorsque ce Dieu s’adresse à ces autres créatures,<br />

par exemple aux poissons, le texte biblique s’exprime ainsi : « Dieu dit :<br />

‘’Que les eaux grouillent de bestioles vivantes ‘’ … » (Gen. 1.20)<br />

… et les poissons pullulent dans la mer. « Dieu dit » et cela se fait, les poissons apparaissent, mais<br />

Dieu ne s’adresse pas aux poissons.<br />

Au contraire, quand Dieu parle à l’homme et à la femme : « Il leur dit … » (Genèse 1. 28). Dieu<br />

parle à l’Homme et pour prendre un langage moderne, qui est celui de l’informatique, disons que<br />

le Créateur a pris soin de « configurer » l’Homme d’une manière unique parmi toutes les créatures,<br />

afin de rendre cet Homme capable de relation personnelle avec Lui. En langage informatique<br />

encore, on dirait que Dieu a rendu la personne et l’esprit de l’Homme « compatibles » avec la Personne<br />

et l’Esprit de Dieu, afin qu’ils puissent communiquer et se comprendre.<br />

REMARQUE<br />

Lorsque Dieu communique avec l’Homme, est-ce une exception au principe de la Transcendance divine<br />

?<br />

20


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Réponse :<br />

Non, Dieu prend soin de rendre compatibles son langage et sa « manifestation » avec ceux de<br />

l’Homme. Mais, Dieu ne fait pas sortir son « Être » de Sa Transcendance. Il se « Manifeste » seulement<br />

dans l’Immanence de sa Création. Ce sont seulement ses voies de communication qu’Il abaisse<br />

au niveau de l’Homme. C’est tout ce que je peux énoncer, au point où nous en sommes. Mais, nous allons<br />

voir un peu plus bas qu’il faut être ouvert à des nuances …<br />

Un quatrième Mousquetaire ?<br />

A vrai dire, comme pour les Mousquetaires, il faut dans ce témoignage des trois monothéismes introduire<br />

une sorte de « quatrième » ! Une religion monothéiste, étonnement proche des trois qui viennent<br />

d’être nommées, et qu’en Occident on ignore le plus souvent, est la religion prêchée en Perse par Zoroastre<br />

au 6 ème siècle avant J.C. c'est-à-dire à l’époque des grands prophètes hébreux du temps de<br />

l’exil d’Israël à Babylone.<br />

Par ce Zoroastre a été en effet révélé à la Perse païenne et idolâtre de l’époque un Dieu Unique et<br />

créateur, distinct de l’univers, prescrivant une éthique de vie. Ce Dieu rétribuera chaque homme selon<br />

la façon dont celui-ci aura vécu durant son passage sur la terre. Et à la fin des temps ce Dieu enverra<br />

un personnage mystérieux appelé à « clore », ou sans doute plus justement, à « mener à son accomplissement<br />

ultime» la présente histoire humaine.<br />

La convergence de ces spiritualités zoroastrienne et hébraïque est très étonnante. Est-il raisonnable de<br />

n’y voir qu’une coïncidence et le simple effet du hasard ? Mais ni l’histoire de la Perse, ni celle de<br />

l’Occident judéo-chrétien ne fournissent de commentaires à cet égard. Comme si chacune était soucieuse<br />

de préserver dans le secret une manière de « copyright » !<br />

Ceci tendrait cependant à montrer que la révélation est à l’initiative de Dieu lui-même et déborde en<br />

permanence à la fois les doctrines, les limites et les « élections » spécifiques que les hommes<br />

« religieux » s’attribuent à eux-mêmes ici et là, qu’ils proclament comme authentiques, radicales, exclusives<br />

et dont ils font entre eux le plus souvent des terrains de compétitions, de persécutions, voire de<br />

guerres religieuses.<br />

Ceci est d’autant plus déraisonnable que toutes ces religions se réfèrent à un Dieu Unique et Créateur.<br />

Dans la Bible qui est pour nous le témoignage de base de cette révélation multiforme, le verbe hébreu<br />

« créer » figurant au début du livre de la Genèse est « bara » qui signifie en fait : « tirer hors de<br />

… » et donc on pourrait traduire que Dieu a « tiré hors de Lui-même » toute la Création et, en quelque<br />

sorte, en a « accouché » ! De « l’Être » de Dieu est donc sorti ce qui constitue « l’Être » de toutes les<br />

Créatures.<br />

Ces dispersions conflictuelles sont infondées entre ces trois (quatre ?) religions dites monothéistes. Elles<br />

sont même également regrettables à l’égard d’autres spiritualités dont les Occidentaux que nous<br />

sommes méconnaissent le plus souvent la grandeur, par exemple l’Hindouisme.<br />

* * *<br />

21


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 6<br />

Immanence et Transcendance en Orient :<br />

un cinquième partenaire ?<br />

Habituelles sont les accusations faites par les « monothéistes » à l’Hindouisme d’être à la fois polythéiste<br />

et panthéiste. En Occident on considère que le Dieu des Juifs est un Être absolument Personnel<br />

et Transcendant par rapport au monde et distinct de lui, puisqu’il est son Créateur, et le<br />

maître de ses destinées. Au contraire pour les Hindous, Dieu, plus exactement la « Réalité Ultime<br />

», est immanent à la nature et à l’homme et il est caché au cœur de toute créature.<br />

« Brahman », le nom de cette « Réalité », est l’Un, l’Eternel, l’Infini, la Source d’où tout émane,<br />

le Sol où tout prend naissance et racine, le But vers lequel tout tend …<br />

A bien examiner l’esprit profond de chacune des religions qui s’affrontent ainsi, on constate alors à<br />

quel point les théologies respectives sont conçues et perçues à travers le prisme de clivages culturels<br />

selon lesquels se forment et s’expriment leurs options proprement spirituelles. Ces clivages<br />

sont à l’origine de préjugés et de malentendus qui dénaturent les « réalités spirituelles suggérées ».<br />

Le Père bénédictin Bede Griffiths, dans son livre « Expérience Chrétienne et Mystique Hindoue<br />

» (Cerf 1985) souligne magnifiquement les convergences de la spiritualité hindoue avec nos<br />

religions monothéistes, répondant ainsi à beaucoup de préjugés occidentaux.<br />

Par exemple, dans l’Hindouisme, les divinités sont multiples, elles se réfèrent toutes à une<br />

« trinité », celle qui a pour noms : Brahma, Siva, Vishnou, mais en fait, toutes ne représentent que<br />

les manifestations variées d’un Principe divin unique, que l’Hindouisme évoque par le terme<br />

de : « Réalité Ultime » Peut-on alors qualifier l’Hindouisme de polythéisme ? De même<br />

l’Hindouisme est le plus souvent considéré comme « panthéiste » et donc, pense-t-on, se réfère à<br />

un divinité « non personnelle ». à la différence du Dieu du monothéisme. Le P. Bede Griffiths répond<br />

:<br />

« La Réalité est expérimentée comme un Être un, infini, éternel, à la fois immanent et transcendant,<br />

pénétrant et enveloppant toute chose. Mais, cette même Réalité est aussi expérimentée en<br />

tant que Conscience, pure intelligence, transparente totalement à elle-même.<br />

Or, un être possédé par une intelligence consciente est ce qui est entendu comme une personne et<br />

donc l’esprit infini et éternel, « l’un sans second » est reconnu comme une personne. C’est ce que<br />

nous trouvons dans la Svetasvatara Upanishad … » (p. 80)<br />

Alors, une question s’impose : dans la pratique, l’opposition entre les conceptions, occidentales et<br />

Hindouiste, est elle évidente, comme on le pense communément ? Les lecteurs du Nouveau Testament<br />

devraient se demander ce que signifient certains enseignements qui y figurent. Par exemple,<br />

qu’a réellement voulu exprimer devant la Samaritaine Jésus parlant du Père :<br />

« Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent doivent adorer « en esprit et en vérité<br />

» (Jean 4. 24)<br />

Et, qu’a voulu dire Saint Paul qui n’a pas craint dans son discours devant l’Aréopage d’Athènes de<br />

proclamer, parlant de Dieu :<br />

« En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être … car nous sommes de sa race»<br />

(Actes 17. 28).<br />

Sommes-nous réellement conscients de l’immensité de cette affirmation ?<br />

Paul n’a pas dit : « De Lui nous avons reçu la vie … », Mais « En Lui nous avons …» tout cela qualifie<br />

l’humanité existentielle de chacun de nous aujourd’hui.<br />

22


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

N’est-ce pas là une vision ambivalente qui peut, soit présenter Dieu comme Immanent (aussi) à la<br />

nature, et à la nature humaine en particulier, soit symétriquement, de présenter l’homme comme<br />

appelé à être participant de la Transcendance divine Cette deuxième option est l’inverse de celle<br />

que nous sommes habitués traditionnellement à concevoir, mais que l’on désignera ici par<br />

« assomption ». Ce mouvement serait alors celui de l’incarnation et de l’action de l’Esprit en<br />

l’homme, notamment au travers de la grâce sacramentelle ?<br />

Et tout ceci rejoint exactement la citation suivante du Père F. Marlière, dans son livre ‘’Et leurs<br />

yeux s’ouvrent’’ p. 234 :<br />

« Bien que Jésus soit venu parmi nous en notre horizontalité existentielle, ce n’est pas le Verbe,<br />

rigoureusement parlant, qui est descendu dans sa nature humaine, mais c’est elle (en sa réalité<br />

ontologique) qui a été élevée à la verticalité divine. L’incarnation est donc une assomption qui<br />

exalte la nature humaine à un tel point de perfection qu’elle en est divinisée ».<br />

Les deux traditions, hindouiste et occidentale, ne sont donc pas réellement opposées, contrairement<br />

à l’opinion communément admise. Elles se distinguent surtout par une différence d’accent.<br />

La spiritualité monothéiste d’origine hébraïque insiste au départ sur la Transcendance absolue de<br />

Dieu et découvre peu à peu son Immanence, soit de manière enveloppée à travers le concept de la<br />

« shekina », soit plus radicalement, au moins dans les termes, sous forme d’ « incarnation ».<br />

La spiritualité hindoue, quant à elle, suit le même itinéraire, mais en sens inverse : La Réalité<br />

Ultime est perçue d’abord comme Immanente en tous les êtres, mais quand l’esprit de l’homme<br />

en méditation s’élève au-delà des images, des signes, des concepts, de la raison, de la volonté jusqu’aux<br />

confins de la conscience, cet esprit de l’homme se ressent lui-même comme aspiré par une<br />

Transcendance échappant à l’espace et au temps.<br />

Est-ce très différent de l’affirmation de Paul devant l’Aréopage d’Athènes … ? Bien imprudent celui<br />

qui prétendrait définir une frontière nette entre Transcendance et Immanence, que ce soit pour<br />

qualifier Dieu ou pour qualifier l’Homme ! La spiritualité Hindoue présente, d’ailleurs, une voie<br />

médiane en la personne de Krishna, incarnation, ou plutôt « avatar », du dieu Vishnou.<br />

Krishna est dieu dans un corps d’homme … ! Mais la doctrine chrétienne dans ses formulations<br />

traditionnelles proclame en Jésus de Nazareth Dieu fait homme !<br />

Oui, l’assimilation l’un à l’autre des deux genres de présence de Dieu en l’homme, en Krishna<br />

d’une part, et dans le Christ d’autre part, est tentante, mais oriente sur une vision erronée de la<br />

vocation intime de chacun des deux personnages. Et l’Apôtre Paul a mis en garde les chrétiens<br />

contre une telle tentation. Il faut préciser ce point. Krishna est un « esprit-âme-dieu » dans un<br />

corps d’homme. Il a donc deux natures distinctes et unies pour la durée d’une vie terrestre. De fait,<br />

Krishna est né, a grandi, a délivré son message (divin) aux hommes, puis il est mort. Son « espritâme<br />

» est retourné dans la « sphère » divine. Il n’est pas question pour lui d’une « résurrection »<br />

quelconque de son corps. Un dieu n’a que faire d’un corps d’homme dans la « sphère » divine.<br />

Krishna est un « avatar » divin, non pas une « incarnation » divine en l’homme.<br />

Saint Paul dans son Epitre aux Colossiens esquisse tout autrement la présence de la divinité dans<br />

le Christ. Il s’exprime ainsi :<br />

«… en lui (Christ) habite toute la plénitude de la divinité, corporellement ». (Col.2.9)<br />

Paul ne dit pas : « Christ est Dieu ». Un juif fidèle au monothéisme ne pouvait pas dire cela. Il<br />

prend une périphrase, qu’il faut expliquer. En Christ habite la divinité. Cela apparaît évident. Mais<br />

Paul précise : « toute la plénitude de … », pourquoi ? Il fait allusion au livre de la Genèse qui décrit<br />

ce qu’est spécifiquement l’Homme-Adam au sein de toute la création. Il a été créé « à l’image<br />

et selon la ressemblance de Dieu » (Gen. 1. 26). Cela n’élimine pas le caractère « Transcendant »<br />

de Dieu par rapport à l’Homme, mais doit rendre prudent quant à la façon de comprendre ce que<br />

signifie le concept de Transcendance de Dieu. Et le livre de la Genèse (2.7) ajoute :<br />

« Le Seigneur Dieu … insuffla dans les narines d’Adam l’haleine de vie et l’homme devint un<br />

être vivant »<br />

23


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

‘’Haleine-souffle’’ est en hébreu le même mot que ‘’Esprit’’ (Saint), c'est-à-dire « Dieu qui agit ».<br />

Dieu a donc, en Adam et dans tous ses descendants, investi son ‘’Haleine-Esprit » et donc sa ‘’Présence-Divinité’’.<br />

Seul de toute la création, l’Homme a donc été rendu ‘’vivant’’ dans la Présence de<br />

Dieu, donc immortel. Mais alors, le Christ, qu’a-t-il donc reçu de Dieu qui le différencie de tous les<br />

autres hommes ? Paul répond : Lui, c’est en « toute la plénitude … ! »<br />

Et Paul explique encore ce que cela signifie : le Christ a donc été créé Homme « accompli » des<br />

temps de la fin. « Dernier Adam » (1 Cor. 15.45) Par son humilité et son obéissance jusqu’à sa mort<br />

sur la croix cet homme a effacé l’<strong>org</strong>ueil et la désobéissance du Premier Adam (Philippiens 2.8-9),<br />

ainsi promis à la mort. Le Christ est donc le prototype de l’Humanité nouvelle, « Premier-né de<br />

toute créature », dit encore Paul (Colos. 1.15), humanité nouvelle appelée, à la suite du Christ et<br />

grâce à lui, à franchir la mort biologique infligée au Premier Adam et à ses descendants, et à en<br />

triompher par la résurrection pour retrouver la perspective d’une vie éternelle.<br />

Paul insiste bien sur ce point : la résurrection du Christ est le corollaire obligé de notre espérance<br />

de Salut (éternel). A défaut, dit Paul, toute cette espérance de Salut périclite et notre foi est vaine :<br />

« Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi »<br />

« Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés »<br />

. (1 Cor. 15.14-17)<br />

Mais cette résurrection est aussi le corollaire et la preuve que le Christ est bien une « Incarnation »<br />

véritable et donc immortelle de Dieu en une créature humaine. Krishna n’était, si on peut employer<br />

une image, qu’une « âme-moteur-Dieu » introduite dans une « carrosserie-homme » pour<br />

un temps limité. Krishna, « avatar » de Dieu et non « incarnation » n’avait que faire d’une<br />

« résurrection ». Sans celle-ci, au contraire, le Christ ne serait qu’un « avatar » divin.<br />

Paul a-t-il ainsi défini ce qu’est l’incarnation ? Nullement, mais d’une part, celle-ci est du domaine<br />

de l’indéfinissable, comme tout ce qui touche à la Transcendance, et d’autre part Paul dans cette<br />

même Epître aux Colossiens esquisse au moins une voie de compréhension plus accessible,<br />

conforme à la culture juive dont il ne s’écarte jamais. Dans cette Epître aux Colossiens (2. 9) il<br />

fournit deux précisions d’une importance capitale :<br />

1- il ajoute à l’affirmation de la divinité en Christ le mot «corporellement ». pourquoi ? Précisément<br />

parce que sans ce mot on pourrait penser que la divinité n’ a été investie par Dieu que dans<br />

l’âme-esprit du Christ, alors que son corps est seulement : homme. Alors, on reviendrait à un<br />

Christ « avatar » et non « incarnation ».<br />

Comment tirer au clair les complications inextricables des formulations de la Christologie traditionnelle<br />

émanées des différents Conciles (Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine, etc.) les<br />

Pères de l’Eglise étaient liés par les modes de pensée de leur culture grecque communément reçue<br />

et dont un bon exemple est fourni par les Actes des Apôtres (chapître 14) :<br />

Dans une rue de Lystre, ville d’Asie Mineure de culture grecque, Paul, accompagné de Barnabas,<br />

apporte la guérison à un paralytique de naissance. La foule crie au miracle et pense voir en Barnabas<br />

Zeus lui-même et en Paul Hermès ayant pris une forme humaine pour faire à la ville l’honneur<br />

d’une visite. Et cette foule se met en devoir d’offrir à ces dieux un sacrifice d’hommage. Paul, bien<br />

sûr détrompe la foule. La culture grecque comprend ainsi traditionnellement les apparitions divines<br />

sous formes humaines. Il semble bien que les Pères grecs de l’Eglise n’ont jamais pu se libérer<br />

de ce clivage culturel.<br />

2- Cependant Paul avait ajouté dans son Epître une deuxième précision, conforme, elle, à la<br />

culture juive. On peut remarquer que Paul dans ce même verset de Colossiens a employé un verbe<br />

grec un peu inattendu en la circonstance : « …en lui habite ». Pourquoi un verbe aussi concret<br />

pour évoquer une notion transcendante comme la « plénitude de la divinité ? » Paul écrivant en<br />

grec à des fidèles de culture grecque, pense en hébreu. En hébreu le verbe « habiter » est :<br />

« shakhan » de la même racine que « shekhina ».<br />

Or ce concept traduit dans la culture hébraïque la manière qu’a Dieu de se rendre présent, parlant,<br />

agissant parmi les hommes dans l’immanence du monde créé, et ce, sans sortir Lui-même de sa<br />

Transcendance.<br />

24


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Comment donc traduire le mot « shekhina » ? Par « manifestation », ce qui ne veut pas du tout<br />

seulement dire : « apparence ».<br />

Dans le récit biblique, les « shékhina » sont abondantes : la nuée de l’Eternel qui accompagnait,<br />

guidait et protégeait les hébreux au désert de l’Exode, ou descendait sur la Tente du Tabernacle<br />

pour un entretien de Dieu avec Moïse, ou encore, la présence de l’Eternel dans la flamme du buisson<br />

ardent, envoyant Moïse en mission auprès de Pharaon, ou encore les anges qui parlent ou<br />

agissent au nom de l’Eternel, etc.<br />

Les auteurs chrétiens n’ont jamais accueilli ce concept hébreu de la « shekhina ». Dans bon nombre<br />

de textes de l’Eglise, émanant de divers épiscopats, on peut lire : « Jésus a reçu son corps de la<br />

Vierge Marie … ». Le fidèle de base complète la phrase : « et son âme-esprit, de Dieu !». Et voilà<br />

Jésus, en la période contemporaine, présenté par le magistère comme « avatar » ! Or, Paul avait<br />

bien affirmé que la manifestation de la plénitude de la divinité concerne la totalité de la personne<br />

de Jésus, corps, âme et esprit !<br />

Que l’on nous permette de proposer une comparaison concrète susceptible de réduire un peu le<br />

mystère de la « manifestation-shekhina » de la Divinité, notion inconnue de la pensée occidentale<br />

et cependant biblique. Nous savons tous que le Soleil est très loin de nous et inaccessible, image<br />

d’une sorte de transcendant pourrait-on dire. Cependant, par sa gravitation il retient notre Terre<br />

sur une orbite constante et par ses radiations invisibles il engendre sur notre planète la vie végétale<br />

et animale. Comment agissent gravitation et radiations ? Mystère.<br />

Pour ce qui est des concepts, qui viennent d’être évoqués, d’avatars et d’incarnation ce n’est évidemment<br />

pas par prétention à philosopher que cette distinction entre ces deux notions terriblement<br />

abstraites a été introduite ici….<br />

Surtout si l’on en restait aux rapprochements avec d’autres spiritualités ; certains crieront même<br />

peut-être au syncrétisme, et ne poursuivront alors la lecture de ce « <strong>Cahier</strong> » qu’avec méfiance et<br />

prévention.<br />

Nous précisons simplement que l’on vient ici de poser et rappeler un certain nombre de notions<br />

qui éclaireront le débat et permettront de l’affermir …<br />

C’est à cet éclaircissement, à notre avis indispensable, que nous voulons consacrer le chapitre suivant.<br />

* * *<br />

25


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 7<br />

Nos conceptions traditionnelles<br />

à l’épreuve de la Bible<br />

D’aucuns pourraient penser également que ces considérations, importantes et intéressantes en<br />

elles-mêmes, évoquées au Chapitre précédent, nous ont éloignés de notre propos qui vise le Christianisme<br />

et concerne les « Sacrements ». En fait, il n’en est rien. L’examen en parallèle des spiritualités<br />

orientale et judéo-chrétienne attire notre attention par contraste sur certains aspects de la<br />

pensée occidentale et nous aide à mieux poser les problèmes.<br />

Conscients des racines juives de la foi chrétienne, les premiers Pères de l’Eglise ont reconnu en<br />

l’homme une trinité, celle que forment en lui d’abord un corps, <strong>org</strong>anisme biologique, structure<br />

d’énergies participant de l’univers physique, puis un <strong>org</strong>anisme psychique constitué de sentiments,<br />

d’imagination, de raison, de volonté qui marquent spécifiquement son « identité », enfin,<br />

au-delà du physique et du mental, mais ne formant qu’un avec eux, l’esprit que Saint Paul appelle<br />

en grec « pneuma ». L’hindouisme partage totalement cette conception trinitaire de l’Homme :<br />

corps, mental et atman (esprit-pneuma).<br />

Hélas la doctrine chrétienne s’est ensuite ralliée au dualisme des néo-platoniciens et d’Aristote :<br />

corps et âme. Alors, l’ « esprit » n’est plus reconnu comme signe et relais de la Présence de Dieu<br />

en chaque homme. L’« homme psychique » dont parle Saint Paul (1Corinthiens 2.14) est<br />

(1Corinthiens 2.14) est celui qui est ignorant et inconscient de cette Présence, l’ « homme spirituel<br />

» est au contraire celui qui vit consciemment cette Présence de Dieu en lui et la manifeste<br />

dans son vécu.<br />

Cet « esprit » est le point de communion de l’homme avec l’Esprit Universel qui règle et imprègne<br />

tout l’univers, et que la pensée gréco-chrétienne a appelé le Logos.<br />

Ceci nous conduit aux abords de notre thème des Sacrements. Car l’homme a été insufflé par le<br />

Créateur de « l’haleine de vie-esprit » (Genèse 2. 7) et donc a été créé en état de communion<br />

avec Dieu. Et, comme le souligne le P. Bede Griffiths, toutes les spiritualités anciennes témoignent<br />

de cet état de conscience originel privilégié. Mais l’homme, en Adam et Eve, a ensuite transgressé<br />

et en lui a désormais dominé un état de conscience psychique qui n’a plus son centre en Dieu, mais<br />

se trouve soumis aux puissances du monde physique, et aux « esprits du mal qui sont dans les<br />

cieux » dont parle Saint Paul (Ephésiens 6. 12). La spiritualité hindoue exprime l’équivalent avec<br />

d’autres mots en disant que l’homme est immergé dans l’ignorance et l’illusion d’un monde séparé<br />

de Dieu.<br />

La convergence, au-delà de la différence culturelle des modes d’expression, entre Christianisme et<br />

Hindouisme est frappante. Pour Thomas d’Aquin, Dieu est « dans » toute chose par sa puissance,<br />

sa présence et son essence (Somme Théologique 1.8.3). Le Père Bede Griffiths, dans son même<br />

livre ‘’Expérience Chrétienne et Mystique Hindoue’’ éclaire cette convergence.<br />

L’Être divin est donc présent dans toute chose créée, ce qui s’appuie sur Paul et sur son affirmation<br />

fondamentale qu’il faut rappeler : « En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être ». Car<br />

voilà une racine de ce que nous appelons un « sacrement », l’éclairage de la présencemanifestation<br />

de Dieu en l’Homme. La spiritualité chrétienne occidentale a admis ce principe,<br />

mais a le plus souvent oublié d’en tirer les conséquences.<br />

Méconnaissant ce qu’est la Transcendance divine, et prisonnière du dualisme néo-platonicienaristotélicien,<br />

elle a interposé entre Dieu Créateur et l’homme-Créature un abîme de séparation.<br />

Alors que chaque être humain est une « personne » qui participe de la « Personne Divine ». Un<br />

Hindou se pense lui-aussi comme participant de « Brahman », la Personne-Conscience Suprême.<br />

26


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

De même, la pensée juive reconnaît une « étincelle de vie » en chaque être humain. Et Saint Paul<br />

s’est amplement exprimé sur ce thème à l’intention des fidèles de ses églises :<br />

« Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité<br />

Jésus-Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit<br />

qui habite en vous » (Romains 8. 11)<br />

« Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu ». (Rom. 8. 14)<br />

« Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Enfants et<br />

donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ … » (Rom. 8. 16)<br />

Selon Maître Eckart, Dieu prononce une Parole et en celle-ci tient la création tout entière. Avec un<br />

autre langage Thomas d’Aquin ajoute que les « idées », les « formes-archétypes », les « principes »<br />

de tous les êtres créés, et notamment chaque homme, existent en Dieu de toute éternité et que<br />

l’ « idée » n’est pas autre chose que Son « essence » (Somme Théolog. 1.15.1-3).<br />

Lorsque l’« idée » s’incarne en un homme, celui-ci devient titulaire et responsable de sa propre<br />

forme créée et de son identité personnelle, mais l’archétype divin demeure présent en lui. Ce<br />

monde créé est donc un reflet, une image, une icône, une manifestation (shekhina) de Dieu. Ce<br />

monde créé n’a donc, en soi, qu’une existence relative. La création ne fait aucun changement en<br />

Dieu, mais seulement dans le monde créé. Concernant l’Homme, Thomas d’Aquin écrit : « Quand<br />

on dit que Dieu s’est fait homme, on ne le comprend pas comme une quelconque transformation<br />

de la part de Dieu, mais seulement de la part de la nature humaine transformée » (Somme Théolog.<br />

3.16 a)<br />

Cependant, la culture religieuse occidentale a le plus souvent qualifié l’Hindouisme de<br />

« panthéisme » ! Alors Saint Paul, Maître Eckart, Saint Thomas d’Aquin, … sans oublier Teilhard<br />

de Chardin et bien d’autres, sont passibles du même qualificatif.<br />

Lorsque nous disons qu’un sacrement est un acte divin manifesté par une action, un geste, une<br />

parole humaine qui en sont le « signe », nous avons traditionnellement depuis de nombreux siècles<br />

tendance à penser que le divin descend « dans le signe » (opus operatum), alors qu’il est,<br />

comme tout Transcendant, au-delà du signe … Ce n’est qu’au-delà de ce signe que le divin appelle<br />

l‘homme à le reconnaître en une « assomption » (comme le disait, rappelons-le, le Père F. Marlière)<br />

qui lui fait vivre consciemment, et dès cette vie terrestre, sa participation à la Vie divine.<br />

Et si on est fidèle à la tradition hébraïque, et donc, à celle du Nouveau Testament, concernant la<br />

nature trinitaire de l’Homme, fait d’un corps, d’un psychisme et d’un esprit, on comprend que cet<br />

esprit est le relais et la liaison « spirituelle » entre le corps-psychisme de l’homme qui agit ou parle<br />

et la Réalité spirituelle-divine (Réalité Ultime) qui est invoquée. Mais si domine la conception dualiste<br />

des néo-platoniciens et d’Aristote qui a prévalu au long des siècles, le relais de l’ « esprit »<br />

manque, et la logique du système conduit à insérer le divin « dans » le signe.<br />

Il est évident que l’une des critiques les plus vives vis-à-vis de la conception populaire du sacrement<br />

est qu’il n’y a plus beaucoup de différence entre ce qui est estimé se passer au travers du sacrement,<br />

et un acte de magie dans lequel le fidèle serait au bénéfice d’une action qui lui reste extérieure<br />

et dans la plus grande partie des cas incomprise, voire même incompréhensible ! La question<br />

a été posée à des chrétiens croyants et pratiquants : Quelle différence entre une efficacité magique<br />

et une efficacité sacramentelle ? Pas de réponse ….. !<br />

Ceci montre que les conceptions traditionnelles du sacrement et donc l’enseignement qui en a été<br />

donné devraient être repensés. Certes, les formes extérieures de piété, qui font partie intégrante<br />

de l’administration des sacrements, inclinaisons de la tête, génuflexions, signes de croix, ne sont<br />

pas de prime abord à supprimer dans les Eglises où elles sont restées traditionnelles, notamment<br />

dans les pays asiatiques ou africains où elles sont liées à l’inculturation des données de la foi et de<br />

son expression dans la culture locale. Tout être humain n’est pas prêt à une spiritualité purement<br />

mystique.<br />

27


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Il faut rappeler cependant que les églises issues de la Réforme ont en général abandonné ces pratiques,<br />

insistant essentiellement sur l’intériorisation de la piété. On a dit que chaque protestant est<br />

« pape avec sa Bible sous le bras », slogan très réducteur évidemment ! Mais on peut dire surtout<br />

que le protestant est invité constamment à se garder d’une forme d’extériorisation qui lui permettrait<br />

de faire l’économie de la vraie démarche spirituelle.<br />

A noter que cette observation vaut aussi pour les courants contemporains tels que le renouveau<br />

charismatique qui a dû gérer parfois des dérives à la limite de l’exhibitionnisme, tant il est vrai<br />

qu’en l’homme les frontières sont minces et perméables entre « la proie et l’ombre » !<br />

* * *<br />

28


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 8<br />

Itinéraire complexe de cette « assomption »<br />

La réalité de la dite « assomption », telle que nous l’avons esquissée dans les chapitres précédents,<br />

n’est clairement perceptible dans le message biblique qu si l’on reçoit celui-ci comme une pédagogie,<br />

qui comme toute pédagogie digne de nom, est évolutive. La Parole de Dieu est mystérieuse,<br />

comme ses pensées sont bien au-dessus de nos pensées…<br />

Après la transgression d’Adam et Eve, Dieu a noué une « Alliance » avec Noé et ses fils à jamais.<br />

Apparemment l’expérience n’a pas donné les fruits durables escomptés et s’est soldée par la dispersion<br />

au pied de la Tour de Babel.<br />

Lorsqu’il a choisi de reprendre contact avec l’homme en la personne d’Abram, Il semble que<br />

l’Eternel ait tiré pour lui-même la leçon de l’insuccès de l’expérience Noé.<br />

Avec Abram au contraire, il a dès l’abord préparé celui-ci à la mission qu’il voulait lui confier,<br />

avant de la lui confier effectivement. Et toute la suite du livre de la Genèse et même de la Bible<br />

tout entière va dévoiler peu à peu la pédagogie divine évolutive envers l’homme. En effet, la première<br />

parole adressée par Dieu à Abram est :<br />

« Quitte ta nation, ta parenté, la maison de ton père et va … » (Gen. 12.1)<br />

En fait, le texte hébreu ne comporte pas le mot « quitte » mais une expression difficilement traduisible<br />

« lehr lehra » qui peut s’interpréter par : « va vers toi venant de ta nation,…». Le contexte<br />

permet de comprendre ce qui est ainsi signifié : les trois réalités sociologiques dont Dieu demande<br />

à Abram de se débarrasser sont énoncées en sens inverse de celui qu’impliquerait une simple migration<br />

géographique. Un « migrant » quitte successivement la maison de son père, puis sa famille<br />

au sens large, puis sa patrie. Pourquoi ici ce qui est demandé à Abram est-il exprimé en sens<br />

contraire ?<br />

Et pourquoi la demande de Dieu commence-t-elle par « va vers toi » ? La réponse est d’ordre spirituel.<br />

Ce dont Abram est invité à se dépouiller , ce sont les éléments qui ont fondé et enferment sa<br />

« personnalité » de babylonien païen. Ce dépouillement doit commencer par l’élément le plus extérieur<br />

à son être profond, c’est à dire la patrie-nation-culture-civilisation, pour aboutir au plus<br />

intime, c'est-à-dire à la dimension divine qui est en lui, comme en tout homme, depuis que Dieu a<br />

insufflé son « haleine-souffle-esprit divin » dans les « narines d’Adam ». (Genèse 2.7)<br />

Ce n’est qu’avec ce centre spirituel-divin d’Abram, dégagé de la gangue païenne qui l’entoure et le<br />

paralyse, que Dieu peut nouer une alliance véritable. Abram obéit donc, non seulement en migrant<br />

géographiquement, mais en se dépouillant des gangues mentales et spirituelles païennes, qui<br />

l’enserraient. Il croit dans les « promesses » de l’Eternel, c’est pourquoi, dit le texte, le Seigneur<br />

conclut avec Abram une « alliance » dont nous sommes les co-héritiers et co-bénéficiaires aujourd’hui.<br />

Car cette alliance a dominé toute l’histoire biblique d’Israël au long de la Première Alliance et s’est<br />

élargie à la dimension de l’humanité tout entière dans l’Alliance renouvelée en Jésus Christ. Mais<br />

les conditions de son authenticité sont aujourd’hui les mêmes que celles jadis demandées à Abram,<br />

traduites, certes pour nous, en un autre vocabulaire qui est, par exemple, celui de l’apôtre Paul,<br />

lequel s’exprime ainsi :<br />

« Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se<br />

corrompt sous l’effet de convoitises trompeuses. Il vous faut être renouvelés par la transformation<br />

spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau créé selon Dieu<br />

dans la justice et la sainteté » (Ephésiens 4.22-24)<br />

29


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Le Dieu d’Abraham … et de Jésus Christ est un Dieu Personnel. Pour les Hindous Brahman est lui<br />

aussi « Personnel ». Mais, attention ce qualificatif est ambigu ! Pour ces Hindous, comme pour le<br />

Judaïsme et comme pour le Christianisme, Dieu (Réalité Ultime) est au-delà de tout concept, de<br />

toute définition, de toute « théologie ». Dieu qui s’est révélé, n’a jamais révélé « Qui » il Est. Sa<br />

« Personne » n’est évoquée dans le vocabulaire humain que par des qualificatifs imagés. Lui-même<br />

a toujours refusé de se laisser enfermer dans un « nom » qui serait une manière de ’’définition’’.<br />

L’Infini ne saurait être ‘’défini’’ !<br />

Répondant devant le buisson ardent à Moïse qui lui demande sous : « quel Nom te présenterai-je à<br />

Pharaon et aux Anciens d’Israël ? » (Exode 3.10 ss.), Dieu lui répond seulement par les versets<br />

suivants, qu’il faut comprendre comme un Tout indissociable :<br />

« Je suis avec toi ». (Exode 3. 12)<br />

… dans la mission que Je te confie aujourd’hui.<br />

« Je suis qui je serai » (Exode 3.14).<br />

C'est-à-dire : … Je promets assistance aux fils d’Israël dans toutes les épreuves qu’ils traverseront<br />

à l’avenir, au long des générations. Le texte poursuit :<br />

« Il dit : Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘’ Je suis m’a envoyé vers vous ‘’. Dieu dit encore<br />

à Moïse : ‘’ Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : Le Seigneur Dieu de vos pères, Dieu<br />

d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est là mon Nom à jamais.<br />

C’est ainsi qu’on m’invoquera d’âge en âge ». (Exode 3. 15)<br />

Ceci confirme ce que l’Eternel a révélé au livre de la Genèse de son Projet visant sa Création, projet<br />

centré sur une identité et sur une vocation de l’Homme : Au Sixième Jour Dieu a créé l’Homme-<br />

Adam « à son image et selon sa ressemblance » (identité) (Gen. 1. 26) et l’a placé dans le Jardin de<br />

l’Eden (Gan Eden en hébreu) avec mission de ‘’garder et cultiver le Jardin’’ et de ‘’nommer les<br />

vivants’’ (vocation) (Gen. 2. 15-19). Pour la bonne fin de son projet l’Eternel est soucieux d’assister<br />

l’Homme dans l’usage que celui-ci, fait des dons constituant son identité et donc dans<br />

l’accomplissement de la vocation qui lui est confiée.<br />

Ce Projet divin, incarné dans l’espace et le temps, suppose donc un itinéraire à parcourir par<br />

l’Homme au sein de cette Création. C’est cet itinéraire que nous pouvons convenir familièrement<br />

d’appeler « l’Autoroute » Il est difficile de penser que celle-ci ne mène nulle part et que<br />

l’Homme, tel qu’il a été créé (« à l’image et comme à la ressemblance de Dieu » et doté de<br />

« l’haleine de vie » du Créateur), soit finalement promis à retourner après sa vie terrestre à<br />

un« néant-non-être personnel».<br />

Le tracé de « l’Autoroute » doit donc être conforme à un Plan de Dieu, que l’Homme-Adam devra<br />

suivre en respectant les instructions du Créateur. Mais, on sait que, cédant aux séductions du<br />

Serpent, Adam et Eve ont choisi de rompre l’alliance qui les unissait au Créateur. Cette rupture<br />

était incompatible avec la poursuite de leur cheminement sur « l’Autoroute », Ils en ont donc été<br />

chassés et leur itinéraire se poursuit à travers " champs ", au milieu de péripéties et d'épreuves de<br />

toutes sortes. Il est bien certain que Adam et Eve ne sont plus dans l’itinéraire prévu par Dieu et<br />

s’ils doivent aboutir quelque part, ce ne sera pas là où devait les amener « l’Autoroute ».<br />

Mais l’Éternel n’a pas renoncé à son Plan originel, car son amour pour l’Homme est sans repentance.<br />

Ce point ne fait pas partie de la « Révélation » directe, mais résulte de ce que nous pouvons<br />

comprendre des actes et interventions divines tout au long de l’histoire biblique. La Bible peut<br />

être vue comme le récit des efforts obstinés de Dieu pour ramener cet Homme par étapes sur la<br />

« bonne Voie ». Toutes les formes successives d’Alliance qu’il offre à Noé, Abraham, Moïse, qu’il<br />

élabore, étend, élève, puis affine et redresse par la bouche des Prophètes, enfin par Jésus, sont<br />

autant de « bretelles de ré-entrée vers l’Autoroute » qu’il ouvre devant la marche de l’Homme,<br />

pour que, finalement, un jour, celui-ci rtrouve la perspective de pouvoir arriver là où l’Éternel<br />

l’attend : au terme-accomplissement de « l’Autoroute ».<br />

Ces ré-entrées possibles sont offertes successivement à des destinataires qui sont, d’abord un<br />

homme et son clan (Noé puis Abraham), ensuite un peuple nouveau rassemblé à cet effet,<br />

30


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

conduit par Moïse, à savoir : les descendants d’Abraham, auxquels il a joint une avant garde des<br />

nations (Exode 12. 38), enfin l’humanité tout entière à la suite de Jésus.<br />

Parvenus à ce stade, nous devons ouvrir notre réflexion à ce que recouvrent deux réalités spirituelles<br />

nouvelles, constitutives de la pédagogie de l’Eternel à l’égard de l’homme, pour tout à la fois les<br />

unir et les distinguer soigneusement, à savoir la « justification » et le « salut ». Commençons<br />

par énoncer leurs contenus respectifs, avant de préciser leurs relations mutuelles.<br />

REMARQUE<br />

La comparaison avec une « Autoroute », n’est qu’une « image » bien limitée, car son parcours, en réalité,<br />

invite l’Homme, non pas seulement à franchir la distance proposée, mais à œuvrer pour une transformation-accomplissement<br />

radicale de ladite Autoroute, de son environnement et des voyageurs qui la parcourent.<br />

Non seulement l’homme est en charge « d’accomplir le Jardin de l’Eden-Autoroute, mais de<br />

s’accomplir lui-même en cours de route ! Il convient, en effet, de réfléchir à la portée gigantesque de ces<br />

mots du Livre de la Genèse (2.15) :<br />

« Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin de l’Eden pour le garder et le cultiver »<br />

Le verbe « garder » utilisé dans le texte hébreu implique bien qu’il y a dans le voisinage des risques et<br />

périls à conjurer. Et le verbe « cultiver », complété par la mission de « nommer » les animaux-êtres vivants<br />

(Gen. 2. 19-20), signifie que le Créateur a confié à l’homme le soin d’accomplir peu à peu la finalité<br />

du Jardin de l’Eden en en faisant apparaître les « fruits ».<br />

On conçoit donc qu’une mission aussi considérable ne peut être accomplie par n’importe quel genre<br />

d’homme et que la relation permanente de cet homme avec l’Eternel Créateur est d’une importance capitale.<br />

* * *<br />

31


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 9<br />

Justification et Salut : contenus respectifs<br />

L’identification-confusion entre ces deux réalités constitutives du Plan de Dieu a été dans l’histoire<br />

et demeure aujourd’hui encore la source d’incompréhension et de querelles entre Chrétiens et entre<br />

Chrétiens et Juifs. Il convient donc de préciser ce dont il s’agit :<br />

La Justification :<br />

Lorsque l’homme fils d’Adam, perdu depuis des millénaires dans le paganisme et l’idolâtrie, accepte<br />

de revenir vers l’Autoroute par la « bretelle » qui lui est ouverte, c’est à dire en langage<br />

biblique, qu’il accepte la proposition d’Alliance que lui fait l’Éternel, il est « justifié ». La<br />

« justification » dont parlent les Premier et Nouveau Testaments, c’est ce retour vers<br />

« l’Autoroute » des voies de Dieu, et c’est l’acceptation par l’homme de l’Alliance que son Créateur<br />

lui offre, pour retrouver la perspective de parvenir un jour au terme-accomplissement du Plan<br />

divin.<br />

Le Livre de la Genèse utilise ce concept à propos d’Abram (Abraham) :<br />

« Abram eut foi dans le Seigneur et pour cela le Seigneur le considéra comme juste »<br />

(Genèse 4. 6)<br />

La justification d’Abram est le fruit de la foi-confiance (Emounah) que celui-ci a mise dans les<br />

promesses de Dieu, promesses d’une descendance et d’une terre pour cette descendance. C’est<br />

pourquoi en Genèse 4.18, le texte poursuit :<br />

« En ce jour, le Seigneur conclut une alliance avec Abram … »<br />

Dans la pensée biblique, foi, justification et alliance sont liées. Et dans l’expérience chrétienne,<br />

l’acte de foi qui conduit à cette même « justification-alliance » est la démarche de l’homme issu des<br />

« nations » païennes qui le conduit au baptême. Le baptême en Jésus Christ est l’intégration du<br />

pagano-chrétien dans l’Alliance de Dieu, dont il se trouve désormais co-bénéficiaire avec le Peuple<br />

Élu engendré en Abraham. Ce n’est que par voie de conséquence son intégration dans l’Égliseinstitution.<br />

La demande de baptême est un acte personnel de foi qui conduit celui qui le fait à sa<br />

« justification » devant Dieu. L’homme pagano-chrétien, qui a demandé et reçu le baptême avec<br />

foi, a franchi le péage de retour vers « l’Autoroute » des voies de Dieu et retrouve donc la perspective<br />

de parvenir un jour au terme-accomplissement de son itinéraire. C’est seulement ce ‘’terme’’<br />

de l’itinéraire qui s’appelle le « Salut », à ne pas confondre avec le franchissement du « péage »,<br />

c'est-à-dire l’ouverture de la bretelle d’accès à « l’Autoroute » (Justification), en direction de ce<br />

que nous appelons le Salut.<br />

Le Salut :<br />

Il correspond à une tout autre réalité que la Justification. Car nul véhicule admis à franchir<br />

le péage qui mène à une autoroute n’est assuré de parvenir à la destination voulue (Salut). Si<br />

le véhicule mal entretenu est défectueux et tombe en panne, ou si le conducteur est inattentif,<br />

s’endort au volant, commet des imprudences de conduite, est imbibé d’alcool ou prend la<br />

première bretelle de sortie qui s’offre, préférant s’évader vers une destination autre que celle prévue,<br />

... il ne parviendra pas au terme-accomplissement en vue duquel il avait été admis sur ladite<br />

bretelle.<br />

Tout ceci correspond aux conditions de bonne arrivée au terme-Salut. Mais le problème du Salut<br />

n’est pas défini pour autant. En quoi consiste ce Salut ? Être sauvé, qu’est-ce que cela veut dire ?<br />

32


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Être sauvé de quoi ? Par qui ? Comment ? Au terme considéré, qu’y a-t-il, non seulement comme<br />

« terme », mais comme « accomplissement », comme « couronnement » de l’engagement, des<br />

efforts de vigilance, de persévérance, de rectitude de conduite pendant toute la durée du parcours<br />

?<br />

L’apôtre Paul a donné aux Philippiens un schéma d’explication d’une remarquable concision. Parlant<br />

du Christ initiateur de notre « Salut », il dit :<br />

‘’ Lui (Jésus) qui était de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir de se<br />

faire l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, … il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la<br />

mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré<br />

le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les<br />

cieux, sur la terre et sous la terre et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur,<br />

à la gloire de Dieu le Père’’ (Phlippiens 2: 6 à 11)<br />

Paul rappelle qu’en Jésus-homme la condition humaine est divine par son origine, créée à l’image<br />

et comme à la ressemblance de Dieu. Il poursuit en soulignant qu’à la différence du Premier Adam<br />

séduit par le Serpent, Jésus « Dernier Adam » (1 Corinthiens 15. 15) n’a pas cédé à la tentation de<br />

se faire l’égal de Dieu, mais s’est abaissé. Dans le texte qui suit, Paul affirme qu’en conséquence,<br />

Dieu a ressuscité Jésus et l’a souverainement élevé, lui donnant le ‘’Nom qui est au-dessus de tout<br />

nom’’. C’est décrire la glorification spirituelle de Jésus, lequel est désormais l’Homme admis à rejoindre<br />

et à partager l’intimité même de Dieu pour l’éternité. Car, pour Jésus-homme, être ressuscité<br />

et « glorifié », c’est être admis à réintégrer le Jardin de l’Eden, par delà l’abîme de la mort désormais<br />

vaincue, après avoir été franchie. A la suite de Jésus et par son mérite étendu par Dieu à<br />

toute l’humanité, tout homme est désormais appelé à semblable résurrection et glorification.<br />

Ceci est, à notre intention, attesté par Paul, qui qualifie Jésus à la fois de « Dernier Adam » (1<br />

Corinthiens 15. 45) et de « premier-né de toute la création » nouvelle. (Colossiens 1. 15). Et<br />

de façon plus explicite encore :<br />

« Ceux que d’avance Dieu a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de<br />

son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères. Ceux qu’il a prédestinés,<br />

il les a aussi justifiés et ceux qu’il a justifié, il les a aussi glorifiés ». (Romains 8. 29-30)<br />

Voilà, très schématiquement résumé, le processus et la consistance du Salut dans l’optique chrétienne<br />

du Nouveau Testament. On conçoit que cette notion du « Salut » est tout autre chose qu’un<br />

simple terme de l’itinéraire de notre « Autoroute ». Ce n’est pas réellement la fin du voyage. C’est<br />

une métamorphose radicale du voyageur dans les trois dimensions selon lesquelles il avait été<br />

créé : corps, âme et esprit. C’est une métamorphose qui le sort pour l’éternité des limites<br />

présentes de l’espace, de la matière et du temps, qui sont présentement un séjour d’exil hors du<br />

Jardin de l’Eden. Le mystère du « Salut » n’est pas élucidé pour autant, puisqu’il évoque l’ineffable<br />

de la Personne divine, mais il est ainsi mieux circonscrit par rapport à nos condition et destinée<br />

humaines.<br />

Et l’on comprend que la problématique de ce « Salut » est tout ensemble inséparable et distincte<br />

de celle de la «Justification ». Mais, beaucoup de querelles théologiques ont résulté entre<br />

Chrétiens et Juifs, et entre Chrétiens eux-mêmes, de leur confusion. Il nous faut donc examiner<br />

comment le Nouveau Testament, notamment Paul, enseignent la portée de ces deux aspects du<br />

Plan de Dieu et comment il nous semble que, le plus souvent, les théologies diverses les ont<br />

confondues.<br />

Quittons donc notre parabole de « l’Autoroute », mais gardons-nous de l’oublier. Elle nous fournira<br />

des points de repère utiles pour ne pas nous égarer dans des abstractions métaphysiques en<br />

analysant ce que nous disent de ces problèmes les deux Testaments à leur niveau qui est spirituel.<br />

REMARQUE<br />

Dans ce qui précède, nous avons juxtaposé deux conceptions-définitions du baptême. Il importe<br />

d’examiner la manière de les faire coïncider. Reprenons notre texte ci-dessus (p. 26) :<br />

33


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

« La demande de baptême est un acte personnel de foi qui conduit celui qui le fait à sa « justification »<br />

devant Dieu. L’homme pagano-chrétien, qui a demandé et reçu le baptême avec foi, a franchi le péage<br />

de retour vers « l’Autoroute » des voies de Dieu et retrouve donc la perspective de parvenir un jour au<br />

terme-accomplissement de son itinéraire ».<br />

Cette formulation s’appuie en effet sur les textes du Nouveau Testament qui évoquent les engagements que<br />

prennent de nouveaux disciples en demandant le baptême, tels l’eunuque Ethiopien baptisé par Philippe (Actes<br />

8. 36-39), Paul baptisé sur injonction d’Ananias (Actes 22 :16), et cette conception est explicitée par<br />

l’apôtre Pierre dans sa 1 ère lettre (3. 21) qui qualifie le baptême « d’engagement envers Dieu d’une bonne<br />

conscience ». Dans son discours de la Pentecôte, Pierre avait appelé les « 3000 » au baptême pour la rémission<br />

de leurs péchés et la réception du don de l’Esprit Saint.<br />

Il est certain que ceci correspond à la problématique du baptême d’adultes, donc d’êtres conscients et responsables.<br />

Et l’on conçoit aussi que lorsque s’est généralisé dans l’Eglise le baptême d’enfants en bas âge,<br />

on se pose des questions. Ils ne sont ni personnellement pécheurs, ni conscients ni responsables.<br />

Mais la frontière entre les deux pratiques est-elle aussi nette qu’il semble ? Lorsque Pierre à Césarée a baptisé<br />

le centurion Corneille, après la venue de l’Esprit Saint sur toute l’assistance de ces incirconcis, c’est toute<br />

la « maison qui a du être baptisée, y compris les femmes, les enfants et les esclaves, selon les usages du<br />

temps. Lorsque Paul et Silas, emprisonnés à Philippe en Macédoine ont été libérés de leurs chaînes par intervention<br />

divine, Paul a dit au geôlier de bonne volonté : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé toi et<br />

ta maison … sans plus attendre, il reçut le baptême, lui et tous les siens » (Actes 16. 31)<br />

Mais il est évident que le baptême des nouveaux-nés pose un problème de fond qu’il faut analyser, sérieusement,<br />

car la solution est complexe et dépend du contexte. Nous reviendrons plus précisément sur ce point<br />

capital, lorsque nous traiterons du Sacrement du Baptême<br />

D’une manière générale ne peut-on se demander si l’omni-présence du « Sacramentel » dans la pastorale de<br />

l’Eglise n’est pas exagérée, aux dépens d’une évangélisation fondée d’abord sur l’enseignement de la Parole,<br />

c'est-à-dire le « kérygme » de base. Certains théologiens de l’Eglise Catholique le pensent et le disent,<br />

comme on le verra plus loin.<br />

Il importe donc, dans notre chrétienté d’aujourd’hui, terre de mission, non de dédaigner le « sacramentel »,<br />

mais de le re-spiritualiser. N’oublions pas que Jésus a commencé son ministère messianique par son baptême<br />

dans le Jourdain, geste hautement symbolique et prophétique …<br />

* * *<br />

34


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 10<br />

Justification et Salut :<br />

Relations mutuelles - Distinctions chez l’Apôtre Paul<br />

Relations Mutuelles<br />

Le Premier Testament et le Nouveau Testament sont les expressions distinctes d’une même Révélation-Alliance<br />

dont Dieu a poursuivi la manifestation au travers des générations et des millénaires.<br />

Mais, ils sont bien distincts, ayant des axes de pensée et de pédagogie divine différents.<br />

La Bible hébraïque retrace essentiellement l’histoire des « commencements de la Création »,<br />

celle à la fois du cosmos et de l’Homme, et aussi l'histoire des « commencements de la relation»<br />

entre Dieu et l’Homme, c’est à dire de l’Alliance. La préoccupation majeure du Peuple Hébreu-Juif,<br />

c'est l’Alliance, en vue de vivre quotidiennement cette Alliance selon toutes les modalités<br />

et prescriptions qu’il a plu à l’Éternel de lui donner au départ en la personne d’Abraham et de<br />

Moïse. Le problème capital pour l’Hébreu-Juif, c’est donc l’entrée et le maintien en Alliance avec<br />

Dieu de l’homme pécheur fils d’Adam. Cette entrée-maintien en Alliance est ce que le vocabulaire<br />

biblique appelle aussi la « justification » devant Dieu. Et l’autre face de l’Election d’Israël, est<br />

cette Justification. C’est de l’observance stricte de ces modalités et prescriptions de l’Alliance,<br />

contenues dans la Torah (écrite et orale), lui permettant de vivre selon l’éthique, que l’Hébreu-Juif<br />

attend, passionnément, la ‘’réussite’’ de ce monde. C’est essentiellement cette « réussite du<br />

monde » que le Judaïsme traditionnel appelle le « Salut ».<br />

Le Nouveau Testament est inspiré d’une tout autre problématique, celle de la préparation et de<br />

l’amorce des « temps de la fin ». Le souci majeur du christianisme n’est donc plus seulement<br />

focalisé sur l’Alliance, mais sur « l’accomplissement final » de la Création et de l’Homme.<br />

Certes, le problème reste : comment vivre l’Alliance au jour le jour, puisqu’à l’évidence cette Alliance<br />

demeure ? Mais le problème capital et « nouveau » est : Que deviennent cette Alliance et<br />

la relation entre Dieu et l’Homme dans « l’au-delà des jours» ? Le souci de la « Justification-<br />

Alliance » n’est nullement méconnu par le Nouveau Testament, mais il débouche nécessairement<br />

sur celui du « Salut Eternel » .<br />

De même le souci de la «réussite du monde», qui préoccupe essentiellement le Judaïsme, n’est<br />

aucunement absent de ce Nouveau Testament, mais celui-ci enseigne que cette réussite de ce<br />

monde trouvera un « accomplissement-plénitude » inimaginable dans un ‘’au-delà des<br />

jours’’ eschatologique.<br />

S’agissant là aussi d’ineffable, Jésus n’en a parlé que par approximations et paraboles. Il l’appelle<br />

le plus souvent le « Royaume de Dieu » et déclare que ce Royaume commence dès ici-bas, mais<br />

trouvera son couronnement dans les cieux.<br />

Distinctions chez Paul<br />

La distinction entre ces deux concepts de Justification et de Salut, pratiquement inexistante<br />

dans le Judaïsme, et très floue dans le Christianisme de la Première Eglise de Jérusalem, est<br />

l’œuvre de Paul. C’est parce que celui-ci, Juif de la diaspora, a été choisi par Dieu pour être l’apôtre<br />

des païens, qu’il a dû séparer ces deux notions. Pour un Juif de son temps, né dans l’Alliance et<br />

enseigné dans la tradition d’Israël, Alliance, Torah et Salut sont pratiquement synonymes. De<br />

là vient la grande divergence qui a opposé Paul et cette primitive Eglise de Jérusalem, laquelle<br />

pensait que les païens adhérant à Jésus se devait de devenir « Juifs » dans toute l’acception du<br />

35


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

terme, c'est-à-dire adoptent toutes les observances de la Loi de Moïse liées à l’Alliance-<br />

Justification, pour pouvoir être assurés du Salut en Jésus-Messie.<br />

Au contraire, Paul familier depuis son enfance des cultures et religions païennes en vigueur dans<br />

sa région natale de Tarse (Asie Mineure) a mesuré la voie particulière qu’avaient à suivre ces<br />

païens pour venir au Christ. Il fallait seulement, et là était la conversion essentielle de leur vie,<br />

qu’ils adhèrent à l’Alliance nouée en Abraham, c’était leur « Justification ». Mais, ils obtenaient<br />

celle-ci par grâce par la foi en Jésus-Christ. Paul l’exprime en termes concis :<br />

« Mais maintenant, sans la loi est manifestée la justice de Dieu attestée dans la loi et les<br />

prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ… tous ont péché et sont privés de la<br />

gloire de Dieu. Et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption<br />

qui est dans le Christ Jésus » (Romains 3.20-24)<br />

Sans les confondre, Paul réunit donc ici dans une même phrase Justification et Salut. Pour lui,<br />

la Justification-Intégration dans l’Alliance est rétroactivement obtenue par les païens par leur foi<br />

au Salut reçu gratuitement de la Rédemption qui est en Jésus-Christ. Point ne leur est besoin<br />

des « œuvres » (observances) de la Loi de Moïse.<br />

A l’exemple d’Abraham<br />

Abraham lui-même, encore Abram, a été « justifié » par sa foi dans les promesses de l’Eternel<br />

(Genèse 15. 6). Ce n’est que bien après (Genèse 18. 23-24), que Dieu lui demanda de se soumettre<br />

à la circoncision. De même, les multiples observances annexes ne sont intervenues que plus de<br />

400 ans plus tard sous Moïse.<br />

S’il y a eu dans la vie d’Abraham un « avant » et un « après » décisifs, il s’agit de cette<br />

Foi-Justification-Alliance. Ensuite, dans le vécu de cette Alliance il y a eu un long itinéraire de<br />

progression, comme aussi de défaillances et d’infidélités. Il en est ainsi pour un païen qui adhère à<br />

Jésus-Christ. L’acte-seuil qui transforme et doit métamorphoser sa vie présente et à venir, c’est<br />

son baptème-entrée dans l’Alliance-Justification.<br />

Car il y a, en l’espèce, une différence radicale entre la circoncision et le baptême. La circoncision<br />

d’un petit Juif aujourd’hui, comme, il est par ailleurs, n’est que l’attestation-confirmation officielle<br />

d’une Alliance déjà en vigueur, le sceau apposé sur un contrat déjà conclu et vécu entre<br />

l’Eternel et le Peuple Elu tout entier depuis Abram. Au contraire, pour un enfant de paganochrétien<br />

le baptême est constitutif d’une alliance, encore inexistante pour lui et qui va désormais<br />

l’unir au Créateur. Cet enfant-là, lui, n’est pas « conçu et né dans l’Alliance-Justification »,<br />

comme l’est le petit Juif.<br />

Et, comme le dit l’apôtre Paul, cet enfant de païen ou de pagano-chrétien, puis l’adulte qu’il deviendra,<br />

bénéficient gratuitement de cette Justification-Alliance « par grâce, par le moyen de<br />

la rédemption qui est dans le Christ-Jésus » (Romains 3.20). Et nous retrouvons alors la<br />

conséquence qu’en tirait Paul, à savoir que les païens qui viennent au Christ n’ont nul besoin d’être<br />

soumis à toutes les observances de la Loi de Moïse. Ils sont gratuitement rattachés à « l’Alliance-<br />

Justification » et sont ainsi ramenés vers la voie de « l’Autoroute du Salut » par grâce, par le<br />

moyen de la Rédemption qui est dans le Christ-Jésus.<br />

Autrement dit, le seuil décisif pour le Juif d’aujourd’hui, c’est sa naissance dans l’Alliance qui remonte<br />

en Abram. Pour le pagano-chrétien c’est son baptême-entrée dans cette même Alliance, à la<br />

condition bien entendu que l’enseignement qui lui en est donné attribue bien à ce baptême, parmi<br />

tous les sacrements de l’Eglise, l’importance et la portée capitales qui lui reviennent.<br />

Or, peu à peu la tradition chrétienne après quelques générations de la primitive Eglise, a tout à la<br />

fois reconstitué une caste sacerdotale ( cependant Jésus avait nommé ses apôtres : roèh c’est à<br />

dire berger) et non cohen, c'est-à-dire prêtre) et donné à divers « signes » nommés « sacrements »<br />

une fonction cultuelle primordiale que l’on pourrait considérer comme de nouvelles<br />

« observances », issues d’une nouvelle « Loi », et qui, dans l’économie du Salut de l’Homme, ris-<br />

36


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

quaient de soumettre à un processus de conditions rituelles cette « grâce, gratuite, de la rédemption<br />

qui est en Christ-Jésus »,.<br />

Ces deux dérives, parallèles et à l’évidence liées entre elles, sont celles d’un Sacerdoce conçu et<br />

vécu sur le modèle du Sacerdoce lévitique et celle des Sacrements qui ont pris en importance dans<br />

la vie sacerdotale de l’Eglise la place que tenait l’enseignement de la Parole dans la mission des<br />

premiers Apôtres.<br />

Ces deux dérives subsistent-elles aujourd’hui ? Oui : Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (Mame-<br />

Plon 1992) p. 328 commente ainsi le Sacrement de l’Ordre : « La liturgie de l’Eglise voit cependant<br />

dans le sacerdoce d’Aaron et le service des lévites, tout comme dans l’institution des<br />

soixante-dix ‘’Anciens’’ des préfigurations du ministère ordonné de la Nouvelle Alliance … »<br />

Cette référence au culte de la Première Alliance apparaît énigmatique à de multiples points de<br />

vue : Jésus a annoncé (à la Samaritaine) la disparition du Temple et du culte mosaïque (Jean 4).<br />

Le soir de Pâque, il a soufflé sur les disciples présents, les a envoyés en mission et leur a donné<br />

pouvoir de remettre et retenir les péchés (Jean 20. 21). Il y avait là non seulement des<br />

« apôtres » mais de simples disciples, notamment les deux qui étaient de retour d’Emmaüs.<br />

Réserver la célébration des Sacrements au ministère ordonné hérité des apôtres apparaît donc<br />

contestable. De plus la référence aux soixante-dix Anciens de Moïse est difficilement défendable :<br />

ces « soixante-dix n’étaient que des « administrateurs civils », sans aucune fonction cultuelle et<br />

non choisis dans la tribu sacerdotale de Lévi-Aaron !<br />

* * *<br />

37


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 11<br />

Sacrements-Observances<br />

Est-il, en effet, possible de mettre en parallèle, d’une part les observances du culte et de la spiritualité<br />

mosaïques, et, d’autre part, les sacrements du culte chrétien ? Sur le plan des principes,<br />

non, car chacune de ces deux catégories de rites-signes répondent à des «logiciels» spirituels différents.<br />

Mais si l’on quitte le niveau de la théorie pour venir à celui du concret quotidien vécu par ces ritessignes<br />

au cours des siècles, force est bien de constater de troublants parallélismes. Nous l’avons<br />

observé dans diverses études précédentes : les sacrifices du Temple de Jérusalem ne pouvaient en<br />

rien se comparer à ceux offerts aux divinités des temples païens de l’époque qui n’étaient en fait<br />

que des opérations de « donnant-donnant » conclues entre l’homme et ces divinités : « Je<br />

t’offre en sacrifice un bœuf, et tu m’accordes telle faveur, protection, prospérité, etc. »<br />

Dans le Temple de Jérusalem le sacrifice offert par tout homme était, spirituellement parlant,<br />

l’offrande de lui-même, de sa personne et de tout ce qu’il avait reçu comme dons de l’Eternel.<br />

Cet homme rachetait sa propre vie, et ces dons, en y substituant l’offrande d’un animal. Abraham,<br />

pour revenir à lui, a finalement sacrifié le bélier sur le Mont Moriyya, mais il avait spirituellement,<br />

effectivement, et on pourrait ajouter, affectivement, consenti à sacrifier son fils chéri Isaac, si Dieu<br />

le lui redemandait. Cela dépasse infiniment toute optique de donnant-donnant, en conférant au<br />

sacrifice la dimension d’une relation personnelle et filiale de reconnaissance et d’amour entre<br />

l’Homme et son Créateur.<br />

Mais au long des générations d’Israël, qu’est devenue la pratique de ces sacrifices dans le Temple<br />

de Jérusalem ? Les lamentations de l’Eternel devant la paganisation de son Peuple Elu et du culte<br />

pratiqué, confirment la dérive intervenue entre la théorie et la pratique … Il suffit de quelques citations<br />

à cet égard :<br />

« Le jour où vous jeûnez, vous savez tomber sur une bonne affaire et tous vos gens de peine,<br />

vous les brutalisez, or vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute et en frappant du<br />

poing méchamment … Doit-il être comme cela le jeûne que je préfère ? »<br />

« Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens venant de la méchanceté …<br />

n’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Les pauvres sans abri, tu les hébergeras …<br />

alors, ta justice marchera devant toi et la gloire du Seigneur sera ton arrière-garde …<br />

(Isaïe 58. 3-8)<br />

« Ce peuple ne s’approche de moi qu’en paroles, ses lèvres seules me rendent gloire, mais<br />

son cœur est loin de moi. La crainte qu’il me témoigne n’est que précepte humain, leçon apprise<br />

… » (Isaïe 29. 13)<br />

« Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le Seigneur, les holocaustes de béliers, la<br />

graisse des veaux, je l’ai en horreur. Cessez de m’apporter de vaines offrandes, la fumée,<br />

j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus …<br />

(Isaïe 1. 11-13)<br />

« Il est double le péché de mon peuple : Ils m’abandonnent, moi la source d’eau vive pour se<br />

creuser des citernes, des citernes fissurées, qui ne retiennent pas l’eau » (Jérémie 2. 13)<br />

« Que personne n’ait l’audace de se défendre, que personne ne conteste, que ton peuple ni<br />

toi, prêtre, n’ose plaider, mon peuple sera réduit au silence faute de connaissance, puisque<br />

tu as repoussé la connaissance. Je te repousserai et tu ne seras plus mon prêtre »<br />

(Osée 4. 4-6)<br />

« … c’est l’amour qui me plait et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu, je la préfère<br />

aux holocaustes » (Osée 6.6-7)<br />

38


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Ces lamentations et reproches de l’Eternel sont de sa part la dénonciation d’un culte dévié de sa<br />

nécessaire sainteté par le fait de la faiblesse humaine et de la routine qui tend à s’installer dans la<br />

pratique de tout rite si, du moins, l’Esprit Saint ne revitalise pas en permanence la conscience de<br />

l’homme en lui inspirant chaque jour le « don de soi-même », par l’offrande de tout son cœur,<br />

de toute son âme et de toutes ses forces, c'est-à-dire de tout ce qui constitue sa vie reçue, son<br />

identité, l’appel à sa vocation.<br />

C’est bien la réflexion de base qui inspire Jésus proposant à la femme Samaritaine l’Alliance Renouvelée<br />

des temps messianiques de la fin :<br />

« Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous<br />

adorerez le Père … L’heure vient, elle est là où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit<br />

et en vérité, tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit » (Jean 4. 21-24)<br />

Certes, pour cela, a dit Jésus au début de l’entretien, il faut que l’Eau Vive irrigue en permanence le<br />

cœur et, donc, le comportement de l’homme au point de les transformer en « fontaine jaillissant<br />

en vie éternelle » et, d’abord, de les préserver chaque jour du risque de routine lié au rite.<br />

Considérant avec réalisme et humilité vingt siècles de Christianisme, aboutissant au matérialisme<br />

contemporain, ne peut-on se demander, avec Madeleine Delbrel, le Père Loew, comme avec<br />

l’évêque du Ruanda et bien d’autres, si l’Eternel ne se lamente pas à nouveau aujourd’hui encore<br />

devant nos citernes sacramentelles fissurées, qui ne retiennent pas l’Eau Vive ? (Jérémie 2. 13)<br />

REMARQUE<br />

Peut-on vraiment établir un parallèle entre les nombreuses « observances » de Moïse et les « sacrements » du culte<br />

chrétien ?<br />

Oui, un tel parallélisme apparaît vraisemblable aux yeux de certains penseurs <strong>juifs</strong> actuels. On peut citer, à cet<br />

égard, un commentaire fait en Octobre 2006 par Gérard Israël. (Revue SENS 7/8 – 2007 p. 430) :<br />

‘’ Au regard de l’accomplissement des rites, il serait artificiel d’opposer Christianisme et Judaïsme.<br />

Le Christianisme est aussi une pratique. L’Eucharistie telle qu’elle est pratiquée par le monde chrétien relève évidemment<br />

d’un souci d’accomplissement de la foi en la présence de Jésus en chaque Chrétien. Incorporer Dieu !<br />

L’incorporation permanente que tous les hommes, tout le monde, toute l’humanité accomplit, c’est le fait de se nourrir.<br />

La nourriture est incorporation. Et lorsque vous incorporez de la nourriture, eh bien, il n’y a pas une grande différence<br />

entre incorporer de la nourriture et incorporer la divinité’’.<br />

Il me paraît possible d’affirmer que l’ensemble des sacrements chrétiens pourraient être rapprochés de sa finalité eschatologique’’.<br />

Cette conception du mystère chrétien vu d’une optique juive est intéressante à connaître. Pour ma part, elle me semble,<br />

s’agissant de l’Eucharistie, dangereusement proche de la « pratique » de l’incorporation de la divinité qu’en<br />

avaient jadis les fidèles de la religion de Mithra. Et, l’apôtre Paul en précisant sa « Christologie » (Colossiens 2.9) a<br />

pris soin de prévenir ce genre d’amalgame entre Jésus et Mithra que risquaient de faire les pagano-chrétiens au<br />

contact des religions à mystère. Lorsqu’on lit certains passages (notamment pp. 79 à 81) du livre du Cardinal Lustiger<br />

‘’la Promesse’’, on peut se demander si le Cardinal ne dénonce pas un tel amalgame dans la conception que les pagano-chrétiens<br />

(hiérarchie incluse, précise-t-il) se sont f<strong>org</strong>és au long des siècles de la nature du Christ et des voies<br />

de son incarnation.<br />

* * *<br />

39


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 12<br />

Les Vannes de l’Eau Vive sacramentelle<br />

Les sacrements sont, dit-on, les canaux par lesquels est reçue la grâce divine promise par Jésus<br />

sous le vocable du Paraclet. Mais tout canal, toute conduite est commandée par des vannes et, au<br />

besoin, par des écluses. Pour que le tout fonctionne, il faut non seulement que le fluide concerné<br />

abonde (qu’il n’y ait pas de fissures), mais il faut aussi que les vannes et écluses remplissent leur<br />

office.<br />

Je comparerai volontiers le fluide sacramentel à la Puissance de l’Esprit, et les vannes et écluses<br />

aux dispositions du cœur de l’homme : il dépend de lui que la circulation du fluide dans les canaux<br />

ou conduites soit effective ou bloquée ou dissipée dans des fissures.<br />

J’ai souvent demandé à des adolescents et à des adultes : « Quelle est pour vous la parole la<br />

plus fondamentale qu’a prononcée Jésus durant sa vie terrestre ? ». Les réponses ont<br />

été multiples, par exemple : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés … » « Allez,<br />

baptisez toutes les nations … » « Ceci est mon corps, ceci est mon sang … » « Je le ressusciterai<br />

au dernier jour … »<br />

Tout cela est effectivement capital, mais ce n’est pas ce qui commande l’ouverture des vannes ni<br />

des écluses. Lorsqu’il a parlé de l’accession au Royaume de Dieu, Jésus a présenté deux voies distinctes<br />

:<br />

L’une est ouverte au bénéfice des « nations », c'est-à-dire des hommes qui ne connaissent pas<br />

le Dieu Un d’Abraham, d’Isaac, de Jacob … et de Jésus. Ils ne peuvent donc être jugés que sur les<br />

critères de la morale naturelle annoncés jadis à Noé :<br />

« J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire,<br />

j’étais nu et vous m’avez vêtu, malade ou en prison et vous m’avez visité … Chaque fois que<br />

vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait… Venez,<br />

les bénis de mon Père, entrez en possession du Royaume …’’ (Matthieu 25. 35 ss.)<br />

Il n’y a là dans les critères retenus pour l’élection de ces ‘’bénis’’ aucune « observance » ni aucun<br />

« sacrement », ni même aucun article de foi.<br />

L’autre voie est plus exigeante, car elle est ouverte devant les bénéficiaires de la Révélation<br />

du Dieu UN, dont le Christ fils d’Israël a été fait « Porte-Parole-Verbe ». Pour ceux-là, Jésus<br />

s’exprime ainsi :<br />

‘’ Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il<br />

me suive. En effet, quiconque veut sauver sa vie la perdra, mais quiconque perd sa vie à<br />

cause de moi, l’assurera …’’ (Matthieu 16. 24 ss.)<br />

‘’ De grandes foules faisaient route avec Jésus. Il se retourna et leur dit : ‘’Si quelqu’un veut<br />

venir à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants… il ne peut être<br />

mon disciple … Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite, ne peut être<br />

mon disciple’’. (Luc 14. 27)<br />

Ce commandement-là s’adresse à tous les croyants par delà toute obligation d’observances ou<br />

toute proposition de « canaux » rituels. Et tout le discours du Christ dit des « Dix Béatitudes »<br />

(Matthieu 5. 3 ss.) apparaît comme une version renouvelée des Dix Paroles du Sinaï<br />

« accomplie » pour les « temps de la fin ». C’est à leur sujet que Jésus précise devant ses auditeurs<br />

éberlués et effrayés par le niveau d’exigence de ce qui est demandé :<br />

40


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

« Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi et les prophètes, Je ne suis pas venu abolir,<br />

mais accomplir ». (Matthieu 5. 17)<br />

Et de fait, chacune de ces Dix Béatitudes est en substance tirée par Jésus de l’Ecriture Sainte de la<br />

Première Alliance. Mais la routine des générations successives l’avait oublié ou affadi …<br />

L’appui sur la Première Alliance remonte d’ailleurs bien plus loin. Car un semblable appel au renoncement<br />

à soi-même avait été jadis adressé par Dieu à Abraham, sous plusieurs formes :<br />

D’abord une forme globale, que nous avons déjà commentée : « Quitte ton pays, ta parenté, la<br />

maison de ton père et va … » (Genèse 12.1), ce qui déjà implique un dépouillement spirituel de<br />

tout l’enracinement de l’Abram païen dans sa culture, sa religion et ses enfermements héréditaires<br />

d’homme charnel.<br />

Ensuite, selon une progressivité pédagogique dans l’Alliance, Dieu a demandé à Abraham infiniment<br />

plus :<br />

« Ton fils, celui que tu aimes, Isaac, tu me l’élèveras en holocauste… » (Genèse 22.2)<br />

Là, le test de fidélité-dépouillement a atteint les sommets du renoncement à soi-même et à ce que<br />

ce « soi-même » avait de plus cher. Abraham est sorti vainqueur du test et a mérité de l’Eternel la<br />

confirmation de la dernière de ses Promesses :<br />

« C’est dans ta descendance que se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu as<br />

écouté ma voix … » (Genèse 22 ;18)<br />

L’appel au renoncement adressé par le Christ à ses disciples, fait écho au renoncement d’Abraham.<br />

Jésus, lui-même modèle du renoncement total, a souligné que là était la « voie » du Salut. Il a fait<br />

le rapprochement :<br />

« Abraham a exulté à la pensée de voir mon jour, il l’a vu et il s’est réjoui».(Jean 8.56)<br />

L’apôtre Paul a lui aussi prêché le renoncement total de façon saisissante :<br />

« Notre vieil homme a été crucifié avec lui (Christ) afin que soit détruite cette personne<br />

charnelle de mort » (Romains 6. 6)<br />

« Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme … il vous<br />

faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir<br />

l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté … » (Ephésiens 4.22 ss.)<br />

* * *<br />

41


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 13<br />

L’irrigation des Sacrements par l’Eau Vive<br />

Quel rapport tous ces développements peuvent-ils avoir avec notre thème de réflexion sur ce que<br />

sont les « sacrements » ? Avons-nous voulu dire qu’ils sont aujourd’hui superflus, ou inefficaces,<br />

ou dépassés par une spiritualité qui manifesterait ses richesses et ses finalités par d’autres voies, et<br />

de façon plus authentique ?<br />

Au contraire, nous avons voulu souligner que, sous leurs formes rituelles, ils ont tendu, comme les<br />

sacrifices jadis offerts dans le temple de Jérusalem, à perdre de leur dimension hautement spirituelle.<br />

Dans le Judaïsme du Second Temple, les Esséniens s’étaient totalement retirés de la pratique<br />

sacrificielle ! Et il est évident que nombre de leurs conceptions du culte « nouveau » à rendre à<br />

Dieu ont profondément influencé les premières générations de la primitive Eglise de Jérusalem.<br />

D’ailleurs, comment ne pas rapprocher ces conceptions esséniennes de l’annonce de Jésus à la<br />

Samaritaine de la venue d’un « culte en esprit et en vérité » ?<br />

Nous n’avons aucunement, non plus, l’intention de sous-estimer la valeur précieuse du « rite » en<br />

matière de sacrement, à la condition qu’il n’y ait là que le signe visible, humain et terrestre d’une<br />

puissance d’amour invisible, divine et transcendante, manifestée dans l’Immanence.<br />

Mais, comme l’a dit Jésus à ses disciples et même à des foules entières, ce n’est pas en vertu d’une<br />

participation à des rites, surtout s’ils sont affadis par les routines du temps, que l’on peut « suivre<br />

Jésus ». Le renoncement à soi-même, la mort du vieil homme, la crucifixion de « l’ego » sont les<br />

clés de l’accès au Royaume de Dieu à la suite du Christ. Tout sacrement authentiquement célébré,<br />

enseigné, reçu et vécu, manifeste la « participation du chrétien à la Passion du<br />

Christ … pour avoir part à sa Résurrection ». L’expression est contenue dans le livre de la<br />

‘’Promesse’’ du Cardinal Lustiger :<br />

« … La vocation chrétienne, au sens le plus fondamental et le plus rigoureux du mot, trouve là<br />

une signification d’une force extrême : prendre part à la Passion du Christ qui porte la souffrance<br />

de son peuple et travaille à la rédemption du monde ». (La Promesse p. 78)<br />

L’apôtre Paul avait, d’ailleurs, donné une expression analogue pour formuler ce qu’est la vie chrétienne,<br />

tout entière sacramentelle-sacrificielle, et qu’il appelle une vie « nouvelle » dès cette existence<br />

terrestre :<br />

« Par le baptême en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui , afin que comme Christ<br />

est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle »<br />

(Romains 5. 4)<br />

« Ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair en faveur de son corps<br />

qui est l’Eglise » (Colossiens 1.24)<br />

Tous les sacrements peuvent être analysés à travers ces critères, car la principale action de l’Esprit<br />

Saint - Eau Vive dans un être, comme dans une institution quelconque, est de lui apprendre à<br />

mourir pour « naître à nouveau ». Nicodème, Juif pieux et pénétré de la Torah écrite et orale,<br />

n’a rien compris à ce langage du Rabbi de Nazareth lui disant : « A moins de naître de nouveau,<br />

nul ne peut voir le royaume de Dieu … » (Jean 3. 3). Aujourd’hui, nous pourrions transposer en<br />

disant : Une pratique sacramentelle qui ne vise pas et ne conduit pas le croyant au renoncement à<br />

soi-même est vaine pour sa progression vers le Salut éternel car, au dire de Jésus lui-même, « il ne<br />

peut être son disciple ».<br />

Mon expérience de plus de 20 ans de Renouveau et récemment de plus de cinq ans comme membre<br />

d’une équipe de Catéchèse, m’a montré qu’au sein de la chrétienté dans son immense majorité,<br />

et jusqu’en haut de la hiérarchie, un tel langage apparaît non seulement incompréhensible, mais<br />

incongru, voire schismatique.<br />

* * *<br />

42


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

3 ème Partie<br />

Tous les Sacrements :<br />

un même Logiciel !<br />

------------------------------------------<br />

Chapitre 14<br />

Une Diversité de Sacrements dans la pratique<br />

Les sept sacrements retenus par l’Eglise Catholique sont: le Baptême, l’Eucharistie, la Confirmation,<br />

la Réconciliation, l’Onction des malades, l’Ordre, le Mariage.<br />

Instruits par l’Exégèse et la Théologie traditionnelles, nous avons appris à classer ces sacrements<br />

les uns par rapport aux autres selon l’importance qui leur était attribuée pour conduire à bon port<br />

la vie chrétienne. Et, à cet égard, la tradition reconnaît aussi le Baptême, l’Eucharistie et la<br />

Confirmation comme les trois « sacrements d’initiation » les considérant donc comme des<br />

fondements de l’Alliance-Relation entre Dieu et l’Homme.<br />

Mais parmi ces trois sacrements l’Eglise a élevé à la première place l’Eucharistie comme annonce<br />

de la Mort et de la Résurrection du Christ, « jusqu’à ce qu’il vienne … » ainsi que l’exprime l’apôtre<br />

Paul (1 Cor. 11. 23-27). Certes, voilà une clé du cheminement du disciple du Christ vers son Salut.<br />

Mais en faire le sommet de l’édifice de la relation avec l’Eternel, constitue une hiérarchisation qui<br />

n’est pas évidente.<br />

Nous reviendrons plus précisément sur ce point dans notre développement concernant le Sacrement<br />

de l’Eucharistie. Car une telle hiérarchisation n’existait pas au début de l’Eglise. Les<br />

« signes » considérés comme sacrements étaient moins nombreux et il n’y avait guère de hiérarchie<br />

établis entre eux. Les Actes des Apôtres nous montrent Pierre arrivant tout intimidé à Joppé<br />

chez un païen, le centurion Corneille. En fait, il était interdit par la Loi d’Israël à un juif d’entrer<br />

chez un païen. Pierre commence à annoncer le Messie à toute l’assistance qu’il trouve là. Tout à<br />

coup l’Esprit Saint en manière de Pentecôte descend sur chacun des incirconcis présents, qui se<br />

mettent eux-aussi, comme les disciples de la Première Pentecôte, à parler en langues et à célébrer<br />

la grandeur de Dieu (Actes 10.44). Force est bien de les baptiser ensuite. La Confirmation-<br />

Pentecôte a donc précédé le Baptême !<br />

Le jeune Saul de Tarse reçoit lui aussi sa « Pentecôte » sur le chemin de Damas. Il est rendu aveugle<br />

par l’éclat du Christ qui lui apparaît dans sa Théophanie. On le conduit à Damas chez un disciple<br />

nommé Ananias qui, sur commandement de Dieu, impose les mains à Saul qui recouvre la vue.<br />

C’est le « sacrement des malades ». Ce n’est qu’ensuite que Saul reçoit le baptême. A vrai dire,<br />

étant juif, fils d’Abraham, il était déjà dans l’Alliance … Le Baptême lui vient donc de façon insolite<br />

: après la Confirmation-Pentecôte et le Sacrement des malades !<br />

43


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Ces deux épisodes attestent donc la souveraine liberté de l’Esprit Saint qui dans ses manifestations<br />

impromptues bouleverse souvent notre conception des préséances liturgiques et les habitudes sacramentelles.<br />

Dans la première génération chrétienne, c’est bien la Pentecôte qui a été l’événement<br />

décisif, marquant à la fois la maturité spirituelle des disciples et le véritable envoi en mission de<br />

l’Eglise. Jésus l’avait annoncé à diverses reprises et en dernier lieu quelques instants avant<br />

l’Ascension, disant :<br />

« Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous. Vous serez<br />

alors mes témoins …» (Actes 1.8)<br />

Il est bon de souligner la portée profonde de cet « alors » prononcé par le Christ !<br />

44


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 15<br />

La Notion de Sacrement<br />

dans l’intimité des consciences<br />

La compréhension que se font des sacrements la grande majorité des baptisés est souvent aléatoire,<br />

pour ne pas dire ambiguë.<br />

Il y a quelques temps, nous l’avons déjà dit, dans un groupe d’une quinzaine de chrétiens, tous<br />

croyants et pratiquants, à propos d’un débat sur le baptême, l’animateur a posé la question suivante<br />

: « Quelle différence voyez-vous entre une ‘’efficacité sacramentelle’’ et une ‘’efficacité magique’’<br />

? Personne n’a pu donner une réponse !<br />

L’animateur a alors insisté : « Entre ‘’Sésame ouvre-toi d’Ali-Baba et les 40 Voleurs’’ et les paroles<br />

de l’Eucharistie ; ‘’Ceci est mon corps …’’ quelle différence ? » Pas de réponse !<br />

Triste carence d’enseignement.<br />

Quelle est donc la portée des signes sacramentels dans la conscience des fidèles ? Entrons donc un<br />

peu dans « l’économie » des sacrements, en ayant présente à l’esprit la parabole du Semeur (Matthieu<br />

13. 4). Et en commençant par ceux que l’on appelle Sacrements d’Initiation que sont le Baptême,<br />

l’Eucharistie et la Confirmation, qui ont leur source dans le Nouveau Testament et ont été<br />

institués par Jésus lui-même :<br />

- le Baptême : Jésus l’a institué en le recevant de Jean-Baptiste et en en changeant radicalement<br />

la nature, la portée, la signification, pour lui-même et pour tous ses disciples à sa suite, comme<br />

nous le préciserons plus loin. Il a sans doute administré ce ‘’nouveau’’ baptême à ses propres disciples,<br />

puisque ceux-ci ont, à leur tour, baptisé sous ses yeux des foules nombreuses (Jean 4. 1 et 2).<br />

L’efficacité-fécondité de ce baptême (confirmé par la Pentecôte) sur ses disciples a été immense,<br />

puisque aujourd’hui, plus de 20 siècles après, nous en sommes les fruits, selon la parole de Jésus<br />

(Matthieu 28. 19). Mais les processus de ladite efficacité ont été complexes et le moins que l’on<br />

puisse dire, est qu’elle n’a été ni immédiate, ni automatique, ni encore moins magique ! Nous<br />

l’avons noté plus haut. Il est bon d’y revenir.<br />

Durant les 2 ans et demi ou 3 ans de leur proximité physique et spirituelle avec Jésus, ils sont demeurés<br />

dans une incompréhension totale de la personne de Jésus, de sa mission et par conséquent<br />

de leur propre mission future. Comme tous ceux qui ont « suivi » Jésus, ils l’ont considéré comme<br />

le Messie attendu depuis des siècles par Israël, pour restaurer le trône de David, son ancêtre, chasser<br />

l’occupant romain et Hérode l’imposteur, régner sur le Peuple Elu, etc. Les citations à cet<br />

égard sont multiples (Matthieu 19. 28 , 20. 21 , Luc 1. 26 à 35 , Jean 1. 49 , Jean 12. 13 , etc.). Les<br />

disciples ont donc pensé que Jésus allait bientôt prendre le pouvoir et qu’eux-mêmes seraient les<br />

ministres, officiers, gouverneurs du nouveau roi Jésus, fils et héritier de David.<br />

- L’Eucharistie : Onze de ses disciples ont assisté et participé à la Dernière Cène. L’évangile de<br />

Luc en rapporte le déroulement, puis mentionne l’avertissement donné par Jésus que l’un des disciples<br />

va le trahir. Tous savent la tension qui existe depuis des mois entre Jésus et les Autorités du<br />

Temple, et pensent que les événements ne peuvent que se précipiter. L’épreuve de force pour la<br />

prise du pouvoir est proche ! L’évangile de Luc précise qu’au sortir de cette Dernière Cène :<br />

« Ils en arrivèrent à se quereller sur celui d’entre eux qui leur semblait le plus grand ! »<br />

(Luc 22. 24)<br />

Est-ce que cela ne ressemble pas aux négociations toujours ardues pour la constitution d’un ministère<br />

? en l’espèce, le tout proche ministère du roi Jésus. ?<br />

Curieuse suite d’une Eucharistie … !<br />

45


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

- La Confirmation : Là aussi nous avons déjà noté le fait. Il faut y revenir. Le soir de Pâque, des<br />

disciples de Jésus sont rassemblés (Jean 20. 19 et ss.), les portes de la maison étant fermées de<br />

crainte des Juifs. Les deux disciples, dits d’Emmaüs, viennent les y rejoindre. Le texte précise :<br />

« Ils trouvèrent les onze et leurs compagnons » (Luc 24. 33 ss.) et Jésus ressuscité du matin paraît<br />

soudain parmi eux. Après un temps, il leur dit :<br />

‘’ Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux<br />

et leur dit :« Recevez l’Esprit Saint».<br />

Envoi en mission d’Eglise avec l’onction de l’Esprit Saint, c’est ce que tout catholique a retenu<br />

de sa Confirmation et des Confirmations auxquelles il a assisté depuis lors.<br />

Là encore, le moins que l’on puisse dire est que cette parole, ce verbe à l’impératif présent, de Jésus<br />

ressuscité n’a pas eu d’efficacité immédiate, automatique, … et encore moins magique !<br />

Cette onction de l’Esprit Saint ainsi donnée par Jésus au soir de Pâque ne leur a aucunement ouvert<br />

les yeux sur la personne du Christ, sa mission, la signification de sa mort et de sa résurrection,<br />

ni sur la finalité de cet Esprit Saint, ni de leur « envoi » par Jésus.<br />

Selon les récits des Evangiles, les disciples ont revu le Seigneur et se sont entretenus avec lui nombre<br />

de fois surtout en Galilée, durant les 40 jours qui séparent ce jour de Pâque de celui de<br />

l’Ascension. On s’aperçoit que leur espoir de voir Jésus devenir le nouveau roi d’Israël (et euxmêmes,<br />

sa cour), un moment évanoui lors de la Passion, est ressuscité avec lui.<br />

Et, juste quelques instants avant l’Ascension, ils lui posent à nouveau la question qui les lancine<br />

depuis le premier jour :<br />

‘’ Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ?’’ (Actes 1. 6)<br />

Décidément, l’efficacité visible de cette Confirmation-Onction de l’Esprit Saint n’a été en eux ni<br />

rapide, ni automatique, ni magique ! Il a fallu encore dix jours après l’Ascension pour qu’elle se<br />

manifeste de façon spectaculaire dans le feu de la Pentecôte !<br />

Pourquoi ces 40 jours + 10 jours ? D’ordinaire, lorsque Jésus prononçait une parole, celle-ci<br />

s’accomplissait immédiatement, parfois même à distance, pour une guérison, une délivrance, un<br />

pardon, la résurrection d’un mort, une multiplication de pain, le changement d’eau en vin,<br />

l’apaisement d’une tempête, le dessèchement d’un figuier … Pourquoi ici encore 50 jours entre la<br />

parole ( + le souffle) du Christ et ses effets perceptibles dans le cœur des disciples ?<br />

Alors, aujourd’hui également, dépassons les explications théologiques abstraites. Dans les vies et<br />

consciences chrétiennes, qu’est une Confirmation ? Et en conséquence par extension, qu’est un<br />

Sacrement ?<br />

Nous pouvons proposer ci-après une parabole … explicative.<br />

46


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 16<br />

La Parabole de la Croisée d’Ogives<br />

appliquée à la Confirmation<br />

Le Principe de la Confirmation :<br />

On pourrait comparer tout sacrement, et d’abord la Confirmation, à une «Croisée d’Ogives».<br />

Comme on le sait, il s’agit là d’un système d’architecture comportant deux arcs de voûtes entrecroisés<br />

à leur sommet et reposant à la base sur quatre piliers.<br />

Commençons donc par la Confirmation, comparée à une croisée d’ogives reposant sur quatre<br />

piliers, qui sont :<br />

1) Le Baptême : entrée dans l’Alliance avec Dieu en Jésus Christ impliquant spirituellement<br />

une mort et une résurrection à une « vie nouvelle » dès cette présente vie terrestre.<br />

2) Une Relation Personnelle avec Dieu en Jésus Christ nourrie par la pratique des sacrements,<br />

notamment l’Eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, pour le<br />

Salut du monde, et appel (en mémoire de lui) à la mort du Vieil Homme en chaque disciple et à sa<br />

résurrection Homme Nouveau apte à être envoyé en mission,<br />

3) Les Armes du Combat spirituel permanent contre les forces du Mal qui sont en<br />

l’homme, mais aussi, comme le précise l’apôtre Paul (Ephésiens 6. 12), « dans les Autorités, les<br />

Pouvoirs et les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les esprits du mal qui sont dans les cieux »,<br />

Paul détaille également les différentes armes du combattant de la foi (Ephésiens 6.13-18). Lorsque<br />

Jésus est sorti de l’eau du Jourdain et a été intronisé par la voix du Père et l’onction de l’Esprit<br />

Saint, comme Messie de ‘’toute’’ l’humanité, l’Evangile de Matthieu (4. 1) poursuit :<br />

‘’ Alors, l’Esprit Saint conduisit Jésus au désert pour y être tenté par le diable …’’<br />

4) L’Envoi en Mission par Dieu d’une créature humaine implique, en effet, nécessairement<br />

l’entrée dans le combat spirituel et suppose la réception des armes spirituelles adéquates. Ce fut le<br />

cas pour Adam. Le livre de la Genèse précise sa mission (2.15) et les dons de charisme et<br />

d’environnement porteur dont il est investi par l’Eternel (2.7 et 2.10 à 14).<br />

Et c’est même la raison fondamentale pour laquelle la plénitude de l’Esprit Saint est indispensable.<br />

Car la vie chrétienne n’est pas essentiellement le fruit « de croyances » ni d’une « doctrine » mais<br />

un combat permanent. Les Actes des Apôtres précisent que, peu avant l’Ascension Jésus en a averti<br />

ses disciples :<br />

‘’ Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y<br />

attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche …Vous,<br />

c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours’’. (Actes 1. 4)<br />

Quarante jours après l’injonction de Jésus comportant un verbe à l’impératif présent du soir de<br />

Pâque : « Recevez l’Esprit Saint … » (Jean 20.22), voilà maintenant un verbe au futur : « vous<br />

serez baptisés d’ici quelques jours ». Et Jésus confirme (c’est bien le mot qui convient) quelques<br />

versets plus loin : « Vous recevrez une puissance, celle du Saint Esprit , qui viendra sur vous.<br />

Alors vous serez mes témoins … »<br />

Les Explications : la Clé de Voûte.<br />

Pourquoi ces perturbations voulues dans la concordance des temps ? La réponse est très simple.<br />

Mais pour aider à le comprendre, il faut bien saisir comment « tiennent » une voûte et les arcs<br />

d’une Croisée d’Ogives. Entrons donc dans quelques précisions<br />

47


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Ce qui est en question est le principe même de la voûte. Celle-ci est l’une des plus étonnantes inventions<br />

humaines en matière d’architecture. La superposition de pierres convenablement taillées<br />

permet de tendre des arcs de voûte d’une grande portée. La pesanteur de chaque pierre équilibre la<br />

poussée de toutes les autres et il est possible avec une grande économie de matière d’édifier sur<br />

cette apparente fragilité des constructions imposantes.<br />

Pendant la construction de la voûte (et des arcs), il faut poser chaque pierre à sa place en la supportant<br />

provisoirement par un robuste coffrage qui maintient l’ensemble jusqu’à ce que soit posée<br />

la dernière pierre, celle du sommet de la voûte (ou de l’arc). Tant qu’elle n’est pas posée et bien<br />

calée à sa place, le coffrage est indispensable. Si celui-ci cédait, avant la pose de cette dernière<br />

pierre, l’ensemble s’écroulerait. Dès que cette dernière pierre est en place, on peut enlever ce<br />

coffrage, la voûte ou l’arc « tient ». La présence de cette dernière pierre est condition absolue de<br />

l’efficacité de toutes les autres. Voilà pourquoi on l’appelle la «Clé de Voûte»<br />

Les architectes du Moyen Age ont génialement usé de ce système pour la construction des cathédrales,<br />

combinant les arcs de voûtes en faisant se croiser par leur sommet deux arcs, parfois davantage,<br />

une même « clé de voûte » particulièrement robuste assurant donc l’équilibre de plusieurs<br />

arcs entrecroisés,<br />

Revenons au Sacrement de la Confirmation. Nous avons rappelé ses quatre piliers : Baptême, Relation<br />

Personnelle avec Dieu en Jésus-Christ, Envoi en mission, Armes du Combat Spirituel. Ainsi<br />

décrite, il manque à cette croisée d’ogives la dernière pierre, celle du sommet commun des deux<br />

arcs, c’est à dire la « clé de voûte » de l’ensemble, sans laquelle rien ne tient. Dans<br />

l’enseignement chrétien usuel cette « clé de voûte » existe, mais mal positionnée par rapport à<br />

l’ensemble, comme si elle constituait un « plus » utile pour l’esthétique spirituelle, non un élément<br />

capital pour l’édification du Royaume dès cette présente vie terrestre et pour l’édification de<br />

chaque baptisé dès son enfance.<br />

L’apôtre Paul en a fait cependant le fondement de la vie en Christ et pour prendre une autre image,<br />

biblique elle aussi, il lui a donné l’importance de la « pierre de l’angle » garante, au dire même de<br />

Jésus (Matthieu 21. 42), de la solidité d’une construction en terrain accidenté et mouvant.<br />

Concernant toute vie spirituelle, cette clé de voûte ou pierre d’angle est la nécessaire « mort du<br />

Vieil Homme » condition de la « naissance de l’Homme Nouveau ». C’est le « renoncement<br />

à soi-même », dont parlait Jésus, comme nous l’avons rappelé plus haut. C’est<br />

l’abandon libre et volontaire par chaque homme de ses attachements charnels, de ses emprisonnements<br />

dans les instincts de la chair ou dans l’<strong>org</strong>ueil de l’intellect et de l’ego, de son enfermement<br />

dans les mœurs ou des traditions installées et figées, dans les ambitions égoïstes, etc. Jésus<br />

en a fait le thème central, de son enseignement dit des « Béatitudes »<br />

« Heureux les pauvres de cœur : le royaume des cieux est à eux,<br />

« Heureux les doux et humbles de cœur, ils auront la terre en partage,<br />

« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice : ils seront rassasiés… »<br />

C’est la « clé de voûte » de la vie chrétienne, sinon il n’y a que religiosité et heurts de croyances et<br />

de doctrines. Et c’est aussi l’explication des 40 + 10 jours écoulés entre la Confirmation des disciples<br />

par Jésus au soir de Pâque et la Théophanie du feu de la Pentecôte descendant sur chacun des<br />

disciples présents.<br />

C’est surtout l’explication des 10 jours supplémentaires entre l’Ascension et la Pentecôte. Car lorsque<br />

ces disciples ont vu Jésus enlevé sous leurs yeux dans la nuée, ils ont enfin compris que leur<br />

Seigneur ne serait jamais roi de l’Israël terrestre et eux-mêmes jamais ses ministres, officiers,<br />

chambellans, etc. Alors ils ont accepté de ne plus rien comprendre, ni espérer, ni prévoir, ni ambitionner,<br />

ni vouloir … Ils ont réalisé qu’il leur fallait seulement attendre … sans savoir quoi (et cela<br />

s’appelle : la Foi), prier … sans savoir précisément en vue de quoi (et cela s’appelle l’Espérance), se<br />

préparer à une mission … sans savoir exactement laquelle ni comment…. (et cela s’appelle<br />

L’Amour gratuit)<br />

48


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Quand ils ont pu renoncer à tout cela, non pas comme on abandonne à regret un trésor, mais<br />

comme on quitte une défroque trouée … c’est alors seulement que l’Esprit Saint a pu (accepter de)<br />

pénétrer en eux. Et leur métamorphose intérieure a été d’une ampleur déconcertante. Ils étaient<br />

enfin « opérationnels » pour la mission … et le combat. Telle est la « clé de voûte-pierre de<br />

l’angle » de l’Alliance Renouvelée que Dieu propose désormais à chaque homme pour le conduire<br />

dans les temps de la fin.<br />

Il y a bien longtemps, à l’origine de cette Alliance dont nous vivons, avant même de lui faire les<br />

trois promesses dont nous sommes aujourd’hui les co-héritiers en Jésus-Christ, l’Eternel, nous<br />

l’avons déjà rappelé, avait demandé à Abraham :<br />

‘’ Quitte ta nation, ta parenté, la maison de ton père et va vers toi » (Genèse 12. 1)<br />

Nous l’avons de même déjà rappelé, voilà quatre termes placés en sens inverse de ce<br />

qu’impliquerait une simple migration physique et disposés dans l’axe d’un dépouillement progressif<br />

allant en Abraham du plus extérieur de ses environnements charnels vers le plus intérieur de<br />

son être.<br />

Ce fut la ‘’clé de voûte’’ de la vocation d’Abraham. Il a accepté de quitter toutes ses attaches et de<br />

partir, sans savoir où il devait aller…Il a consenti à offrir son fils Isaac, sans comprendre comment<br />

serait néanmoins perpétuée sa descendance promise …<br />

Jésus a confirmé ceci en parabole, avant d’en donner l’exemple en sa personne :<br />

« Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Si au contraire il meurt, il porte<br />

beaucoup de fruits. Celui qui aime sa vie la perd … » (Jean 12. 24)<br />

* * *<br />

49


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 17<br />

La Clé de Voûte du Baptême<br />

Le signe visible du baptême est l’immersion dans l’eau, laquelle est à la fois signe de mort et condition<br />

de vie. Ce baptême signifie donc la mort du vieil homme et sa résurrection à une vie nouvelle.<br />

Baptême et Confirmation ont des significations et des fruits identiques, ainsi qu’une clé<br />

de voûte unique qui est le renoncement à soi-même et le passage par la Croix à la suite du Christ.<br />

Les Eglises Orthodoxes les célèbrent, d’ailleurs, en même temps, quel que soit l’âge du baptisé.<br />

Le baptême chrétien, immersion accompagnée d’une onction de l’Esprit Saint, est « introductif »<br />

dans l’Alliance en Jésus Christ et ouvre au baptisé la voie du Salut par la grâce de la Rédemption<br />

qui est dans le Christ, selon l’expression de Paul. Ce baptême est donc différent de celui que Jésus<br />

a reçu dans le Jourdain des mains de Jean le Baptiste. Ce baptême de Jean était un acte public de<br />

repentance des péchés et de purification afin d’être en état d’accueillir la venue du Messie proclamée<br />

devoir être imminente. Jésus, en recevant une telle « immersion », en a, sinon changé la nature,<br />

du moins amplifié considérablement la portée. Ce baptême en sa personne est devenu signe<br />

de restauration-métamorphose totale de l’homme fils d’Adam-transgresseur de l’Alliance,<br />

chassé du Jardin de l’Eden, voué à la mort et privé de l’espérance du Salut.<br />

La distinction opérée au cours des âges dans les Eglises d’Occident entre Baptême et Confirmation,<br />

imputable au baptême des enfants, baptême qu’il fallait bien « valider » à l’âge adulte, a eu des<br />

effets positifs et négatifs. L’effet positif a été de mettre l’accent dans la Confirmation sur la nécessité<br />

de recevoir l’aide de l’Esprit Saint pour vivre authentiquement l’Alliance et assumer les aléas du<br />

« combat spirituel ». L’inconvénient est que, de ce fait, la portée et la fiabilité de ce qui est reçu au<br />

Baptême, en ont été fâcheusement minorées.<br />

Par exemple, comme indiqué plus haut, le Sacrement de l’Ordination en est venu dans la pratique<br />

des siècles à être vécu comme un super-baptême, alors que par sa nature et sa finalité, il est un<br />

fruit des deux Sacrements majeurs, source en amont de toute la vie chrétienne, que sont le Baptême<br />

et (sa validation) la Confirmation.<br />

REMARQUE<br />

Il nous faut revenir sur la problématique du baptême des enfants nouveaux-nés issus de parents dont la<br />

fiabilité chrétienne s’avère incertaine. Des distinctions s’imposent :<br />

1/ Si les parents, qui présentent cet enfant au baptême, sont conscients de leur responsabilité et guident<br />

ponctuellement cet enfant dans les voies de la foi jusqu’à ce qu’il soit « en âge de raison » et donc<br />

capable à la fois de ratifier les engagements pris en son nom lors de son baptême et d’assumer sa responsabilité<br />

devant Dieu, un baptême d’enfant n’est pas critiquable.<br />

Un certain parallèle peut, d’ailleurs, être établi entre un tel baptême et la circoncision d’un petit juif le 8 e .<br />

jour après sa naissance. Là aussi les parents s’engagent à le faire grandir « devant la face de Dieu ». Et<br />

l’intéressé sera mis en situation de ratifier, ou non lors de sa « bar-mitsva » les engagements pris en<br />

son nom et cette reconnaissance de son appartenance au Peuple Elu.<br />

Le petit pagano-chrétien baptisé dans l’enfance pourra lui-aussi ratifier, ou non, lors de sa<br />

« confirmation » les engagements de son baptême pris en son nom à sa naissance. Il est vrai que circoncision<br />

et baptême répondent à des caractéristiques différentes. Le petit juif est « né » dans<br />

l’Alliance. Son appartenance au Peuple Elu est héréditaire. La circoncision est déclarative de cette appartenance.<br />

Pour le petit pagano-chrétien, le baptême est au contraire « constitutif » de son entrée dans<br />

l’Alliance avec Dieu.<br />

2/ La clé de fécondité d’un tel baptême est à situer dans la foi des parents, tant que l’enfant n’est pas<br />

parvenu à l’âge de raison. Si à l’inverse de ce qui est dit ci-dessus, ces parents ne tiennent pas fidèlement<br />

leur engagement d’élever leur enfant dans la foi chrétienne, il est certain que ce baptême risque<br />

fort d’être privé de ses fruits. S’il a été décidé par ces parents par routine sociologique, pour répondre<br />

aux souhaits de grands parents, il fonctionne un peu comme une « amulette » devant « porter bonheur<br />

». En ce cas, comme le dit le Père Loew, ce n’est qu’une coquille vide et morte.<br />

50


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Et dans ce cas, dés le début du processus, les églises devraient éviter de tels « profanations » du sacrement.<br />

Il est certain que, dans l’époque contemporaine, devant l’effondrement de la foi et de la pratique<br />

religieuse, même au sein de familles de baptisés, il faut être très restrictif en matière de baptème<br />

des enfants en bas âge. Une catéchèse est donc à reprendre d’urgence, en commençant par une réévangélisation<br />

des adultes parents d’abord.<br />

Car dans les Dix Paroles du Décalogue donné par l’Eternel au Sinaï, la Parole : « Tu honoreras ton<br />

père et ta mère » figure parmi les cinq premières Paroles qui visent la relation entre Dieu et l’homme,<br />

non pas parmi les cinq dernières, qui concernent les rapports entre les hommes. C’est bien signe de la<br />

mission imprescriptible des parents de transmettre à leurs enfants la filiation divine et spirituelle, puisqu’ils<br />

leur ont transmis la filiation biologique et sociologique.<br />

51


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 18<br />

La Clé de voûte de l’Eucharistie<br />

Un problème délicat à poser… celui de la « Présence réelle »<br />

Les « fonctions » des ministres de la primitive Eglise, qui étaient celles d’enseignants charismatiques,<br />

ont en quelques générations été « cléricalisées » et sont donc devenues des « sacerdoces »,<br />

contrairement à ce que prescrivait tout le Nouveau Testament. Leurs titulaires ont été alors désignés<br />

par le mot grec « iereus », c’est à dire « prêtres », comme les prêtres de la première Alliance<br />

ou ceux des cultes païens de l’époque. De même le « Repas du Seigneur » qui était primitivement<br />

caractérisé par une bénédiction en mémoire du Christ prononcée au début du repas familial par le<br />

chef de famille, est devenu une cérémonie rituelle célébrée dans un lieu sacré par un ministre<br />

d’Eglise.<br />

Ceci traduisait l’évolution intervenue quant à la compréhension de ce qu’est l’Eucharistie, au fur<br />

et à mesure que la grande majorité des fidèles dans l’Eglise a été composée de baptisés de culture<br />

grecque et non plus juive. Le facteur principal de cette mutation a, en effet, tenu à la langue désormais<br />

dominante, le grec, dont la tendance est « logique-démonstrative » et non plus l’hébreu<br />

qui est surtout « symboliquement intuitif ».<br />

La source d’une compréhension authentique de l’Eucharistie est, bien sûr, l’offrande que Jésus a<br />

faite de lui-même dans ses paroles de la Dernière Cène : « Ceci est mon corps livré… ceci est mon<br />

sang répandu… » et non pas seulement : « ceci est mon corps » et « ceci est mon sang », car Jésus<br />

a mis l’accent sur l’offrande de sa Personne et de sa Vie et non sur une transformation du pain en<br />

son corps et du vin en son sang. Mais, la Tradition chrétienne a peu à peu interprété ces mots de<br />

façon littérale, fruit de son imprégnation dans la culture grecque.<br />

La Doctrine a, en effet, enseigné au long des siècles que dans les espèces consacrés le Christ était<br />

« réellement présent ». Il en est résulté une « transsubstantiation sacralisante » non seulement<br />

de ces espèces consacrées, mais autour d’elles par extension selon une logique quasisuperstitieuse,<br />

des objets du culte que les laïcs n’avaient pas la permission de « toucher ». Le<br />

Concile Vatican II a effacé cela et, depuis lors, les laïcs peuvent « toucher » les objets du culte et<br />

même les hosties consacrées. Et on ne se soucie plus aujourd’hui de savoir combien de temps cette<br />

« présence réelle » demeure dans l’estomac de ceux qui ont reçu ces espèces consacrées…<br />

De nombreux théologiens enseignent maintenant qu’il ne s’agit pas là d’une « présence » comme<br />

celle d’un objet qui est devant nous. Et que le terme « réelle » est ambigu, car il pourrait renforcer<br />

encore le risque de chosification de cette présence. En fait, elle est une présence spirituelle. Mais<br />

des divergences continuent à opposer les Eglises chrétiennes entre elles. Certaines voient la présence<br />

dans les espèces consacrées, d’autres la voient dans les baptisés qui les reçoivent,<br />

d’autres encore au sein de la communauté de partage qu’ils forment…<br />

Ainsi, ce signe donné par le Christ comme source de communion fraternelle devient facteur de<br />

division, au mépris de sa parole:<br />

« Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous<br />

eux aussi » (Jean 17. 21).<br />

La Doctrine de la « Présence Réelle » a voulu, a-t-on dit, prévenir le risque de n’y voir qu’une<br />

Présence Symbolique », comme si « symbolique » était le contraire de « effective ou agissante<br />

». C’est ignorer la puissance de signification de la langue sémitique qui était celle de Jésus<br />

et de ses disciples. Dans son livre : ‘’ Le Partage du Pain Eucharistique’’ (pp 290 ss.), le Père<br />

Xavier Léon-Dufour s’exprime longuement sur ce point. Bien que ce soit une entreprise ardue,<br />

essayons de nous inspirer de sa pensée.<br />

52


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Ce n’est pas le hasard si l’évangéliste Jean ne rapporte pas la « Dernière Cène », ni les paroles<br />

du Christ dites « sacramentelles » qui ont été retenues à cet égard, par les Synoptiques et Paul. La<br />

vision de Jean concernant l’Eucharistie est tirée du chapitre 6 de son Evangile relatant<br />

l’enseignement de Jésus sur le « Pain de vie ». En voici quelques versets :<br />

« Je suis le pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour<br />

l’éternité. Le pain que je lui donnerai, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie …<br />

(Jean 6.51)<br />

« … si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, ni ne buvez son sang, vous n’aurez pas<br />

la vie en vous … (Jean 6. 53)<br />

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui … (Jean 6. 56)<br />

Et Jésus constate l’effarement et la débandade de ses auditeurs, l’entendant proposer une nourriture<br />

si peu ‘’casher’’. Il ajoute, alors, pour « dédramatiser et expliquer » son propos :<br />

« C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites, sont esprit<br />

et vie … » (Jean 6.63)<br />

Jésus est bien conscient que si on donne à ses paroles une signification littérale et « chosifiante »,<br />

on aboutit à des absurdités blasphématoires. Il affirme donc qu’il faut les comprendre de façon<br />

« symbolique ». C’est le genre de langage sapientiel fréquent à l’époque depuis quelques siècles<br />

dans le message de la Première Alliance, notamment dans le livre des Proverbes. Ce livre, par<br />

exemple, « personnalise » symboliquement la Sagesse, qui oeuvre auprès de Dieu pour la Création<br />

du monde, mais, l’auteur du livre ne fait nullement de cette Sagesse un « démiurge » et (à la<br />

manière de Philon d’Alexandrie) un Dieu N° 2 !<br />

Selon le même évangile de Jean, comme indiqué plus haut, Nicodème avait été interloqué<br />

d’entendre Le Rabbi de Nazareth lui dire : « A moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le<br />

royaume de Dieu ».<br />

Et Nicodème ne retenant que le sens littéral avait répondu naïvement :<br />

« Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux. Pourrait-il entrer une seconde fois<br />

dans le sein de sa mère et naître ? (Jean 3. 3-4)<br />

Il faut savoir que les langues sémitiques ont un vocabulaire pratiquement dépourvu de termes abstraits.<br />

Pour exprimer des abstractions, comme tout ce qui appartient au domaine spirituel, à la<br />

relation de l’homme avec la Transcendance divine, il faut employer des mots concrets, ou raconter<br />

des paraboles, et donner à tout cela par d’abondants commentaires un sens symbolique. On voit<br />

alors combien la traduction de l’hébreu ou de l’araméen en tout autre langue est une entreprise<br />

périlleuse. Car si on traduit un mot concret sémitique par un mot également concret dans une autre<br />

langue, sans transposer ce qu’il évoque au niveau symbolique qui convient, on est en total<br />

contresens, avec la bonne conscience d’une rectitude formelle !<br />

Ce n’est pas, en la matière, par l’intellect logique, comme celui qui est issu pour l’Occident des racines<br />

grecques de sa culture, mais avec le « cœur », que l’on peut s’approcher des mystères de<br />

Dieu. Ce n’est sans doute pas le hasard, non plus, si l’Eternel a choisi, pour révéler son Être et son<br />

Plan de Salut, ce genre de langue sémitique, dans laquelle il est impossible de faire de la philosophie<br />

ou de la théologie. Dieu est et veut demeurer au-delà de toute « saisie » intellectuelle.<br />

Tout cela pose d’énormes questions d’autant que la doctrine de l’Eglise sur l’Eucharistie et la<br />

« présence réelle » a changé au cours des âges. Il faut refaire un peu d’histoire .<br />

Mais, auparavant, il est utile de faire une remarque d’ordre linguistique relative à une phrase prononcée<br />

par Jésus dans son discours sur le « Pain de Vie » du chapitre 6 de l’Evangile de Jean. Il<br />

s’agit d’une précision d’importance :<br />

« C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit<br />

et vie »<br />

Les paroles du Christ dans ce verset sont évidemment très importante, mais d’une grande subtilité.<br />

Nous n’avons cet Evangile de Jean et les trois autres, qu’en grec, hélas.<br />

53


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

On aimerait savoir ce que Jésus a réellement dit dans ces paroles publiques, pronocées sans doute<br />

en araméen.<br />

Mais le choix des mots par le rédacteur en grec est assez énigmatique. En hébreu le même mot «<br />

basar » signifie à la fois : corps biologique, et même plus directement encore, « viande », et également<br />

: personne, personnalité , individu, homme.<br />

Dans l’Evangile de Jean rapportant le discours sur le Pain de Vie, le mot grec utilisé pour traduire<br />

« corps ou chair » est « sarx » sémantiquement proche de « basar ». Traduisant les paroles de<br />

Jésus à la Dernière Cène, les Evangiles synoptiques et Paul choisissent en grec le mot « sôma »<br />

dont le sens n’est pas sensiblement différent.<br />

Dans les deux cas, il est évident que ce mot « basar », ou son équivalent en araméen, prononcé<br />

par le Christ, et les traductions par sarx et sôma, doivent être compris dans un sens symbolique.<br />

Or, lors de l’enseignement sur le Pain de Vie, ce n’a pas été la réaction des auditeurs directs de Jésus,<br />

qui se sont scandalisés. Et c’est pourquoi, comme rappelé plus haut, Jésus a dédramatisé en<br />

précisant immédiatement : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Il aurait donc été<br />

opportun que dans la tradition de l’Eglise, on interprète « basar » autrement que par le mot<br />

« chair-corps »<br />

A l’origine de l’Eglise :<br />

La « Didakè », manuel du culte de l’Eglise primitive de la fin du premier siècle, rapporte précisément<br />

la liturgie des premières Eucharisties publiques. Les textes de cette liturgie présentent des<br />

affinités avec des textes de la Communauté des Esséniens retrouvés à Qumran. Sont mentionnées<br />

dans cette Didakè les bénédictions prononcées, très proches des prières juives prononcées à table,<br />

mais les paroles dites « sacramentelles » tirées de la Dernière Cène (ceci est mon corps … ceci est<br />

mon sang …) n’y figurent pas, n’ayant sans doute pas été jugées fondamentales.<br />

D’autre part, dans un enseignement de Décembre 2006, le pasteur Housiaux a donné un éclairage<br />

capital sur la Dernière Cène elle-même :<br />

- C’est Jésus lui-même, présidant ce repas de Seder, et non un serviteur, qui apporte un récipient<br />

d’eau et il lave non pas ses propres mains, mais les pieds de ses apôtres, manifestation insolite<br />

d’humilité.<br />

- Au lieu de partager avec ses « invités » trois galettes de pain azyme sensées représenter le<br />

corps des prêtres, celui des lévites et celui du peuple, Jésus n’en partage qu’une. Il veut abolir la<br />

séparation entre ces trois corps. Il instaure donc un sacerdoce universel, transcendant toute distinction<br />

hiérarchique.<br />

- Au lieu d’élever quatre coupes de vin, chacune ayant une signification particulière, Jésus<br />

n’en élève qu’une seule. Et au lieu de l’accompagner de la prière qui était rituelle (pour la 4 e coupe)<br />

chez les <strong>juifs</strong> : ‘’ O Dieu, répands ta colère sur les peuples qui ne te reconnaissent pas’’ (Ps. 79. 6),<br />

Jésus dit au contraire une prière de rassemblement universel : ‘’ Cette coupe est la Nouvelle Alliance<br />

en mon sang versé pour une multitude’’.<br />

Il est tout-à-fait important de ne pas oublier ces « détails » dans notre lecture de ces passages !<br />

A l’époque contemporaine :<br />

Dans la tradition catholique précédant le Concile Vatican II, la doctrine de la Présence Réelle était<br />

liée à la compréhension que l’on enseignait de ce qu’était l’Eucharistie, à savoir le « Renouvelle-<br />

ment du sacrifice du Golgotha ». Il semble bien que cette notion de « Renouvellement » a été<br />

abandonnée après le Concile.<br />

Effectivement, elle n’est plus enseignée. Et avec la quasi-totalité des théologiens, le Père X. Léon-<br />

Dufour s’exprime désormais tout autrement. Il rappelle dans son livre (p. 301) que :<br />

« selon un sens courant du mot, le symbole désigne ce qui représente autre chose en vertu d’une<br />

correspondance analogique. Contrairement à une opinion répandue, cette correspondance ne<br />

s’impose pas d’emblée dans la chose qui devient symbole, elle s’y trouve seulement suggérée et<br />

c’est l’esprit de l’homme qui la reconnaît ou même l’établit ».<br />

54


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Le mot symbole vient du substantif grec « sumbolon » qui veut dire « signe, marque, jeton,<br />

signal, présage, emblème, drapeau, convention, symbole ». De la même racine que ce substantif<br />

vient le verbe « sum-ballô » qui signifie : « mettre ensemble, réunir, rapprocher ». User d’un<br />

symbole est donc réunir deux réalités de plans différents mais rapprochées en vue d’une finalité<br />

unique. N’est-ce pas ce que Jésus a fait à la Dernière Cène, présentant le pain et disant : « ceci est<br />

ma ‘’personne’’ livrée … »<br />

Il faut noter, d’ailleurs que dans son enseignement sur le Pain de vie et à la Dernière Cène, Jésus<br />

use du même symbole du pain pour évoquer sa « personne », mais il n’en énonce pas les termes<br />

dans le même ordre. Dans le Pain de Vie (Jean Chap. 6) il dit que son « corps est un pain à<br />

manger et son sang un breuvage à boire ». Et cela provoque un scandale, car les auditeurs, disciples<br />

inclus, n’ont pas compris qu’il s’agissait d’un « symbole ». A la Dernière Cène, Jésus dit en<br />

sens inverse : « Ce pain est mon corps, ce vin est mon sang … et cela est reçu sans difficulté<br />

car le caractère « symbolique » est très évident.<br />

et encore plus délicat à résoudre …<br />

« Que le IVe évangile soit tout pénétré de symbolisme est une évidence que nul ne songe à contester<br />

». Ainsi s’exprime le P. X. Léon-Dufour dans son livre mentionné plus haut. Concernant<br />

l’Eucharistie, il poursuit :<br />

« Jésus a dit : ‘’Je suis le pain descendu du ciel, non pas comme celui qu’ont mangé vos pères (la<br />

manne du désert) ; eux sont morts. Qui mangera de ce pain vivra éternellement ».<br />

Le Père X.Léon-Dufour précise :<br />

« Ce sont des métaphores : « manger la chair, boire le sang, c’est la manducation vivifiante, à<br />

savoir l’appropriation, dans la foi, du sacrifice salutaire de Jésus . Sans doute, par ces paroles,<br />

Jésus prédispose-t-il implicitement ses disciples, dans la mesure où ils accueilleraient ses enseignements,<br />

à entendre ce qu’ils comprendraient un jour pleinement à la lumière de l’Esprit (Pentecôte)<br />

: le devoir de participer sacramentellement à son sacrifice unique ».<br />

Participer sacramentellement à son sacrifice unique … » Cela rejoint ce que nous avons cité du<br />

Cardinal Lustiger dans son livre La Promesse (p.78) et qu’il faut rappeler à nouveau ici :<br />

« … La vocation chrétienne, au sens le plus fondamental et le plus rigoureux du mot, trouve là<br />

une signification d’une force extrême : prendre part à la Passion du Christ qui porte la souffrance<br />

de son peuple et travaille à la rédemption du monde ».<br />

« Prendre part à la Passion du Christ’’ rejoint à son tour l’autre parole de Jésus déjà citée :<br />

« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il<br />

me suive. En effet, quiconque veut sauver sa vie la perdra, mais quiconque perd sa vie à<br />

cause de moi, l’assurera …’’ (Matthieu 16. 24 ss.)<br />

« De grandes foules faisaient route avec Jésus. Il se retourna et leur dit : ‘’Si quelqu’un<br />

veut venir à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants… il ne peut<br />

être mon disciple … Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite, ne peut<br />

être mon disciple’’. (Luc 14.27)<br />

La clé de voûte eucharistique est là. Elle s’est, d’ailleurs, trouvée confirmée par l’apôtre Paul :<br />

‘’ … Nous tous, baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. Par le<br />

baptême dans sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que , comme Christ est<br />

ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. Car si<br />

nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection.<br />

Comprenons bien ceci : notre vieil homme a été crucifié avec lui pour que soit détruit ce<br />

corps-personne humaine (sôma) de mort’’. (Romains 6.6)<br />

55


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Si l’on pratique l’Eucharistie seulement en manducation du corps et du sang du Christ réellement<br />

présents-chosifiés dans les espèces consacrées et que l’on en attend une divinisation progressive de<br />

notre personne propre, c’est là rejoindre inconsciemment la magie-pseudo divinisante des banquets<br />

sacrés du culte de Mithra, contre laquelle l’apôtre Paul a réagi dans ses enseignements.<br />

La vie chrétienne et sacramentelle se déroule dans l’intimité du cœur de chaque baptisé, mais elle<br />

est un combat spirituel incessant contre l’Adversaire de l’extérieur et de l’intérieur. Or, on ne va<br />

pas au combat seul … C’est pourquoi l’Eglise est ‘’Corps du Christ Vainqueur’’, c'est-à-dire<br />

communauté-communion en Christ des combattants de la Foi, armés des armes spirituelles, dont<br />

la liste nous a été précisée par l’apôtre Paul :<br />

- Revêtez l’armure de Dieu pour être en état de tenir face aux manœuvres du diable,<br />

- Saisissez donc la vérité pour ceinture,<br />

- avec la justice pour cuirasse,<br />

- comme chaussures, l’élan pour annoncer l’Evangile de la paix,<br />

- le bouclier de la foi, pour éteindre tous les projectiles enflammés du Malin,<br />

- le casque du Salut,<br />

- le glaive de l’Esprit, c’est à dire la Parole de Dieu ».<br />

(Ephésiens 6. 10-17)<br />

Toutes ces armes sont « défensives ». Car, comme le disait il y a 30 ans le Père François Varillon,<br />

la victoire nous a été acquise par le Christ il y a vingt siècles et elle nous ouvre, depuis lors, les<br />

voies du Salut, ‘’en espérance’’… Mais si la victoire est déjà acquise, le combat fait rage de nos jours<br />

plus que jamais.<br />

Les Sacrements apparaissent comme un Glaive de l’Esprit qui nous affermit en permanence pour<br />

ce combat, si nous voulons bien ouvrir notre cœur et conformer notre vie aux dons de Dieu par la<br />

méditation des « piliers » qui les constituent et de la « clé de voûte » qui les rend féconds.<br />

Chaque baptisé est pierre vivante constituant les « piliers ». Il ne tient ferme dans le combat, que<br />

s’il conforme sa vie, y compris sa vie spirituelle et sacramentelle, à ce qu’implique pour lui-même<br />

et pour le monde, cette « clé de voûte ».<br />

Il apparaît bien navrant à notre époque de constater la désaffection de tant de baptisés vis-à-vis de<br />

la « pratique » (sacramentelle), celle de l’Eucharistie notamment. Il est consternant d’entendre les<br />

jeunes générations, qui souvent par entraînement familial y demeurent attachées, demander des<br />

« Messes Festives ». Car, pour beaucoup de ces jeunes, il faut que la Messe soit réjouissance,<br />

comme si la « Participation à la Passion du Christ », selon l’expression du Cardinal Lustiger, pouvait<br />

être « festive » au sens où l’entendent les jeunes. Voilà bien le signe de notre époque : on veut<br />

célébrer « Pâques » sans passer d’abord par la Croix. L’esprit matérialiste et jouisseur de la<br />

« société de consommation » pollue les consciences …<br />

Il faut dire que l’hyper-ritualisation de la liturgie eucharistique, dont la signification est ressentie<br />

par la plupart comme énigmatique bien plus que « symbolique », incite à ce genre de « blasphème<br />

festif ». Des jeunes m’ont dit : « Les sacrements, c’est comme un langage codé avec lequel on peut<br />

communiquer avec Dieu, une sorte d’internet spirituel dont les prêtres sont les serveurs »<br />

REMARQUE<br />

On peut rester perplexe devant bien des richesses tant de l’Ecriture Sainte que de la Théologie de<br />

l’Eglise, qui semblent avoir été méconnues dans la pratique et la Catéchèse …<br />

Un certain enseignement traditionnel a tendu à chosifier ce qui est « symbolique », pensant recevoir<br />

par là une meilleure appropriation du « divin ». Cette tendance trouve, semble-t-il, sa source dans la<br />

conception, également devenue traditionnelle, que la chrétienté de culture grecque s’est faite de<br />

« l’Incarnation ». Jésus a comparé le « Pain de Vie » qu’est sa « Personne » à la manne que Dieu a<br />

envoyée du ciel pour nourrir son Peuple Elu au désert du Sinaï. Et Jésus a précisé : « Le pain de<br />

Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie … C’est moi qui suis le pain de vie … »<br />

(Jean 6. 33)<br />

56


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Partant de là, cet enseignement traditionnel, après avoir sommairement « déifié » Jésus de Nazareth,<br />

a conclu que Dieu lui-même est descendu du ciel sur la terre en se faisant homme, en devenant<br />

homme. Bien des théologiens ont cependant réagi contre cette interprétation littérale :<br />

Par exemple, Thomas d’Aquin écrit en latin : « Hoc autem quod dicitur, verbum caro factum est non<br />

aliquam mutationem in verbo, sed solum in natura assumpta de novo in unitatem personae naturae ».<br />

(Sum. Theol. III, q. 16, a. 6) Et ideo, cum dicitur Deus factus est homo, non intelligitur aliqua mutatio<br />

ex parte Dei, sed solum ex parte humanae naturae ». Ceci peut se traduire : « Mais quand nous disons<br />

‘’le verbe s’est fait chair’’, il n’y a aucune espèce de mutation dans le verbe, mais seulement<br />

dans la nature humaine transformée en l’unité de la personne humaine. Et quand on dit que Dieu<br />

s’est fait homme, on ne le comprend pas comme une quelconque transformation de la part de Dieu,<br />

mais seulement de la part de la nature humaine ».<br />

De même, le théologien franciscain Jean Duns Scot, contemporain de Thomas d’Aquin, explique<br />

que l’incarnation est une ‘’union’’, c'est-à-dire une certaine relation entre Dieu et la nature humaine<br />

assumée. Il précise : « Cette relation entre Dieu qui assume et la nature humaine assumée est réelle<br />

prise du côté de la nature humaine assumée, elle est ‘’de pure raison’’ prise du côté de Dieu qui assume<br />

».<br />

Ceci veut dire, là encore, que cette « union » est transformante pour l‘Homme assumé, non pour<br />

Dieu qui assume.<br />

Et tout ceci rejoint exactement la citation suivante du Père F. Marlière, dans son livre ‘’ Et leurs<br />

yeux s’ouvrent’’ p. 234 :<br />

« Bien que Jésus soit venu parmi nous en notre horizontalité existentielle, ce n’est pas le Verbe, rigoureusement<br />

parlant, qui est descendu dans sa nature humaine, mais c’est elle (en sa réalité ontologique)<br />

qui a été élevée à la verticalité divine. L’incarnation est donc une assomption qui exalte la nature<br />

humaine à un tel point de perfection qu’elle en est divinisée.<br />

Alors, toutes ces considérations étant présentées, qu’en est-il de la clé de voûte de l’Eucharistie ?<br />

C’est là encore l’apôtre Paul qui nous amène à l’essentiel, lorsqu’il ose dire :<br />

« Ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair (sarx) en faveur de son corps<br />

(sôma) qui est l’Eglise » (Colossiens 1.24)<br />

Paul veut dire que par l’offrande libre de lui-même Jésus a ré-ouvert les voies du Salut au bénéfice de<br />

toute l’humanité. Mais que pour avoir « part » à ce Salut, chaque homme doit « prendre part» à la<br />

Passion du Christ, c'est-à-dire accepter d’être par son baptême enseveli avec lui dans sa mort, pour<br />

avoir part aussi à sa Résurrection... ! (Colossiens 2. 12)<br />

La « clé de voûte » de la « croisée d’ogives » de l’Eucharistie est donc bien la même que celle du<br />

Baptême : mort et résurrection avec le Christ et, par conséquent elle suppose de renoncer à soimême,<br />

de prendre sa croix pour suivre le Christ.<br />

Sans grande exagération, on pourrait dire que l’Eucharistie potentiellement quotidienne est une<br />

confirmation permanente des engagements et fruits du Baptême. La meilleure synthèse que je<br />

connaisse de toute méditation sur l’Eucharistie a été donnée par le grand Saint Augustin dans une<br />

homélie adressée aux fidèles de son Eglise :<br />

« Vous qui avez été faits par votre baptême un seul pain et un seul corps, venez recevoir ce que vous<br />

êtes, pour devenir ce que vous recevez »<br />

… Ce que vous êtes ? : le Corps du Christ livré-offert (le Sang-vie répandu)<br />

… Devenir ce que vous recevez ? : Paul a répondu à l’avance :<br />

« Avec lui (Christ), Il (Dieu) nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux en Jésus Christ »<br />

(Ephésiens 2.6)<br />

« … Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance …» (Rom 8.24)<br />

Dans tous ces « signes » sacramentels, et en tout premier lieu dans l’Eucharistie :<br />

- le véritable ministre qui offre,<br />

- la victime offerte,<br />

- le Temple lieu de l’offrande,<br />

57


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

c’est chaque baptisé lui-même, aussi. L’apôtre Paul le rappelle sous de multiples formes :<br />

« J’ai été crucifié avec Christ et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi »<br />

(Galates 2.19-20)<br />

« Ne savez-vous pas que votre corps (sôma) est le temple du Saint Esprit qui est en vous et qui vous<br />

vient de Dieu et que vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes » (1 Cor 6.19)<br />

* * *<br />

58


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

4 e Partie<br />

Les Quatre autres<br />

Sacrements<br />

------------------------------------------<br />

Chapitre 19<br />

La Clé de voûte de<br />

l’Ordination Sacerdotale<br />

Avant d’examiner ce qu’est ce Sacrement de l’ « Ordination », il convient de rappeler ce qu’est le<br />

« Sacerdoce Ministériel», face au « Sacerdoce Baptismal » commun des fidèles.<br />

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (p. 328) s’exprime ainsi:<br />

« Le peuple élu fut constitué par Dieu comme un royaume de prêtres et une nation consacrée (Ex<br />

19.6). Mais au-dedans du peuple d’Israël, Dieu choisit l’une des douze tribus, celle de Lévi, mise à<br />

part pour le service liturgique… Un rite propre a consacré les origines du sacerdoce de l’Ancienne<br />

Alliance. Les prêtres sont établis pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec<br />

Dieu, afin d’offrir des sacrifices pour les péchés … »<br />

« La liturgie de l’Eglise voit cependant dans le sacerdoce d’Aaron et le service des lévites, tout<br />

comme dans l’institution des 70 « Anciens », des préfigurations du ministère ordonné de la Nouvelle<br />

Alliance ».<br />

« Ainsi, dans le rite latin, l’Eglise prie dans la préface consécratoire de l’ordination des évêques :<br />

‘’ Dieu et Père de Jésus-Christ notre Seigneur, (…) tout au long de l’Ancienne Alliance tu commençais<br />

à donner forme à ton Eglise ; dès l’origine tu as destiné le peuple issu d’Abraham à devenir<br />

un peuple saint ; tu as institué des chefs et des prêtres et toujours pourvu au service de ton sanctuaire’’<br />

Pour fonder le Sacerdoce ministériel dans l’Eglise, la référence aux 70 « Anciens » choisis par<br />

Moïse, est difficilement compréhensible. Ces 70 étaient des « administrateurs civils », n’ayant aucune<br />

fonction religieuse et non issus de la Tribu de Lévi.<br />

De même la référence au sacerdoce d’Aaron est difficilement défendable. Jésus a dit à la Samaritaine<br />

que désormais le culte à rendre à Dieu ne se célébrerait plus dans des temples, mais « en esprit<br />

et en vérité, car Dieu est Esprit ». Jésus parle bien là des « vrais adorateurs ». Il doit alors<br />

s’agir des Samaritains et des Juifs. Le culte et le sacerdoce lévitiques ont dès lors achevé leurs missions<br />

et ne peuvent servir de références ultérieures.<br />

D’autre part, dans une leçon inaugurale du synode de 1990, le cardinal Ratzinger a fondé le<br />

« Sacerdoce ministériel » sur les versets de Jean 20. 21 à 23 : Devant des disciples présents le soir<br />

de Pâques Jésus dit :<br />

59


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après ces paroles il souffla sur eux<br />

et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront<br />

pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus »<br />

Une fois encore, cette référence (à Jean 20.21 à 23) est aléatoire. Ce soir là étaient présents avec<br />

Jésus non seulement les Onze apôtres, mais des « compagnons » de ceux-ci, rejoints par les deux<br />

disciples revenant d’Emmaüs, selon le témoignage de Luc 24. 33. L’envoi en mission, le souffle et<br />

l’onction de l’Esprit Saint ont donc été adressés par Jésus non seulement aux apôtres, mais aussi à<br />

de simples disciples. Et il en a été de même concernant la mission et les pouvoirs de pardonner ou<br />

de retenir les péchés. La reconstitution dans l’Eglise d’une caste sacerdotale est donc non pas<br />

l’œuvre du Christ, mais celle de générations ultérieures, répondant sans doute à des préoccupations<br />

justifiées sur le moment, mais contingentes. Jamais dans tout le Nouveau Testament les apôtres<br />

et disciples ne sont qualifiés de « prêtres ». Seule la communauté des baptisés est qualifiée de<br />

sacerdotale. De même les fonctions remplies par les responsables de l’Eglise sont reconnues<br />

comme sacerdotales, mais jamais les personnes de ces responsables ne sont considérées comme<br />

sacerdotales et « sacralisées » comme telles.<br />

Les avis émis sur ce point par divers théologiens catholiques sont critiques quant à la forme donnée<br />

au Sacrement de l’Ordination et au Sacerdoce ministériel dans leur pratique actuelle. Par<br />

exemple :<br />

- Le Père Pierre Dentin dans son livre : ‘’ Peuple de Prêtres’’ (Cerf 1992) écrit :<br />

p. 32 « Il n’y a plus de caste sacerdotale privilégiée … Dans le Nouveau Testament, la différence<br />

saute aux yeux : Il n’y a plus dans l’Eglise d’élite sacerdotale lévitique. En ce sens , tout au<br />

moins, il n’y a plus de hiereis (prêtre en grec) Le sacerdoce de la Nouvelle Alliance se concentre<br />

désormais en Jésus-Christ… Toute la médiation sacerdotale s’est donc concentrée dans le Christ<br />

seul… Mais, si Jésus est le véritable prêtre de la Nouvelle Alliance, alors, tous ses disciples se<br />

trouvent , par ce fait même , prêtres par Lui, avec Lui et en Lui ».<br />

p. 40 « La collégialité des apôtres est bien plus nette que la primauté de Pierre… Au Cénacle le<br />

jour de la Pentecôte ils étaient 120 quand les langues de feu se posèrent sur la tête de chacun des<br />

disciples, les emplissant de l’Esprit Saint. Pourtant nous imaginons un tout autre schéma contre<br />

lequel le cardinal Daneels nous met en garde : C’est celui d’une Eglise en cascade, où l’Esprit<br />

Saint serait donné d’abord au pape, qui le transmettrait aux évêques, puis les évêques aux prêtres<br />

et les prêtres aux laïcs ».<br />

p. 41 « C’est non seulement aux Douze , mais aux 72 que Jésus dit : Qui vous écoute m’écoute et<br />

qui vous repousse me repousse. Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que<br />

vous délierez sur la terre sera délié au ciel ».<br />

p. 191 « Ce n’est pas à Pierre que Jésus a confié son Eglise, c’est à l’Esprit Saint. Il faut revenir du<br />

clérical à l’ecclésial. Qu’est-ce qui importe le plus ? Est-ce le maintien du statut clérical de la supériorité<br />

de la prêtrise sur le baptême ? Ou est-ce la reconnaissance des charismes des baptisés,<br />

l’imposition des mains à des hommes qui ont fait leurs preuves par la qualité de leur vie conjugale<br />

et familiale, par leur aptitude à présider et à animer la communauté ?<br />

- Le Père Joseph Auneau dans son livre : ‘’Le Sacerdoce dans la Bible’’ écrit :<br />

« … Lorsque les textes du Nouveau Testament parlent de sacerdoce, ils visent Jésus ou la communauté,<br />

jamais les ministres. Lorsqu’ils énumèrent les ministères, ils ne font pas référence au<br />

sacerdoce ».<br />

- Le Père H. de Lubac dans son livre : ‘’ Méditations sur l’Eglise’’ écrit :<br />

« Le sacerdoce de l’évêque et des prêtres n’est pas dans l’ordre de la participation des chrétiens à<br />

la grâce du Christ, une dignité plus haute, ni un super-baptême… Tous les baptisés ont revêtu le<br />

Christ. Bien plus, ils ont reçu l’onction jadis réservée au seul grand prêtre ».<br />

60


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

- L’historien René Rémond a écrit :<br />

« La Contre-Réforme a occulté la notion de sacerdoce universel et de peuple de prêtres et a renforcé<br />

le caractère hiérarchique, majoré l’aspect juridique de la constitution de l’Eglise catholique,<br />

avec deux distinctions inégalitaires : Eglise enseignante, Eglise enseignée et clercs, laïcs. Dans le<br />

Droit canon , alors, les laïcs n’ont pas d’existence propre. Le Droit canon de Trente (1580 révisé<br />

en 1917) ne cite nulle part l’Evangile, ni l’Esprit Saint … Publié en 1983, le nouveau Droit canon<br />

accorde enfin une place importante aux fidèles laïcs dans la pastorale et les synodes. Mais il<br />

n’aborde pas le problème théologique de leur identité. Mais alors, que nous apporte le baptême ?<br />

- Le Père Christian Duquoc dans son livre : ‘’Des Eglises Provisoires’’ (Cerf 1985) écrit :<br />

p. 27 « Les théologiens d’avant le Concile avaient attiré l’attention sur le déséquilibre de<br />

l’ecclésiologie catholique. Celle-ci, contrairement aux intuitions des théologiens de l’Eglise antique<br />

ou médiévale, s’était <strong>org</strong>anisée autour de la notion de hiérarchie. Cette accentuation de<br />

l’aspect juridique, circonscrivant la médiation ecclésiale à l’office du sacerdoce ministériel, oublieuse<br />

de l’égalité du peuple croyant en vertu de sa participation au sacerdoce universel du<br />

Christ par le don de l’Esprit, provenait des luttes contre la Réforme protestante ».<br />

p. 28 « Il en résulta une hypertrophie du caractère juridique de l’ecclésiologie, avec concentration<br />

de la réflexion sur les détenteurs du pouvoir. Bref, la théologie, dès qu’elle prenait l’Eglise<br />

pour objet, s’attachait à la défense des autorités et pouvoirs institués, rejetait le dynamisme charismatique<br />

et n’accordait au peuple croyant que le statut de sujet obéissant »<br />

p. 66 « Un élément est primordial dans la relation entre hiérarchie et peuple : le sacrement.<br />

Il est d’ordre symbolique. Il symbolise que l’Eglise n’est pas le Royaume. Il ne peut donc être<br />

question de penser l’institutionnalité dans l’ordre du plein, de la présence. L’institutionnalité désigne<br />

l’Eglise comme société évolutive, donc imparfaite ou politique. Le schéma opératoire de la<br />

théologie de la Contre-Réforme fut celui de « société parfaite ».<br />

Lumen Gentium est encore travaillée par cette image du plein. Elle parle de la<br />

« présence » là où elle traite du « pouvoir sacré ». Or, il s’agit de « représenter ». Seule une société<br />

parfaite n’a pas besoin de « représenter », car l’immédiateté de l’Esprit rend alors vaine toute<br />

sorte d’institution.<br />

P. 106 « La contestation de l’idée catholique de l’Eucharistie s’enracine dans la confiscation de sa<br />

présidence par les prêtres et les évêques, qui argumentent de cette présidence pour asseoir leur<br />

autorité sociale. L’Eucharistie, par le jeu de la présidence, passe du symbolique fraternel au symbolique<br />

hiérarchique.<br />

La liturgie, lieu du sacré, ne doit plus être le modèle de l’<strong>org</strong>anisation ecclésiale ».<br />

P. 110 « L’Eglise catholique lie provisoire, circonstanciel et partiel du sacrement ? La dilution du<br />

lien entre le sacrement, le gouvernement et la Parole ouvre un espace à la responsabilité de tous.<br />

Les Eglises de la Réforme n’abolissent pas l’ordre symbolique, elles le déplacent parce qu’elles<br />

inversent le rapport dans la synthèse et qu’elles fondent ainsi sur la Parole actualisée de<br />

l’Ecriture par l’Esprit le travail créateur de la communauté dans le monde ».<br />

P. 112 « L’obsession du sacrement, son exclusivisme comme la domination de la Parole ou<br />

l’exacerbation de l’autorité juridique mènent à l’entre-déchirement au nom de l’idéal fraternel<br />

… »<br />

P. 114 « L’Eglise catholique a cru devoir accentuer la pression du centre pour maintenir l’unité<br />

empirique. Mais cette pression a dépassé les limites tolérables : les brisures de la Réforme sont<br />

l’effet de cette volonté hégémonique. L’effort entrepris pour recréer le système par la force (cas<br />

des guerres de religion) n’a produit que des dissensions plus grandes ».<br />

Ces témoignages de théologiens réputés sont précieux pour réfléchir sur le Sacrement de<br />

l’Ordination. Le plus incisif de ces témoignages est celui du Père Christian Duquoc, lorsqu’il dénonce<br />

la liaison établie par l’Eglise Catholique entre les trois éléments que sont : le sacrement,<br />

l’autorité gouvernementale et la Parole, d’où il résulte que la fondation du gouvernement de<br />

l’Eglise sur le sacrement sacralise la caste sacerdotale. Et le Père Duquoc ajoute : Ne faut-il pas<br />

61


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

inverser le mouvement et reconnaître en une Parole, dont nulle caste ne serait maîtresse, la déclaration<br />

signifiant le caractère provisoire, circonstanciel et partiel du sacrement ?<br />

Ceci remet globalement en question la conception que l’Eglise s’est faite de ce qu’est tout<br />

« Sacrement » et en particulier celui qui est la cheville ouvrière de ladite conception, à savoir « le<br />

Sacrement de l’Ordination ».<br />

Comment susciter les évolutions nécessaires sans risquer des traumatismes inutiles et périlleux<br />

non seulement pour l’institution elle-même, mais surtout pour les « serviteurs » de bonne<br />

volonté qui ont été et sont encore mobilisés en son sein et à son service ? Comment passer des<br />

réalités présentes aux novations souhaitables ?<br />

Pour reprendre notre « parabole » de la Croisée d’Ogives, les quatre « piliers » sur lesquels est<br />

actuellement fondé le Sacrement de l’Ordination sont :<br />

- le Baptême-Alliance (l’Ordination ne doit pas être un « super-baptême)<br />

- le Célibat (d’ordre disciplinaire et non fondamental)<br />

- l’obéissance hiérarchique (nécessité d’ordre sociologique)<br />

- les fonctions sacramentelles.<br />

Tout bien considéré, si au long des siècles ces quatre « piliers » avaient été vraiment vécus dans la<br />

soumission à la « clé de voûte » fondamentale qui doit présider à tout Sacrement (c'est-à-dire le<br />

renoncement à soi-même et la mort du Vieil Homme) les réalités passées et présentes de l’Eglise<br />

seraient tout autres, c'est-à-dire davantage compatibles avec un retour du Christ en Gloire. en<br />

une synthèse trois éléments : le sacrement, l’autorité gouvernementale et la Parole. La fondation<br />

du gouvernement sur le sacrement sacralise la caste sacerdotale. Ne faut-il pas inverser le mouvement<br />

et reconnaître en une Parole, dont nulle caste ne serait maîtresse, la déclaration signifiant<br />

le caractère<br />

* * *<br />

62


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 20<br />

La Clé de Voûte<br />

du Sacrement de Réconciliation<br />

Dans la mouvance du Concile Vatican II, ce Sacrement qui était traditionnellement appelé Sacrement<br />

de Pénitence est devenu Sacrement de la Réconciliation. Cette nouvelle appellation<br />

est bien plus adéquate. Car le mot « pénitence » est ambigu : Il peut signifier l’état d’esprit<br />

de l’homme qui se reconnaît pécheur dans sa nature même, c'est-à-dire en amont de toutes les<br />

fautes qu’il peut commettre. C’est cet aveu global que Jésus mentionne de la part du publicain qu’il<br />

décrit dans sa parabole. Il le décrit priant avec humilité dans le Temple non loin du pharisien, qui<br />

se félicite au contraire de manifester toutes les vertus souhaitables.<br />

Ce bon esprit de « pénitence » du publicain est le chemin nécessaire qui conduit au renoncement<br />

à soi-même dont Jésus dit aussi que sans lui on ne peut être son disciple. Ainsi conçue, la pénitence<br />

est l’âme de la vie en Christ.<br />

Mais, au long des siècles de chrétienté on a attribué au concept de « pénitence » le sens de réparation<br />

de la faute et de ses conséquences. Dans mon enfance, le prêtre « confesseur » me disait après<br />

ma « confession » : Comme « pénitence » tu diras telle prière ou tu feras telle chose en réparation.<br />

Le concept de « Réconciliation » fait se rejoindre ces deux aspects de la Pénitence. Il est donc<br />

bien plus adéquat et complet pour qualifier ce qu’est le baptisé-pécheur devant son Dieu. Le baptême<br />

(‘’confirmé’’ par sa Confirmation) l’a introduit dans la « Justification-Alliance » vis à vis de<br />

son Père du Ciel. Tout manquement au chemin de Salut qu’a ouvert Jésus Sauveur constitue<br />

pour le baptisé une méconnaissance de sa Justification et une rupture plus ou moins grave de<br />

l’Alliance qu’il a nouée avec Dieu.<br />

Le Sacrement en question est donc bien celui d’une « Réconciliation », pour renouer ou rétablir<br />

dans son intégralité l’Alliance avec Dieu rompue ou compromise. La spiritualité juive l’a bien compris.<br />

Elle emploie le concept de « Teshuva » dont le sens premier est : « je fais demi-tour dans la<br />

voie mauvaise qui était la mienne et je fais « retour » à Dieu ». Jésus a raconté sa célèbre parabole<br />

du « Fils perdu et retrouvé », qui revient humble à la maison du Père, lequel l’accueille avec<br />

joie. Ce demi-tour spirituel, c’est bien le sens fondamental du mot « conversion », d’où<br />

l’expression familière de la « conversion à ski », qui est bien un demi-tour.<br />

Ainsi donc la Pénitence-Repentance-Contrition devient une manière de vivre dans une tension<br />

intérieure permanente et un retour de tout instant vers la Présence divine qui a été au temps<br />

d’Adam soufflé dans les narines de l’homme. Par la bouche d’Ezéchiel l’Eternel a magnifiquement<br />

rassemblé tous les éléments de cette Repentance-Pénitence-Contrition-Réconciliation de l’homme<br />

avec Dieu :<br />

« Rejetez le poids de toutes vos rébellions. Faites-vous un cœur neuf et un esprit neuf.<br />

Pourquoi devriez-vous mourir, maison d’Israël ? Je ne prends pas plaisir à la mort de celui<br />

qui meurt, oracle du Seigneur. Revenez donc et vivez ! » (Ezéchiel 18. 31)<br />

Voilà qui a inspiré Jésus initiateur de cette « Teshuva » de l’humanité entière de tous les temps,<br />

lorsqu’il a dit :<br />

« Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14. 6). Ceci semble vouloir dire :<br />

- Le chemin : vous devez suivre le chemin que j’ai parcouru moi-même et vous y tenir. Il est<br />

pavé de renoncement à soi-même et passe par l’acceptation de la croix.<br />

- La vérité : le monde où vous vivez n’est pas votre vraie patrie. Vous êtes sur une terre d’exil et<br />

votre humanité présente n’est pas votre vraie nature, car votre terre présente connaîtra une fin et<br />

votre humanité d’aujourd’hui est promise à la mort. Si vous suivez mon chemin vous êtes dès<br />

63


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

maintenant, en espérance (Romains 8.24), réintégrés dans votre vraie création, au-delà de la<br />

mort,<br />

- La vie : vous commencerez alors à vivre votre vraie vie, réintégrés à ma suite dans le Jardin<br />

de l’Eden, le Royaume de mon Père qui est votre Père, pour une vie éternelle.<br />

Le Sacrement de la Réconciliation a été initié par Jésus lui-même dans la vie de son Corps qu’est<br />

l’Eglise. Il en a fait une mission de chaque baptisé au profit de tous les frères et sœurs qui vivent<br />

autour de lui. Il ne s’agit pas d’un pouvoir qui lui serait donné de « pardonner les péchés »<br />

d’autrui. Seul Dieu peut pardonner. Jésus lui-même n’a jamais dit à un pécheur : « Je te pardonne<br />

tes péchés », mais il a employé un verbe au passif : « Tes péchés sont pardonnés ». Car<br />

c’est bien la mission et le pouvoir de Jésus et à sa suite de tout « fils de Dieu », qu’est chaque fidèle,<br />

d’annoncer autour de lui que le Père du Ciel pardonne à tout pécheur qui fait « retour » vers<br />

Lui. Les citations du Nouveau Testament à cet égard sont multiples :<br />

a/ Nous l’avons déjà cité, mais il est bon d’y revenir : L’Evangile de Jean (20) rapporte qu’au soir<br />

de Pâque, les ‘’Onze’’ sont rassemblés, avec leurs compagnons (précise Luc 24. 33). Arrivent tout<br />

essoufflés les deux disciples qui reviennent d’Emmaüs, ce qui en fait deux de plus. Jésus ressuscité<br />

paraît au milieu d’eux et s’étant fait reconnaître, leur dit, à tous :<br />

« Comme le Père m’a envoyé,à mon tour je vous envoie ».<br />

Et le texte de Jean poursuit :<br />

« Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous<br />

remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus<br />

». (Jean 20. 21-23)<br />

b/ L’Evangile de Matthieu (16) rapporte la ‘’Confession de Pierre à Césarée’’. Pïerre proclame sa<br />

foi en Jésus Messie Fils du Dieu Vivant. Jésus le félicite et ajoute à Pierre :<br />

« … tout ce que lieras sur la terre sera lié aux cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera<br />

délié aux cieux » (Matthieu 16. 19)<br />

Dans la tradition, cette parole de Jésus est interprétée comme ayant donné à Pierre et à la hiérarchie<br />

ecclésiastique le monopole du pardon des péchés. Mais au chapitre 18, Matthieu rapporte<br />

cette même parole de Jésus adressée cette fois à l’ensemble des disciples qui sont autour de<br />

lui. Il leur donne à tous la marche à suivre si un frère vient à pécher :<br />

« Va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul … S’il ne t’écoute pas, prends avec toi une<br />

ou deux personnes … S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise … » (Matthieu 18. 15-17)<br />

Et Jésus poursuit, également à l’intention de tous :<br />

« En vérité, je vous le déclare, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aux ciel, et tout ce<br />

que vous délierez sur la terre sera délié au ciel ; Je vous le déclare encore, si deux d’entre<br />

vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé<br />

par mon Père qui est aux cieux. Car, là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis<br />

au milieu d’eux » (Matthieu 18. 18-20)<br />

Dans les premiers siècles de l’Eglise la préséance donnée à des « ministres » ordonnés et par là<br />

même promus ontologiquement au dessus de la condition de simples baptisés, a correspondu à<br />

une évolution culturelle de la pensée et de la société de l’époque, et s’explique alors par des raisons<br />

historiques, donc contingentes. A l’origine, dans l’esprit du Christ, il n’en était pas ainsi.<br />

Et si les données de l’histoire et de la société changent, rien de fondamental ne s’oppose à ce que<br />

les traditions évoluent, surtout si c’est pour revenir à la source…<br />

REMARQUE<br />

Une femme, visiteuse de prison durant 25 ans, m’a dit avoir assisté à l’hôpital aux derniers moments d’un prisonnier,<br />

condamné pour grand banditisme, et avoir reçu de lui des aveux qu’il a dit n’avoir jamais faits devant les policiers,<br />

les juges, les Assises, ni devant son avocat, ni devant un aumônier. Elle a donc reçu fraternellement la repentance<br />

et la contrition de cet homme… et lui a promis la miséricorde de son Père du ciel… en vertu de la mission<br />

et des pouvoirs donnés par Jésus à ses disciples.<br />

64


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

La « clé de voûte » du Sacrement de Réconciliation est donc, par delà l’aveu du pécheur en son âme et conscience,<br />

le retour vers Dieu, Une repentance effective concernant les offenses commises à l’égard de Dieu ou du<br />

prochain, la demande de pardon, et la réparation des torts ou dommages causés. Et la clé de voûte de tout cela<br />

est bien le « renoncement à soi-même » et la « mort du « vieil homme ».<br />

Mais ce « sacrement de Réconciliation » répond à une autre finalité non pas seulement complémentaire, mais corollaire<br />

inséparable de celle-ci, dans le Plan du Salut. Il remplit un ministère de « guérison-délivrance » conféré par<br />

le Christ à tout baptisé, vis-à-vis de son prochain pécheur.<br />

L’apôtre Paul dans l’Epître aux Ephésiens décrit comme un combat spirituel ce qu’est la vie quotidienne du baptisé<br />

vivant dans la société de ce monde de ténèbres. Le baptisé défaillant est la cible de forces mauvaises qui existent<br />

en lui et à l’extérieur de lui, et dont il est à la fois responsable et victime :<br />

« Ce n’est pas à l’homme que nous sommes affrontés, mais aux Autorités, aux Pouvoirs, aux Dominateurs de ce<br />

monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux … » (Ephésiens 6.12)<br />

Dans le verset précédent Paul a expliqué ce qu’il faut entendre par « esprits du mal qui sont dans les cieux » et<br />

dont la puissance excède la capacité de résistance de l’homme par lui-même. Il précise donc :<br />

« Revêtez l’armure de Dieu pour être en état de tenir, face aux manoeuvres du diable » (Ephésiens 6.11)<br />

Et Paul détaille de quelles armes se compose cette « armure » de Dieu. Ce sont toutes des armes défensives,<br />

qui sont, en fait, des attributs et des dons de l’Esprit Saint. C’est par elles seules que l’homme peut résister aux<br />

tentations-agressions auxquelles l’Adversaire le soumet, ou peut s’en guérir ou s’en délivrer s’il y a succombé.<br />

Ce n’est pas le hasard si le soir de Pâques, selon le verset de Jean 20. 22 rappelé plus haut, Jésus après avoir<br />

« soufflé » sur ses disciples rassemblés et leur avoir dit « Recevez l’Esprit Saint », a cité immédiatement en vue de<br />

quoi, d’abord, ils devraient en faire usage :<br />

« Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus<br />

» (Jean 20. 23)<br />

Le péché de l’homme traduit une blessure qui doit être guérie dans ses racines et une dépendance contractée visà-vis<br />

des forces du Mal, dont il doit être délivré. Le Charisme de Guérison-Délivrance est inséparable du Ministère<br />

de Réconciliation. Tout baptisé, dès son arrivée à l’âge adulte et dans le cadre de son Sacerdoce Baptismal, de<br />

même que tout futur prêtre durant ses années de séminaire et en vue de son Sacerdoce Ministériel, devraient être<br />

formés peu à peu à l’exercice de ces Charismes et Ministère.<br />

Sinon, l’empire de l’Adversaire dans tous les domaines de vie de nos sociétés humaines va continuer à s’étendre.<br />

* * *<br />

65


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 21<br />

La Clé de voûte du Sacrement<br />

de l’Onction des Malades<br />

Bien des développements ci-dessus concernant la Réconciliation peuvent être transposés pour la<br />

compréhension de ce qu’est l’Onction des malades, tant il est vrai que le pécheur peut être<br />

considéré comme envahi par un Mal qui, à la fois, réside potentiellement en lui, et tient sa source<br />

ailleurs. Jésus a parfois associé maladie et péché. Au paralysé de Bethsada qu’ il vient de guérir, il<br />

dit :<br />

« Va et ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore » (Jean 5. 14)<br />

Parfois, au contraire il dissocie les deux. Aux disciples qui lui demandent :<br />

« Rabbi, qui a péché pour que cet homme soit né aveugle, lui ou ses parents ? Jésus répondit<br />

: Ni lui ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui »<br />

(Jean 9. 2)<br />

Et Jésus guérit cet aveugle-né. Il ne faut donc pas associer radicalement le péché et la maladie,<br />

(comme également toute autre épreuve) sur un plan individuel ou personnel. C’est en raison de la<br />

transgression originelle que le cosmos a été « maudit » à cause d’Adam (Genèse 3. 17) et que tout<br />

et ce que contient ce cosmos, bien que n’étant pas maudit, supporte la disparition de l’harmonie et<br />

de la « bénédiction » qui était celle du Jardin de l’Eden, et désormais tout vivant est mis dans l’axe<br />

de la souffrance et de la mort.<br />

Les animaux et les végétaux, bien que n’étant pas « pécheurs », sont eux aussi soumis à la maladie<br />

et à la mort. L’asssociation radicale, pour l’homme de la maladie et du péché conduirait à<br />

l’automaticité impitoyable et personnelle du Karma oriental, qui n’est pas compatible avec la réponse<br />

que, précisément Jésus fait à ses disciples : « C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent<br />

en lui ». D’ailleurs, aussi, tout le livre biblique de Job relie la maladie et toute l’épreuve du<br />

héros à la progression spirituelle de celui-ci dans le Plan de Salut de Dieu, mais non pas à sa<br />

culpabilité personnelle.<br />

Le Sacrement de l’onction des malades en est donc une application directe. Il traduit la prière du<br />

Corps du Christ, qu’est la communauté des baptisés, pour que les œuvres de Dieu soient manifestées<br />

dans le malade, de même qu’elle ont été spectaculairement manifestées en Job lors de son<br />

rétablissement dans sa « théophanie » finale. Dieu avait critiqué les mauvais « amis » de Job qui<br />

tout au long de l’épreuve avaient tenu à celui-ci des discours culpabilisateurs.<br />

Plus encore que le pécheur, le malade est, vis-à-vis des forces du Mal, à la fois victime et otage à<br />

délivrer, à consoler pour que la gloire de Dieu se manifeste en lui. Ceci est la base même de la vocation<br />

des baptisés envoyés par le Christ annoncer dans le monde le Royaume qui vient. Lorsque<br />

Jésus envoie ses apôtres puis ses disciples en mission en avant de lui, c’est bien dans ce sens qu’il<br />

leur fait ses recommandations :<br />

« Ayant réuni les Douze, il leur donna puissance et autorité sur tous les démons et il leur<br />

donna de guérir les malades. Il les envoya proclamer le règne de Dieu et faire des guérisons<br />

» ( Luc 9. 1)<br />

« Après cela, le Seigneur désigna 72 autres disciples et les envoya deux par deux devant lui<br />

dans toute ville et localité où il devait lui-même aller. Il leur dit …. Allez, voici que je vous<br />

envoie comme des agneaux parmi les loups … guérissez les malades … et dites-leur : le règne<br />

de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Luc 10. 1 ss)<br />

Voilà qui incite à réfléchir : Jésus donne mission à ses apôtres de chasser les démons et de guérir<br />

les malades avant même de proclamer le règne de Dieu. Cela fait penser, en matière militaire, à<br />

66


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

la « préparation d’artillerie » qu’il est bon de faire pour écraser les positions de l’ennemi, avant de<br />

lancer les troupes à l’assaut, sinon elles seraient décimées !<br />

Jésus le précise aux 72 : « … comme des agneaux parmi les loups … ! » L’avertissement est net. Il<br />

s’agit bien d’un combat. Il ne faut y aller que revêtu de l’armure de Dieu pour être en mesure de<br />

tenir face aux manœuvres du diable, comme le dit si bien Paul dans son message aux Ephésiens (<br />

6. 11 ss.) rappelé plus haut. Et Paul ajoute : « … nous sommes affrontés … aux Dominateurs de<br />

ce monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux ».<br />

La vie chrétienne n’est pas l’application d’un code de morale et encore moins d’un code pénal.<br />

C’est un combat spirituel contre des forces du mal dont la puissance, depuis la Transgression Originelle,<br />

dépasse infiniment les seules capacités humaines. Et c’est pourquoi Jésus après sa résurrection<br />

déclare à ses disciples (Les ‘’Onze et leurs compagnons) :<br />

« …Je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Pour vous, demeurez dans la ville<br />

jusqu’à ce que vous soyez d’en haut revêtus de puissance … » (Luc 24. 49)<br />

L’essence de l’évangélisation n’est pas tant la propagation de vérités à croire, si élevées et nobles<br />

soient-elles, que la formation au combat spirituel. Et c’est pourquoi le dernier acte de la mission<br />

terrestre du Christ a été d’envoyer sur eux la Pentecôte. De cette onction dans le feu de l’Esprit<br />

Saint date l’envoi en mission, avec la force d’en haut, de l’Eglise des baptisés jusqu’aux extrémités<br />

de la terre et jusqu’à la consommation des siècles.<br />

Les quatre « piliers » du Sacrement de l’Onction des Malades sont donc : L’abandon à Dieu, la Repentance<br />

des fautes commises, l’appel à la miséricorde du Père des cieux et la foi en la résurrection.<br />

Et la clé de voûte de l’ensemble est bien : le renoncement à soi-même et la mort du Vieil<br />

Homme.<br />

* * *<br />

67


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Chapitre 22<br />

La clé de voûte<br />

du Sacrement de Mariage<br />

Il est bien navrant que ce « Mariage » soit tombé de nos jours dans une telle désuétude, non seulement<br />

le « Sacrement », mais même le « mariage civil ». C’est toute la capacité de l’être humain<br />

contemporain à s’engager de façon durable, qui est en question et c’est l’un des principaux domaines<br />

dans lesquels se manifeste dans les consciences, il vaudrait mieux dire, les « inconsciences »<br />

humaines la tyrannie de l’agrément personnel immédiat, dont chacun entend jouir comme s’il<br />

s’agissait de l’un des « Droits de l’homme et du citoyen ».<br />

Il n’est guère qu’une exception dans cet envahissement de l’immédiat. Si l’individu moderne répugne<br />

à s’engager lui-même de façon durable, il prétend exiger cela du partenaire dans l’ordre socioéconomique,<br />

par exemple dans le domaine de l’emploi, ou celui du logement. Le chef d’entreprise<br />

est réputé injuste s’il licencie. Le propriétaire est coupable s’il reprend le logement loué. L’appétit<br />

de la fonctionnarisation de l’emploi est tenace, comme la tentation à l’appropriation permanente<br />

du logement loué.<br />

Mais si un homme plante sa femme ou sa compagne avec les enfants du couple, pour courir<br />

d’autres aventures, c’est son « Droit ». La loi l’oblige certes à payer une sorte de « dédit ». Mais la<br />

plupart des intéressés s’y soustraient dans la pratique. Et puis, est-il convenable de monnayer un<br />

abandon de foyer, surtout lorsqu’il y a des enfants non encore adultes ? Et tout cela est à transposer<br />

si c’est la femme qui plante son « compagnon » et les enfants de sa chair, pour renouveler ses<br />

expériences dites amoureuses …<br />

Cependant le mariage, union de l’homme et de la femme, est le premier des « sacrements » mentionnés<br />

dans la Bible, au livre de la Genèse chapitre 2.24. Et il faut bien comprendre ce qui est en<br />

cause dans l’union de l’homme et de la femme. Elle donne naissance à un être nouveau. Il ne s’agit<br />

pas seulement des enfants. Le couple uni devant Dieu devient un être unique qui transcende la<br />

personne de chacun des conjoints. A la différence des animaux, dont certains sont fidèles l’un à<br />

l’autre toute leur vie (par exemple les manchots empereurs), mais qui réalisent l’union de deux<br />

personnes, qui demeurent « deux », le couple humain devant Dieu, devient « Un » : « une seule<br />

chair » dit la Bible au livre de lla Genèse (en hébreu Chair = basar qui signifie à la fois<br />

« <strong>org</strong>anisme biologique » et « personne, personne humaine, individu »).<br />

Chacun des « mariés » doit donc dans le mariage faire retrait d’une part de lui-même pour laisser<br />

place à la part correspondante de l’autre. Selon l’intuition remarquable de nos frères <strong>juifs</strong>, Dieu<br />

lui-même a fait retrait (en hébreu : Tsimtsoum) d’une part de son Être pour donner vie à des<br />

« êtres » issus de Lui-même.<br />

Dans le mariage, deux ne font qu’Un. Et c’est le nid biologique et spirituel dans lequel vient ce miracle<br />

vivant de la transmission de la Vie qui est issue de Dieu et est appelée à retourner à sa<br />

Source. La biologie confirme cette réalité. Les cellules reproductrices mâles et femelles ne comportent<br />

que des « demi-chromosomes ». L’union de chacun d’eux avec son correspondant de l’autre<br />

sexe donnera ‘’Un’’ être nouveau. L’Homme, doté d’une conscience tout autre que celle des autres<br />

« Vivants », doit comprendre ce que cela signifie pour lui-même.<br />

Déchirer cette Unité et ce potentiel d’accomplissement de la Vie dans une Vie Eternelle, constitue<br />

un blasphème radical à l’égard de l’origine, de la destinée et de la nature divines de l’Homme. Et<br />

cela parce que de tous les « Vivants » créés, il est le seul à être fait « à l’image et selon la ressemblance<br />

de Dieu » et parce que le Créateur a insufflé dans ses narines « l’haleine de vie » divine, ce<br />

qui le promet à la vie éternelle.<br />

Les parents de tout être humain dans le Plan de Dieu, forment un « couple sacerdotal » ordonné<br />

par le Décalogue lui-même. Nous l’avons déjà dit, il faut le répéter ici, les Dix Paroles peuvent être<br />

68


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

présentées sous forme de deux colonnes parallèles de Cinq Paroles chacune. Dans la colonne de<br />

gauche on peut placer les cinq premières Paroles qui caractérisent la relation de l’Homme avec<br />

l’Eternel, et dans la colonne de droite les cinq dernières Paroles, qui visent les relations des hommes<br />

entre eux.<br />

La cinquième Parole est : « Tu honoreras ton père et ta mère … ». Pourquoi est-elle classée parmi<br />

les Paroles de la relation avec Dieu ? Et non pas au premier rang des Paroles visant les relations<br />

entre êtres humains ?<br />

Parce que la paternité-maternité humaine est le « lieu » où doit s’engendrer et se nourrir pour<br />

tout enfant sa Relation Personnelle avec son Créateur. Ces parents, homme et femme unis et<br />

« Un » sont donc investis d’un sacerdoce qui, à chaque génération, assume la transmission de la<br />

Vie, non seulement la vie biologique, mais de façon plénière la filiation divine de la créature humaine.<br />

Placé dans un tel cadre, le mariage implique donc toute la responsabilité personnelle de chacun<br />

des conjoints, pour que l’union soit autre chose qu’un accouplement d’occasion. Et qui dit responsabilité,<br />

implique par là-même liberté d’engagement. Il a fallu des millénaires pour que les fidèles<br />

de ce Dieu « UN » commencent à bannir les « mariages forcés » ou « mariages arrangés » … par<br />

les familles, parfois comme on mène une vache au taureau … C’est là un problème connexe, celui<br />

de la condition féminine, trop longtemps rendue esclave du sexe fort, monnaie d’échange entre<br />

familles, entre clans et tribus.<br />

Voilà qui conduit à discerner, comme constitutifs de la ‘’Croisée d’Ogives du Mariage’’, quatre<br />

« piliers » qui peuvent être :<br />

- l’Union en Dieu,<br />

- l’Amour mutuel exclusif,<br />

- la Fécondité biologique et spirituelle,<br />

- une cellule d’Amour ouverte sur le monde.<br />

Et, bien sûr, cela ne peut être viable que si, dominant le tout, la « clé de voûte » est de la part de<br />

chacun des conjoints le « renoncement à soi-même » et la « mort du « Vieil homme ».<br />

* * *<br />

69


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

En manière de conclusion<br />

Que conclure sur un tel sujet ? Cet essai n’est qu’un faisceau de pistes de réflexions ouvrant sur un<br />

nécessaire débat. Et ce débat concerne tous ceux qui, chrétiens ou non, ont le souci de ce que devrait<br />

être le Christianisme et notamment sa branche la plus importante en nombre, l’Eglise Catholique.<br />

De toute part notre équipe C.OE.U.R. ressent des interrogations formulées ou demeurant implicites,<br />

de la part de fidèles, comme de ministres des différentes Confessions. Toute notre civilisation<br />

planétaire est depuis plus d’un demi-siècle emportée dans une évolution frénétique qu’il est difficile<br />

de qualifier par un vocable quelconque, tant elle est diverse selon les peuples, les systèmes<br />

religieux, politiques, économiques, sociologiques, culturels, technologiques.<br />

Une mondialisation galopante est à l’œuvre depuis plusieurs générations et semble maintenant<br />

déchaînée, ayant rompu tout contrôle de la part d’une autorité quelconque. Que l’on permette à<br />

des croyants de dire que cette mondialisation, Tour de Babel multiforme, occupe la place laissée<br />

béante par l’anarchie spirituelle et les compétitions religieuses qui dispersent l’espèce humaine.<br />

Ce vide est bien pire dans ses manifestations que ne le serait le « fait du prince », car tout prince<br />

finit un jour par être limité dans ses caprices. De nos jours, le prince est anonyme, donc irresponsable<br />

et même insaisissable. Nous assistons aujourd’hui au choc des princes, ou plutôt au choc des<br />

forces qui les manipulent. Dans le monothéisme judéo-chrétien, tout homme est « prince » ou,<br />

mieux encore « prêtre, prophète et roi ». Il cumule, pense-t-il, toutes les dignités et pouvoirs … à<br />

condition qu’il accepte et soit capable de s’administrer à lui-même toute l’ascèse nécessaire pour<br />

que le pouvoir soit exercé comme un service réparti selon les articulations de la subsidiarité, et ne<br />

dégénère pas en tyrannie personnelle.<br />

Toute spiritualité doit s’incarner dans une institution humaine, comme toute semence doit être<br />

enfouie en terre pour germer et porter fruit. Mais pour cela, la semence doit mourir à elle-même.<br />

Mais, quand l’institution s’est édifiée pour durer, elle tend à se rigidifier, à se radicaliser, à développer<br />

ses structures internes pour garantir sa permanence, ce qu’on appelle d’un terme noble son<br />

« identité ». Et le souci de sa vocation risque de passer à l’arrière plan.<br />

Jésus a cependant bien dit à ses disciples cette parabole :<br />

« Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte<br />

pas de fruit, il le retranche. Et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde afin qu’il en porte<br />

davantage … mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit, et vous serez<br />

mes disciples » (Jean 15)<br />

Car le « bois » de la vigne et les « structures » de toute institution ont toujours tendance à<br />

l’hypertrophie, laquelle suce à l’excès la sève aux dépens du fruit. L’émondage permanent est vital.<br />

Ceci nous amène directement au thème des Sacrements reconnus dans l’Eglise Catholique. Mais si<br />

l’examen de conscience proposé à cet égard aux lecteurs par un rédacteur catholique croyant, pratiquant<br />

et militant, aidé de ses amis, fidèles d’Eglises différentes, se révèle portant des fruits de<br />

réflexion positifs, il faudra ensuite étendre l’expérience à d’autres Confessions qui seraient soucieuses<br />

d’un « aggiornamento », comme disait Jean XXIII.<br />

C’est en vue d’amorcer une perspective de tels « retours d’ascenseurs » spirituels que nous attendons<br />

de fidèles des autres Confessions Chrétiennes et du Judaïsme de s’exprimer en toute liberté<br />

sur le contenu de ce premier « <strong>Cahier</strong> » visant l’Eglise Catholique. Si chacun joue le jeu, personne<br />

70


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

ne gagnera, à des fins polémiques et compétitives, à durcir les appréciations, voire critiques<br />

concernant le voisin<br />

Car enfin ce thème des Sacrements constitue un bon terrain de réflexion, concernant la Présence<br />

agissante du Dieu Un et Transcendant dans l’Immanence de la Création. Dieu a investi en l’homme<br />

une étincelle de sa divinité transcendante. L’homme est issu de Dieu et dépositaire responsable<br />

d’une étincelle de divinité. C’est pourquoi, nous l’avons vu, la personne humaine est sacrée et promise<br />

à l’immortalité.<br />

Mais l’histoire de toutes les religions, qui se sont développées sur cette planète depuis le Néanderthal,<br />

atteste que l’homme oublie vite et pire encore, récupère le plus souvent à son profit pour<br />

l’agrément de son ego, cette puissance créatrice qui est en lui. Cela a commencé au Jardin de<br />

l’Eden … et les péripéties se poursuivent depuis lors. Le processus de libération hors de ce déterminisme<br />

de mort est à l’œuvre au travers de toute la tradition juive et de la Personne du Christ, qui<br />

en est un prolongement.<br />

Car, la révélation du Dieu Un a introduit dans la vie de l’homme, au moins dans la vie d’une<br />

grande part de l’humanité, une novation décisive. Mais les religions occidentales n’ont pas le monopole<br />

de toute révélation. Le prisme à travers lequel les spiritualités occidentales considèrent<br />

généralement les religions orientales, est le plus souvent d’ordre culturel et se révèle trompeur<br />

quant aux implications spirituelles. L’ignorance de l’immense majorité des Occidentaux en ce qui<br />

concerne la pensée orientale n’excuse rien, bien au contraire.<br />

La Doctrine Chrétienne mise en forme par les grands Conciles des premiers siècles de l’Eglise a été<br />

le produit d’une inculturation du Nouveau Testament dans les modes de pensée grecs du neoplatonisme<br />

qui étaient ceux des Pères de cette Eglise. Et c’est la synthèse de cette inculturation qui<br />

a été par la suite enseignée par les missionnaires européens aux populations des autres continents.<br />

Depuis des générations, les jeunes Eglises africaines, indiennes, asiatiques, etc. demandent vainement<br />

aux Autorités de l’Eglise de pouvoir à leur tour inculturer le Nouveau Testament dans leurs<br />

propres cultures.<br />

Tant que cela tarde, doctrine et sacrements apparaissent aux chrétiens locaux des « produits<br />

d’importation » et risquent de n’imprégner que la superficie des consciences. Or, chaque peuple,<br />

culture et spiritualité a sa manière propre de ressentir la Présence et la Manifestation de Dieu en<br />

l’homme. A cet égard, le concept juif de la shekhina est précieux pour exprimer ce mystère d’une<br />

Transcendance se manifestant concrètement au sein de l’Immanence du monde et de l’homme. Ce<br />

concept de shekhina est à l’évidence venu del’Orient Hindouiste où il est apparu près de 1800 ans<br />

avant son évocation en Israël.<br />

Mais, même entre Chrétiens ou entre Chrétiens et Juifs l’ignorance est grande, aggravée souvent<br />

par la mémoire des antagonismes, voire des guerres de religions, et des persécutions infligée ou<br />

subies au long des siècles.<br />

Et cette ignorance est la véritable source des conflits. La solution n’est donc nullement dans un<br />

cloisonnement communautariste. Dire cela fait courir le risque d’être accusé de syncrétisme. Peu<br />

importe, ce qui réunit les hommes est meilleur que ce qui les oppose. Teilhard de Chardin a été<br />

persécuté et notamment accusé de panthéisme, pour avoir prononcé la « Messe sur le monde »,<br />

célébré le « Milieu Divin », diffusé dans son œuvre cette conviction : « Tout ce qui monte,<br />

converge ». Cette immense richesse de pensée lui venait de sa formation chrétienne approfondie<br />

et illuminée par les lumières de l’ Extrême Orient.<br />

En concevant le présent Essai, nous avons voulu réfléchir sur la nature transcendante des sacrements,<br />

situer la pratique qui en est faite dans ses racines qui sont pour certains un acte du Christ<br />

ou une précision donnée par le Nouveau Testament, pour d’autres sacrements, il s’agit d’une initiative<br />

de l’Eglise apostolique.<br />

Notre intention n’a été nullement de contester la légitimité de ces sacrements, ni même la nécessité<br />

des rites pour la grande majorité des fidèles, mais seulement de réfléchir sur les conditions élémentaires<br />

de leur fécondité, que certaines dérives des siècles, péripéties d’inculturations multiples<br />

ou radicalisations de pouvoir de diverses Autorités peuvent avoir compromises.<br />

71


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Déjà le Concile Vatican II a redressé bien des traditions établies dans ce domaine comme dans<br />

d’autres, au point de susciter des schismes de la part de fanatiques desdites traditions. Mais la<br />

pénurie de prêtres dans les vieux pays de chrétienté, oblige à des ré-examens de fond. Et on<br />

s’aperçoit que le sacerdoce baptismal, presque totalement vidé de sa substance, de sa vocation et<br />

de sa fonction dans la vie de l’Eglise-Corps du Christ, par près de deux millénaires de laminage,<br />

commence à être reconnu et à porter fruit là où il est mis en situation de se manifester.<br />

Divers diocèses ont déjà commencé à redonner des responsabilités réellement adultes à des laïcs<br />

dans des fonctions de base de la pastorale d’évangélisation, jusque là réservées au clergé. La célébration<br />

des sacrements n’est guère encore atteinte par cette évolution, mais les consciences bougent<br />

et la pratique fait de même.<br />

Là où il y a pénurie de prêtres, la célébration dominicale s’adapte, là où il y a urgence, des baptêmes<br />

peuvent être administrés par des laïcs, de façon courante des cérémonies d’obsèques, non<br />

sacramentelles en elles-mêmes, mais constituant des liturgies très importantes, sont confiées à<br />

des laïcs formés à cette fin. Aujourd’hui la charge essentielle de la catéchèse, proclamation initiale<br />

du kérygme, est assumée par des laïcs, principalement des femmes.<br />

En ce sens, la distance commence à se réduire avec la pratique sacramentelle en vigueur dans les<br />

Eglises issues de la Réforme, pratique limitée à deux sacrements proprement dits : Baptême et<br />

Sainte Cène. Les autres « actes d’église » tels que mariage, réconciliation, onction des malades, etc.<br />

y sont qualifiés d’ « actes liturgiques ».<br />

Ils sont accomplis avec le même sérieux que leurs homologues appelés « sacrements » dans<br />

l’Eglise Catholique ou les Eglises Orthodoxes. Seul Dieu est à même de juger en dernier ressort des<br />

fruits respectifs des uns et des autres.<br />

Divers théologiens et penseurs contemporains de l’Eglise Catholique se sont exprimés dans le<br />

même sens sur ces sujets. Jean Vanier l’a fait avec sa dignité de baptisé réellement adulte :<br />

« L’Eglise a trop insisté sur les sacrements et pas assez sur la communauté, qui implique<br />

d’accepter celui qui est différent, mais nécessaire.<br />

« Donner ne suffit pas, il faut changer en profondeur ».<br />

Changer en profondeur », cela peut bien s’appliquer de façon bénéfique aux sacrements … C’est<br />

bien ce que disait l’évêque de Kabgayi au Ruanda, quelques jours avant d’être lui-même assassiné<br />

lors des massacres génocidaires de 1994 :<br />

« Nous nous apercevons que nous avons commis l’erreur de pratiquer une évangélisation de<br />

masse. On a assisté à beaucoup de baptêmes, mais à peu de changements dans la manière de<br />

vivre ».<br />

(‘’Quand le Pape demande pardon’’ p. 230 de Luigi Accatoli Ed. Albin Michel 1997)<br />

Oui, la vie et donc le cœur de l’homme doivent être changés. Et le Sacrement est fait pour cela … à<br />

la condition qu’il ne soit pas enseigné et pratiqué comme un rite qui agirait sur l’homme, venant<br />

de l’extérieur de lui-même et, comme une sorte d’alternative au passage personnel par la Croix.<br />

Tout sacrement et notamment l’Eucharistie, mais plus généralement pour les Confessions chrétiennes<br />

qui ne reconnaissent pas les Sept Sacrement de l’Eglise Catholique, tout acte de la vie de<br />

l’homme qui le met intimement en relation avec Dieu, doit être vécu comme un sacrement implicite,<br />

même s’il n’en revêt pas la forme liturgique et l’étiquette officielle.<br />

Et le Cardinal Lustiger, qui était comme Paul un apôtre juif des pagano-chrétiens, a donné cette<br />

qualification du sacrement, qui va au fond de l’être :<br />

« … la participation du baptisé à la Passion du Christ, pour avoir part à sa résurrection »<br />

Là est bien l’essence même de la vie et de la spiritualité chrétiennes.<br />

• * *<br />

72


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

« Croisées d’Ogives » et « Clé de Voûte » des Sacrements<br />

Les 4 piliers du sacrement L’unique clé de voûte<br />

Baptême<br />

Entrée dans l’Alliance<br />

Relation personnelle avec Dieu<br />

Combat spirituel<br />

Envoi en mission<br />

Eucharistie<br />

Devenu corps de Christ par le baptême<br />

Un seul pain pour tous les baptisés<br />

De Sa vie livrée et répandue<br />

Pour le salut du monde<br />

Ordination<br />

Devenu corps de Christ par le baptême<br />

Célibat – Séparation pour le service<br />

Obéissance hiérarchique<br />

Fonctions sacramentelles<br />

Mariage<br />

Devenu corps de Christ par le baptême<br />

Amour mutuel exclusif<br />

fécondité biologique et spirituelle<br />

cellule d’amour pour le monde<br />

Onction des malades<br />

Devenu corps de Christ par le baptême<br />

Repentance des fautes<br />

Appel à la miséricorde de Dieu<br />

Foi en la résurrection<br />

73<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme<br />

Réconciliation<br />

Retour vers Dieu<br />

Renoncement<br />

Repentance effective<br />

à soi-même<br />

Réparation des offenses<br />

Mort du vieil homme<br />

Demande de pardon<br />

Confirmation Pentecôte<br />

Devenu corps de Christ par le baptême<br />

Relation personnelle avec Dieu<br />

Armes du combat spirituel<br />

Envoi en mission<br />

Renoncement<br />

à soi-même<br />

Mort du vieil homme


L e s C a h i e r s d e Y E R U S H A L A I M n u m é r o 1 « M é d i t a t i o n s u r l e s s a c r e m e n t s »<br />

Note finale en forme d’ouverture<br />

Ce premier « <strong>Cahier</strong> » inaugure une nouvelle forme de proclamation du message de<br />

notre association CŒUR.<br />

Pouvons-nous compter que les membres de l’association (et même tout lecteur de<br />

ce <strong>Cahier</strong>) se sentent la liberté de nous faire part de leur avis :<br />

- sur cette forme nouvelle de <strong>Cahier</strong>, sa présentation, sa mise en page, son intérêt.<br />

- sur le contenu également, les audaces éventuelles de la pensée, les objections,<br />

voire même les désaccords profonds le concernant.<br />

Nous serons attentifs à ce qui nous sera adressé, et étudierons comment faire part<br />

des échanges éventuels qui résulteraient de ces échanges.<br />

74

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!