Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />
écrasante pour moi? C’est là un des mystères qu’il n’appartient<br />
pas à l’homme de sonder.<br />
À charge aux autres et à moi-même, sans nulle affection, sans<br />
aucune de ces perspectives qui, <strong>du</strong> moins, viennent illuminer<br />
parfois d’un rayon doux et pur le front soucieux de celui qui<br />
souffre. Mais non, rien. Toujours l’abandon, la solitude, le mépris<br />
outrageant.<br />
Peu de jours auparavant, poussé à bout, j’avais dû recourir à<br />
ma pauvre et bonne mère.<br />
Comprend-on bien tout ce qu’il y a de pénible dans cette<br />
démarche d’un fils qui sait de quelles privations ce secours va<br />
être la source!<br />
Ainsi, non seulement je me voyais impuissant à rendre plus<br />
heureux les derniers jours de celle à qui je devais tant; mais<br />
encore il me fallait diminuer ses ressources déjà si insuffisantes.<br />
Je puis bien affirmer que cette extrémité est la plus <strong>du</strong>re à<br />
laquelle je pusse être condamné.<br />
Je vais parler ici d’une résolution fatale que m’inspira le<br />
découragement profond de ces derniers jours. Je rencontrai un<br />
matin, devant les Tuileries, un homme que je croyais encore au<br />
fond de la Bretagne, où je l’avais connu quelques années auparavant,<br />
agent d’une importante compagnie maritime.<br />
Je le laissai passer sans lui parler, car lui ne m’avait pas<br />
reconnu. Plus tard, en réfléchissant à l’étrangeté de cette rencontre,<br />
je crus y voir une assurance de bonheur pour un nouvel<br />
avenir.<br />
Le bon souvenir que j’avais gardé de ses relations m’était une<br />
garantie de sa bonne volonté pour la circonstance actuelle.<br />
Dès le surlendemain, j’allais lui faire une visite à l’administration<br />
centrale de la compagnie, et je ne lui cachai rien des difficultés<br />
de ma situation. Il s’y intéressa, je dois l’avouer. Son<br />
accueil fut même plus affectueux que je ne l’avais espéré.<br />
Je lui demandai tout simplement de me faire embarquer à<br />
bord d’un paquebot, comme garçon de salle. Ma proposition<br />
l’étonna fort.<br />
Il eût voulu faire mieux pour moi.<br />
D’un autre côté, il me signalait des impossibilités matérielles à<br />
l’exécution de mon projet.<br />
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