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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />

30 mai 186… 1 — Seigneur! Seigneur! le calice de mes douleurs<br />

n’est-il donc pas encore vide! Votre main adorable ne doitelle<br />

donc s’étendre sur moi que pour frapper, pour briser ce cœur<br />

si profondément ulcéré, qu’il ne s’y trouve plus de place ni pour<br />

la joie, ni pour la haine? Mon isolement peut-il être plus complet;<br />

mon abandon plus poignant?<br />

Oh! pitié, mon Dieu! pitié, car je succombe à cette lente et<br />

épouvantable agonie, car mes forces m’abandonnent, car la<br />

goutte d’eau s’est faite océan. Elle a envahi toutes les puissances<br />

de mon être.<br />

Elle a creusé sous mes pas un abîme toujours plus vaste, plus<br />

profond, dans lequel je ne puis plonger le regard sans en<br />

éprouver un horrible vertige. Il me semble, par moment, que ce<br />

sol miné va s’affaisser sous mes pieds et m’engloutir pour jamais!<br />

Cette lutte incessante de la nature contre la raison m’épuise<br />

chaque jour davantage et m’entraîne à grands pas vers la tombe.<br />

Ce ne sont plus des années qui me restent, ce sont des mois,<br />

des jours peut-être.<br />

Je le sens d’une manière évidente, terrible, et combien cette<br />

pensée est douce, consolante pour mon âme. Là est le trépas,<br />

l’oubli. Là, sans nul doute, le malheureux exilé <strong>du</strong> monde trouvera<br />

enfin une patrie, des frères, des amis. Là il y aura une place<br />

pour le proscrit.<br />

Ce jour arrivé, quelques médecins feront un peu de bruit<br />

autour de ma dépouille; ils viendront en briser tous les ressorts<br />

éteints, y puiser de nouvelles lumières, analyser toutes les mystérieuses<br />

souffrances amassées sur un seul être. Ô princes de la<br />

science, chimistes éclairés, dont les noms retentissent dans le<br />

monde, analysez donc, s’il est possible, toutes les douleurs qui<br />

ont brûlé, dévoré ce cœur jusque dans ses dernières fibres;<br />

toutes ses larmes brûlantes qui l’ont noyé, desséché sous leurs<br />

sauvages étreintes!<br />

1. Il a quitté la place <strong>du</strong> chemin de fer. (Note <strong>du</strong> docteur A. Tardieu.)<br />

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