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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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MES SOUVENIRS<br />

j’avais joué éclatait à tous les yeux. Le lui rappeler, à elle, de<br />

quelque façon que ce fût, c’était la faire passer par toutes les tortures<br />

de la honte, de la frayeur, c’était mettre en doute l’honorabilité<br />

de son caractère d’ombrageuse fierté. En de telles<br />

circonstances la pauvre femme <strong>du</strong>t maudire bien des fois le jour<br />

où elle m’avait donné place à son foyer. Son cœur de mère <strong>du</strong>t<br />

être broyé aux terribles réflexions qui se présentaient à son<br />

esprit; aux reproches peut-être que lui faisait sa conscience, si<br />

longtemps aveugle parce qu’elle était loyale, et que soupçonner<br />

son enfant était au-dessous d’elle. Pourtant, mon Dieu! elle était<br />

femme, et à ce titre elle pouvait connaître les limites des forces<br />

humaines!<br />

Il y avait un mois que j’avais laissé Paris, lorsque je reçus<br />

l’ordre de m’y rendre pour me mettre à la disposition <strong>du</strong> chef<br />

d’exploitation <strong>du</strong> chemin de fer de… Je partis; mais avant j’allai<br />

voir une dernière fois Monseigneur. La pensée que je le laissais<br />

pour bien longtemps, sans doute, m’était pénible. Il est si rare de<br />

rencontrer de tels hommes unissant toutes les qualités de l’âme<br />

aux richesses d’un grand esprit. La situation exceptionnelle dans<br />

laquelle Sa Grandeur m’avait rencontré, l’avait touché singulièrement.<br />

Il s’était attaché à moi, si je puis le dire. Le bon prélat me<br />

prit la main, et, me serrant avec effusion contre son cœur, il me<br />

bénit. J’étais trop ému. Je ne pus que courber la tête en silence,<br />

balbutiant en me retirant quelques paroles de remerciement.<br />

Ma pauvre mère avait versé des larmes en se séparant de moi,<br />

et malgré tous mes efforts je l’imitai, je l’avoue. Dans vingtquatre<br />

heures un espace de deux cents lieues allait nous séparer.<br />

C’était la première fois; certes quelques larmes de regrets étaient<br />

bien permises. Nous avions, il est vrai, l’espérance de nous revoir.<br />

Il n’en était pas ainsi de mon noble et vénéré bienfaiteur, M. de<br />

Saint-M… Au bord de sa tombe il ne pouvait plus espérer.<br />

« Mon pauvre Camille, me dit-il, avec des sanglots dans la voix,<br />

nous ne nous reverrons plus! » Sa main pressait la mienne. Je la<br />

sentais trembler.<br />

Je ne sais rien de plus déchirant qu’un vieillard en pleurs. Oh!<br />

je me sentis défaillir en face de cette douleur qui témoignait de<br />

l’affection la plus profonde, la plus vive. En effet, je sentais là<br />

battre un cœur de père, je le savais, et comme j’en étais fier!<br />

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