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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />

mystérieux. Stupide aveuglement de la foule qui condamne<br />

quand il faudrait absoudre!<br />

Je la connaissais assez pour être parfaitement convaincu<br />

qu’elle souffrait en silence et avec courage, sans pour cela me<br />

maudire. Elle seule peut-être me comprenait. Elle seule<br />

m’aimait! Bien longtemps son souvenir adoré m’a soutenu, m’a<br />

donné la force de vivre!! Aujourd’hui encore que tout semble<br />

m’avoir abandonné, et que l’affreuse solitude s’est faite autour<br />

de moi, comme si mon malheur dût être fatal à tout ce qui me<br />

touche, j’éprouve quelque douce joie à penser qu’un être en ce<br />

monde a daigné s’associer à ma misérable existence et conserve<br />

au pauvre délaissé un peu de tendre pitié. Peut-être n’est-ce<br />

qu’une illusion? Peut-être au moment où j’écris ces lignes a-t-elle<br />

pour jamais chassé de son cœur celui dont elle fut l’unique bonheur.<br />

Mon Dieu! que me reste-t-il alors? Rien. La froide solitude,<br />

le sombre isolement! Oh! vivre seul, toujours seul, au<br />

milieu de la foule qui m’environne, sans que jamais un mot<br />

d’amour vienne réjouir mon âme, sans qu’une main amie se<br />

tende vers moi! Châtiment terrible et sans nom! qui jamais<br />

pourra te comprendre? Porter en soi d’ineffables trésors d’amour<br />

et être condamné à les cacher comme une honte, comme un<br />

crime! Avoir une âme de feu et se dire: Jamais une vierge ne<br />

t’accordera les droits sacrés d’un époux. Cette suprême consolation<br />

de l’homme ici-bas, je ne dois pas la goûter. Oh! la mort! la<br />

mort sera vraiment pour moi l’heure de la délivrance! Autre juif<br />

errant, je l’attends comme la fin <strong>du</strong> plus épouvantable de tous les<br />

supplices!!! Mais vous me restez, mon Dieu! vous avez voulu<br />

que je n’appartinsse à personne ici-bas, par aucun de ces liens<br />

terrestres qui élèvent l’homme en perpétuant votre œuvre<br />

divine! Triste déshérité, je puis encore lever les yeux vers vous,<br />

car vous <strong>du</strong> moins vous ne me repousserez pas!<br />

Cinq ou six semaines après ma visite au préfet, je reçus l’invitation<br />

de me rendre à Paris, près de M. le chef d’exploitation <strong>du</strong><br />

chemin de fer de… Cette lettre me combla de joie. À la perspective<br />

d’un voyage à Paris se joignait l’espoir d’abandonner promptement<br />

un pays que j’avais pris en horreur, et d’échapper enfin à<br />

cette espèce de ridicule inquisition dont je me voyais l’objet. Le<br />

préfet que j’allai voir aussitôt partagea sincèrement ma satisfaction<br />

et m’engagea à ne pas différer mon départ. Ma pauvre mère<br />

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