26.06.2013 Views

Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />

été sa compagne d’études, j’allais entrer en religion. Sa supposition<br />

me fit sourire. Mais je ne crus pas nécessaire de la désabuser.<br />

Je devais rester deux ou trois jours de plus pour la mettre au<br />

fait de notre mode d’enseignement, non pas que je le jugeasse<br />

nécessaire, mais parce que madame P… m’en avait prié.<br />

Sara lui parlait peu. Elle lui avait déplu tout d’abord. Cela<br />

devait être! Elle pouvait prendre ma place; mais non pas me<br />

remplacer.<br />

Le soir même de son arrivée, je manifestai l’intention de lui<br />

donner mon lit au dortoir qui, maintenant, devait être le sien, et<br />

d’occuper la petite chambre de Sara. Mon amie voulut m’en<br />

détourner; sa mère m’approuva. Nous fûmes donc séparés cette<br />

première nuit; mais le lendemain matin Sara vint faire sa toilette<br />

près de moi, après m’avoir offert son bonjour quotidien. Il en fut<br />

ainsi jusqu’à mon départ, fixé définitivement à la fin de la<br />

semaine.<br />

M. le curé en avait été prévenu par une lettre de Monseigneur<br />

de B…, aujourd’hui archevêque de… J’allai donc, par pure bienséance,<br />

lui en parler. Je m’en repentis cruellement. Cet homme<br />

absurde ne trouva pas un mot encourageant à me dire dans la<br />

situation incroyable qui m’était faite. Rien ne pouvait fléchir<br />

l’inflexible rigueur de cet homme. Il ne me pardonna jamais. Que<br />

lui avais-je fait? Rien. Inutile de dire que je ne retournai pas lui<br />

faire mes adieux, bien que madame P… m’en eût prié.<br />

Je ne vis personne à L…, et, bien que mon départ y fût déjà<br />

connu, il se fit sans bruit, sinon sans les commentaires obligés qui<br />

servent d’aliment aux causeries de commères, en province.<br />

Mon dernier jour était arrivé. J’allais enfin quitter la douce<br />

retraite, témoin de mes joies ignorées. J’allais voir, sous une<br />

nouvelle face, ce monde que j’étais loin de soupçonner.<br />

Mon inexpérience me préparait de tristes désenchantements.<br />

Je voyais tout alors sous un jour radieux et pur de tout nuage!<br />

Pauvre insensé que j’étais; je tenais le bonheur, la vraie félicité, et<br />

j’allais, de gaieté de cœur, sacrifier tout cela à quoi, à une idée,<br />

une sotte peur!!! Oh! je l’ai bien expié!! Au reste, à quoi bon les<br />

plaintes, les regrets? J’ai subi ma destinée, j’ai accompli, avec<br />

courage, je crois, les devoirs pénibles de ma situation. Beaucoup<br />

riront. Ceux-là je leur pardonne et je leur souhaite de ne<br />

connaître jamais les douleurs sans nom qui m’ont accablé!!!<br />

67

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!