Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher
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MES SOUVENIRS<br />
Au milieu <strong>du</strong> bonheur qui m’enivrait, j’étais affreusement<br />
torturé. Que faire, mon Dieu, que résoudre!<br />
Ma pauvre tête était un chaos <strong>du</strong>quel je ne pouvais rien<br />
démêler. M’ouvrir à ma mère? Mais il y avait de quoi la tuer!<br />
Non! Elle ne pouvait être initiée par moi à une telle découverte!<br />
Prolonger indéfiniment la situation?<br />
C’était m’exposer inévitablement aux plus grands malheurs!<br />
C’était outrager la morale dans ce qu’elle a de plus inviolable, de<br />
plus sacré!<br />
Et plus tard, ne pouvait-on pas me demander compte d’un<br />
silence coupable, et faire peser sur moi les tristes conséquences<br />
que d’autres auraient dû prévoir!…<br />
Les vacances approchaient. J’allais de nouveau me séparer de<br />
ma bien-aimée Sara. Nos adieux furent tristes, les miens surtout,<br />
car je n’étais pas certain de la revoir… Je la laissais sans lui faire<br />
part de mes projets.<br />
J’arrivai à B… la mort dans l’âme.<br />
On allait exiger de moi des explications que j’étais résolu à ne<br />
pas donner. M. de Saint-M… était contraint, embarrassé. Toutes<br />
mes lettres lui avaient été lues.<br />
Il en cherchait vainement le sens. Ma tristesse lui faisait mal.<br />
Sans la comprendre, il prévoyait quelque catastrophe. Cette<br />
crainte était augmentée encore par le silence pénible dans lequel<br />
je me renfermais obstinément.<br />
Ma mère et lui attendirent ainsi un aveu qui ne vint pas. Un<br />
mois s’était passé de la sorte. Le moment <strong>du</strong> départ approchait.<br />
<strong>Mes</strong> forces étaient à bout. Je voyais arriver avec terreur le<br />
moment fatal!… Ma mère eut plus de courage. Il ne me restait<br />
plus que quelques jours à rester près d’elle!<br />
Je la vis, un matin, rentrer dans ma chambre, et s’asseoir près<br />
de mon lit: « Camille, me dit-elle, tu as compris, n’est-ce pas,<br />
que tu ne peux t’éloigner ainsi de nous. Tes paroles, ta con<strong>du</strong>ite<br />
inconcevables exigent une explication que je te supplie de<br />
m’accorder. » Elle ne put en dire davantage. Sa voix tremblait. Je<br />
baissai la tête sans répondre, pendant deux ou trois minutes!<br />
Soudain, un trait de lumière me traversa l’esprit: « C’est bien,<br />
dis-je, tu veux savoir, tu sauras tout. Mais pas aujourd’hui!<br />
Attends jusqu’à demain. C’est tout ce que je te demande. » Elle<br />
se retira.<br />
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