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Mes souvenirs - Adélaïde Herculine Barbin - Éditions du Boucher

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ADÉLAÏDE HERCULINE BARBIN<br />

comprendre qu’une femme de son âge, de son expérience, pût<br />

conserver une semblable illusion! L’affection que me témoignait<br />

Sara ne devait-elle pas lui ouvrir les yeux? Non. Elle aurait craint<br />

de nous donner l’éveil, en nous montrant le plus léger soupçon!<br />

Pauvre femme!!!<br />

Cet incident, quelque grave qu’il fût, ne changea en rien notre<br />

train de vie ordinaire. Madame P… avait repris sa sérénité, nous<br />

notre gaieté. Dans une excursion au-dehors, il nous arriva souvent<br />

de rencontrer le docteur T… Je coudoyais Sara. Il passait,<br />

non sans me saluer avec un sourire! Que devait-il penser en nous<br />

voyant rire, accouplés!!! Étrange situation!… Son silence, son<br />

attitude à mon égard me semblaient une énormité révoltante!<br />

J’eus plusieurs fois l’idée de provoquer une explication de sa<br />

part, en lui mettant sous les yeux la fausseté d’une situation dont<br />

il me fallait sortir, à quelque prix que ce fût. Sara repoussait bien<br />

loin toute détermination de ce genre. C’était pour elle, non plus<br />

la réparation, mais la honte, la médisance attachée à toute sa vie!<br />

Hélas! Je le comprenais!<br />

Le monde, après avoir flétri en quelque sorte une liaison innocente,<br />

en apparence, serait-il in<strong>du</strong>lgent pour une intrigue<br />

amoureuse? Non, sans doute; il devait être impitoyable! Il voudrait<br />

nous faire cruellement expier le bonheur silencieux de deux<br />

années! Il avait été chèrement acheté ce bonheur!<br />

<strong>Mes</strong> occupations n’avaient pas été interrompues. Un jour, en<br />

présence de Sara, madame P… me faisait des recommandations<br />

maternelles, relatives à ma santé. Sans être malade, j’étais réellement<br />

fatigué, affaibli. <strong>Mes</strong> nuits étaient agitées.<br />

Une sueur presque continuelle, sinon abondante, augmentait<br />

encore mon malaise. Tous les soirs, avant le coucher, on me préparait<br />

une boisson réchauffée toute la nuit par la flamme d’une<br />

veilleuse: « Vous n’omettez pas de la prendre, n’est-ce pas,<br />

mademoiselle Camille, me dit madame P… — Sois tranquille,<br />

maman, je couche avec elle, et je m’en charge. » Sa mère s’était<br />

redressée tout à coup. « Quant à cela, je te le défends<br />

expressément! J’ai mes raisons. Et j’ajouterai que si mon autorité<br />

ne suffit pas, j’aurais recours à celle d’un autre. Je t’en fais un cas<br />

de conscience. » Nous ne répondîmes pas, et pour cause.<br />

Bizarre contradiction! Cette femme rougissait intérieurement<br />

de cette intimité de nos rapports, et elle tolérait ma présence<br />

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